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Choisissons d’aimer et faisons de notre identité noire une force

Monique Rodrigues do Prado devant l’œuvre Broken Chair et les drapeaux du Palais des Nations, au Siège des Nations Unies à Genève, en décembre 2022 © Monique Rodrigues do Prado

Depuis cinq ans, Monique Rodrigues do Prado étudie l’amour comme un outil d’émancipation des Noir·e·s et permettant d’imaginer un monde loin du racisme et des autres séquelles de l’esclavage, de la traite des Africains et du colonialisme.

« L’amour [peut être perçue comme] une action politique, active, quotidienne, directrice et éthique, capable de surmonter les barrières esthétiques, linguistiques et de l’imagination du modèle patriarcal, colonial, impérial et capitaliste qui a malheureusement affecté nos expériences affectives », indique-t-elle.

La philosophie de Monique, avocate brésilienne d’ascendance africaine, s’inspire d’auteures féministes noires telles que Bell Hooks qui, dans son livre phare All About Love, insiste sur la nécessité pour la société de redéfinir l’amour comme une pratique spirituelle impliquant le respect, l’attention, l’empathie et la communication, par opposition aux émotions humaines telles que la convoitise, l’engouement excessif ou la possession. Hooks souligne le rôle de l’amour dans les mouvements de justice sociale et la façon dont l’amour véritable peut guérir les blessures de l’oppression et transformer la société.

« En tant qu’avocate, j’ai adoré ses idées, car si nous ne parvenons pas à trouver un sens cohérent à l’amour, non seulement d’un point de vue privé et capitaliste, mais surtout en tant que mandat, objectif et principe que les États peuvent utiliser comme paramètre pour agir, concevoir des politiques et des mesures, nous voyons l’amour d’une manière erronée, sans aucune perspective d’égalité, d’équité et de non-discrimination », ajoute Monique. « C’est pourquoi j’ai été très surprise quand j’ai réalisé que l’amour ne figurait pas comme principe dans la Constitution brésilienne. »

Aînée d’une fratrie de quatre enfants adoptés, Monique a grandi dans une banlieue de l’État de São Paulo. Elle a passé ses premières années sur les bancs d’un système éducatif défaillant où les enseignants disposaient de peu d’outils pédagogiques, gagnaient des salaires médiocres et s’occupaient de classes surchargées.

« Ma mère nous a dit qu’elle ne pouvait que nous encourager, mes frères et sœurs et moi, à poursuivre nos études », se souvient-elle. « C’est une leçon que nous avons suivie tout au long de notre existence. »

Après avoir obtenu son diplôme de droit en 2015, elle est « tombée amoureuse des droits de l’homme » et a rejoint une ONG, EducAfro, en tant que bénévole. C’est dans cette organisation qu’elle a réalisé l’ampleur du travail qui reste à accomplir pour traiter les questions de race, de genre et de classe.

Nous ne pouvons plus tolérer aucune forme de violation. Les anciennes puissances coloniales doivent faire face à leur passé.

Monique Rodrigues do Prado

EducAfro se concentre spécifiquement sur la communauté des Quilombolas, les descendants directs des esclaves africains amenés de force au Brésil, et d’autres Afro-Brésiliens poursuivant des études supérieures et vivant dans la société en général. En collaboration avec cette ONG, Monique a travaillé en 2017 sur un projet visant à défendre la constitutionnalité de l’action positive dans le secteur public au Brésil.

« À l’époque, nous devions convaincre les ministros (juges au niveau fédéral) de l’importance de cette loi pour la prospérité des personnes d’ascendance africaine au Brésil, rédiger des rapports sur l’efficacité de la loi et montrer le faible nombre de Brésiliens noirs occupant des postes élevés par rapport au recensement. Ce travail a permis de révéler le manque de représentation », explique-t-elle. « Heureusement, 11 juges nous ont soutenus et ont réaffirmé la constitutionnalité de la loi. »

En 2017, EducAfro a également représenté une cliente victime de discrimination raciale sur son lieu de travail, où son supérieur lui interdisait de porter ses cheveux afro au naturel, sous prétexte que cela contrevenait au code vestimentaire de l’entreprise.

« Ces règles ne représentaient pas les personnes d’ascendance africaine. Après six mois dans l’entreprise, malgré son travail de bonne qualité, ma cliente a été sommairement licenciée », indique-t-elle. EducAfro a poursuivi l’entreprise pour discrimination fondée sur la race et inégalité de traitement par rapport aux collègues blancs de son client.

« Ils pouvaient porter leurs cheveux comme ils voulaient, même détachés, donc notre cliente était face à une situation grave de racisme institutionnel en raison du code vestimentaire et du faible nombre d’employés d’ascendance africaine. Nous avons demandé une indemnisation pour préjudice moral et une modification du code vestimentaire afin de mieux représenter les personnes d’ascendance africaine. Nous avons obtenu gain de cause lorsque nous avons fait appel au Tribunal du travail au niveau fédéral, où ce droit a finalement été reconnu comme un précédent national. »

En 2022, Monique a rejoint le Programme de bourses pour les personnes d’ascendance africaine. Ce programme de formation aux droits humains intensif est destiné aux personnes d’ascendance africaine de la diaspora soucieuses de promouvoir les droits des personnes d’ascendance africaine. Il permet aux participants d’acquérir et d’approfondir leurs connaissances sur le droit international des droits de l’homme et le système des droits de l’homme des Nations Unies, sur le cadre juridique international de lutte contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée, ainsi que sur les questions transversales, en mettant l’accent sur les personnes d’ascendance africaine.

Pour Monique, le Brésil présente de nombreuses contradictions complexes en termes de race, de sexe, de classe et d’identité. Le Programme de bourses représentait donc une bonne occasion de s’engager avec d’autres défenseurs et défenseuses des droits humains du monde entier pour faire avancer les objectifs de la Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine, en particulier alors que l’Instance permanente des personnes d’ascendance africaine tenait sa première session à Genève.

« [Le Programme de bourses] a été encore plus utile que je ne le pensais car, plus que jamais, les Nations Unies se préoccupent de l’intersectionnalité des multiples formes de discrimination afin d’éradiquer le racisme et de garantir l’engagement des pays à bâtir un monde où les personnes d’ascendance africaine peuvent vivre dans la dignité et sans discrimination », affirme-t-elle.

Monique décrit l’expérience comme « renforçant » son identité noire et révélant « à quel point elle est renforcée lorsque [les personnes d’ascendance africaine sont] ensemble. »

« Les personnes d’ascendance africaine connaissent plus de moments de joie et de bonheur que de graves problèmes », insiste-t-elle. « En apprenant directement des mécanismes et des instruments des Nations Unies relatifs aux droits de l’homme et en découvrant les mesures que les États doivent prendre, notamment par l’intermédiaire de [l’Instance permanente pour les personnes d’ascendance africaine], j’ai réalisé l’importance de la société civile pour faire avancer ces outils, ce qui est crucial pour comprendre que nous avons tant de problèmes à régler, mais que nous devons continuer à nous faire entendre haut et fort. »

Cet article fait partie d’une série de témoignages de personnes et d’organisations chargées de protéger les droits humains. Tout au long du mois de mars, nous découvrirons les témoignages de plusieurs personnes militant contre le racisme choisis par Volker Türk, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, pour mettre en valeur la justice raciale dans le cadre de son initiative Droits humains 75. Les opinions exprimées dans ces contributions ne reflètent pas nécessairement la position et l’avis du HCDH.