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Liberté d’opinion et d’expression

Une experte de l’ONU met en garde contre le dangereux déclin de la liberté des médias

08 Juillet 2022

Des immigrés de Hong Kong se rassemblent devant le Hong Kong Economic and Trade Office à Londres dans le cadre de manifestations visant à dénoncer le Gouvernement de Hong Kong pour sa répression de la liberté de la presse en arrêtant des journalistes et en faisant taire les médias indépendants. © REUTERS

Des journalistes se faisant tuer alors qu’ils couvrent un sujet. Des attaques visant des femmes journalistes, dont des menaces de mort et de viol. Le recours à la surveillance électronique ciblée pour intimider et faire taire le journalisme d’investigation.

Telle est la dangereuse réalité pour de nombreux journalistes du monde entier, alors que la liberté et la sécurité des médias s’affaiblissent à l’ère du numérique, ce qui a de graves conséquences sur les droits de l’homme, la démocratie et le développement, a alerté une experte de l’ONU.

« Le déclin de la liberté des médias et l’augmentation des menaces à la sécurité des journalistes sont une tendance mondiale, particulièrement nette dans les démocraties en recul et les États totalitaires récalcitrants », a déclaré Irene Khan, Rapporteuse spéciale sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression. « Les conséquences pour les droits de l’homme, la démocratie, la mobilisation publique et le développement sont préoccupantes. »

Dans son rapport présenté devant le Conseil des droits de l’homme, Mme Khan a expliqué que la technologie numérique offre de multiples possibilités aux journalistes et pour la liberté des médias, notamment des outils novateurs pour le journalisme d’investigation, des modèles de collaboration transfrontalière, la possibilité de vérifier des faits en coopération avec le public, et l’accès à une profusion de données et à diverses sources.

Toutefois, Mme Khan a souligné que l’ère numérique présente également d’importants problèmes et risques. Elle a cité entre autres les attaques en ligne et hors ligne et les meurtres de journalistes en toute impunité, l’incrimination et le harcèlement des journalistes, ainsi que l’affaiblissement de l’indépendance, de la liberté et de la pluralité des voix et des opinions dans les médias publics et privés, y compris les entreprises numériques.

« Tuer des journalistes pour les réduire au silence est la forme de censure la plus abominable qui soit », a-t-elle déclaré, exhortant le Conseil à adopter des mesures pour lutter contre l’impunité, notamment par la création d’une équipe spéciale internationale sur la prévention, les enquêtes et les poursuites relatives aux attaques contre les journalistes.

Elle a cité la base de données en ligne de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), selon laquelle 455 journalistes sont été tués en exerçant leur métier entre 2016 et 2021. Dans plus de huit cas sur dix, les auteurs de ces crimes n’ont pas été traduits en justice.

Attaques commises en ligne contre des femmes journalistes

Le rapport attire particulièrement l’attention sur les attaques commises en ligne contre les femmes journalistes, qui sont souvent violentes, coordonnées et à caractère fortement sexuel, et qui visent les femmes issues de minorités religieuses et ethniques ou des personnes de genre non conforme aux catégories établies.

Selon le rapport, « ces actes de violence [causent] des préjudices moraux bien réels, [découragent] le journalisme d’intérêt général, [mettent] fin à la carrière des femmes et [privent] la société de voix et de points de vue importants ».

Des médias libres, indépendants et diversifiés permettent de réaliser le droit de la société d’être informée ainsi que le droit des journalistes de rechercher, de recevoir et de répandre des informations.

Irene Khan, Rapporteuse spéciale sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression

Dans son rapport, Mme Khan ajoute que certains États ont relancé avec une virulence inédite d’anciennes pratiques consistant à abuser des lois – allant des lois sur la diffamation aux lois antiterroristes – pour sanctionner les journalistes et réprimer la liberté des médias.

Elle a cité le cas de la lauréate du prix Nobel, qui a fait l’objet d’un flot d’actions en justice aux Philippines pour avoir critiqué l’ancien président Rodrigo Duterte.

Érosion de l’indépendance et du pluralisme

Irene Khan a également souligné l’érosion de l’indépendance, du pluralisme et de la viabilité économique des médias à l’ère du numérique.

Dans plusieurs pays, y compris en Europe centrale et orientale, on observe une tendance insidieuse de l’État à prendre le contrôle des médias et du service public, et à favoriser les médias privés qui servent les intérêts politiques ou économiques des personnalités au pouvoir.

Elle a ajouté que la viabilité des médias relève des droits de l’homme et n’est pas seulement une question économique. L’effondrement du modèle économique fondé sur le financement publicitaire qui caractérisait les médias a mené les organes d’informations à réduire leur personnel ou à fermer dans bon nombre de pays. Si certains médias nationaux et internationaux et certains organes d’information de niche s’en sortent grâce aux abonnements, aux péages informatiques, aux contributions des lecteurs et aux subventions, de nombreux autres pourraient bien connaître l’extinction médiatique.

« Dans un monde où la désinformation se présente de plus en plus sous l’apparence de faits d’actualité et où des dirigeants autoritaristes et populistes s’en prennent aux journalistes et aux organes de presse pour semer la méfiance au sein du public, le journalisme indépendant d’intérêt général joue un rôle essentiel. Son absence ou son déclin dans de nombreux pays est un terrible coup porté à la liberté des médias », affirme le rapport.