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Déclarations et discours Haut-Commissariat aux droits de l’homme

Myanmar : la « désintégration des droits humains » se produit à une vitesse vertigineuse, déclare le Haut-Commissaire

18 juin 2024

LAUKAW, MYANMAR, LE 26 JANVIER : des hommes portent des bâtons de bambou dans le camp de personnes déplacées de Laukaw, dans l’État karen, au Myanmar. Le camp, aménagé après une attaque de l’armée du Myanmar à Lay Kay Kaw et situé dans un territoire contrôlé par l’Armée bouddhiste démocratique karen (DKBA), accueille environ 350 personnes. Valeria Mongelli/Anadolu (Photo de Valeria Mongelli/ANADOLU/Anadolu par l’AFP)

Prononcé par

Volker Türk, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme

À

Cinquante-sixième session du Conseil des droits de l’homme

Monsieur le Président,
Excellences,
Mesdames et Messieurs les délégués,

Alors que nous nous réunissons ici au Conseil pour discuter une nouvelle fois du Myanmar, nous sommes les témoins d’un pays étouffé par un régime militaire illégitime.

Le Myanmar souffre atrocement.

Et la désintégration des droits humains se poursuit à une vitesse vertigineuse.

Cette crise est emblématique d’un héritage de plusieurs décennies de domination militaire, d’étouffement de la dissidence et de division.

À l’heure actuelle, ces mêmes dynamiques se manifestent sous une forme terrifiante avec les communautés rohingya et rakhine.

Nous entendons des histoires de tactiques de guerre horribles, telles que des décapitations.

Des attaques de drones en pleine nuit.

Des maisons incendiées pendant que les gens dorment.

Des personnes se faisant tirer dessus alors qu’elles tentent de fuir pour rester en vie.

L’armée a perdu le contrôle d’une grande partie du territoire. Elle a donc recours à des mesures de plus en plus extrêmes.

La circonscription forcée. Le bombardement aveugle de villes et villages. Des atrocités criminelles.

Monsieur le Président,

Je viens de rentrer d’une visite en Asie du Sud-Est.

J’ai eu l’occasion d’entendre des représentants de la société civile du Myanmar parler de la spirale des effets régionaux de la crise et du besoin urgent de direction et d’influence pour mettre un terme à cette catastrophe.

L’armée du Myanmar continue d’avoir accès aux devises et aux armes étrangères dont elle a besoin pour poursuivre sa campagne de terreur, alors que le soutien financier international au peuple du Myanmar est, au mieux, faible.

Cependant, j’ai aussi été témoin d’un profond sentiment d’espoir. Lors de mes discussions avec la société civile du Myanmar, les défenseurs des droits humains et les communautés de réfugiés, je me suis clairement rendu compte qu’une nouvelle génération de jeunes issus de toutes les communautés ethniques menait la lutte pour créer une vision inclusive de l’avenir du Myanmar.

En Malaisie, j’ai rencontré des représentants de presque toutes les communautés ethniques, ensemble. Il y a quelques années, il aurait été impensable de réunir les Rohingya et d’autres communautés ethniques autour d’une même table. J’ai été ému par leur solidarité et leurs espoirs communs.

En Thaïlande, des représentants de la société civile du Myanmar et des défenseurs des droits humains issus de communautés et de milieux différents étaient également unis par un objectif commun. Leur rejet de la prise de pouvoir et de la violence par les militaires. Leur appel à l’établissement des responsabilités. Leur souhait d’un meilleur avenir.

Ces jeunes attendent beaucoup de la communauté internationale. Ils souhaitent que l’ampleur des souffrances du Myanmar soit réellement reconnue et reçoive l’attention qu’elle mérite. Ils espèrent que des fonds seront mis à la disposition de ceux qui sont sur le terrain pour fournir une aide humanitaire et des services directement aux communautés dans l’ensemble du pays.

Ils ont risqué leur vie et leurs moyens de subsistance pour aider les communautés dans le besoin et résister à la répression de l’armée.

Et avec eux, un avenir est possible.

Monsieur le Président,

Nous assistons à une révolution du peuple contre des décennies d’oppression et de violence.

Dans certaines régions échappant au contrôle de l’armée, de nouvelles structures de gouvernance locale ont vu le jour, soutenues par des groupes armés ethniques et des militants. Elles fournissent de la nourriture, un abri, une éducation et des soins de santé à des centaines de milliers de personnes qui en temps normal reçoivent peu d’aide humanitaire, voire aucune.

Elles proposent aussi des services de protection indispensables en l’absence totale d’un système public opérationnel.

Le Conseil exécutif intérimaire karenni de l’État kayah, par exemple, a créé un système de gouvernance locale dans lequel sept membres ont été élus par la population pour répondre aux besoins de la communauté.

J’appelle tous les groupes armés d’opposition à assurer la protection des civils, des transfuges et des personnes qui se sont rendues à tout moment.

Monsieur le Président,

Le peuple du Myanmar ne doit pas connaître plus de désespoir, plus de souffrance, plus de peur.

Les conflits armés continuent de faire brutalement rage dans le pays, frappant de plus en plus durement la vie des civils. Le HCDH enquête sur plusieurs attaques signalées contre des civils dans l’État rakhine et à Sagaing ces derniers jours, où un grand nombre de civils auraient été tués lors de frappes aériennes, de barrages d’artillerie navale et de fusillades.

Je suis très préoccupé par la situation à Maungdaw. Ce week-end, l’armée arakanaise a donné à tous les habitants restants, dont de nombreux Rohingya, l’ordre d’évacuer.

Or les Rohingya n’ont pas le choix. Ils n’ont nulle part où aller.

À l’instar de ce qui s’est passé à Buthidaung, où les Rohingya ont reçu l’ordre de fuir avant que la ville ne soit incendiée, je crains que nous soyons une fois de plus sur le point d’assister à des déplacements, à des destructions et à des violences.

Les militaires auraient également ordonné l’évacuation des villages de l’ethnie rakhine autour de Sittwe, où ils ont procédé à des arrestations massives ces derniers jours.

Par ailleurs, le village de Byaing Phyu aurait été vidé de ses quelques centaines d’habitants, les militaires ayant tenté d’identifier les hommes en âge de combattre ayant sympathisé avec leur adversaire armé, l’armée arakanaise.

Les hommes ont été séparés des femmes. Des dizaines d’hommes auraient été torturés et tués par balles. Selon plusieurs rapports, au moins cinq femmes auraient également été violées et tuées lors de cet incident. Leur village a été brûlé. Des centaines d’hommes sont portés disparus.

Dans un geste cynique, les militaires ont fait pression et menacé les jeunes hommes rohingya pour qu’ils rejoignent leurs rangs. Selon certains rapports, des milliers de jeunes Rohingya ont été enrôlés dans les forces qui ont déplacé des centaines de milliers de membres de leur communauté en 2016 et 2017.

En réaction, l’armée arakanaise a exhorté les Rohingya à se battre avec elle contre les militaires. Ils ont ciblé leurs communautés en déplaçant les résidents par la force. À plusieurs reprises, ils ont détenu ou tué des hommes en âge de combattre qu’ils soupçonnaient de prendre les armes contre eux.

Ces tactiques ont ravivé les images et les souvenirs choquants de 2017, marqués par la terreur systématique, la persécution et le déplacement forcé des populations. Aujourd’hui, plusieurs parties de Maungdaw et de Buthidaung ont été brûlées à tour de rôle. Des maisons et des quartiers de l’ethnie rakhine ont été incendiés, suivis quelques jours plus tard par l’incendie de villages rohingya.

Des dizaines de milliers de civils de ces communautés ont été contraints de fuir, dont des communautés entières de Rohingya, sans aucune garantie de trouver un refuge. Plus d’un million de réfugiés rohingya au Bangladesh vivent toujours dans des conditions désastreuses, sans perspective de solutions durables.

Tout cela se produit alors que la Cour internationale de Justice a ordonné des mesures provisoires contraignantes pour protéger les Rohingya pendant qu’elle examine l’affaire de génocide dont elle a été saisie par la Gambie et d’autres États Membres.

L’établissement des responsabilités, y compris dans le cadre des procédures actuellement en cours devant la Cour pénale internationale, est absolument essentiel. Le manque d’établissement des responsabilités lors de l’ancienne transition du Myanmar permet aujourd’hui à l’histoire de se répéter, et hante le présent et l’avenir.

Monsieur le Président,

La situation dans l’État rakhine n’est, tragiquement, qu’un exemple de la façon dont ce coup d’État, qui a débouché sur trois années de conflit, a apporté douleur et souffrance à un pays tout entier.

Les attaques de l’armée ont été et continuent d’être aveugles.

Depuis février 2021, au moins 5 280 civils, dont 1 022 femmes et 667 enfants, ont été tués par l’armée. Au moins 26 865 journalistes ont été arrêtés et 20 592 d’entre eux sont encore en détention.

On compte aujourd’hui trois millions de personnes déplacées à l’intérieur du pays par ces conflits, la grande majorité d’entre elles n’ayant toujours pas d’abri convenable. Sans accès à la nourriture ou à l’eau. Sans médicaments ni soins de santé essentiels. Et tant d’autres conséquences cruelles du refus persistant de l’armée d’autoriser l’accès à l’aide humanitaire restent invisibles et ne sont pas signalées.

Monsieur le Président,

La violence doit cesser. Les attaques contre les civils doivent cesser. La conscription forcée doit cesser. Et le refus de l’aide humanitaire doit cesser.

J’exhorte toutes les parties à empêcher que les crimes atroces commis contre les Rohingya en 2016 et 2017 ne se reproduisent.

J’appelle également les pays de la région à assurer une protection internationale et à fournir un abri, un soutien et un accès à long terme adéquats aux services essentiels pour les personnes fuyant la violence et la persécution. Des dispositions spéciales doivent être prises pour les défenseurs des droits humains, qui sont particulièrement exposés et font souvent l’objet de menaces transnationales et de refoulement.

Personne ne devrait être renvoyé de force au Myanmar à l’heure actuelle.

Nous devons repenser de toute urgence la manière dont nous pouvons répondre collectivement à cette crise incontrôlée.

J’ai eu l’occasion d’en discuter avec les dirigeants de la République démocratique populaire lao et de la Malaisie, qui assurent respectivement la présidence actuelle et future de l’ASEAN, ainsi qu’avec la Thaïlande, qui est un voisin proche.

Il est temps d’aller au-delà du consensus en cinq points de l’ASEAN, qui n’a pas réussi à endiguer la violence ni à restaurer la démocratie.

Les efforts de l’ASEAN doivent être redynamisés et soutenus par un consortium d’États influents afin d’élaborer un nouveau plan d’action capable de rendre le destin du Myanmar à son peuple. Cela doit prendre en compte les nouvelles réalités de la gouvernance locale qui émergent sur le terrain et qui peuvent fournir des éléments formant la base d’un avenir démocratique opérant du bas vers le haut.

Le peuple du Myanmar doit pouvoir participer aux décisions. Cela signifie qu’il faut faire appel au mouvement démocratique et à la jeunesse, et les impliquer réellement dans la résolution de cette crise.

La nouvelle génération du Myanmar, en particulier la nouvelle place prépondérante des femmes, devrait être soutenue dans le cadre d’un « processus visionnaire » pour l’avenir du pays.

Avec plus d’attention, plus d’investissements, plus de volonté politique et plus d’action, cette situation peut être renversée pour offrir un meilleur avenir à la population du Myanmar.

Merci.