Skip to main content

Mexique

Le hashtag qui a sauvé des vies

20 Décembre 2022

Obtilia Eugenio, défenseuse des droits humains des peuples autochtones, à Mexico © Consuelo Pagaza/HCDH Mexique.

Les hashtags, ces petites formules qui inondent les conversations sur les médias sociaux, passent souvent inaperçus ou sont inoffensifs. Ils aident rarement à sauver des vies.

Et pourtant, en février 2019, c’est ce qu’un modeste petit hashtag a réussi à faire.

La municipalité d'Ayutla de los Libres est une communauté agricole située dans les collines de l'État de Guerrero, au sud-ouest du Mexique, où se trouve Acapulco. La ville est connue pour ses fermes de fleurs d'hibiscus et pour la culture du maïs, des piments, des courges et des bananes. Elle a aussi la réputation d'être le théâtre de violences récurrentes liées à la drogue, d’avoir connu des débordements militaires, et de maltraiter régulièrement la communauté autochtone qui y vit.

À Ayutla de los Libres, cela s'est traduit par des horreurs telles que des campagnes de stérilisation forcée et des massacres dans les années 90, le viol de deux villageoises autochtones par des soldats en 2002 et le meurtre de deux défenseurs des droits humains en 2009.

La naissance d’une militante

De cette tourmente est née Obtilia Eugenio Manuel, une militante de la communauté Me'phaa. Sa voix douce cache une détermination sans faille qui fait d'elle une ardente défenseuse de l'Organisation des peuples autochtones Me'phaa (OPIM, en espagnol), qu'elle a cofondée avec Cuauhtémoc Ramírez, un agronome devenu son mari.

« J’avais 15 ans quand j’ai commencé à militer », explique-t-elle. « Les gens riaient à cause de mon âge, mais j’avais vu la violence faite aux femmes de mes propres yeux. Un jour, un homme a battu sa femme enceinte, et elle a perdu son bébé. Elle avait trop peur de porter plainte contre lui et même s'il a été arrêté, il a vite été relâché. »

Lorsqu'Obtilia a appris que deux femmes avaient été violées par des soldats, elle a pris leur défense avec ardeur, ce qui lui a valu de fréquentes menaces de mort. Ses inquiétudes étaient justifiées car les crimes au Mexique restent souvent impunis, surtout lorsqu'ils sont commis par les autorités ou des groupes criminels organisés. Plus de 100 000 personnes ont disparu sans laisser de traces au Mexique, et les femmes autochtones sont particulièrement vulnérables.

Malgré les menaces constantes qu’elle recevait, elle a décidé de poursuivre son action.

« J’ai commencé à travailler pour aider à défendre ces femmes. Nous méritons tous de vivre sans violence ».

Les menaces à son encontre sont devenues si persistantes et brutales que la Cour interaméricaine des droits de l'homme a décidé qu'elle devait bénéficier d'une protection officielle.

En 2019, de retour à Ayutla, elle a été élue membre du conseil municipal. Une partie de son travail consistant à superviser les budgets des travaux publics, elle a rapidement découvert des irrégularités dans les dépenses, ainsi que l'implication de trafiquants de drogue. Elle a rendu l’affaire publique.

Plus tard cette année-là, alors qu’elle quittait la ville en taxi avec un autre défenseur des droits humains de l'OPIM, Hilario Cornelio Castro, une voiture leur a coupé la route.

« Ils nous ont saisis tous les deux et ont menacé de me couper un doigt. Ils nous ont mis face contre terre, ils ont couvert ma bouche et mes yeux et m'ont frappée à la tête », explique-t-elle. « Je croyais que je n’allais pas m’en sortir vivante. D’autres avant moi avaient disparu. J’avais peur qu’ils s’en prennent ensuite à mes enfants. »

Cependant, les deux militants ont été relâchés à peine quatre jours plus tard, grâce à un hashtag et beaucoup d’efforts.

Hilario Cornelio Castro, indigenous rights defender, was taken along with Obtilia Manuel. Credit: Consuelo Pagaza

Hilario Cornelio Castro, défenseur des droits des peuples autochtone, a été enlevé avec Obtilia Manuel. © Consuelo Pagaza

La libération d’Obtilia Eugenio Manuel après 96 heures de captivité peut sembler miraculeuse, mais elle est le résultat d’un travail acharné dans les coulisses.

« Nous avons appris la disparition d'Obtilia une demi-heure après les faits, même si les communications étaient compliquées », indique Jesús Peña, représentant adjoint du bureau du HCDH au Mexique. « Nous avons dû agir rapidement avec les responsables fédéraux et nationaux. »

Dès que la nouvelle de l'enlèvement a fait surface, le bureau a cherché à obtenir des informations, concluant que les autorités nationales et locales pouvaient être impliquées ou capables de communiquer avec les ravisseurs, et qu’il était possible que la pression publique fonctionne. Plusieurs réunions urgentes ont été organisées avec le gouverneur et le procureur général de l'État. Le gouvernement fédéral y a également pris part. Une pression nationale et internationale croissante a été exercée sur les autorités locales.

Cuauhtémoc Ramírez Rodríguez, human rights defender and agronomist, is the husband of Obtilia Manuel. Credit: Consuelo Pagaza

Cuauhtémoc Ramírez Rodríguez, défenseur des droits humains et agronome, est le mari d’Obtilia Manuel. © Consuelo Pagaza

Dans le cadre de sa stratégie, le HCDH a publié des déclarations publiques condamnant l'enlèvement et demandant que les deux militants soient libérés vivants. Quelques heures après l'enlèvement, le Haut-Commissariat a produit une vidéo et des photographies exigeant qu’Obtilia soit retrouvée vivante, et a commencé à les diffuser.

Le lancement d'une campagne sur les médias sociaux, dont le hashtag #QueremosAObtilia (#WeWantObtilia) est devenu viral au Mexique, a également été très efficace. Les efforts entrepris sur les médias sociaux, alimentés en grande partie par des partenaires de longue date au sein de groupes de la société civile, ont été rapides et efficaces. Le hashtag a fait partie des tendances sur Twitter et a attiré des centaines de milliers de vues.

Tout en espérant sa libération, son mari, Cuauhtémoc Ramírez, se préparait quant à lui au pire.

« Je pensais vraiment que je ne la reverrais jamais, alors j'ai réuni les enfants pour leur dire. C’est à ce moment-là que j’ai reçu un appel d’Obtilia », explique-t-il.

La pression nationale et internationale avait porté ses fruits : les deux activistes ont été déposés sur une route de campagne, quatre jours après leur enlèvement.

« C’est grâce à cette pression que je suis en vie, affirme Obtilia , et j’en suis très reconnaissante. Ce qu’ils ont fait a marché. »

Une vie passée à se cacher

Obtilia et Hilario sont certes libres, mais ils vivent dans l'ombre, sous la protection officielle du gouvernement. C'est la deuxième fois qu’Obtilia a été contrainte de quitter son foyer et a été déplacée à l'intérieur de son pays.

Jorge Ruíz del Ángel, Director General of the Protection Mechanism’s Case Reception and Rapid Reaction Unit. Credit: Conseulo Pagaza.

Jorge Ruíz del Ángel, directeur général de l’unité de réception des cas et de réaction rapide du Mécanisme de protection. © Conseulo Pagaza

Le Mécanisme de protection des défenseurs et défenseuses des droits humains et des journalistes est né en 2012 suite aux pressions généralisées pour mettre fin à la violence croissante à leur encontre. Les mesures de sécurité adoptées à différents niveaux du gouvernement grâce à ce mécanisme permettent aux individus qui souhaitent être protégés de vivre relativement à l’abri de la peur et du danger.

« Le mécanisme n'est pas parfait, mais il a sauvé des vies », explique Jorge Ruiz del Ángel, un avocat qui a travaillé avec le mécanisme. « Sans lui, il y aurait plus d'assassinats. Mais il mérite d’être renforcé car au bout du compte, il n'est pas durable. »

Depuis de nombreuses années, les ONG soutiennent que le renforcement du mécanisme ne suffit pas : il faut mettre fin à l'impunité dont bénéficient souvent les criminels lorsqu'ils assassinent et attaquent des défenseurs et défenseuses des droits humains et des journalistes.

En 2019, le HCDH a accompagné Obtilia lorsqu'elle a reçu le prix national des droits de l'homme des mains du président du Mexique, en reconnaissance de son travail de plaidoyer et de l'importance de la protection des femmes autochtones. Selon elle, l’épreuve qu’elle a endurée a servi à quelque chose.

« J'ai le sentiment que le pays est désormais plus ouvert et que la question du meurtre des femmes est désormais abordée ouvertement. Nous avons besoin d’appliquer des lois qui protègent les femmes », affirme-t-elle.

Malgré leur sécurité relative, Obtilia et Hilario sont impatients de rentrer chez eux pour retrouver leur famille et leur travail communautaire. Ils voient leurs proches une ou deux fois par an et ces visites nécessitent une planification et une logistique importantes. Le reste du temps, ils communiquent en ligne ou par téléphone, des méthodes qu’ils utilisent également dans le cadre de leurs activités de défense des droits de l'homme.

« Nous avons demandé aux autorités de procéder à une évaluation des risques pour voir s'il est possible pour nous de retourner à Guerrero ; c'est ce que nous attendons », a déclaré Obtilia.