Une décision juridique décisive pour la justice environnementale
07 septembre 2020
Dans une affaire constituant un véritable tournant pour la justice environnementale, une zone d’habitation au Kenya a été dédommagée à hauteur de 13 millions de dollars pour les dommages causés à l’environnement et à la santé de cette communauté touchée par un empoisonnement au plomb mortel.
Le tribunal de Mombasa a accordé cette indemnisation aux résidents d’Owino Uhuru pour les décès et les effets sur la santé liés à l’empoisonnement au plomb causé par une fonderie voisine chargée de recycler des batteries. Cette décision, annoncée par un juge du tribunal des affaires territoriales et de l’environnement le 16 juillet 2020, a stipulé que les droits de la communauté à un environnement sain, au meilleur état de santé possible, à l’eau propre et salubre et à la vie avaient été bafoués et que le gouvernement kényan et deux entreprises devaient payer des dommages.
« Nous étions ravis », a déclaré Phyllis Omido, fondatrice et responsable du CJGEA (centre pour la justice, la gouvernance et l’action environnementale). « Nous avions présenté un dossier très solide au tribunal, mais puisque nous poursuivions le Gouvernement et de grandes entreprises, nous n’étions pas sûrs du verdict et nous ne savions pas si le juge serait assez audacieux et courageux pour garantir que justice soit faite. »
Le tribunal a également ordonné au Gouvernement et aux entreprises de nettoyer les sols, l’eau et les déchets, faute de quoi un montant supplémentaire de 7 millions de dollars serait accordé au CJGEA pour coordonner l’assainissement.
Cette décision intervient quatre ans après l’action collective intentée par le CJGEA au nom des 3 000 habitants d’Owino Uhuru. Elle a également été rendue juste avant le dixième anniversaire de la Constitution kényane et de sa déclaration des droits, qui promeut notamment le droit à un environnement sain et permet de faire appliquer les droits environnementaux.
Dix ans de combat pour obtenir justice
La fonderie, qui recyclait des batteries au plomb, était située près de la communauté Owino Uhuru. La mauvaise gestion des matériaux et des équipements de sécurité pour les employés (qui étaient souvent des résidents) a entraîné des décès et des maladies graves liées à l’empoisonnement au plomb. Phyllis Omido, une ancienne employée, a lancé une campagne pour fermer l’usine lorsque son fils est tombé gravement malade à cause d’un empoisonnement au plomb.
Pendant près de dix ans, Phyllis Omido et d’autres militants communautaires ont lutté contre la présence et les effets du plomb dans leur communauté. Le CJGEA a été fondé afin de mieux s’organiser pour lutter sur cette question et sur d’autres causes environnementales, a-t-elle déclaré. Le groupe a organisé des manifestations, écrit des lettres et remis des plaintes – écrites et verbales – aux responsables environnementaux du gouvernement local et national, dans le but de fermer l’usine et d’obtenir des réparations pour ceux qui ont été touchés par l’empoisonnement au plomb. En 2014, l’usine a finalement été obligée de fermer ses portes, mais les dommages, en raison des niveaux élevés de plomb enregistrés dans la communauté, ont perduré.
Mme Omido et d’autres défenseurs des droits de l’homme environnementaux ont continué à faire campagne pour faire reconnaître les dommages causés et la nécessité d’une opération d’assainissement, et en faveur de la justice environnementale. Ces militants ont alors été menacés, arrêtés par la police et forcés à se cacher. Toutefois, grâce à leur collaboration avec l’équipe du HCDH au Kenya, Mme Omido et d’autres personnes ont pu continuer leur combat.
« Le HCDH est le seul partenaire international qui a directement financé le litige », a-t-elle expliqué. « Il nous a aussi aidés à suivre l’affaire et à recenser des informations à son sujet. Il était à nos côtés lorsque des témoins ont été harcelés, intimidés et effrayés – ils ont même envoyé une équipe dans la communauté, ce qui a permis de renforcer la confiance de la communauté. Sans le HCDH, nous aurions abandonné, à maintes reprises. »
« Depuis Wangari Maathai, les militants se battent pour protéger le droit à un environnement propre et sain au Kenya », a déclaré Claris Ogangah, spécialiste des droits de l’homme du HCDH au Kenya. « L’affirmation de ce droit par le tribunal est un pas important dans la bonne direction. »
Le combat pour les droits de l’homme liés à l’environnement
Cinq des sept défendeurs dans l’affaire ont fait appel de la décision. Malgré ces appels, Mme Omido estime que ce jugement constitue une victoire importante pour la justice environnementale, un point de référence pour les autres défenseurs des droits de l’homme liés à l’environnement et une revendication personnelle.
« Il est enfin clair que j’avais raison de dénoncer ces abus », a-t-elle déclaré. « Cela signifie que notre travail est valable et que le harcèlement auquel nous avons été confrontés, les arrestations, les intimidations, tout cela était mal. Cela veut dire que nous avons obtenu justice après tant de douleur et de souffrance. »
Le travail de Phyllis Omido sur la justice environnementale l’a amenée à créer un réseau de défenseurs des droits de l’homme liés à l’environnement au Kenya. Le réseau de défenseurs des territoires et de l’environnement est soutenu par le HCDH au Kenya*. Les actions menées par les membres de ce groupe ont déjà conduit à la fermeture d’environ dix fonderies de déchets toxiques par le Gouvernement kényan au cours des cinq dernières années.
« Les problèmes liés aux droits de l’homme et à l’environnement sont toujours en hausse, et tant que c’est le cas, j’ai encore du travail à faire », a déclaré Phyllis Omido. « Nous sommes toujours dans une société injuste, surtout en ce qui concerne la gouvernance et les droits de l’homme. »
8 septembre 2020