Déclarations et discours Haut-Commissariat aux droits de l’homme
Dialogue interactif sur la situation des droits de l’homme au Myanmar
21 mars 2022
Prononcé par
Michelle Bachelet, Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme
À
la quarante-neuvième session du Conseil des droits de l’homme
Monsieur le Président,
Excellences,
Treize mois après le coup d’État militaire du 1er février 2021, les droits humains du peuple du Myanmar font face à une crise profonde. Les conflits armés préexistants dans de multiples États ethniques ont été attisés par l’utilisation systématique de méthodes brutales par les forces de sécurité.
Des centaines de groupes de résistance armés localisés se sont formés à travers le pays et la violence est désormais généralisée dans de nombreuses régions auparavant stables.
Par conséquent, ma crise humanitaire continue de s’aggraver. L’économie est au bord de l’effondrement. Plus de 14,4 millions de personnes sont désormais considérées comme ayant un besoin humanitaire.
Les partenaires de l’ONU indiquent que la pénurie alimentaire augmentera fortement au cours des prochains mois et le PNUD prévoit que les effets combinés du coup d’État et de la pandémie de COVID-19 pourraient plonger près de la moitié de la population du Myanmar dans la pauvreté cette année.
Excellences,
La répression sévère des droits à la liberté de réunion pacifique, d’expression et d’information, y compris l’accès à Internet, n’a pas empêché le pays de rejeter le coup d’État. La plupart des protestations ont été exprimées de manière pacifique, comme la grève silencieuse organisée par les syndicats et d’autres parties prenantes lors de la Journée des droits de l’homme en décembre 2021, ainsi que de nombreuses autres formes de protestation et de boycott.
Malgré tout, les militaires ont répondu à toute dissidence, qu’il s’agisse d’actes de désobéissance civile ou d’actes de violence, de la même manière : par l’utilisation de la force létale, par des arrestations arbitraires massives et par le recours à la torture. Des sources fiables ont recensé la mort de plus de 1 600 personnes, dont beaucoup participaient à des manifestations pacifiques. Au moins 350 de ces personnes sont mortes en détention militaire, soit plus de 21 % du total des décès.
Depuis février 2021, plus de 500 000 personnes ont été contraintes d’abandonner leur foyer et au moins 15 000 auraient quitté le pays. Elles viennent s’ajouter aux quelque 340 000 personnes déplacées à l’intérieur du pays avant février 2021 et à plus d’un million de réfugiés, pour la plupart des Rohingya.
Excellences,
La résistance armée a fait l’objet de ripostes militaires disproportionnées et particulièrement violentes dans les régions de Sagaing et de Magway, ainsi que dans les États chin, kachin, kayah, kayin et shan. La Tatmadaw s’en est prise à la fois à des groupes de résistance armés et à des civils en utilisant des hélicoptères de combat et des frappes aériennes, et en faisant un usage aveugle de la force à leur encontre. À travers le pays, les forces militaires ont employé la stratégie dite des « quatre blocages » pour punir les communautés locales pour leur soutien présumé aux éléments armés.
Ces attaques se sont produites en conjonction avec des arrestations massives, des exécutions sommaires et des actes de torture.
Ces opérations ressemblent à celles employées dans l’État rakhine en 2016 et 2017. La Tatmadaw a mené plus de 400 attaques dans des zones peuplées au cours desquelles des milliers de maisons et d’autres bâtiments ont été détruits, y compris des églises et des magasins d’alimentation, et des mines terrestres ont été utilisées. L’Organisation mondiale de la Santé a également enregistré au moins 286 attaques contre des installations et du personnel de santé depuis février 2021.
Dans la région de Sagaing, la tentative de l’armée d’écraser toute opposition s’est intensifiée avec une recrudescence des attaques contre les civils. Dans le canton de Pale, les troupes de la Tatmadaw ont brûlé jusqu’à 2 000 maisons, magasins d’alimentation et autres bâtiments dans huit villages entre la fin du mois de janvier et le mois de février de cette année. Plus de 171 000 personnes sont à présent déplacées, beaucoup d’entre elles ayant trouvé refuge dans la jungle, incapables de répondre à leurs besoins fondamentaux et sans possibilité de rentrer chez elles.
Les opérations militaires reposent de plus en plus sur des bombardements et des frappes aériennes aveugles dans l’État kayah, notamment dans les zones peuplées des cantons de Loikaw et Demoso. Ces actions ont tué et blessé des civils, notamment des personnes déplacées, des enfants et un travailleur humanitaire, et ont détruit des maisons et d’autres biens, notamment des églises. Le 24 décembre 2021, dans le canton de Hsupro, les forces militaires auraient tué et brûlé jusqu’à 40 civils, dont quatre enfants et deux travailleurs humanitaires. Depuis lors, la poursuite du conflit a provoqué le déplacement de plus de la moitié de la population de Loikaw, la capitale de l’État.
Ces opérations constituent clairement une violation du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire.
Excellences,
Le Myanmar risque de plus en plus l’effondrement de son État, avec des systèmes économiques, éducatifs, sanitaires et de protection sociale en ruines. L’effondrement du système de santé a déjà eu des conséquences dévastatrices pour la lutte contre la COVID-19 au Myanmar. Les précieux acquis du pays en matière de développement ont été détruits par le conflit et l’abus de pouvoir des militaires.
Je reste extrêmement préoccupée par la sécurité et les droits des défenseurs des droits de l’homme et des autres acteurs de la société civile. Il n’y a pour ainsi dire plus d’espace civique dans tout le pays. La surveillance intense opérée, notamment par des moyens numériques, représente un danger accru pour les militants dans toutes les zones contrôlées par l’armée.
Les autorités militaires utilisent systématiquement les arrestations et les détentions comme un outil pour cibler et intimider les personnes qui s’opposent à elles. Des sources crédibles indiquent que les forces de sécurité ont détenu plus de 12 500 personnes, dont 9 500 sont toujours en détention, parmi lesquelles au moins 240 enfants. Nombre de ces personnes auraient été soumises à des mauvais traitements constitutifs de torture. Les détenus auraient notamment été suspendus au plafond sans eau ni nourriture ; contraints de rester en isolement pendant de longues périodes ; électrocutés, parfois alors qu’on leur injectait des drogues non identifiées ; victimes de violences sexuelles, y compris de viols ; et contraints d’ingérer du porc dans le cas des détenus musulmans.
La situation des Rohingya, qui sont persécutés depuis des décennies, reste désastreuse et aucune solution n’est en vue. Les Rohingya qui restent au Myanmar sont privés de leur liberté de circulation et d’accéder aux services. Il n’existe toujours pas de solutions durables pour les déplacés internes et les conditions ne sont pas propices à des retours durables, librement consentis, dans la sécurité et la dignité dans l’État rakhine.
Excellences,
L’établissement des responsabilités reste crucial pour trouver une solution à cette crise. Les crimes et violations des droits de l’homme commis aujourd’hui par les forces militaires du Myanmar reposent sur l’impunité avec laquelle elles ont perpétré le massacre des Rohingya il y a quatre ans – et d’autres opérations similaires menées contre des minorités ethniques au cours des décennies précédentes.
Il est clair qu’il faudra trouver une solution politique pour rétablir la démocratie et un régime civil.
Toutefois, ce dialogue ne peut pas, et ne doit pas, remplacer la nécessité urgente de demander des comptes aux responsables de ces graves violations des droits de l’homme.
Le peuple du Myanmar mérite, et réclame massivement que justice soit faite.
Nous devons redoubler d’efforts pour faire progresser les résultats tangibles du consensus en cinq points obtenu par l’ASEAN en avril 2021. À ce jour, peu de progrès ont été accomplis. En particulier, le général en chef Min Aung Hlaing n’a pas réussi à mettre fin aux violences ni à permettre un accès adéquat à l’aide humanitaire.
Excellences,
La communauté internationale et toutes les parties doivent agir de toute urgence pour mettre fin aux violences et répondre aux besoins humanitaires au Myanmar.
Le peuple du Myanmar a clairement exprimé son rejet de ce coup d’État et de la violence qui s’en est suivie. Il exige que sa voix soit entendue et d’avoir son mot à dire sur son avenir démocratique.
Il est temps pour nous tous de l’écouter.