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De la Syrie au Sri Lanka, ou du Myanmar à la République centrafricaine, de nombreuses crises majeures en matière de droits de l’homme ont été précédées d’avertissements émanant du HCDH, des procédures spéciales, et même des organes conventionnels, qui signalaient une hausse alarmante des violations des droits de l’homme et des atteintes à ces droits.

Michelle Bachelet, Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, 24 février 2020

Une prévention efficace nécessite l’identification rapide des risques afin de pouvoir concevoir et mettre en œuvre des mesures de prévention ou d’atténuation. Cela s’applique aussi bien à la prévention de violations des droits de l’homme qu’à la prévention de conflits ou de crises plus larges. Le HCDH s’emploie à développer ses moyens d’alerte rapide, car il est fermement convaincu que l’analyse fondée sur les droits de l’homme présente une valeur ajoutée évidente pour les objectifs des Nations Unies en matière d’alerte rapide et de prévention, et ce pour tous les piliers de l’organisation.

Envisager le système international des droits de l’homme comme un système d’alerte rapide

Le système des droits de l’homme des Nations Unies est conçu pour aider les États à identifier les violations réelles ou potentielles des droits de l’homme et à mettre en place des mesures afin d’y mettre fin et d’éviter qu’elles ne se reproduisent à l’avenir. Les mécanismes des droits de l’homme, tels que les organes conventionnels et les procédures spéciales, sont des éléments essentiels du système qui peuvent aider à identifier les facteurs de risque et recommander des actions pour remédier aux violations des droits de l’homme et éviter leur répétition. La surveillance des droits de l’homme, qui consiste à évaluer une situation réelle par rapport aux normes internationales des droits de l’homme, est un outil essentiel pour identifier les violations.

Par ailleurs, le système des droits de l’homme peut servir un objectif plus général en émettant des alertes rapides au sujet de risques plus larges de conflit ou de crise. Il existe des preuves montrant que les violations des droits de l’homme, en particulier lorsqu’elles sont généralisées et systématiques, peuvent indiquer un risque accru de conflit, de violence ou d’instabilité, car elles constituent souvent les facteurs sous-jacents à long terme ou les déclencheurs à court terme de conflit ou d’instabilité. Le Conseil de sécurité a reconnu que les atteintes graves aux droits de l’homme ne sont pas seulement une conséquence des conflits, mais « peuvent être un indice annonciateur d’une plongée dans un conflit ou d’une escalade d’un conflit » et que la mise en œuvre au niveau national des obligations en matière de droits de l’homme peut « contribuer [...] à une prévention prompte des conflits » (S/RES/2171(2014).

Plusieurs mécanismes des droits de l’homme s’emploient à développer des moyens d’alerte rapide en vue d’identifier de manière précoce les violations des droits de l’homme, ainsi que les effets découlant des conflits ou des crises que ces violations peuvent générer.

À la suite du génocide rwandais, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale a développé des procédures d’alerte rapide et d’intervention d’urgence pour tenter de prévenir les violations graves de la Convention. Ses mesures d’alerte rapide visent à empêcher que des problèmes existants ne dégénèrent en conflits. Elles peuvent comprendre des mesures visant à instaurer la confiance pour déterminer et appuyer tout ce qui peut favoriser et renforcer la tolérance raciale, en vue notamment de prévenir la reprise d’un conflit antérieur.

Dans ses travaux, la Commission d’enquête sur le Burundi a adopté une approche préventive, conformément aux principes d’alerte rapide et de prévention, en cherchant à identifier des facteurs de risque et des mesures de prévention. La prévention fait de plus en plus partie des mandats des mécanismes des droits de l’homme, notamment des mandats des procédures spéciales et des commissions d’enquête.

L’importance de la prise en considération de tous les droits de l’homme pour l’alerte rapide

Le système des droits de l’homme des Nations Unies peut exercer sa mission d’alerte rapide de la manière la plus efficace possible lorsqu’il prend simultanément en considération la situation de l’ensemble des droits de l’homme dans un contexte spécifique. Les conflits ou les crises sont rarement causés par des violations isolées de droits individuels, et le risque de conflit ou de crise augmente lorsqu’un ensemble plus vaste de droits de l’homme sont violés de manière systématique ou généralisée. Les violations des droits économiques, sociaux et culturels peuvent être aussi importantes que les violations des droits civils et politiques aux fins de l’alerte rapide.

La surveillance et l’établissement de rapports sont des outils importants de la protection et de la promotion des droits de l’homme. La collecte, la vérification et l’analyse d’informations et de données sur les droits de l’homme permettent non seulement de déterminer si des violations sont ou ont été commises, mais aussi d’anticiper de futures violations. Le système des droits de l’homme des Nations Unies a développé une gamme très poussée de mécanismes de surveillance, d’établissement de rapports et de conseil portant sur toutes les catégories de droits de l’homme, qui peuvent être utilisés à des fins plus vastes d’alerte rapide.

Le rôle joué par les violations des droits économiques, sociaux et culturels est souvent ignoré à cet égard. Il existe des preuves manifestes que ces violations peuvent être les causes, les conséquences et souvent les signes avant-coureurs de situations de violence, de troubles sociaux ou de conflit, au même titre que les violations des droits civils et politiques. Les violations des droits économiques, sociaux et culturels résultent de divers facteurs, tels que la répartition inégale du pouvoir, la discrimination ou les inégalités, qui sont des moteurs connus de conflits.

En 2016, le HCDH a produit un rapport sur l’alerte rapide et les droits économiques, sociaux et culturels, dans lequel il examine les liens entre les violations des droits économiques, sociaux et culturels et la violence, les troubles sociaux et les conflits, et estime qu’une analyse de l’exercice de ces droits pourrait contribuer aux systèmes d’alerte rapide en vue d’une action préventive efficace.

De même, l’analyse de tendances en matière de violation des droits civils et politiques peut indiquer de manière précoce l’imminence d’une crise des droits de l’homme. Le rapport rédigé par Bacre Ndiaye, Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, sur sa visite au Rwanda un an avant le début du génocide de 1994 en est un exemple célèbre. Il y mentionnait toute une série de préoccupations concernant non seulement des meurtres, mais aussi l’utilisation de médias à des fins de propagande haineuse, la faiblesse du système judiciaire et l’impunité généralisée. Dans un passage clé, il se demandait si certains meurtres équivalaient déjà à un génocide. Bien que ne se considérant pas qualifié pour porter un jugement à ce sujet, il a observé la chose suivante : « il ressort très clairement des cas de violences intercommunautaires portés à l’attention du Rapporteur spécial que les victimes des attaques, des Tutsi dans l’écrasante majorité des cas, ont été désignées comme cible uniquement à cause de leur appartenance ethnique, et pour aucune autre raison objective. » Cela aurait dû servir de signal d’alarme pour la communauté internationale : entre avril et juillet 1994, jusqu’à un million de personnes, principalement d’origine tutsie, ont été massacrées par des milices hutues au Rwanda.

En réalité, tous les droits de l’homme ont un effet préventif et jouent donc un rôle dans l’identification de problèmes qui, s’ils sont ignorés, peuvent engendrer des conflits, des crises ou de la violence. Les manifestations qui ont eu lieu en Tunisie à la fin de l’année 2010 et en 2011 et qui ont conduit au « Printemps arabe » ont été déclenchées par le geste extrême d’un vendeur de rue, M. Mohamed Bouazizi, qui s’était immolé en signe de protestation. Il visait ainsi à exprimer ses griefs concernant une combinaison de violations de ses droits économiques et sociaux et de ses droits civils et politiques. Sa protestation a trouvé un écho auprès de nombreuses autres personnes ayant des griefs similaires, dans un contexte d’inégalités de longue date, de taux de chômage élevé, d’accès limité et précaire aux moyens de subsistance et d’une capacité très limitée à modifier la situation. En a résulté une crise soudaine qui a touché toute une région et dont les effets se font encore sentir aujourd’hui. 

À l’époque, dans un important discours intitulé The Tunis Imperative, la Haute-Commissaire aux droits de l’homme avait fait remarquer qu’un grand nombre des problèmes ayant conduit au Printemps arabe avaient été mis en avant par les mécanismes des droits de l’homme (les organes conventionnels et les procédures spéciales), mais n’avaient pas été détectés par les cadres analytiques qui guidaient les travaux du pilier paix et sécurité et du pilier développement des Nations Unies : « le problème tenait sûrement au fait que, dans certains cas, la grille d’analyse était trop étroite, et dans d’autres, elle faisait fausse route. » Elle a ajouté que les Nations Unies devaient élargir leur grille d’analyse afin d’y inclure tous les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels. 

Développer les moyens d’alerte rapide du HCDH pour soutenir le travail de prévention des Nations Unies

La manière dont le système des Nations Unies peut tirer le meilleur parti des informations et des analyses relatives aux droits de l’homme afin de guider le travail réalisé dans le cadre de ses trois piliers reste une question d’actualité. Dans son Appel à l’action en faveur des droits humains, le Secrétaire général a déclaré que tous les programmes des Nations Unies, dans le cadre de missions et hors de ce contexte (développement), devraient être fondés « sur une analyse des risques et des perspectives en matière de droits humains ».

Dans sa résolution A/HRC/RES/45/31, le Conseil des droits de l’homme a prié le HCDH de renforcer les moyens dont il dispose pour obtenir, vérifier, gérer et analyser des données, y compris relatives à des signes avant-coureurs, émanant de toutes sources, notamment des États, des mécanismes chargés des droits de l’homme, des institutions nationales des droits de l’homme, des organisations de la société civile, des défenseurs des droits de l’homme, des équipes de pays des Nations Unies et des présences du Haut-Commissariat sur le terrain, et de traiter ces données conformément à son mandat. Le Conseil des droits de l’homme a demandé que, lorsque le HCDH constate un ensemble de violations des droits de l’homme qui laissent entrevoir un risque accru de crise dans le domaine des droits de l’homme, la Haute-Commissaire porte l’information à l’attention du Conseil d’une manière qui fasse apparaître l’urgence de la situation et qui laisse une place au dialogue et à la coopération avec l’État et la région concernés, notamment dans le cadre de réunions d’information.

Le HCDH développe ses moyens d’alerte rapide et collabore avec des États Membres, des partenaires des Nations Unies et d’autres acteurs pour s’assurer que les informations et les analyses relatives aux droits de l’homme sont pleinement utilisées dans le cadre de l’analyse des alertes rapides. Le HCDH a commencé à déployer des moyens spécifiques dans ses bureaux régionaux pour soutenir le travail réalisé par ses présences dans les pays et par l’ensemble du système des Nations Unies, notamment par les coordonnateurs résidents et les équipes de pays des Nations Unies, en matière d’alerte rapide, de préparation et de gestion des crises. Ces moyens concernent notamment l’analyse de tendances et de problèmes émergents en matière de droits de l’homme ainsi que la réalisation d’analyses macroéconomiques.

Dans le cadre de sa mission, le HCDH aide les Nations Unies à établir des systèmes d’alerte rapide en matière de droits de l’homme et à intégrer l’analyse des droits de l’homme dans leur planification stratégique. Dans cette optique, il collabore également avec des institutions nationales des droits de l’homme et des partenaires du Comité permanent interorganisations au renforcement des droits de l’homme dans le cadre de l’action humanitaire. Son action vise à aider les Nations Unies à respecter les engagements pris dans le cadre de l’Appel à l’action du Secrétaire général des Nations Unies en faveur des droits humains, en s’appuyant sur l’initiative « Les droits de l’homme avant tout » et sur le programme de prévention du Secrétaire général pour renforcer les moyens de prévention à l’échelle du système au niveau régional.

Le HCDH participe en outre aux examens mensuels régionaux, un processus développé dans le cadre de l’initiative « Les droits de l’homme avant tout » qui a été incorporé par la suite à la plateforme de prévention intégrée du Secrétaire général afin de s’assurer que les acteurs du système des Nations Unies ont une compréhension commune des situations et prennent des mesures de prévention rapides et coordonnées.

Coordonnés au niveau des directeurs, les examens mensuels régionaux font appel à une combinaison d’analyses relatives au développement, à la politique, aux droits de l’homme et à l’action humanitaire pour définir des recommandations visant à renforcer l’action des Nations Unies. Les membres procédant aux examens étudient les informations d’alerte rapide et conviennent de mesures de prévention et d’intervention pouvant être prises pour aider la présence des Nations Unies sur le terrain à faire face à l’évolution d’une situation. Leurs décisions peuvent mobiliser tous les titulaires de mandat des Nations Unies afin de répondre à toute préoccupation. Le HCDH veille à ce que l’analyse menée dans le cadre de ces examens mensuels régionaux prenne en considération les contributions des mécanismes des droits de l’homme des Nations Unies et d’autres informations relatives aux droits de l’homme.

Soutien apporté par le HCDH à des organismes extérieurs aux Nations Unies en matière d’alerte rapide fondée sur les droits de l’homme

Depuis 2018, le HCDH collabore avec l’Union africaine et le programme mondial d’appui à la réintégration (GPRS) de la Banque mondiale afin de soutenir le renforcement des méthodologies d’alerte rapide de l’Union africaine en intégrant une approche fondée sur les droits de l’homme à son Système d’alerte rapide existant à l’échelle du continent. Cette collaboration vise notamment à augmenter et encourager le recours à des sources de données primaires en utilisant une approche fondée sur les droits pour la collecte et l’analyse de données, ainsi que pour la prise de mesures. D’autres organisations internationales et régionales disposent de moyens d’alerte rapide qui, à des degrés divers, utilisent des informations relatives aux droits de l’homme.

Dans le cadre de leur mission de protection et de promotion des droits de l’homme au niveau national, les institutions nationales des droits de l’homme ont un rôle important à jouer dans leur pays en matière d’alerte rapide concernant les violations des droits de l’homme. Cette fonction peut contribuer à identifier des risques plus larges et aider à mettre en place des politiques et des pratiques visant à encourager une résolution pacifique des conflits, à répondre aux griefs, à lutter contre les inégalités et à renforcer la résilience et la préparation.

Rapports