Déclarations et discours Haut-Commissariat aux droits de l’homme
Myanmar : la situation des droits de l’homme est devenue « un cauchemar sans fin »
01 mars 2024
Prononcé par
Volker Türk, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme
À
Cinquante-cinquième session du Conseil des droits de l’homme – Dialogue interactif sur le Myanmar
Monsieur le Président,
Excellences,
Mesdames et Messieurs les délégués,
La situation des droits de l’homme au Myanmar est devenue un cauchemar sans fin, loin des regards de la politique mondiale.
Depuis ma dernière intervention devant ce Conseil au mois de septembre, le conflit armé s’est intensifié et s’est étendu à pratiquement tout le pays.
Trois ans de régime militaire ont infligé, et continuent d’infliger, une souffrance et une cruauté insupportables à la population du Myanmar.
Trois ans d’opérations militaires visant à réprimer, terrifier, déshumaniser et détruire.
La remise en cause du droit du peuple à élire librement ses dirigeants civils.
La répression de toute forme d’opposition et de dissidence.
Un abus de pouvoir absolu et une totale impunité.
L’ampleur de cette crise, qui touche tous les aspects de la vie, est emblématique du non-respect persistant des normes démocratiques et des libertés fondamentales. Le développement est en chute libre. Les conflits prolifèrent.
Le bilan humain s’alourdit.
Des sources crédibles ont confirmé que plus de 4 603 civils, dont 659 femmes et 490 enfants, ont été tués par les forces militaires depuis février 2021. Ce chiffre est certainement bien plus élevé en réalité.
Des soldats formés commettent des actes brutaux contre leur propre peuple : environ 400 civils, dont 113 femmes, ont été brûlés vifs ou après avoir été exécutés.
Il y a quelques semaines, une vidéo diffusée sur les médias sociaux montrait des combattants présumés proches des forces militaires en train de brûler vifs deux captifs accusés de faire partie de l’opposition armée.
Cela démontre un mépris glacial à l’égard de la vie humaine.
Monsieur le Président,
L’intensification de la violence depuis la fin du mois d’octobre, lorsque des groupes ethniques armés ont lancé plusieurs attaques coordonnées dans tout le pays, a provoqué une dévastation encore plus grande et encore plus de représailles de la part des forces militaires.
Les armes lourdes sont aujourd’hui à l’origine de la majorité des décès de civils, l’armée utilisant de plus en plus ses avions de guerre sur les villes. Pour le seul mois de janvier 2024, 145 des 232 décès civils confirmés, soit plus de 60 %, étaient imputables à ces frappes aériennes et à ces attaques d’artillerie. Plus de la moitié des victimes étaient des femmes et des enfants. C’est horrible.
Dans les États shan, rakhine et kachin en particulier, les forces militaires semblent à nouveau provoquer des tensions interethniques en employant des milices ultranationalistes et en recrutant de force des membres de communautés ethniques pour en attaquer d’autres.
L’annonce par l’armée, début février, d’une loi sur le service militaire en vertu de laquelle tous les hommes âgés de 18 à 35 ans et toutes les femmes âgées de 18 à 27 ans pourraient être soumis à la conscription obligatoire sans aucune procédure d’appel est extrêmement inquiétante et symbolique de l’absence de l’état de droit. Dans certaines régions, les militaires ont enlevé des personnes. Dans d’autres, ils ont menacé les communautés d’incendier leurs villages à moins que les jeunes ne soient enrôlés. Dans l’État rakhine, nous avons reçu des informations selon lesquelles de jeunes déplacés rohingya se voient offrir de l’argent, de la nourriture et même la citoyenneté s’ils rejoignent les rangs de ceux qui les ont forcés à se déplacer plusieurs années auparavant. Ils sont menacés de sanctions s’ils refusent. En outre, des rapports faisant état de recrutement forcé, y compris d’enfants, ont déjà proliféré parmi de nombreuses parties belligérantes.
Dans l’ensemble du Myanmar, d’autres violations flagrantes des droits fondamentaux et de l’état de droit se poursuivent sans relâche. La population craint d’être arrêtée pour n’importe quelle raison et à n’importe quel moment. Plus de 20 000 opposants aux forces militaires, dont 3 909 femmes, sont toujours en détention.
Il est profondément choquant de lire les rapports du HCDH sur l’utilisation systématique de la torture contre les détenus politiques dans les commissariats de police, les centres d’interrogatoire militaires et les prisons. Nous avons reçu de nombreux rapports faisant état de détenus soumis à des formes sévères de mauvais traitements au cours d’interrogatoires, dont beaucoup sont morts de leurs blessures en raison du refus délibéré ou de l’absence de tout traitement médical.
Au total, 1 658 personnes, dont 111 femmes, sont mortes sous la garde des forces militaires, soit dans des lieux de détention, soit après avoir été arrêtées lors de raids dans des villages. Au total, 48 civils sont morts en détention au mois de janvier seulement, soit plus d’une personne par jour.
La mainmise de l’armée sur l’aide humanitaire, qui empêche les travailleurs humanitaires d’atteindre les millions de personnes ayant besoin de cette aide, ne fait qu’aggraver cette crise.
Si les Nations Unies ont persévéré tout au long de la crise en restant sur place et en tenant leurs engagements, malgré d’énormes difficultés, la communauté internationale doit se souvenir des leçons tirées du rapport Rosenthal et continuer à prévenir de nouvelles atrocités par tous les moyens possibles. Les Nations Unies ont besoin du soutien total des États Membres lorsqu’elles insistent sur la protection des civils et sur l’obligation de rendre des comptes à l’avenir.
Monsieur le Président,
Je tiens à tirer à nouveau la sonnette d’alarme au sujet de l’État rakhine, plongé encore plus profondément dans une spirale de violence depuis novembre. Hier encore, des navires militaires ont bombardé un marché à Sittwe, la capitale de l’État rakhine, faisant au moins 16 morts et 80 blessés chez les civils. Cette violence touche toutes les communautés, dont beaucoup subissent encore les conséquences du cyclone Mocha de l’année dernière.
Je prends note de l’appel lancé la semaine dernière à la communauté internationale par 40 organisations de défense des Rohingya du monde entier pour qu’elle ne répète pas les erreurs du passé. Après avoir subi des décennies de discrimination, de répression, de déplacements forcés massifs et d’autres violations graves et systématiques des droits humains, les Rohingya restent aujourd’hui essentiellement emprisonnés dans des villages et des camps d’internement. Plus d’un million de personnes continuent d’attendre dans des camps de réfugiés au Bangladesh. Au Myanmar, ils continuent d’être privés de leurs droits de citoyenneté et de leur liberté de circulation, et il n’y a actuellement aucune perspective de retour sûr et durable.
Depuis novembre, alors que les communications sont coupées, des sources indiquent que près de 200 personnes sont mortes dans l’État rakhine, dont au moins 50 étaient des Rohingya. Plus de 150 000 personnes ont fui leur foyer en quête de sécurité. La plupart des Rohingya ne sont toutefois pas autorisés à partir.
Les restrictions de circulation imposées par les forces militaires ont presque totalement interrompu l’acheminement de l’aide humanitaire vitale. Des maisons ont été incendiées. Les voies d’approvisionnement reliant l’État rakhine à d’autres parties du Myanmar ont été fermées, ce qui a entraîné une grave pénurie alimentaire et des hausses de prix importantes. La plupart des familles survivent désormais avec un seul repas par jour. Nous avons reçu des rapports faisant état de problèmes de santé liés à la malnutrition chez les enfants. Des décès de plusieurs femmes enceintes n’ayant pas accès à des services médicaux ont également été signalés.
L’année dernière, jusqu’à 5 000 Rohingyas, ont entrepris de périlleuses traversées en bateau à la recherche d’un refuge. Des centaines d’autres personnes ont été arrêtées alors qu’elles tentaient de fuir vers d’autres régions du Myanmar. Le HCDH a reçu de nombreuses informations crédibles selon lesquelles des centaines de Rohingyas fuyant la violence se voient refuser l’entrée au Bangladesh. J’appelle tous les États Membres à garantir la protection internationale des réfugiés aux personnes qui fuient les persécutions et le conflit au Myanmar.
Monsieur le Président,
Il y a quatre ans, la Cour internationale de Justice a demandé au Myanmar de cesser toute activité susceptible de violer les dispositions de la Convention sur le génocide. Elle a ordonné aux autorités de protéger les communautés rohingya, de préserver les preuves des actes répréhensibles commis à leur encontre et de créer des conditions propices à un retour sûr, digne et volontaire dans leur lieu d’origine.
Pourtant, l’armée continue d’adopter le même comportement insensible et brutal.
Ce Conseil doit agir face à ces signes précurseurs alarmants.
Je réitère mon appel à la cessation immédiate des opérations dans les zones civiles et autour de ces dernières, à la protection totale de tous les civils, à la libération par les forces militaires de tous les prisonniers politiques et au plein respect du droit international des droits de l’homme.
Je réitère mon appel à la communauté internationale pour qu’elle recentre son énergie sur la prévention des atrocités contre tous les habitants du pays, y compris les Rohingya, notamment en prenant des mesures significatives, efficaces et ciblées pour mettre fin à l’accès de l’armée aux armes, au kérosène et aux devises étrangères dont elle a besoin pour poursuivre sa campagne de répression contre les civils.
J’appelle l’ASEAN et les États influents à adopter une nouvelle approche pour engager tous les acteurs, y compris le Gouvernement d’union nationale, les organisations ethniques et la société civile dans son ensemble, à tracer la voie vers la restauration de la démocratie et d’un régime civil. Le moment est venu de permettre au mouvement démocratique de construire un consensus politique inclusif pour mettre fin à cette crise des droits humains.
Ces trois dernières années, les habitants du Myanmar ont tout sacrifié et ont maintenu l’espoir d’un avenir meilleur et plus sûr.
Ils ont besoin que l’ensemble de la communauté internationale les soutienne.
Merci.
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