Experte de l’ONU sur l’albinisme : les attaques visant les personnes atteintes d’albinisme sont des crimes de haine
30 mars 2022
Muluka-Anne Miti-Drummond, Experte indépendante sur les droits de l’homme et l’albinisme, exhorte les États à reconnaître que les attaques brutales subies par les personnes atteintes d’albinisme sont des crimes de haine et des pratiques préjudiciables, et à adopter des lois pour les protéger.
« Il y a seulement quelques jours, j’ai reçu des informations très alarmantes selon lesquelles des personnes atteintes d’albinisme avaient été attaquées et enlevées dans deux pays où, jusqu’à ces derniers mois, les attaques contre des personnes atteintes d’albinisme étaient rares ou inexistantes », a expliqué Mukuka-Anne Miti-Drummond, Experte indépendante sur l’albinisme.
« L’une des victimes était une enfant dont on aurait retiré les yeux et les organes, sans doute dans le cadre d’un rituel, avant de jeter son corps dans une rivière. »
S’exprimant devant le Conseil des droits de l’homme, Mme Miti-Drummond a présenté son premier rapport depuis sa nomination en tant qu’Experte indépendante sur l’exercice des droits de l’homme par les personnes atteintes d’albinisme.
L’albinisme est une maladie rare et génétiquement héréditaire qui se manifeste dans le monde entier, indépendamment de la race. Elle se traduit généralement par l’absence de pigmentation dans les cheveux, la peau et les yeux, ce qui rend la personne extrêmement sensible au soleil. Elle peut entraîner un cancer de la peau et une grave déficience visuelle.
On estime qu’une personne sur 17 000 à 20 000 en Amérique du Nord et en Europe est atteinte d’albinisme, bien que des recherches en cours suggèrent que le nombre de cas pourrait être beaucoup plus élevé dans le monde. Cette maladie est beaucoup plus répandue en Afrique, où la prévalence varie d’une personne sur 5 000 à une personne sur 15 000. Les recherches montrent que certaines populations en Afrique australe ont des taux de prévalence pouvant aller jusqu’à une personne sur 1 000.
L’experte a souligné le fait que l’apparence de ces personnes les rend « extrêmement visibles », en particulier dans les milieux où la population majoritaire a une pigmentation plus foncée, ce qui crée un contraste frappant entre les deux groupes.
En outre, du fait de la couleur de leur peau et de leur déficience visuelle, les personnes atteintes d’albinisme subissent des formes multiples et croisées de discrimination.
Le quotidien de nombreuses personnes atteintes d’albinisme est marqué par l’ostracisme, le rejet et la peur débilitante d’être enlevées ou attaquées sur le chemin de l’école, du travail ou de la maison.
« Tout cela à cause d’une maladie qui pourrait facilement être expliquée par la science et la génétique », a souligné Mme Miti-Drummond.
Ces dix dernières années, le HCDH et l’expert chargé du mandat sur l’albinisme ont reçu des rapports faisant état de plus de 600 attaques contre des enfants et des adultes atteints d’albinisme. La sorcellerie a été reconnue comme l’une des causes profondes de ces agressions, certaines personnes croyant que les parties du corps de personnes atteintes d’albinisme peuvent rendre riches ceux qui les possèdent. Mukuka-Anne Miti-Drummond a qualifié ces attaques choquantes contre les personnes atteintes d’albinisme, dont les incidents qu’elle a décrits au Conseil, de crimes de haine et de pratiques préjudiciables.
Les pratiques préjudiciables ont été définies dans une recommandation générale conjointe par le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes et le Comité des droits de l’enfant comme des pratiques et des comportements persistants, enracinés dans la discrimination fondée, entre autres, sur le sexe, le genre et l’âge, ainsi que dans des formes multiples et/ou croisées de discrimination, qui s’accompagnent souvent de violences et causent un préjudice ou des souffrances physiques ou psychosociaux.
Mme Miti-Drummond a également fait remarquer que la gravité de ce type de violations et leur persistance à l’égard d’un groupe précis de personnes aux caractéristiques physiques particulières, comme les personnes atteintes d’albinisme, constituent des crimes de haine. Elle a également souligné le « mobile discriminatoire » inhérent aux crimes haineux, dans la mesure où l’agresseur a des préjugés à l’égard d’une caractéristique réelle ou supposée de l’identité de la victime et de ce qu’elle représente. Dans le cas des personnes atteintes d’albinisme, leur couleur constitue un mobile discriminatoire en raison des croyances erronées des agresseurs considérant ces personnes comme des êtres surnaturels qui peuvent les rendre riches, leur porter chance et les protéger grâce à leur différence de couleur, même lorsqu’il s’agit de personnes d’un même groupe ethnique.
« Les crimes de haine diffèrent également des crimes ordinaires en raison de leurs conséquences sur les personnes visées et la communauté », a-t-elle indiqué. « Ils engendrent des traumatismes psychologiques plus importants, ainsi qu’un sentiment accru de vulnérabilité chez la victime, car elle est incapable de changer les caractéristiques qui lui ont valu d’être agressée. »
Dans son rapport, l’Experte indépendante propose plusieurs bonnes pratiques face aux pratiques préjudiciables et aux crimes de haine, notamment la mise en place de mécanismes de signalement dans différents pays du monde. En 2021, l’Union africaine (UA) a élaboré un Plan d’action visant à mettre fin aux attaques et autres violations des droits de l’homme ciblant les personnes atteintes d’albinisme. Mukuka-Anne Miti-Drummond espère qu’un envoyé spécial sera nommé pour aider à la mise en œuvre de ce Plan d’action.
Par ailleurs, le Conseil des droits de l’homme a adopté une résolution en 2021 sur l’élimination des pratiques préjudiciables associées à des accusations de sorcellerie et à des agressions rituelles, en reconnaissance de la nécessité de lutter contre ce phénomène.
L’Experte a également exhorté les États à adopter des lois spécifiques contre les crimes de haine, dans lesquelles les personnes atteintes d’albinisme peuvent être reconnues en tant que victimes ayant des caractéristiques protégées. Selon elle, cela « permettra non seulement de condamner le mobile discriminatoire, mais aussi de lancer d’autres enquêtes et de changer la manière dont sont perçues les victimes, la façon dont elles sont interrogées, ainsi que la sévérité des peines prononcées à l’encontre des agresseurs ».