Une convention axée sur les disparitions et qui permet de rendre justice aux victimes
23 décembre 2020
En 2005, le père et la tante d’Isatou Jammeh ont disparu alors qu’ils travaillaient dans leur ferme en Gambie. Elle avait alors 14 ans.
Au cours des quinze années qui ont suivi, elle et sa famille ont passé beaucoup de temps à essayer de trouver qui les avait fait disparaître et pourquoi, et à obtenir justice. Durant cette période, ils n’ont reçu aucune réponse de la part des autorités. C’est en 2013 qu’elle a appris ce qui s’était passé : lors d’un témoignage devant la Commission vérité et réconciliation, des membres du groupe de tueurs de l’ancien président gambien Yahya Jammeh ont avoué les avoir assassinés, ainsi que d’autres personnes, sur ordre du président de l’époque. Cependant, Isatou Jammeh et sa famille ne savent toujours pas où se trouvent les corps de son père et de sa tante.
« Mon histoire ressemble à bien d’autres. Beaucoup de gens ne connaissent pas le sort qu’ont subi leurs proches et, comme nous, en portent encore les séquelles », a-t-elle déclaré devant le Comité des disparitions forcées durant sa session d’ouverture en septembre. « Je veux que le Comité apporte des conseils et son appui pour faire en sorte que les responsables soient traduits en justice. Je demande au Comité d’aider et de soutenir les victimes de disparitions forcées. Je veux que le Comité aide mon gouvernement à agir. »
Ce 23 décembre marque le dixième anniversaire de l’entrée en vigueur de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées. Depuis près de dix ans, la Convention et le Comité des disparitions forcées aident les États à lutter contre les disparitions forcées et permettent aux individus de demander justice pour leurs proches disparus à l’échelle internationale.
« Faire partie du Comité des disparitions forcées me permet de réaffirmer mon engagement à soutenir les victimes de disparitions forcées », a déclaré Carmen Rosa Villa, membre du Comité.
Les arguments en faveur de la ratification
Pourtant, malgré son utilité en tant qu’outil contraignant pour prévenir les disparitions et aider à poursuivre leurs auteurs, la Convention n’a été ratifiée que par 63 des 193 États Membres des Nations Unies.
Plusieurs raisons peuvent expliquer le faible nombre de ratifications. Carmen Rosa Villa estime que sa récente introduction pourrait être un facteur. Il s’agit du dernier mécanisme des droits de l’homme à être entré en vigueur et selon elle, les États ont tendance à prendre du temps pour analyser de nouveaux règlements. Par ailleurs, certains États dans lesquels des disparitions forcées se produisent ont peut-être peur d’essuyer les critiques.
« Si on suit cette logique, aucun progrès n’est possible. Il est important que tous les États acceptent de prendre des mesures pour arrêter et prévenir ces crimes », a déclaré Mme Rosa Villa.
Ces hésitations sont en partie dues au fait que les États ne font pas des disparitions une priorité, a déclaré Olivier de Frouville, membre du Comité des disparitions forcées. Ils considèrent que les disparitions forcées ne font pas partie de leur histoire nationale, ou qu’elles ne sont plus une question d’intérêt public. C’est une erreur, a-t-il souligné.
« Les organes chargés des droits de l’homme sont très souvent les premiers mécanismes à tirer la sonnette d’alarme et à contribuer aux futures poursuites en justice », a déclaré M. de Frouville. « [La Convention] englobe la coopération juridique des États afin d’aider les victimes et de traquer les auteurs dans le monde entier, de manière à mettre fin à l’impunité. »
Le Comité des disparitions forcées s’est associé au HCDH pour lancer une campagne visant à encourager davantage de pays à adopter la Convention*. Cette campagne souligne que la question des disparitions n’est pas obsolète mais continue de se poser aujourd’hui, et que l’adoption de la Convention permet de montrer notre soutien aux milliers de victimes de disparitions forcées et involontaires à travers le monde.
« Les disparitions forcées sont reconnues à l’unanimité comme l’un des crimes les plus odieux », a déclaré le président du Comité des disparitions forcées Mohammed Ayat. « Tous les États Membres devraient ratifier la Convention et reconnaître les différentes compétences du Comité comme une démonstration sans équivoque de leur engagement à lutter contre les disparitions forcées. »
M. de Frouville a déclaré que l’adoption de la Convention aide également les États à rejoindre une communauté et un réseau qui s’engagent à éliminer la pratique des disparitions forcées. Qu’un État connaisse actuellement des disparitions forcées ou en ait connu dans un passé lointain ou récent, la Convention, par le biais du Comité, peut lui apporter son soutien et son assistance.
« Et les États qui ont la chance de ne pas avoir connu ces crimes doivent ratifier la Convention afin d’apporter leur aide aux victimes dans leurs efforts pour retrouver leurs proches et participer à l’effort international de lutte contre l’impunité des auteurs de crimes dans le monde entier », a-t-il déclaré. « Il est temps d’unir nos forces ! »
23 décembre 2020