Notes de conférence de presse Haut-Commissariat aux droits de l’homme
Conférence de presse de Michelle Bachelet, Haute-Commissaire des Nations unies aux droits de l'homme
25 août 2022
Bonjour à tous. Merci à tous de vous joindre à nous aujourd'hui – en présentiel et en ligne.
Comme vous le savez, après quatre années de service en qualité de Haute-Commissaire des Nations unies aux droits de l'homme, mon mandat prendra fin la semaine prochaine, le 31 août.
Le monde a fondamentalement changé au cours de mon mandat.
L'impact profond de la pandémie de COVID-19, les effets toujours plus importants du changement climatique, et les chocs successifs aux crises alimentaire, énergétique et financière résultant de la guerre contre l'Ukraine.
La polarisation entre et au sein des États a atteint des niveaux extraordinaires mettant en péril le multilatéralisme.
D'importants mouvements de protestation ont eu lieu dans toutes les régions du monde pour réclamer la fin du racisme structurel, le respect des droits économiques et sociaux, ainsi que pour lutter contre la corruption, les déficits de bonne gouvernance et les abus de pouvoir - dans de nombreux cas accompagnés de violences, de menaces et d'attaques contre les manifestants et les défenseurs des droits de l'homme. Quelques uns de ces mouvements ont conduit à un véritable changement dans certains pays. Dans d'autres cas, plutôt que d'écouter la voix du peuple, les gouvernements ont répondu en réduisant l'espace public pour des débats contradictoires.
Au cours des derniers mois - dès que la situation du COVID m'a permis de reprendre les visites officielles de pays - je me suis rendu au Burkina Faso, au Niger, en Afghanistan, en Chine, en Bosnie Herzégovine, au Pérou et au Bangladesh. J'ai pu constater de visu l'impact du changement climatique, des conflits armés, de la crise alimentaire, énergétique et financière, des discours haineux, de la discrimination systématique et des problèmes de droits de l'homme liés à la migration, entre autres.
Le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme s'est efforcé, de multiples façons, de contribuer à la surveillance, à l'engagement et au plaidoyer en faveur de la protection et de la promotion des droits de l'homme. Comme je l'ai déjà dit, à l'ONU, le dialogue, l'engagement, la coopération, le suivi, et le plaidoyer public doivent faire partie de notre ADN à tous. Nous nous sommes efforcés de combler le fossé entre les gouvernements et la société civile, de soutenir la mise en œuvre nationale des obligations en matière de droits de l'homme et de fournir des conseils sur les réformes visant à mettre les lois et les politiques en conformité avec les normes internationales, d'étendre notre présence dans les pays afin d'être plus proche et de mieux travailler, en étroite collaboration avec les personnes sur le terrain. Nous nous sommes exprimés en privé et en public sur des questions spécifiques à certains pays et sur des questions plus générales. Et nous avons constaté des progrès.
La reconnaissance du droit humain à un environnement propre, sain et durable par l'Assemblée générale des Nations unies le mois dernier a marqué l'aboutissement de nombreuses années de plaidoyer de la société civile. Je suis fière du soutien que mon Bureau a apporté à ce mouvement tout au long de mon mandat. Les événements climatiques extrêmes de ces derniers mois ont une fois de plus mis en évidence, avec force, le besoin existentiel d'une action urgente pour protéger notre planète au bénéfice des générations actuelles et futures. Répondre à ce besoin est le plus grand défi de notre époque en matière de droits de l'homme - et tous les États ont l'obligation de travailler ensemble sur ce sujet, et de joindre le geste à la parole, pour mettre pleinement en œuvre le droit à un environnement sain. La réponse à la triple crise planétaire de la pollution, du changement climatique et de la perte de biodiversité doit être centrée sur les droits de l'homme, notamment les droits à la participation, à l'accès à l'information et à la justice, et en s'attaquant à l'impact disproportionné des atteintes à l'environnement sur les plus marginalisés et les plus défavorisés.
Des progrès constants ont également été accomplis en vue de l'abolition de la peine de mort : 170 États ont aboli ou instauré un moratoire, en droit ou en pratique, ou suspendu les exécutions depuis plus de dix ans.
La République centrafricaine, le Tchad, le Kazakhstan, la Sierra Leone et la Papouasie Nouvelle-Guinée figurent parmi les pays qui ont pris des mesures pour abolir totalement la peine de mort.D'autres États, dont le Liberia et la Zambie, envisagent aussi activement l'abolition. La Malaisie a annoncé qu'elle allait abolir la peine de mort obligatoire dans le pays, y compris pour les délits liés à la drogue. À ce jour, 90 États ont ratifié le deuxième protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le principal traité international interdisant l'application de la peine de mort. Des inquiétudes subsistent toutefois quant à la reprise ou à l'augmentation du recours à la peine capitale dans d'autres pays, notamment en Arabie saoudite, en Iran, au Myanmar et à Singapour. D'autres pays, comme la Chine et le Viêt Nam, continuent de classer les données relatives à la peine de mort comme un secret d'État, ce qui limite les possibilités d’examen.
Dès le début de mon mandat, j'ai fait pression pour une plus grande reconnaissance de l'indivisibilité et de l'interdépendance des droits économiques, sociaux et culturels avec les droits civils et politiques. Les effets de la pandémie et de la guerre en Ukraine ont mis en lumière cette interdépendance.
Les États doivent tirer les leçons de la pandémie et de l'actuelle crise alimentaire, énergétique et financière en élaborant des mesures à long terme pour mettre en place des systèmes de santé publique et de protection sociale universels, meilleurs et plus solides. La couverture sociale doit faciliter l'accès aux soins de santé, protéger les personnes contre la pauvreté et garantir les droits économiques et sociaux essentiels, notamment la nourriture, l'eau, le logement, la santé et l'éducation. Je demande également aux États d'adopter des mesures proactives, notamment des subventions à l'alimentation, à l'agriculture et aux carburants, pour atténuer l'impact des crises.
Toutes ces mesures doivent être conçues de manière à ce que les populations fassent partie de la solution, en investissant en faveur d’un cadre de participation et de débats inclusifs, sûrs et significatifs à tous les niveaux.
Gouverner est difficile - je le sais car j'ai été deux fois Présidente de mon pays, le Chili. Il y a toujours beaucoup de demandes pressantes, de défis et de problèmes à résoudre. Mais gouverner, c'est établir des priorités - et les droits de l'homme doivent toujours être une priorité. Dans de nombreuses situations que le Bureau a pu couvrir, il y a eu un manque de volonté politique pour prendre les mesures nécessaires afin de s'attaquer de front à une situation. La volonté politique est essentielle - et quand il y a une volonté, les moyens suivent.
Les États invoquent souvent leur propre contexte particulier lorsqu'ils sont confrontés à des allégations de violations des droits de l'homme et lorsqu'ils sont appelés à prendre des mesures pour y remédier. Le contexte est effectivement important - mais le contexte ne doit jamais être utilisé pour justifier des violations des droits de l'homme.
Dans de nombreux cas, un plaidoyer soutenu sur les questions clés des droits de l'homme, fondé sur les lois et les normes internationales en la matière, porte ses fruits. En Colombie, ce mois-ci, la nouvelle administration s'est engagée à modifier son approche de la politique en matière de drogues, en passant d'une approche coercitive à une approche plus sociale de santé publique. En s'attaquant à l'une des causes profondes de la violence en Colombie, cette approche pourrait contribuer à mieux protéger les droits des paysans, des communautés indigènes et afro-colombiennes et des personnes qui consomment des drogues, tant en Colombie que dans le monde. Mon bureau a plaidé - au niveau mondial - pour que les politiques de lutte contre la drogue soient fondées sur les droits de l'homme, et il se tient prêt à apporter son soutien.
La mobilisation mondiale pour la justice raciale, notamment en 2020, a forcé une prise de conscience longtemps retardée de la discrimination raciale et a fait évoluer les débats vers une focalisation sur le racisme systémique et les institutions qui le perpétuent. J'appelle tous les États à saisir ce moment pour parvenir à un tournant en faveur de l'égalité et de la justice raciale. Mon Bureau travaille actuellement sur son deuxième rapport au Conseil des droits de l'homme des Nations unies sur cette question, qui sera présenté le mois prochain.
J'ai toujours cherché - même sur les questions les plus difficiles - à encourager le dialogue, à ouvrir la porte à de nouveaux échanges. Cela implique d'écouter autant que de parler, de rester attentif au contexte, d'identifier les points d'entrée et les obstacles, et d'essayer d'instaurer progressivement la confiance, même lorsque cela semble improbable.
Au cours de mes quatre années en tant que Haute-Commissaire, j'ai eu le privilège d’échanger avec un bon nombre de défenseurs des droits de l'homme courageux, débordant d’énergie et extraordinaires :
Les courageuses et indomptables femmes défenseurs des droits de l'homme en Afghanistan ;
Les mères déterminées de disparus au Méxique ;
Le personnel motivé qui travaille dans un centre de santé à Bunia, en République démocratique du Congo, au service des victimes de violences sexuelles ;
La sagesse et la force des peuples autochtones du Pérou, qui sont en première ligne face aux conséquences du changement climatique, de l'exploitation minière et forestière illégale, et qui défendent leurs droits face à des risques graves ;
Et l'empathie et la générosité des communautés qui accueillent les personnes déplacées au Burkina Faso.
J'ai trouvé des alliés chez les chefs de village traditionnels au Niger, qui œuvraient à leur manière pour faire progresser les droits de l’homme dans leurs communautés ;
J'ai rencontré des jeunes en Malaisie, au Suède, en Australie, au Costa Rica et ailleurs dont l'ingéniosité, la créativité et l'ambition étaient palpables ;
J'ai partagé la douleur d’un père au Venezuela qui m'a montré les médailles sportives que son fils adolescent avait gagnées, avant qu'il ne soit tué lors de manifestations en 2017 ;
Et j'ai partagé les larmes d'une mère que j'ai rencontrée à Srebrenica et qui portait en elle l'espoir que, 27 ans après la disparition de son fils, elle retrouvera un jour sa dépouille et le fera reposer près de la tombe de son père.
La semaine dernière, j'ai parlé avec des réfugiés rohingyas à Cox's Bazar.
Un enseignant que j'ai rencontré m'a dit qu'il avait obtenu des distinctions dans toutes ses classes à l'école au Myanmar et qu'il rêvait de devenir médecin. Au lieu de cela, il a passé les cinq dernières années dans un camp de réfugiés, ayant dû fuir son pays - parce qu'il est Rohingya. "Il m'arrive encore de pleurer la nuit quand je me souviens de mon rêve", m'a-t-il dit, ajoutant : "mes amis bouddhistes sont maintenant médecins au Myanmar".
Ma propre expérience en tant que réfugiée a été beaucoup plus confortable, avec les moyens de poursuivre mes études et un bon niveau de vie - mais la nostalgie de leur patrie, et le désir de tant de Rohingyas de rentrer chez eux a résonné profondément en moi. Malheureusement, les conditions nécessaires pour qu'ils puissent y retourner de manière volontaire, digne et durable ne sont pas encore réunies.
Aujourd'hui, cela fait cinq ans que plus de 700 000 femmes, enfants et hommes rohingyas ont été contraints de fuir le Myanmar pour le Bangladesh - et la catastrophe des droits de l'homme au Myanmar continue de s'aggraver, l'armée (le Tatmadaw) poursuit des opérations militaires dans les régions de Kayah et Kayin, dans le sud-est, dans l'État Chin, dans le nord-ouest, et dans les régions de Sagaing et Magway, dans le cœur des Bamar. L'utilisation de la puissance aérienne et de l'artillerie contre les villages et les zones résidentielles s'est intensifiée. Les récents pics de violence dans l'État de Rakhine semblent également indiquer que la dernière région relativement stable du pays pourrait ne pas éviter une résurgence du conflit armé. Les communautés rohingyas ont souvent été prises en étau entre les combattants de la Tatmadaw et de l'armée d'Arakan ou ont été directement visées par des opérations. Plus de 14 millions d'entre eux ont besoin d'une aide humanitaire.
Nous continuons à documenter des violations flagrantes des droits de l'homme au quotidien, ainsi qu'un recours systématique et généralisé à des tactiques qui visent des civils et pour lesquelles nous avons des motifs raisonnables de croire que des crimes contre l'humanité et de crimes de guerre sont commis.
Je demande instamment à la communauté internationale d'intensifier la pression sur l'armée pour qu'elle mette fin à sa campagne de violence contre la population du Myanmar, d'insister sur le rétablissement rapide d'un régime civil et de demander des comptes pour les crimes commis par les forces de sécurité.
Hier, cela faisait six mois que la Russie a envahi l'Ukraine. Six mois incroyablement terrifiants pour le peuple ukrainien, dont 6,8 millions ont dû fuir leur pays. Des millions d'autres ont été déplacés à l'intérieur du pays. Nous avons recensé au moins 5 587 civils tués et 7 890 blessés. Parmi ces victimes, près de 1 000 sont des enfants.
Six mois plus tard, les combats se poursuivent, avec des risques impensables pour les civils et l'environnement, liés aux hostilités menées à proximité de la centrale nucléaire de Zaporizhzhia.
J’appelle le Président russe à mettre fin à l'attaque armée contre l'Ukraine.
La centrale de Zaporizhzhia doit être immédiatement démilitarisée.
Les deux parties doivent veiller à respecter, à tout moment et en toutes circonstances, le droit international des droits de l'homme et le droit international humanitaire.
La communauté internationale doit insister sur le principe de responsabilité pour les nombreuses violations graves documentées, dont certaines pourraient s'apparenter à des crimes de guerre.
Je suis alarmée par la reprise des hostilités dans le nord de l'Éthiopie. Les civils ont suffisamment souffert - et cela ne fera qu'exacerber les souffrances des civils qui sont déjà dans une situation désespérée. J'implore le gouvernement éthiopien et le Front de libération du peuple du Tigré d'œuvrer à la détente de la situation et de cesser immédiatement les hostilités.
Je demande également que l'on se concentre à nouveau sur les crises prolongées - souvent oubliées - notamment la situation au Yémen, en Syrie, au Sahel et en Haïti.
Et je demande instamment que l'on continue à soutenir le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme, les organes de traités relatifs aux droits de l'homme des Nations unies et le mécanisme des procédures spéciales des Nations unies, qui travaillent tous sans relâche à la défense des lois et des normes internationales en matière de droits de l'homme.
Le périple pour défendre les droits de l'homme ne prend jamais fin - et la vigilance face aux reculs des droits est vitale. Je rends hommage à tous ceux qui, à leur manière, œuvrent à la défense des droits de l'homme. En tant que femme et féministe de longue date, je souhaite rendre un hommage particulier aux femmes défenseuses des droits de l'homme, qui ont été à l'avant-garde des mouvements sociaux dont nous avons tous bénéficié. Ce sont souvent elles qui ont fait entendre la voix des personnes les plus vulnérables. Je continuerai à vous soutenir lorsque je rentrerai au Chili.
Pour terminer, je voudrais vous remercier, vous les journalistes, basés ici à Genève et dans le monde entier, pour le travail indispensable que vous faites. Lorsque le Bureau des droits de l'homme de l'ONU tire la sonnette d'alarme, il est essentiel qu'elle retentisse, et cela n'est possible que si les médias du monde entier relayent l’information.
Je vous remercie.
FIN
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