« Où est Sombath ? » La famille d’un militant lao disparu exige des réponses
04 octobre 2024
Pendant 12 longues et douloureuses années, Shui-Meng Ng a tenté de répondre à une simple question : « Où est Sombath ? »
Sombath Somphone, le mari de Shui-Meng Ng, a été vu pour la dernière fois le 15 décembre 2012 à un poste de contrôle de la police dans une rue très fréquentée de Vientiane, la capitale de la République démocratique populaire lao. Les images d’une caméra de vidéosurveillance montrent le militant communautaire et dirigeant de la société civile primé se faire arrêter par des officiers de police, quelques minutes avant que des individus non identifiés ne forcent Sombath Somphone à monter dans un autre véhicule prenant ensuite la fuite.
Depuis ce jour, Shui-Meng Ng a mené une campagne acharnée pour obtenir la vérité et la justice pour son mari et pour mettre fin aux disparitions forcées en République démocratique populaire lao et ailleurs.
Lors de l’ouverture de la 27e session du Comité des disparitions forcées des Nations Unies à Genève, elle a raconté son combat pour faire la lumière sur cette affaire, se joignant à l’appel lancé par les groupes de défense des droits humains, les victimes, les experts et les organismes chargés des droits humains, ainsi que les États Membres.
« Je ne sais pas combien de temps je vais vivre. Mais je continuerai mon combat pour obtenir la vérité et la justice pour Sombath jusqu’à mon dernier souffle », a déclaré Shui-Meng dans son communiqué. « Les autorités du Gouvernement lao ignorent mon appel depuis 12 ans et continuent de dire aux personnes qui demandent ce qui est arrivé à Sombath que l’enquête est toujours en cours.
Un impact émotionnel sur les familles
Shui-Meng Ng a parlé de l’impact émotionnel profond des disparitions forcées sur les familles, qui sont laissées dans un état permanent d’incertitude, sans savoir où se trouvent leurs proches.
« Malgré le temps qui passe, la douleur, la souffrance ne disparaît pas. Elle reste au fil du temps, car la crainte qu’il ne revienne pas est de plus en plus grande. Et l’espoir qu’il revienne disparaît aussi », a-t-elle expliqué. « C’est pour cela que les disparitions forcées constituent donc l’acte criminel contre les droits de l’homme le plus complexe. »
Au moment de sa disparition forcée, cet agronome de renommée internationale et leader du développement, né en 1952, travaillait avec des agriculteurs et communautés rurales pauvres afin d’améliorer leurs moyens de subsistance et de protéger l’environnement.
Shui-Meng Ng a demandé à de nombreuses reprises aux autorités laotiennes d’enquêter sur cette affaire. Elle a déclaré au Comité que son mari avait selon elle été pris pour cible car il avait « dérangé certaines personnes puissantes qui pensaient que ce qu’il faisait nuisait à leurs intérêts ».
Shui-Meng Ng, ressortissante de Singapour et titulaire d’un doctorat en sociologie, a fait campagne dans le monde entier pour la libération de Sombath Somphone et a écrit un livre sur cette affaire, intitulé Silencing of a Laotian Son: The Life, Work and Enforced Disappearance of Sombath Somphone. Elle détient également un blog, où elle publie des lettres personnelles et des poèmes dédiés à son mari, et dénonce l’inaction du Gouvernement.
Une hausse des disparitions
Les disparitions forcées ont souvent servi de stratégie pour faire régner la terreur dans la société. Les experts avertissent qu’il s’agit désormais d’un problème mondial qui ne se limite pas à une région spécifique du monde. Selon les chiffres de l’ONU, des centaines de milliers de personnes ont disparu lors de conflits ou de périodes de répression dans au moins 85 pays, mais aussi en temps de paix, dans toutes les régions du monde.
Dans sa déclaration d’ouverture de la session, Mahamane Cisse-Gouro, directeur de la Division des mécanismes relevant du Conseil des droits de l’homme et des instruments relatifs aux droits de l’homme du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, a indiqué que l’augmentation du nombre de disparitions forcées dans le monde est due aux conflits nationaux et internationaux et à la polarisation croissante au sein des pays et entre ces derniers.
Répondant à Shui-Meng Ng au nom du Comité, l’experte Barbara Lochbihler a déclaré que depuis la disparition de Sombath Somphone, les organisations de la société civile en République démocratique populaire lao opèrent dans la peur et sont devenues plus prudentes dans leur travail.
« Le cas de Sombath Somphone montre clairement qu’une disparition forcée a non seulement de graves conséquences pour la famille et les proches, mais aussi très souvent un effet paralysant sur la société civile de la communauté ou du pays concerné », a-t-elle déclaré.
Selon Barbara Lochbihler, le Comité intensifie ses activités de sensibilisation auprès des gouvernements et du mouvement des droits humains au sens large afin que les pays ratifient la Convention dans le cadre de la lutte contre les disparitions forcées.
« Nous demanderons au Gouvernement lao de faire preuve de cette volonté politique. Et nous n’oublierons jamais les victimes », a-t-elle affirmé.
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Chaque matin, à l’aube,
Ma colère face à ta disparition injuste
Monte
Pourquoi toi, pourquoi moi, pourquoi nous ? Pourquoi tant de victimes
Laissés pour compte, vivant dans la peur, vivant dans le désespoir !
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SHUI-MENG NG, EXTRAIT DE SON POÈME « CHAQUE MATIN, À L’AUBE »
Durant une visite en République démocratique populaire lao en juin 2024, le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme Volker Türk a demandé au Gouvernement de continuer d’enquêter sur les disparitions forcées, dont celle de Sombath Somphone, et de ratifier la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.
La République démocratique populaire lao a signé la Convention mais ne l’a pas ratifiée.
Le Comité des disparitions forcées est un organisme d’experts indépendants chargé de surveiller la mise en œuvre de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées par les États parties. Il aide les victimes, les organisations de la société civile, les institutions nationales des droits de l’homme et les États à rechercher et retrouver les personnes disparues, à éradiquer, punir et prévenir ces crimes, et à réparer le préjudice subi par les victimes.