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Les expériences vécues sont essentielles pour parvenir à la justice et à l’égalité raciales

Des militants contre le racisme et des citoyens manifestent contre les violences policières à Sao Paulo, au Brésil, le 1er juin 2022. Des personnes manifestent après le décès de Genivaldo de Jesus Santos, un homme noir souffrant de schizophrénie, aux mains de la police. © EPA-EFE/Fernando Bizerra

« Celles et ceux qui connaissent l’impact du racisme seront d’accord avec moi : c’est un fléau qui  laisse de profondes séquelles et qui cause de la douleur et de la souffrance humaine. Selon moi, il faut effectivement mettre fin au racisme, à la discrimination raciale et aux inégalités pour pouvoir bâtir un monde au-delà du racisme », a déclaré Yvonne Mokgoro, Présidente du Mécanisme international d’experts indépendants chargé de promouvoir la justice et l’égalité raciales dans le contexte du maintien de l’ordre*.

Les propos de Mme Mokgoro ont été recueillis à l’occasion d’un entretien avant la présentation du premier rapport du Mécanisme d’experts durant un dialogue interactif organisé dans le cadre de la récente réunion du Conseil des droits de l’homme.

La Haute-Commissaire par intérim Nada Al-Nashif a présenté un rapport du HCDH sur la justice et l’égalité raciales pour les Africains et les personnes d’ascendance africaine. Ce rapport a été publié à la suite du rapport phare de l’année dernière sur la justice et l’égalité raciales.

« Aujourd’hui, la nécessité d’adopter des approches globales fondées sur des données probantes pour lutter contre les injustices historiques et leurs manifestations contemporaines est plus évidente que jamais si nous voulons parvenir à un changement transformateur », a déclaré Mme Al-Nashif. 

Le rapport du HCDH constate « des initiatives encourageantes dans différents pays, notamment des mesures visant à reconnaître le racisme et à chercher à le combattre au-delà de la somme des actes individuels et à commencer à s’attaquer aux héritages du passé ». Il indique toutefois que, pour l’essentiel, ces initiatives sont loin de constituer des approches qui s’attaquent au racisme systémique, y compris aux facteurs structurels et institutionnels, dans les institutions publiques, le secteur privé et les structures sociétales dans de multiples domaines interconnectés.

Les expériences vécues sont cruciales dans la lutte contre le racisme

Pour la première fois, des personnes ayant fait l’expérience directe du racisme systémique ont eu l’occasion de faire part de leur expérience professionnelle et personnelle dans le cadre du dialogue organisé au Conseil. 

Collette Flanagan, des États-Unis, a fait part au Conseil du deuil personnel qui l’a frappée.

« Clinton n’avait que 25 ans. C’était un père noir de deux petits jumeaux », a-t-elle expliqué aux États Membres. « Clinton n’était pas armé la nuit du 10 mars 2013, lorsqu’un officier de Dallas lui a tiré dessus à sept reprises. Cinq fois dans la poitrine, une fois dans le bras gauche qu’il tenait levé et la dernière balle, tirée à bout portant, l’a atteint dans le dos. »

Face à la mort de son fils et à la souffrance d’autres mères, Mme Flanagan a fondé Mothers Against Police Brutality. L’un des objectifs concrets de cette organisation est d’interdire à la police d’utiliser la force létale lorsqu’elle rencontre une personne non armée ou une personne en crise médicale.

« De nombreuses vies pourraient être sauvées si le recours à la force létale était fondé non pas sur la perception d’un policier mais sur les conditions réelles observables en situation », a fait valoir Mme Flanagan. « Si Ma vie est en danger sert de rempart contre des poursuites pénales, l’immunité qualifiée est l’armure d’un policier devant un tribunal civil », a-t-elle ajouté. 

Mon expérience d’une vie marquée par le racisme, la discrimination et les inégalités raciales m’a incitée à participer aux efforts visant à éliminer le racisme dans le contexte du maintien de l’ordre.

YVONNE MOKGORO, PRÉSIDENTE DU MÉCANISME D’EXPERTS CHARGÉ DE PROMOUVOIR LA JUSTICE ET L’ÉGALITÉ RACIALES DANS LE CONTEXTE DU MAINTIEN DE L’ORDRE

Jurema Werneck est une militante brésilienne d’ascendance africaine qui s’attache à défendre les droits humains, ainsi que l’égalité raciale et fondée sur le genre. Depuis 2017, elle est la directrice d’Amnesty International Brésil.

Des données des forces de sécurité publique brésiliennes montrent qu’en 2020, le nombre de personnes tuées par des policiers a atteint un record de 6 415 décès, et que près de 79 % des victimes étaient noires, a-t-elle indiqué. En 2021, dans six États, la police a tué une personne noire toutes les quatre heures.

« Au Brésil, les taux de brutalité policière continuent de grimper en flèche, battant des records année après année dans tout le pays », a expliqué Mme Werneck au Conseil. « Combien de meurtres commis par des agents des forces de l’ordre auraient pu être évités au cours de cette période sans l’inertie de ceux qui ont pris un engagement [par le biais de la Déclaration et du Programme d’action de Durban] en 2001 et qui ont fait peu de choses pour le respecter ? »

Le rapport présenté par le Mécanisme d’experts durant le dialogue examine en particulier la question de la collecte, de la publication et de l’analyse de données ventilées par race ou origine ethnique portant sur les interactions des Africains et des personnes d’ascendance africaine avec les forces de l’ordre et le système de justice pénale.

Toutefois, comme l’a souligné Yvonne Mokgoro, la collecte de données ne résout pas à elle seule le problème du racisme et de la discrimination raciale qui existe depuis longtemps. Il s’agit cependant d’une première étape essentielle pour mettre en lumière l’ampleur du racisme systémique à l’encontre des Africains et des personnes d’ascendance africaine et ses manifestations dans le domaine du maintien de l’ordre et de la justice pénale.

« Les expériences vécues sont en fait les raisons pour lesquelles nous ancrons la nécessité de collecter des données ventilées par race, origine ethnique ou ethnicité », a expliqué Mme Mokgoro.

Nous sommes tous des êtres humains

Selon Mme Mokgoro, la participation sans précédent de personnes touchées par le racisme, en l’occurrence Colette Flanagan et Jurema Werneck, a démontré que les expériences vécues devraient effectivement être au cœur de tous les efforts de lutte contre le racisme.

« Le fait de participer à cet événement leur donne aussi la possibilité de se faire entendre. Cela leur donne une voix, qui doit être entendue directement », a-t-elle ajouté.

Selon Mme Al-Nashif, la réussite de la promotion de la justice et de l’égalité raciale se mesure par les changements positifs démontrables dans la vie des personnes concernées. La collecte de données est cruciale, mais la participation concrète de toutes les parties est tout aussi importante, a-t-elle déclaré.

« Nous ne pourrons réussir à mieux reconstruire pour un avenir plus résilient d’égalité et de non-discrimination que si les États et tous les acteurs concernés sont unis et accélèrent les actions de lutte contre le racisme systémique », a conclu Mme Al-Nashif.

Pour Yvonne Mokgoro, la lutte contre le racisme doit être ancrée dans la reconnaissance et le respect de l’humanité et de la dignité de chacun.

« Dans la culture africaine, nous croyons en la notion d’Ubuntu, fondée sur des valeurs, qui dit Je suis car tu es, ce qui signifie je suis humain seulement car tu es humain ». « Cela évoque la nécessité de traiter les êtres humains avec la dignité humaine, quelle que soit leur race, leur couleur de peau, leur origine sociale, quel que soit leur sexe, etc. C’est en raison de votre humanité que je vous traite humainement. Et si un être humain ne traite pas autrui avec humanité et dignité, cela diminue sa propre humanité et l’humanité dans son ensemble. »

*Selon la résolution 47/21 du Conseil des droits de l’homme, le Mécanisme d’experts a été créé en 2021 pour « promouvoir une transformation porteuse de justice et d’égalité raciales dans le contexte de l’application des lois à l’échelle mondiale, en particulier en ce qui concerne les séquelles du colonialisme et de la traite transatlantique d’Africains réduits en esclavage, de se pencher sur les réactions des gouvernements face aux manifestations pacifiques contre le racisme et à toutes les violations du droit international des droits de l’homme et de faire en sorte que les victimes et leur famille obtiennent justice et réparation. »