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Construire des économies favorables aux droits humains de tous

29 janvier 2024

Un écolier écrit sur un tableau en Éthiopie. © Betsy Arce

« Il est temps de modifier profondément notre approche des politiques économiques. Il est temps de placer les droits humains au cœur de l’architecture financière internationale. » C’est en ces termes que Volker Türk, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, s’est exprimé lors de la sixième réunion intersessions du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies sur les droits humains et le Programme 2030.

Cette réunion a été l’occasion pour les États Membres, les experts, les partenaires des Nations Unies et les groupes de la société civile de formuler des recommandations concrètes afin d’intégrer les droits humains dans la refonte de l’architecture financière internationale et d’évoluer vers une « économie respectueuse des droits humains » qui protège les droits humains et promeut l’égalité et la justice sociale.

En raison des effets de la pandémie de COVID-19, de l’augmentation du coût de la vie et de l’urgence climatique, de nombreux pays en développement peinent à mobiliser des ressources financières suffisantes pour investir dans la réalisation des objectifs de développement durable (ODD) et la mise en œuvre des droits humains.

Les niveaux records de la dette et les taux d’intérêt élevés poussent de nombreux gouvernements des pays en développement à dépenser plus pour rembourser la dette publique étrangère que pour la santé, l’éducation et l’éradication de la pauvreté, créant ainsi une crise des droits humains. Les réformes économiques et les mesures d’austérité, encouragées par les institutions financières internationales, donnent la priorité aux obligations de remboursement de la dette plutôt qu’aux obligations en matière de droits humains.

Selon Marcella Favretto, cheffe de la section du HCDH chargée du développement durable, on s’accorde de plus en plus à penser que les droits humains doivent être au cœur des réformes des institutions financières internationales, en tant que condition indispensable pour mettre en œuvre le Programme 2030 et garantir le financement des programmes de dépenses sociales qui soutiennent les droits humains.

« Depuis trop longtemps, on considère l’économie comme un domaine où les droits humains sont absents », a déclaré Mme Favretto, ajoutant que les budgets et d’autres aspects de l’élaboration des politiques économiques devraient être guidés par les droits humains.

« On avance comme argument que les institutions financières internationales ne sont pas tenues de respecter les droits humains et n’ont pas de mandat. En réalité, les États qu’elles soutiennent ont des obligations, et les droits humains doivent donc faire partie de l’équation », a déclaré Mme Favretto. Les institutions financières internationales doivent renoncer à prescrire des mesures d’austérité qui limitent la marge de manœuvre budgétaire pour investir dans les droits humains.

La moitié de l’humanité, soit 3,3 milliards de personnes, vit dans des pays où les gouvernements sont contraints de dépenser davantage pour le remboursement de la dette que pour l’éducation ou la santé.

Paula Narváez, présidente du Conseil économique et social des Nations Unies, a évoqué la nécessité de combler le « grand fossé financier » et de remettre les objectifs de développement durable sur les rails. Pour y parvenir, il est nécessaire de débloquer davantage de financements à des conditions favorables ou de prêts à des taux d’intérêt plus bas et des conditions d’emprunt plus longues et plus équitables afin de renforcer la capacité des États à investir dans les droits sociaux, économiques et culturels.

« L’architecture financière internationale actuelle fonctionne toujours d’une manière qui est en contradiction avec notre engagement collectif en faveur des droits humains universels », a déclaré Mme Narváez, ajoutant que le Fonds monétaire international et la Banque mondiale, qui ont été créés il y a 80 ans, doivent être adaptés à l’économie mondiale actuelle.

Plusieurs États ont souligné qu’il était urgent de s’attaquer au problème du surendettement.

Maryann Lwandamina, du Ministère zambien des finances, a déclaré que plus de 90 % des recettes de la Zambie étaient consacrées au remboursement de la dette et aux salaires des fonctionnaires en 2020, date à laquelle le pays africain s’est retrouvé en situation de défaut de paiement. Depuis lors, les retards dans la restructuration de sa dette ont un coût social élevé, a-t-elle déclaré.

« Le problème de la dette dans les économies à faible revenu et dans certaines économies à revenu intermédiaire continue de s’aggraver après la pandémie. La situation actuelle a remis en question les capacités des pays à atteindre les ODD tout en faisant respecter les droits humains. »

De nombreuses recommandations portent sur la nécessité de trouver un meilleur équilibre entre la gestion de la dette et l’optimisation des ressources pour la réalisation des droits, y compris la création d’un cadre juridique multilatéral pour la restructuration de la dette souveraine qui stimule la reprise économique, mais pas au détriment des droits humains.

Études d’impact sur les droits humains

Sarah Saadoun, chercheuse principale à Human Rights Watch, estime que les institutions financières internationales devraient veiller à ce que les grandes réformes de politique économique soient évaluées en fonction de leur répercussion sur la pauvreté et les droits humains.

Un récent rapport de Human Rights Watch sur les prêts accordés par le Fonds monétaire international (FMI) à 38 pays entre le début de la pandémie en mars 2020 et mars 2023 montre que la majorité des prêts dépendent des politiques d’austérité, qui réduisent les dépenses publiques ou augmentent les impôts régressifs d’une manière susceptible de porter atteinte aux droits des personnes les plus vulnérables.

C’est le cas d’Alfredo Akeyo, qui gagne sa vie en réparant des appareils électroniques à Mathare, au Kenya. En raison d’une forte augmentation des prix du carburant et de l’électricité dans le cadre d’un programme du FMI, il peut à peine subvenir aux besoins de sa famille, a expliqué Mme Saadoun. La famille d’Alfredo est désormais privée d’électricité cinq ou six jours par mois et ses enfants restent parfois à la maison au lieu d’aller à l’école, car le prix des bus publics a doublé.

« Les droits humains, ce sont les droits à la santé, à l’éducation, à un niveau de vie suffisant, à la sécurité sociale. Quand les gouvernements et les institutions financières envisagent des réformes de politique économique, ils devraient donc se poser la question de savoir si cela peut améliorer les droits humains », indique Mme Saadoun.

Un cadre fiscal mondial

Plusieurs États et experts se sont également accordés sur la nécessité de repenser l’architecture fiscale mondiale. Selon le rapport 2023 du Réseau mondial pour la justice fiscale, des pays du monde entier perdent 480 milliards de dollars par an en raison des actes de fraude fiscale commis par les grandes entreprises multinationales et les super riches. Ces abus drainent des ressources qui pourraient être utilisées pour investir dans les ODD et les droits humains, les pays en développement perdant une plus grande partie de leurs budgets publics.

« Les pays du Sud sont très affectés par le système financier international injuste, dépassé et inéquitable », a déclaré Solomon Ayele Dersso, commissaire de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples.

Il a continué en expliquant que le groupe africain avait présenté une résolution en faveur d’un cadre des Nations Unies sur la coopération fiscale internationale, dans le but de créer une architecture fiscale mondiale plus équitable, plus inclusive et plus efficace, qui permettra de mieux lutter contre l’évasion et la fraude fiscales, afin que les multinationales paient leur juste part d’impôts.

Le système financier mondial ne marche plus. De nombreux pays sont tout simplement incapables d’investir durablement dans les droits humains et les ODD.

VOLKER TÜRK, HAUT-COMMISSAIRE DES NATIONS UNIES AUX DROITS DE L’HOMME

Attiya Waris, Experte indépendante sur la dette extérieure et les droits humains, indique quant à elle que les pays vulnérables aux risques climatiques sont particulièrement touchés par la dette. Selon elle, les niveaux élevés d’endettement ont également des effets sur la nutrition et la santé mentale des enfants.

Fernanda Cimbra Santiago, conseillère spéciale du Ministre brésilien des finances, a déclaré qu’un programme économique mondial protégeant à la fois les droits humains et l’environnement serait une priorité essentielle de la présidence sud-américaine du G20.

« Nous avons besoin d’un nouveau modèle de développement économique », a déclaré Mme Cimbra Santiago, qui a appelé à un accord mondial associant la croissance économique, l’utilisation durable des ressources naturelles et les droits humains.

Les résultats de la réunion seront pris en compte lors du prochain Sommet pour l’avenir en septembre 2024 et de la Conférence des Nations Unies sur le financement du développement de 2025.