Skip to main content

Nicaragua

Tout risquer pour défendre les droits de l’homme en exil

19 avril 2024

Tout risquer pour défendre les droits de l’homme en exil

« J’ai dû quitter le Nicaragua de manière irrégulière. Je suis partie avec un sac à dos, mon ordinateur, et le sentiment de quitter mon pays pour avoir défendu d’autres victimes, pour les avoir accompagnées. J’avais l’impression d’avoir commis un crime, alors que je ne faisais que défendre les droits humains », déclare Wendy Flores, une défenseuse des droits humains originaire du Nicaragua.

Wendy Flores a étudié le droit et s’est mise à défendre les droits de l’homme après avoir observé les injustices commises dans son pays. Elle a ensuite rejoint le CENIDH (centre nicaraguayen des droits de l’homme), une organisation à but non lucratif, en tant que stagiaire en avril 2002.

« J’ai commencé à réaliser que j’étais une défenseuse des droits humains, car je travaillais pour les victimes, pour leurs droits et je les aidais à surmonter de nombreux obstacles dans le pays », explique-t-elle.

Wendy Flores vit actuellement en exil. Elle a décidé de partir lorsque le Gouvernement a commencé à annuler le statut juridique de plusieurs organisations de la société civile dédiées à la défense des droits humains, ainsi qu’à détenir leurs membres, à la suite des manifestations d’avril 2018.

Selon un rapport du HCDH, des manifestations menées par des groupes environnementaux, la population paysanne rurale et des étudiants ont éclaté au début du moins d’avril 2018 au Nicaragua pour dénoncer la réponse lente et insuffisante du Gouvernement aux incendies de forêt dans la réserve biologique Indio Maíz. Le mécontentement a ensuite grandi au sein de la population, dénonçant notamment la réforme de la sécurité sociale et la réduction des paiements de retraite, ce qui a donné lieu à de nouvelles manifestations. Les manifestants ont rapidement été considérés comme des opposants au Gouvernement, ce qui a entraîné la répression des manifestations, l’incrimination des manifestants et leur arrestation.

« Ces cinq dernières années, plus de 3 600 organisations de la société civile ont été supprimées au Nicaragua. En décembre 2018, le CENIDH a été l’une des dix premières organisations à être fermée », se rappelle-t-elle. « Même lorsque nous avons dit que nous continuerions à défendre les droits humains, nous n’avons malheureusement pas réussi à le faire de l’intérieur du pays, car les détentions ont commencé et il était évident que cela allait m’empêcher de faire mon travail de défenseuse. »

Wendy Flores a dû quitter le Nicaragua par crainte d’être poursuivie pour avoir défendu les droits humains et de mettre sa famille en danger.

« Le sentiment de laisser derrière moi, même temporairement, mon très jeune fils et ma fille, a été l’une des situations les plus difficiles auxquelles j’ai été confrontée », indique-t-elle.

Heureusement, elle a pu retrouver sa famille environ deux mois et demi après avoir quitté le Nicaragua, mais cette séparation a inévitablement eu un impact traumatisant sur toute la famille. Elle est consciente que de nombreuses autres défenseuses ont malheureusement dû attendre longtemps avant de retrouver leur famille. Dans certains cas, elles n’ont pas réussi, ce qui a eu des répercussions psychologiques sur les enfants et les défenseuses.

En exil

Son départ du Nicaragua l’a obligée à réinventer son travail de défenseuse des droits humains et, avec d’autres militants également en exil, elle a créé l’association de défense des droits humains Nicaragua Nunca Más (Nicaragua plus jamais). Cette association vise à soutenir les victimes, à dénoncer les violations des droits de l’homme et à envoyer un message symbolique : malgré les nombreux obstacles et la nécessité de vivre en exil, ces défenseurs continuent de lutter contre l’impunité face aux violations des droits de l’homme commises au Nicaragua.

Quand on n’est pas libre, on se rend vraiment compte de ce qu’on a perdu. Nous avons perdu la liberté de nous exprimer sur le territoire nicaraguayen, de nous déplacer, de développer nos propres projets de vie dans notre pays, de participer à la vie politique ou de défendre les droits de l’homme.

Wendy Flores, défenseuse des droits humains nicaraguayenne en exil, fondatrice de l’association « Nicaragua Nunca Más

« Nous étions émotionnellement brisés, séparés de nos familles, désunis, mais nous avions la force de continuer à dénoncer les violations des droits de l’homme. C’était notre principale motivation et je m’y identifiais. En février 2019, nous avons tenu une conférence de presse pour annoncer que nous allions poursuivre notre travail en exil », explique la défenseuse des droits humains.

« Depuis, nous continuons de recenser des cas de personnes déplacées au Nicaragua. Nous avons réussi à identifier plus de 1 140 cas ces cinq dernières années. Nous avons recueilli des informations concernant des actes de torture perpétrés contre des prisonniers politiques », souligne-t-elle. « Nous avons identifié plus de 40 méthodes de torture utilisées contre des prisonniers politiques et leurs familles. Nous avons aussi identifié plusieurs auteurs concernant ces affaires. »

Wendy Flores est consciente que celles et ceux qui restent au Nicaragua sont en danger, mais elle souligne qu’il existe également des risques extraterritoriaux.

« Ceux d’entre nous qui sont en dehors du pays ont également subi des actes de siège et de surveillance de la part des forces de l’État ou des forces présentes en dehors du territoire nicaraguayen pour persécuter et intimider les défenseurs. En outre, la dénationalisation imposée par les autorités a touché plus de 317 personnes qui se trouvent principalement à l’extérieur du Nicaragua », indique-t-elle.

« Pour que nous puissions retourner au Nicaragua, nous aurions besoin d’un pays qui respecte ses obligations internationales, qui entame un processus de dialogue avec les mécanismes internationaux de protection des droits de l’homme et qui démontre que le pays va entreprendre un processus démocratique et respecter les droits de l’homme », affirme Mme Flores.

Selon elle, il s’agirait notamment d’autoriser les organismes internationaux tels que le HCDH et la Commission interaméricaine des droits de l’homme à revenir dans le pays.

Notre travail de défense des droits humains en exil

Wendy Flores estime que l’impact du travail du HCDH sur les défenseurs des droits humains en exil a été vital pour elle en tant que défenseuse et pour le mouvement des droits humains dans son pays.

« Le Bureau régional du HCDH pour l’Amérique centrale et les Caraïbes soutient le travail des défenseurs en exil en fournissant une assistance technique pour faciliter leur accès aux mécanismes des droits de l’homme des Nations Unies et l’établissement des responsabilités au niveau international, comme la juridiction universelle », indique Alberto Brunori, qui représente le Bureau régional.

Grâce aux résolutions successives adoptées depuis 2019, le Conseil des droits de l’homme aborde la situation au Nicaragua lors de ses sessions par le biais de comptes rendus oraux et de rapports écrits soumis par le HCDH.

Par ailleurs, le Conseil a promu la création en 2002 d’un Groupe d’experts des droits de l’homme sur le Nicaragua pour promouvoir le principe de responsabilité.

Ainsi, le HCDH a réussi à attirer l’attention de la communauté internationale sur les violations des droits de l’homme qui continuent de se produire au Nicaragua et a soutenu une solution à la crise basée sur les principes et les normes des droits de l’homme.

« Le HCDH a plaidé pour que les pays d’accueil fournissent aux défenseurs fuyant le Nicaragua la protection dont ils ont besoin, ainsi que le soutien nécessaire à leur travail », déclare M. Brunori.

« Les défenseurs des droits humains contraints de quitter le pays ont besoin d’une protection internationale, car ils nécessitent une situation juridique sûre qui leur permette de continuer à promouvoir les droits de l’homme sans craindre d’être renvoyés au Nicaragua », ajoute-t-il. « Ils ont également besoin que leurs allégations d’insécurité en exil soient prises en compte. Leur travail requiert des ressources financières et le soutien politique nécessaire pour garantir que leurs efforts, leur analyse et leurs propositions en matière de droits de l’homme soient pris en compte dans les décisions qui sont prises au sujet du Nicaragua à l’échelle internationale. Soutenir leur travail, c’est contribuer à un avenir plus démocratique et plus respectueux des droits de l’homme pour le pays. »

Pour Wendy Flores, il est essentiel que la communauté internationale continue de surveiller le Nicaragua.

« Le travail en réseau et les efforts menés par d’autres organisations, en soutenant les défenseurs des droits humains, deviennent réellement une action pour la vie, car vivre n’est pas seulement respirer et se nourrir. Il s’agit de vivre pleinement, et cela est lié aux conditions psychologiques, mentales et physiques dans lesquelles nous pouvons effectuer notre travail », affirme-t-elle.