Déclarations et discours Haut-Commissariat aux droits de l’homme
Myanmar : Volker Türk appelle à une nouvelle réflexion pour mettre fin à une « tragédie sans nom »
Dialogue interactif sur le Myanmar
26 septembre 2023
Prononcé par
Volker Türk, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme
À
Cinquante-quatrième session du Conseil des droits de l’homme
Monsieur le Vice-Président,
Excellences,
Mesdames et Messieurs les délégués,
Chaque jour, le peuple du Myanmar subit des attaques horribles, des violations flagrantes des droits humains et l’effondrement de ses moyens de subsistance et de son espoir.
Depuis mon rapport de juillet dernier, la situation globale des droits de l’homme s’est encore détériorée.
Les campagnes de violence généralisées par les militaires se poursuivent, dans le mépris total des principes fondamentaux de l’humanité et des demandes répétées du Conseil de sécurité des Nations Unies en faveur d’une cessation immédiate des hostilités et d’un accès sans entrave à l’aide humanitaire.
Le rapport présenté aujourd’hui au Conseil, qui couvre la période allant du 1er avril 2022 au 31 juillet 2023, dénonce la manière dont l’armée a encore intensifié ses attaques contre la population civile.
Il décrit divers incidents, souvent particulièrement brutaux, emblématiques d’une négation systématique des droits humains, de la vie humaine et de la dignité humaine.
Nous sommes confrontés à un système de répression impitoyable conçu pour contraindre et assujettir le peuple et pour affaiblir la société afin de préserver les intérêts prédateurs des militaires.
Les attaques militaires insensées exacerbent la crise des droits humains et ont des répercussions humanitaires, politiques et économiques interdépendantes très lourdes sur la population du Myanmar.
La restriction de l’acheminement de l’aide humanitaire après les destructions causées par le cyclone Mocha en mai de cette année montre bien que l’armée privilégie ses propres intérêts politiques au détriment du bien-être d’une population qui a cruellement besoin d’une aide vitale.
Les habitants de l’État rakhine, y compris les membres de la communauté rohingya, continuent d’être privés de nourriture, de médicaments et des matériaux nécessaires à la reconstruction de leurs foyers et de leurs vies.
Monsieur le Vice-Président,
Des sources crédibles ont pu confirmer qu’au moins 4 108 personnes sont mortes jusqu’à hier aux mains de l’armée et de ses affiliés.
Trois tactiques militaires spécifiques ont été systématiquement dirigées contre la population civile : les frappes aériennes, les massacres et les incendies de villages.
Au cours de la période considérée, l’armée a effectué 687 frappes aériennes, soit plus du double du nombre de frappes effectuées au cours des 14 mois qui ont suivi le coup d’État.
Le rapport du HCDH corrobore les données confirmant que ce recours croissant à la puissance aérienne, ainsi qu’à l’armement lourd et à d’autres matériels, ne peut être possible que par l’achat auprès de sources étrangères. L’armée dépend de l’accès aux devises étrangères pour acheter du matériel militaire, des services de soutien et du carburant d’aviation. Dans ce contexte, je me félicite des récentes mesures imposées spécifiquement pour limiter l’achat du kérosène, qui sert à des fins militaires.
Les opérations terrestres ont provoqué 22 massacres de 10 personnes ou plus, selon les informations recueillies. Les témoignages indiquent que, dans nombre de ces opérations, des soldats sont entrés dans les villages, ont rassemblé les personnes s’y trouvant encore et les ont exécutés. Ils ont utilisé des méthodes effroyables pour infliger des souffrances inimaginables à leurs victimes, notamment en les brûlant vives, en les démembrant, en les violant, en les décapitant, en les matraquant et en utilisant des villageois qu’ils avaient enlevés pour se protéger contre des attaques et des mines terrestres.
Ces actes illustrent l’inhumanité dans sa forme la plus vile.
L’incendie de villages entiers et d’infrastructures civiles continue de terroriser la population, notamment dans la région centrale de Sagaing, mais pas uniquement. Plus de 75 000 structures, dont des maisons, des entrepôts de nourriture, des banques de semences et du bétail, ont été détruites, ce qui a entraîné la poursuite de la crise des déplacements et une augmentation considérable des besoins humanitaires et de protection, notamment pour les personnes particulièrement vulnérables, comme les femmes, les enfants, les personnes âgées et les personnes handicapées.
La violence des groupes armés d’opposition, y compris les assassinats ciblés et les attentats à la bombe dans les lieux publics, persiste également.
Bien que l’ampleur de ces violations ne soit pas comparable à celles perpétrées par l’armée, il est essentiel que les groupes qui s’opposent à l’armée respectent pleinement le droit international humanitaire et le droit international des droits de l’homme, ainsi que les principes de protection des civils.
Mesdames et Messieurs les délégués,
L’état de droit au Myanmar a disparu, les militaires ayant délibérément érodé les fondements de la gouvernance et de la justice dans le pays.
Selon des sources fiables, 24 836 personnes ont été arrêtées, 19 264 sont toujours détenues et 150 ont été condamnées à mort par des tribunaux contrôlés par l’armée, qui n’ont aucune indépendance et ne respectent pas les droits à une procédure régulière ou à un procès équitable. Plus de 7 368 personnes ont été condamnées dans le cadre de procès organisés à l’improviste, dont la plupart n’ont duré que quelques minutes et qui se sont déroulés sans l’assistance d’un avocat. Jusqu’à présent, on ne connaît qu’un seul cas d’acquittement d’un accusé et cette décision a entraîné la révocation du juge qui s’était prononcé en faveur de l’accusé.
Monsieur le Président,
Le refus de l’acheminement de l’aide humanitaire dans l’ensemble du pays a des conséquences dramatiques sur le droit à l’alimentation. Le riz en particulier, qui est un aliment de base pour les habitants du Myanmar, devient extrêmement rare dans de nombreuses régions.
Ce blocage de l’accès à l’aide humanitaire a été particulièrement ressenti dans l’État rakhine, où la situation des droits humains de la communauté rohingya reste extrêmement préoccupante, en particulier pour les femmes, les enfants et les jeunes.
Depuis que le cyclone Mocha a frappé le pays en mai dernier, l’armée a systématiquement empêché la fourniture de soins médicaux vitaux, de matériaux pour les abris, de nourriture et d’eau potable. Les familles rohingya et les membres d’autres communautés déplacées ont indiqué qu’ils n’étaient pas en mesure de fournir de la nourriture à leurs enfants. Les veuves rohingya auraient été contraintes de mendier de la nourriture, ce qui les rend vulnérables à l’exploitation et aux violences.
L’armée a également continué de menacer de poursuites judiciaires toute personne rapportant des chiffres différents du bilan officiel du cyclone Mocha, qui s’élève à 116 morts. Le 6 septembre, un tribunal militaire a condamné un photojournaliste à 20 ans de prison pour sa couverture de la situation post-cyclonique dans l’État rakhine, la peine la plus lourde infligée à un journaliste depuis le coup d’État.
Malgré cela, depuis le mois de mars, l’armée propose de renvoyer des milliers de réfugiés rohingya du Bangladesh vers l’État rakhine d’ici la fin de l’année, bien que les conditions d’un retour sûr, digne et durable ne soient manifestement pas réunies. Aucune mesure n’a notamment été prise pour s’attaquer aux causes profondes de la discrimination grave et d’autres violations, pour traiter la question de la citoyenneté, pour assurer la fourniture de services ou pour garantir la libre circulation ou d’autres facteurs essentiels.
Monsieur le Vice-Président,
Le consensus en cinq points de l’ASEAN, qui vise à ramener le Myanmar à la stabilité, a été ignoré par les militaires, bien qu’ils en aient accepté les termes. De même, l’armée n’a pas respecté la résolution 2669 du Conseil de sécurité (S/RES/2669, décembre 2022) et son appel à une cessation immédiate des violences et à un accès sans entrave à l’aide humanitaire pour toutes les personnes dans le besoin.
Une nouvelle réflexion concernant le Myanmar est nécessaire de toute urgence pour mettre un terme à cette tragédie sans nom.
Je salue la récente décision de l’ASEAN d’essayer une nouvelle approche, en introduisant un mécanisme de troïka pour soutenir le président et l’envoyé spécial de l’organisation à partir de l’année prochaine, et j’exhorte les autres États à renforcer cette initiative.
Je réitère mon appel à tous les États et autres acteurs influents pour qu’ils soutiennent les efforts de désescalade de cette crise et veillent à ce que toutes les personnes vulnérables au Myanmar puissent exercer leurs droits fondamentaux et recevoir toute l’assistance nécessaire.
Je demande instamment à tous les acteurs de veiller à ce que les allégations de violations des droits humains à l’encontre de la population civile fassent l’objet d’enquêtes rapides et transparentes et à ce que les auteurs de ces violations soient tenus de rendre compte de leurs actes, et j’invite la communauté internationale à redoubler d’efforts en matière de responsabilité internationale.
Compte tenu de la gravité persistante de la situation et de l’impunité sur le terrain, je réitère mon appel au Conseil de sécurité des Nations Unies pour qu’il saisisse la Cour pénale internationale de cette situation.
Les habitants du Myanmar souffrent depuis longtemps du manque d’attention de la communauté internationale à leur égard. Cela doit changer. Ce Conseil a reçu huit rapports du HCDH concernant cette situation horrible et des mises à jour à chaque session depuis le coup d’État de février 2021.
Nous n’avons aucune raison de croire que l’armée changera radicalement et rompra le cycle d’impunité qui caractérise ses opérations depuis des décennies.
La responsabilité de protéger les civils et de rétablir des conditions propices à la paix et à la stabilité incombe donc également à la communauté internationale, que j’exhorte à agir maintenant.
Il n’y a pas de temps à perdre.
Merci.