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Déclarations et discours Haut-Commissariat aux droits de l’homme

Volker Türk : le Myanmar en « chute libre mortelle » et en proie à des violences encore plus graves

06 juillet 2023

Des personnes transportant leurs biens parmi les débris après le passage du cyclone Mocha à Sittwe, dans l’État rakhine, au Myanmar, le 15 mai 2023. EPA-EFE/NYUNT

Prononcé par

Volker Türk, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme

À

Dialogue interactif sur le Myanmar, 53e session du Conseil des droits de l’homme

Lieu

Genève

Monsieur le Vice-Président,
Excellences,
Chers collègues,

Ce Conseil a reçu de nombreux rapports sur la situation des droits de l’homme au Myanmar.

À chaque nouveau rapport, il est presque impossible d’imaginer que la population du Myanmar puisse endurer plus de souffrances.

Pourtant, le pays poursuit sa chute libre mortelle dans une violence et une misère pires encore.

Le régime imposé par les généraux depuis deux ans et demi a réduit à néant l’optimisme que les habitants du Myanmar nourrissaient autrefois à l’égard de la paix, de la démocratie et d’un avenir plus prospère.

Les civils vivent au gré des caprices d’une autorité militaire irresponsable qui s’appuie sur des tactiques de contrôle systématique, la peur et la terreur.

Les civils subissent également le poids dévastateur de cette violence grotesque, notamment contre les personnes âgées, les personnes handicapées et les enfants en bas âge.

La situation est devenue insoutenable.

Nous assistons à une crise économique qui aggrave la pauvreté déjà endurée par une grande partie de la population.

Les ressources naturelles exploitées à un rythme dangereux causent des dommages irréversibles à l’environnement.

Les voix de la société civile et des journalistes sont étranglées.

Les arrestations arbitraires, les disparitions forcées et la torture se poursuivent sans relâche.

Les minorités du pays sont de nouveau confrontées aux attaques brutales des militaires dans les régions frontalières, et de plus en plus de personnes quittent le pays en quête de sécurité et de protection. Plus d’un million de Rohingya se trouvent toujours au Bangladesh voisin, où ils vivent dans des conditions déplorables dans le plus grand camp de réfugiés au monde. Les conditions de leur retour au Myanmar sont toujours inexistantes. L’armée continue de commettre des atrocités dans l’État rakhine, leur État d’origine, où la citoyenneté leur est refusée.

Monsieur le Vice-Président,

Des sources fiables indiquent qu’en date d’hier, 3 747 personnes sont mortes aux mains des militaires depuis qu’ils ont pris le pouvoir, et 23 747 ont été arrêtées. Ces chiffres représentent le minimum de cas pouvant être recensés et vérifiés, le nombre réel de victimes étant probablement beaucoup plus élevé.

Chaque jour, l’impitoyable stratégie militaire des « quatre blocages » continue de semer la destruction.

Des villages entiers sont rasés et incendiés, des actes qui punissent collectivement les civils en les privant d’abris, de nourriture, d’eau et d’aide vitale. Depuis le début du coup d’État, les militaires ont brûlé au moins 70 000 maisons dans tout le pays, dont 70 % dans la région de Sagaing. Plus de 1,5 million de personnes ont été déplacées de force avec un accès minimal à l’aide humanitaire.

Les frappes aériennes et les tirs d’artillerie incessants détruisent des habitations et volent des vies. Au cours des six premiers mois de cette année, le HCDH a signalé une augmentation de 33 % des frappes aériennes sans discernement par rapport au premier semestre de l’année dernière, avec une augmentation des attaques contre des cibles civiles, notamment des villages, des établissements scolaires, des hôpitaux et des lieux de culte.

Le 11 avril dernier, 168 civils, dont un grand nombre de femmes et d’enfants, ont été tués lors d’une attaque aérienne frappant le village de Pa Zi Gyi situé dans la région de Sagaing.

Les tirs d’artillerie ont également considérablement augmenté : plus de 563 attaques ont été commises cette année, ce qui représente déjà 80 % du total des attaques de l’année dernière. Le HCDH continue également de recenser régulièrement les formes les plus brutales de violations : violences sexuelles, massacres, exécutions extrajudiciaires, décapitations, démembrements et mutilations.

Ces actes témoignent d’un mépris absolu des principes du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire.

Ils témoignent également d’un mépris total pour l’humanité.

Monsieur le Vice-Président,

Le rapport que je présente aujourd’hui au Conseil porte sur le refus systématique de l’armée de fournir une aide humanitaire vitale aux civils. L’armée a mis en place une multitude d’obstacles juridiques, financiers et bureaucratiques pour s’assurer que les personnes dans le besoin ne reçoivent pas d’aide et ne puissent pas y accéder.

Cette obstruction à l’aide vitale est délibérée et ciblée, et constitue un déni calculé des droits et libertés fondamentaux d’une grande partie de la population.

Ces actes sont commis alors qu’un tiers de la population nécessite une aide d’urgence, notamment pour accéder à un logement convenable, à de la nourriture et de l’eau en quantité suffisante ou à un emploi.

À la mi-mai, lorsque le cyclone Mocha a frappé de plein fouet les États rakhine et chin, ainsi que les régions de Magway et de Sagaing, l’armée a activement empêché la réalisation d’évaluations indépendantes des besoins et a entravé l’accès à l’information. Elle a suspendu toutes les autorisations de déplacement dans l’État rakhine, avant d’autoriser finalement la reprise de la distribution de l’aide humanitaire à condition qu’elle ne soit pas liée au cyclone.

Il est important de noter que tous les versements d’aide humanitaire liés au cyclone Mocha restent gelés, à moins qu’ils ne soient acheminés par les autorités militaires. Ces dernières ont menacé d’intenter une action en justice contre toute personne faisant état de chiffres différents des leurs concernant le nombre de morts parmi la communauté rohingya, fixé par l’armée à 116 personnes, mais que l’on pense plus élevé.

À ce jour, en raison du manque d’accès, il n’a pas été possible de confirmer le nombre de décès de Rohingya et de membres d’autres communautés.

Je déplore les attaques directes commises contre le personnel humanitaire. Les organisations locales, qui fournissent la grande majorité de l’aide humanitaire, courent les plus grands risques en effectuant leur travail. Depuis le coup d’État, une quarantaine de travailleurs humanitaires ont été tués et plus de 200 ont été arrêtés.

Le système de santé, déjà fragile, est à la déroute. Malgré les efforts des organisations locales, l’interdiction de facto du transport de médicaments et d’autres fournitures médicales dans une grande partie du Myanmar a entraîné un manque d’accès à l’assistance médicale.

À l’heure actuelle, 15,2 millions de personnes ont besoin d’une aide alimentaire et nutritionnelle d’urgence. Le prix des denrées alimentaires a augmenté de 177 % en 2022, et la persistance de la violence, l’accaparement des terres et le risque élevé posé par les mines et les munitions non explosées ont entraîné une forte diminution de la production alimentaire.

Il n’a jamais été aussi urgent d’assurer un accès humanitaire sans entrave à l’ensemble du Myanmar. J’appelle les États Membres à financer le plan de réponse humanitaire pour le Myanmar et à fournir un financement direct et flexible aux organisations locales sur le terrain qui tentent désespérément de venir en aide aux personnes dans le besoin.

Monsieur le Vice-Président,

Conformément à la résolution 2669 du Conseil de sécurité, je réitère l’appel lancé pour mettre fin immédiatement à cette violence insensée.

J’exhorte également les autorités à libérer immédiatement les 19 377 prisonniers politiques détenus dans l’ensemble du Myanmar, dont le président déchu Win Mynt et la conseillère d’État Aung San Suu Kyi.

La sortie de cette crise doit être axée sur l’établissement des responsabilités face aux graves violations des droits humains et autres violations du droit international qui sont commises. Je demande instamment au Conseil de sécurité de déférer la situation à la Cour pénale internationale. Toute solution politique à cette situation d’urgence prolongée doit inclure la reddition de comptes.

En ce qui concerne le million de Rohingya au Bangladesh, le rapatriement volontaire ne peut avoir lieu que lorsque les conditions d’un retour sûr, durable et dans la dignité au Myanmar sont en place et que l’ensemble de leurs droits sont respectés et défendus. Les Rohingya eux-mêmes doivent être au centre de la prise de décisions. Les retours doivent avoir lieu uniquement s’ils sont pleinement informés et capables de faire un choix volontaire.

Pour sa part, la communauté internationale doit continuer de soutenir les communautés d’accueil, notamment au Bangladesh, et à assurer une protection adéquate à toutes les personnes qui franchissent les frontières internationales.

Je demande également à tous les pays de prévenir la fourniture d’armes à l’armée et de mettre un terme à cette pratique, et de prendre des mesures ciblées pour limiter l’accès des généraux aux devises étrangères, au carburant d’aviation et à d’autres moyens qui permettent d’attaquer la population du Myanmar.

Ce Conseil doit réfléchir à la manière de mettre en lumière les intérêts commerciaux qui soutiennent l’armée et la maintiennent à flot.

Monsieur le Vice-Président,

Parmi les nombreux crimes perpétrés contre le peuple du Myanmar, j’ai été scandalisé d’apprendre l’arrestation de plus d’une centaine de personnes par les militaires le 19 juin. Leur crime était d’avoir acheté, vendu, transporté ou porté une fleur pour célébrer le 78e anniversaire d’Aung San Suu Kyi.

Il est difficile d’imaginer que la population du Myanmar, qui, il y a à peine deux ans et demi, aspirait à un avenir meilleur, soit étouffée par un oppresseur qui considère le fait de porter une fleur comme un acte criminel.

Depuis des décennies, la population du Myanmar fait face à la répression et à l’isolement. Mais elle n’a jamais cessé de réclamer le respect de ses droits fondamentaux, ni de faire de grands sacrifices pour un avenir démocratique.

Je suis solidaire du peuple du Myanmar. Je rends hommage à sa force extraordinaire, à son esprit et à sa résilience, alors qu’elle endure jour après jour la crise.

Je tiens à souligner que les Rohingya font partie intégrante du peuple du Myanmar et de l’avenir du pays.

Je rappelle à la communauté internationale, au Conseil de sécurité, à l’ASEAN et à tous les États Membres ayant une influence sur Min Aung Hlaing et le Tatmadaw qu’il leur incombe d’exercer une pression maximale pour mettre fin à cette crise.

Nous devons réunir de toute urgence toutes les conditions nécessaires pour que le peuple du Myanmar puisse trouver un moyen de sortir de la détresse et vivre en étant libre et en sécurité.

Merci.

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