Les élections de 2024 mettent à l’épreuve la santé de la démocratie
01 mars 2024
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« La démocratie, les droits humains et l’état de droit sont interdépendants et se renforcent mutuellement. En affaiblissant l’un de ces éléments, on menace les autres », a déclaré Simon Walker, chef de la section de l’état de droit et de la démocratie du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH).
L’année 2024 a été qualifiée de plus grande année électorale de l’histoire. En effet, plus de 60 pays, soit près de la moitié de la population mondiale, organisent cette année des élections. Pourtant, malgré un nombre potentiellement record de personnes se rendant aux urnes, ces élections se déroulent dans un contexte de déclin démocratique mondial, ce qui a un impact énorme sur les droits humains.
Des discours de haine contre les migrants et les minorités aux coupures de l’accès à Internet, en passant par les campagnes de désinformation diffusées par les nouvelles technologies et visant à manipuler l’opinion publique, des risques croissants menacent l’intégrité des élections et le respect des droits humains et des libertés fondamentales, comme le montrent plusieurs rapports sur la démocratie.
En outre, l’enracinement des forces autoritaires dans certains pays, la montée des « démocraties illibérales » et un manque de confiance croissant dans les institutions démocratiques, y compris dans les démocraties établies de longue date, contribuent à cette érosion démocratique.
Selon un rapport du V-Dem Institute, la qualité de la démocratie pour un citoyen mondial moyen en 2022 était retombée au niveau de 1986. Le V-Dem Institute, un institut de recherche indépendant basé à l’Université de Göteborg en Suède, évalue la santé des démocraties selon cinq principes : électoral, libéral, participatif, délibératif et égalitaire. Près des trois quarts de la population mondiale vivent aujourd’hui dans des autocraties, y compris des « autocraties électorales », qui représentent la moitié des pays du monde, selon le rapport.
Pour sa part, l’initiative « Global State of Democracy », qui analyse l’état et la qualité de la démocratie dans 173 pays à travers le monde, a constaté que la démocratie avait continué de s’affaiblir en 2022 dans toutes les régions pour la sixième année consécutive.
« Nous sommes inquiets face à l’effet négatif de l’érosion démocratique sur les droits humains », a déclaré M. Walker. « Partout dans le monde, la confiance dans les institutions et les processus démocratiques s’estompe. La cohésion sociale et le contrat social entre le gouvernement et les personnes qu’il sert s’affaiblissent également. Beaucoup de gens se sentent ignorés, comme si la démocratie n’avait pas tenu pleinement ses promesses.
Le droit de participation
Les élections permettent aux citoyens d’exprimer librement leur volonté et d’exercer leur droit de participer aux affaires publiques. Ce droit est inscrit dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et dans plusieurs traités, notamment le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Le droit de voter et de se faire élire lors d’élections honnêtes est intrinsèquement lié à de nombreux droits humains qui sont essentiels à un processus électoral significatif et inclusif. Parmi ces droits fondamentaux figurent le droit à l’égalité et à la non-discrimination, le droit à la liberté d’opinion et d’expression, le droit à la liberté d’association et de réunion pacifique, et le droit à la liberté de circulation.
Toutefois, les élections peuvent également exacerber les tensions qui existent déjà dans les sociétés, en particulier en période de transformations et de crises complexes, notamment les changements climatiques, l’augmentation des inégalités et les conflits armés, entraînant un risque accru de violations des droits humains.
Certains droits peuvent être menacés dans le contexte des élections, en particulier les libertés d’opinion et d’expression, de réunion pacifique et d’association, ainsi que le droit de participer aux affaires publiques.
Les processus électoraux peuvent aussi parfois donner lieu à des arrestations arbitraires, à la surveillance, à des actes de torture et autres mauvais traitements, à des exécutions extrajudiciaires et à d’autres violations des droits humains. Les élections de février dernier au Bangladesh ont été marquées par la répression de l’opposition et la violence. Au Sénégal, l’une des dernières démocraties de l’Afrique de l’Ouest frappée par les coups d’État, l’espace civique a été profondément affaibli, des centaines de membres de l’opposition et de militants ayant été arrêtés à l’approche des élections prévues pour la fin du mois de février. Ces élections ont été reportées.
Les groupes spécifiques généralement victimes de discrimination sont particulièrement vulnérables. Les récentes élections au Pakistan ont rappelé les obstacles auxquels se heurtent les femmes et les communautés minoritaires pour parvenir à un processus inclusif. D’importants obstacles à la participation politique des femmes subsistent également dans de nombreux pays insulaires du Pacifique.
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Les élections sont un test décisif pour l’espace civique et une gouvernance efficace. Les États et les sociétés ne peuvent se permettre d’échouer à ce test.
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VOLKER TÜRK, HAUT-COMMISSAIRE DES NATIONS UNIES AUX DROITS DE L’HOMME
Dans de nombreux pays, les campagnes électorales adoptent une rhétorique de division et de déshumanisation, faisant des migrants et des réfugiés les boucs émissaires de problèmes sociétaux plus vastes. La question de l’immigration sera probablement un facteur important dans plusieurs scrutins à venir, notamment les élections du Parlement européen en juin, le vote présidentiel aux États-Unis en novembre et les élections générales au Royaume-Uni prévues cette année.
Les violations des droits économiques, sociaux et culturels peuvent également donner lieu à des tensions dans le contexte des élections.
L’intelligence artificielle et les « deepfakes »
Plusieurs groupes de défense des droits ont averti que la désinformation générée due à l’intelligence artificielle, notamment les « deepfakes », pourrait avoir de graves conséquences sur la démocratie et poser des risques sans précédent pour les élections de 2024.
Lors d’un déplacement dans la Silicon Valley pour rencontrer des entreprises de haute technologie, ainsi que des représentants de la société civile et du gouvernement, Volker Türk, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, a mis en garde contre les puissantes campagnes de propagande et de désinformation qui peuvent entraver les élections, tromper les gens et répandre la misogynie et la haine, et a appelé à la mise en place de politiques et de pratiques liées à l’IA ancrées dans les droits humains.
Dévoilant sa vision des droits humains pour un avenir meilleur, M. Türk a déclaré cette semaine que le monde devait se servir des scrutins pour dépasser les divisions politiques et exiger le respect des droits humains.
« Les élections sont un test décisif pour l’espace civique et une gouvernance efficace. Les États et les sociétés ne peuvent se permettre d’échouer à ce test. »
Notre travail
Le HCDH œuvre à la promotion et à la protection des droits humains dans le cadre des processus électoraux.
Grâce à la coopération entre le siège et les présences sur le terrain, le HCDH mène de nombreuses activités, notamment le suivi et le signalement des violations des droits humains avant, pendant et après les élections ; la formation des institutions nationales des droits de l’homme, de la société civile et des médias sur les principales questions liées aux droits humains concernant le vote ; une assistance technique pour mettre les lois électorales nationales en conformité avec les droits humains ; la sensibilisation à l’égalité de participation des groupes marginalisés, dont les femmes, les jeunes, les minorités, les LGBTQIA+, les peuples autochtones et les personnes handicapées ; et le soutien aux mécanismes des droits de l’homme, y compris les organes conventionnels et les procédures spéciales.
Des signes encourageants
Selon Simon Walker, plusieurs facteurs permettent d’expliquer l’érosion des principes démocratiques et de la confiance du public.
L’un de ces facteurs est le manque de transparence des décisions publiques, ou le manque de responsabilité des gouvernements. Les inégalités et la marginalisation des femmes, des minorités et d’autres groupes alimentent également la méfiance et le cynisme à l’égard des institutions démocratiques. L’absence de candidats politiques intéressants auxquels les électeurs peuvent s’identifier aggrave encore le sentiment de désillusion et d’aliénation, en particulier chez les jeunes.
Cependant, il existe des signes encourageants en faveur de l’esprit démocratique.
Dans de nombreux pays, les actions civiques et les manifestations organisées en dehors de la période électorale montrent que les citoyens continuent de réclamer le respect des droits humains et de l’égalité. Les manifestations pour le climat menées par les jeunes du monde entier sont un exemple d’action civique réussie. On peut également citer les mouvements forts contre le racisme.
Par ailleurs, certaines élections ont connu une bonne participation, même pendant la pandémie. Le Burundi, Israël, la Mongolie, Singapour, la Corée du Sud et Sri Lanka figurent parmi les pays qui ont organisé des élections durant la pandémie et qui ont connu une augmentation du taux de participation par rapport aux scrutins précédents, selon International IDEA, une organisation intergouvernementale.
Pour M. Walker, une participation significative et inclusive est essentielle pour faire face à la crise des droits humains et de la démocratie, et pour rétablir la confiance et la cohésion sociale. Cela signifie qu’il faut veiller à ce que les différents groupes soient pris en compte et entendus, en particulier les plus vulnérables et les plus traditionnellement marginalisés.
« C’est précisément en ces temps incertains et imprévisibles que nous devons rester fermes dans notre engagement en faveur de la démocratie et des droits humains. »