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Déclarations Haut-Commissariat aux droits de l’homme

Exposé sur la situation des droits de l’homme en République bolivarienne du Venezuela

09 Septembre 2019

espagnol

Quarante-deuxième session du Conseil des droits de l'homme

Déclaration de Michelle Bachelet, Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme

TEXTE ORIGINAL EN ESPAGNOL

Le 9 septembre 2019

Monsieur le Président,
Chers membres du Conseil des droits de l'homme,
Excellences,

Depuis la présentation de mon rapport au Conseil le 5 juillet dernier, la situation des droits de l'homme a continué d'affecter des millions de personnes au Venezuela et a eu de graves répercussions dans la région.  C'est pour cette raison que je maintiens mon engagement en continuant de coopérer avec les autorités afin d'opérer des changements importants et de mettre fin aux violations des droits de l'homme indiquées dans mon rapport. 

Une équipe du HCDH est de nouveau présente à Caracas et le Gouvernement a confirmé sa volonté de faire avancer les engagements pris en matière de droits de l'homme lors de ma visite dans le pays au mois de juin.

Des progrès ont été réalisés récemment concernant la situation des centres de détention et des détenus. Le 6 septembre dernier, un membre de mon équipe a été autorisé à visiter le centre de détention militaire de Ramo Verde (notre sixième visite dans un centre de détention depuis mars). Des progrès ont également été accomplis concernant la création d'un protocole et d'un calendrier des visites pour les mois à venir. Conformément aux engagements pris avec le Haut-Commissariat, le Gouvernement a relâché 83 personnes, notamment des individus dont la détention avait été jugée arbitraire par le Groupe de travail sur la détention arbitraire mais qui étaient toujours détenus, et d'autres cas signalés par le HCDH. La libération inconditionnelle de la juge Afiuni et du journaliste Jatar Braulio, qui avaient obtenu une libération conditionnelle, est toujours en suspens. 

Le Gouvernement a également accepté d'établir un mécanisme pour traiter de cas individuels, et le Haut-Commissariat a déjà présenté 27 cas prioritaires qui, nous l'espérons, seront bientôt réglés. Les autorités ont également été informées des récentes mesures prises pour aider la situation médicale de certains détenus. En outre, le Gouvernement a également fait des progrès concernant l'invitation lancée pour autoriser dix titulaires de mandat à titre de procédures spéciales dans le pays au cours des deux prochaines années. 

En revanche, la situation économique et sociale continue de se détériorer rapidement, empêchant des millions de Vénézuéliens d'exercer leurs droits économiques et sociaux. L'économie connaît sans doute la plus grande période d'hyperinflation qu'ait connu la région, affectant la capacité de la population d'acheter les aliments de base, des médicaments, et d'autres biens de première nécessité. Aujourd'hui, le salaire minimum correspond à 2 dollars par mois, contre 7 dollars en juin dernier. Une famille aurait donc besoin de gagner l'équivalent de 41 mois de salaire minimum pour couvrir uniquement les achats alimentaires de base. La dollarisation de fait dans divers secteurs de l'économie accentue les inégalités.  Les services publics continuent d'être victimes de graves interruptions récurrentes, en particulier dans l'État de Zulia.  Les pénuries de carburant en dehors de Caracas ont exacerbé cette situation.

C'est dans ce contexte que j'ai exprimé le 8 août mon inquiétude au sujet de l'impact potentiellement grave sur les droits de l'homme des nouvelles sanctions imposées par le Gouvernement des États-Unis. Malgré les exceptions concernant l'aide humanitaire envisagées dans les dernières sanctions, le respect excessif du secteur financier, la réduction des recettes publiques et la diminution de la production de pétrole ont déjà de graves répercussions sur les programmes sociaux et sur la population de manière générale. Tout cela contribue à l'aggravation de la situation humanitaire et l'exode des Vénézuéliens du pays.  

De sérieux obstacles persistent quant à la disponibilité et à l'accessibilité économique de la nourriture. Par exemple, Caritas a indiqué en juin 2019 que 35 % des enfants de moins de cinq ans souffrent de malnutrition chronique dans les régions les plus pauvres dans 18 États.    

En ce qui concerne le droit à la santé, je suis particulièrement préoccupée par le manque d'accès aux médicaments et aux traitements par plus de 400 000 personnes atteintes de maladies chroniques. Plusieurs patients souffrant de problèmes rénaux sont décédés en raison de la pénurie de médicaments et de fournitures nécessaires pour la dialyse depuis 2017.  En raison de la pénurie de fournitures, les deux seuls centres du pays capables d'effectuer des greffes de moelle osseuse sont confrontés à de graves problèmes opérationnels. En outre, du fait de problèmes financiers, au moins 39 personnes, y compris des filles et des garçons, attendent au Venezuela de pouvoir voyager à l'étranger pour recevoir une greffe grâce à des programmes parrainés par l'État.  Au cours des quatre derniers mois, au moins quatre enfants dans cette situation sont morts. Sur une note plus positive, selon l'Organisation panaméricaine de la santé, la couverture vaccinale pour la poliomyélite, la rougeole et la diphtérie a augmenté. 

Le Haut-Commissariat a continué de répertorier les cas présumés d'exécutions extrajudiciaires commises par des membres des forces d'action spéciale de la police nationale bolivarienne – appelées FAES – dans certaines zones du pays. Pendant le mois de juillet seulement, l'organisation non gouvernementale Monitor de Victimas a identifié 57 nouveaux cas d'exécutions présumées commises par des membres des FAES à Caracas. Les cas identifiés révèlent le même schéma identifié dans mon rapport de juillet et montrent l'absence de mécanismes de protection efficaces pour les témoins et les membres de la famille des victimes, dont la majorité sont des femmes. Le HCDH n'a pas reçu d'informations concernant des mesures prises pour mettre en œuvre la recommandation faite dans mon rapport de dissoudre les FAES et d'empêcher les exécutions extrajudiciaires. Au contraire, les FAES ont reçu l'appui du plus haut niveau du Gouvernement. 

Selon des informations récemment reçues du ministère public, 104 membres des forces de sécurité ont été reconnus coupables de violations des droits de l'homme entre août 2017 et mai 2019.  Le Haut-Commissariat attend de recevoir des renseignements détaillés sur les types de violations, l'institution à laquelle les personnes condamnées appartiennent et le profil des victimes.  

En juin, la Cour suprême a confirmé la condamnation d'un membre du service de renseignement national bolivarien (SEBIN) pour le meurtre de Bassil Dacosta, qui est mort d'une balle dans la tête au cours d'une manifestation antigouvernementale en 2014. En outre, l'une des personnes présumées responsables de la mort d'Orlando Figuera, qui a été brûlé vif lors de manifestations organisées par l'opposition en 2017, a été arrêtée en Espagne.  Je demande aux autorités judiciaires d'accélérer les enquêtes et les procédures pénales des autres cas de décès survenus lors de manifestations. 

Je suis préoccupée par l'augmentation de la présence militaire dans le territoire des peuples Pemon, ainsi que par les récents actes de violence perpétrés contre les peuples autochtones, y compris le décès de deux jeunes Warao en juillet dernier, vraisemblablement par les FAES, le décès d'une femme enceinte Warao et d'une fillette de 6 ans, ainsi que le décès d'un chef Curripaco dans l'État d'Amazonas, imputé à des membres de la garde nationale bolivarienne. 

Je suis également préoccupée par l'impact de l'extraction de l'or, de diamants, de coltan et d'autres métaux dans l'Arco Minero del Orinoco (la « ceinture minière ») sur le mode de vie des peuples autochtones, ainsi que par l'impact de ces exploitations sur l'environnement dans leurs territoires.  Bien que le Gouvernement insiste avoir mené des consultations avec les peuples autochtones avant la création de l'Arco Minero, les chefs autochtones et les ONG maintiennent qu'aucune consultation adéquate ni aucune étude d'impact environnemental n'a eu lieu. 

Depuis la présentation de mon rapport, l'Assemblée nationale constituante, à la demande de la Cour suprême, a levé l'immunité parlementaire de quatre députés supplémentaires de l'Assemblée nationale, ce qui porte à 24 le nombre de parlementaires (1 femme et 23 hommes) ayant perdu leur immunité, y compris le président de l'Assemblée. Deux parlementaires sont actuellement en détention préventive en attendant leur procès. Je compte sur le fait que le Haut-Commissariat sera en mesure de leur rendre visite bientôt. 

Je tiens à exprimer ma réprobation quant à la conviction du dirigeant syndical Ruben Gonzalez à 5 ans et 9 mois de prison par un tribunal militaire le 13 août pour des événements qui ont eu lieu dans le contexte de son militantisme en tant que syndicaliste. Sa famille a également été victime de diverses formes de harcèlement. Le jugement de civils par un tribunal militaire constitue une violation du droit à un procès équitable, y compris le droit d'être jugé par un tribunal indépendant et impartial. 

Je suis préoccupée par les mesures prises récemment pour adopter une loi qui punit les activités d'organisations des droits de l'homme vénézuéliennes recevant des fonds de l'étranger. Cette loi, si elle était adoptée et appliquée, aurait pour effet de réduire davantage l'espace démocratique. Je regrette également les récentes attaques lancées par le Gouvernement à l'encontre de l'indépendance des universités. 

Le Haut-Commissariat a fait état de cas de torture et de mauvais traitements, à la fois physiques et psychologiques, sur des personnes arbitrairement privées de leur liberté, en particulier des militaires.  Les conditions de détention ne répondent pas aux normes minimales internationales et les personnes détenues n'ont pas accès à des soins médicaux appropriés.  Je demande aux autorités nationales de prendre les mesures nécessaires pour remédier à ces pratiques, de permettre l'accès aux soins médicaux, et d'enquêter sur les violations des droits de l'homme. 

L'autopsie du capitaine Acosta Arevalo, mort en garde à vue le 29 juin, a révélé qu'il avait subi de multiples coups, contusions, plaies et brûlures sur plusieurs parties du corps. Il avait 15 côtes cassées, ainsi que des fractures au nez et au pied droit.  Les autorités ont signalé que deux agents du contre-espionnage militaire (DGCIM) avaient été arrêtés et accusés de meurtre au second degré, mais pas d'actes de torture.  J'encourage les autorités à enquêter sur les allégations de torture, à punir les responsables, à offrir des réparations aux victimes, et à adopter des mesures pour éviter que ces situations ne se reproduisent. 

Selon les derniers chiffres des Nations Unies, il existe plus de 4,3 millions de réfugiés et de migrants vénézuéliens dans le monde. Je salue les efforts entrepris par les pays hôtes en matière d'accueil, de documentation et d'accès aux droits. Je partage le point de vue d'Eduardo Stein, Représentant spécial du Secrétaire général pour les réfugiés et les migrants vénézuéliens, et bien que je comprenne la nécessité d'adopter des mesures visant à garantir des migrations sûres, ordonnées et régulières, ces mesures ne devraient pas constituer des obstacles à l'accès aux pays, pouvant entraîner une augmentation de la migration irrégulière et exacerber les risques des migrants de devenir victimes de diverses formes de violence et d'exploitation.   Je suis préoccupée par les rapports faisant état d'une montée de la xénophobie dans les pays de la région et je réitère mon appel aux autorités des pays d'accueil pour qu'ils remédient à cette situation et préviennent de tels phénomènes, tout en préservant les droits des migrants et des réfugiés. 

Le Haut-Commissariat a continué de répertorier des cas de migrants victimes de la traite, en particulier des femmes, des filles et des garçons, à des fins d'exploitation sexuelle, de main d'œuvre et de recrutement pour des activités illicites par des organisations criminelles et des groupes armés. Les victimes dénoncent rarement ces faits par crainte de représailles ou d'être expulsées, et à cause de la corruption, de l'impunité, et du manque de services de prise en charge adaptés. Par ailleurs, plusieurs rapports font état de la disparition de dizaines de migrants dont les bateaux se sont échoués ou ont disparu sur la côte caraïbe, vraisemblablement en lien avec des réseaux de trafiquants et la traite d'êtres humains à destination des îles Caraïbes. 

Je suis préoccupée par les informations reçues par le HCDH selon lesquelles certaines organisations de la société civile et leurs représentants ayant collaboré avec le personnel du Haut-Commissariat pour la préparation mon dernier rapport au Conseil ont été victimes de condamnations publiques et de menaces de la part de hauts responsables après la publication du rapport. Toute forme de représailles pour avoir coopéré avec les Nations Unies est inacceptable et j'exhorte les autorités à prendre des mesures préventives. 

Je reste convaincue que les recommandations figurant dans mon rapport peuvent servir de guide pour résoudre la situation actuelle des droits de l'homme. Le Haut-Commissariat continuera de fournir la coopération technique et l'appui nécessaires aux institutions et aux victimes, tout en continuant de surveiller la situation et d'en faire rapport. 

Je réitère mon appel à la fois au Gouvernement et à l'opposition pour qu'ils surmontent leurs divergences et donnent la priorité aux négociations, ce que je considère être la seule façon de surmonter la situation actuelle des droits de l'homme. Je réitère ma disponibilité et celle du Haut-Commissariat, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays, dans le but de soutenir tous les efforts pouvant contribuer à surmonter la crise actuelle, qui affecte des millions de Vénézuéliens. J'apporte mon soutien au dialogue engagé par le Royaume de Norvège, ainsi qu'aux diverses initiatives lancées par la communauté internationale. 

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