À propos de la justice transitionnelle et des droits de l’homme
Le HCDH et la justice transitionnelle
Dans les sociétés qui tentent de se reconstruire et d’aller de l’avant suite une histoire violente marquée par de graves violations des droits de l’homme, qu’elles aient été commises dans un contexte de répression, de conflit armé ou autre, d’importantes questions se posent quant à la manière de reconnaître les violations, de satisfaire les demandes de justice, de prévenir la récurrence, de restaurer le tissu social des communautés et de construire une paix durable. La justice transitionnelle est la discipline qui cherche à analyser ce dont les sociétés ont besoin pour faire face à un tel héritage, et elle met au point divers instruments pour y parvenir.
Pour les Nations Unies, la justice transitionnelle englobe « l’éventail complet des divers processus et mécanismes mis en œuvre par une société pour tenter de faire face à des exactions massives commises dans le passé, en vue d’établir les responsabilités, de rendre la justice et de permettre la réconciliation » (S/2004/616). Elle vise à reconnaître les victimes de violations passées en tant que titulaires de droits, à renforcer la confiance entre les individus au sein de la société et la confiance de ceux-ci dans les institutions de l’État, à renforcer le respect des droits de l’homme et à promouvoir l’état de droit (A/HRC/21/46). La justice transitionnelle cherche ainsi à contribuer à la réconciliation et à la prévention de nouvelles violations.
La justice transitionnelle est ancrée dans le droit international des droits de l’homme. Les États ont l’obligation de fournir aux victimes de violations des droits de l’homme un recours effectif, en satisfaisant leurs droits à la vérité, à la justice et à la réparation. Pour que cette obligation soit respectée et que la justice transitionnelle puisse contribuer efficacement à une paix et une réconciliation durables, il est nécessaire d’adopter des approches globales qui cherchent à enregistrer des progrès dans toutes les dimensions de la justice transitionnelle de manière complémentaire.
Les processus de justice transitionnelle comprennent la recherche de la vérité, les initiatives pour engager des poursuites, différents types de réparations et une large gamme de mesures afin de prévenir la récurrence de nouvelles violations ; il peut s’agir de réformes constitutionnelles, juridiques et institutionnelles, du renforcement de la société civile, de commémorations, d’initiatives culturelles, de la préservation d’archives et de réformes des programmes d’histoire, selon les besoins et le contexte.
Les processus de justice transitionnelle devraient :
- être adaptés au contexte : ils doivent être basés sur les spécificités de chaque pays, ses cadres politiques, institutionnels et juridiques, son histoire, sa culture et ses priorités locales, et notamment sur les attentes et les demandes des victimes en matière de justice, de réconciliation et de reconstruction suite aux violences ;
- être pilotés par les pays : les autorités locales et nationales, les communautés de victimes et la société dans son ensemble devraient s’approprier le processus, participer à sa conception et à sa mise en œuvre, le reconnaître et y trouver un écho pour comprendre l’héritage du passé et construire une vision commune de l’avenir ;
- être inclusifs : ils devraient inclure toutes les parties prenantes, qu’il s’agisse de victimes, de simples témoins ou d’auteurs de violations, indépendamment de leur milieu politique ou de leur origine sociale, religieuse ou ethnique, ainsi que les communautés et la société au sens large, en mettant l’accent sur la participation de ceux qui ont pu être traditionnellement ou fréquemment laissés de côté ou marginalisés (minorités ethniques ou religieuses, apatrides, femmes, jeunes, enfants, etc.) ;
- être centrés sur les victimes : la place de premier plan qu’occupent les victimes ainsi que leur statut particulier doivent être reconnus dans le cadre de la conception et de la mise en œuvre des processus de justice transitionnelle. Leur dignité, leurs points de vue, leurs priorités et leurs préoccupations doivent être pleinement respectés ;
- être sensibles aux questions de genre : des femmes devraient participer à tous les stades et niveaux de décision des processus de justice transitionnelle, et tous les types de violations des droits de l’homme devraient être pleinement traités afin de remédier aux inégalités entre les hommes et les femmes, notamment en adoptant une approche spécifique concernant les violences sexuelles et les violences fondées sur le genre ;
- être participatifs et assurer l’autonomisation : ils devraient veiller à ce que les victimes et les communautés touchées participent de manière significative à la conception et à la mise en œuvre des mécanismes de justice transitionnelle et soient consultées à leur égard, ce qui aiderait à changer la perception et la compréhension qu’ont les victimes et la société en général de leur statut et de leur rôle en tant que bénéficiaires du processus et agents puissants du changement dans le cadre de la recherche de la transformation, de la paix, de la démocratie et de la réconciliation ;
- être transformateurs pour l’ensemble de la société : il ne s’agit pas uniquement d’un exercice rétrospectif, mais d’une possibilité tournée vers l’avenir pour arriver à une transformation sociétale profonde en abordant à la fois les besoins des victimes et les causes profondes des violations, notamment les inégalités flagrantes, les structures de pouvoir injustes, la discrimination et l’exclusion profondément ancrées, les carences institutionnelles, l’impunité structurelle et d’autres violations des droits de l’homme qui sous-tendent ou alimentent tant de menaces pour la paix et la sécurité.
Lorsqu’ils respectent ces critères, les processus de justice transitionnelle peuvent contribuer de manière essentielle au profond changement d’attitude qu’exigent les transformations durables. En outre, il est essentiel de garantir la participation la plus large possible des organisations de la société civile à la prise de décision dans l’ensemble de ces processus.
La justice transitionnelle, un outil de consolidation de la paix
Une paix durable est liée à la justice, au développement et au respect des droits de l’homme. Il a été démontré à maintes reprises que les processus de justice transitionnelle peuvent contribuer à régler les griefs et combler les divisions existant au sein d’une société. À cette fin, ces processus doivent être adaptés au contexte, être pilotés par les pays et être centrés sur les besoins des victimes. Ils peuvent alors relier, autonomiser et transformer les sociétés, et contribuer ainsi à l’établissement d’une paix durable.
Les résolutions jumelles de 2016 sur la pérennisation de la paix, la résolution 70/262 de l’Assemblée générale et la résolution 2282 du Conseil de sécurité, reconnaissent également que l’appropriation des processus par le pays et l’inclusion sont fondamentales pour la réussite des efforts de consolidation de la paix.
Justice transitionnelle, établissement des responsabilités et prévention
Les processus de justice et d’établissement des responsabilités contribuent à briser les cycles de violence et d’atrocités, à rétablir l’état de droit et la confiance dans les institutions, et à construire des sociétés suffisamment solides pour réduire le risque de violations graves des droits de l’homme. Dans ses résolutions, le Conseil de sécurité a tenu à souligner « l’importance qu’il y a à tenir les auteurs d’infractions responsables de leurs actes si l’on veut prévenir les conflits futurs, empêcher de nouvelles violations graves du droit international [...] et permettre l’instauration d’une paix durable, de la justice, de la vérité et de la réconciliation ». La justice et l’établissement des responsabilités sont cruciaux pour s’attaquer et mettre fin aux facteurs de risque associés à la commission d’atrocités criminelles (voir le Cadre d’analyse des atrocités criminelles élaboré par les Nations Unies).
Chaque composante de la justice transitionnelle peut jouer un rôle dans la prévention des atrocités et d’autres types de violations graves des droits de l’homme (A/HRC/37/65). La responsabilité pénale envoie un signal clair selon lequel nul n’est au-dessus des lois, ce qui est crucial pour l’intégration et la cohésion sociales. Elle permet également de perturber ou de démanteler les réseaux criminels et peut dissuader d’autres violations et crimes.
La recherche de la vérité fournit aux victimes et aux communautés touchées une plateforme publique pour exprimer leurs points de vue. Elle permet également aux différentes communautés d’entendre les perceptions des autres, ce qui crée une base objective et factuelle pour développer une compréhension commune du passé, sur laquelle reposent les recommandations en matière de prévention. Les réparations contribuent à la prévention en reconnaissant les victimes en tant qu’individus titulaires de droits et en pouvant jouer un rôle de catalyseur pour la transformation de leur situation.
Les garanties de non-répétition sont intrinsèquement tournées vers l’avenir et la prévention. Il s’agit de mesures spécifiques qui s’attaquent aux causes profondes et immédiates des violations en vue d’éviter qu’elles ne se reproduisent. Au-delà des réformes institutionnelles, qui comprennent les réformes constitutionnelles et la réforme du secteur de la justice et de la sécurité, et notamment des procédures de vérification des antécédents, ces mesures peuvent concerner des changements dans les programmes d’histoire, la prise en charge post-traumatique, la préservation d’archives et des initiatives de commémoration.