Déclarations Haut-Commissariat aux droits de l’homme
Compte rendu du Haut-Commissaire sur la situation des droits humains au Venezuela
03 juillet 2024
Prononcé par
Volker Türk, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme
Compte rendu sur la situation des droits humains en République bolivarienne du Venezuela, en vertu de la résolution 51/29 du Conseil des droits de l’homme
Madame la Vice-Présidente,
Excellences,
Mesdames et Messieurs les délégués,
En concluant ma visite au Venezuela en janvier 2023, j’avais souligné que le HCDH était prêt à servir de passerelle entre les institutions de l’État et la population du pays.
Un peu plus d’un an plus tard, les autorités ont soudainement décidé de suspendre les activités du HCDH et ont demandé à mon personnel de partir, une décision profondément regrettable et en contradiction avec le mémorandum d’accord que nous avions signé.
Je prends note des indications récentes selon lesquelles le rétablissement de la présence du HCDH au Venezuela pourrait être possible. Nous poursuivrons nos efforts à cet égard, afin de garantir que les conditions nécessaires sont en place pour permettre au HCDH de s’acquitter de l’intégralité de son mandat.
Madame la Vice-Présidente,
Bien que les chiffres officiels indiquent une croissance de 5 % du PIB en 2023, la population vénézuélienne est toujours confrontée à de sérieux obstacles en matière d’accès à la nourriture, à la santé et à l’éducation. Les femmes, les habitants des zones rurales et les peuples autochtones sont particulièrement affectés.
Entre juillet et août 2023, les rapports reçus par le HCDH suggèrent que 74,6 % des centres de santé du pays manquaient de personnel médical et 73,5 % de personnel infirmier.
L’avortement continue d’être réprimé, ce qui conduit à des procédures dangereuses et entraîne une mortalité et une morbidité maternelles.
Les manifestations en faveur d’un salaire minimum décent et d’un niveau de vie adéquat se sont poursuivies, les travailleurs du secteur public et les retraités, en particulier, ayant du mal à joindre les deux bouts.
Je demande instamment aux autorités de prendre des mesures pour répondre à toutes ces préoccupations (en matière de santé, d’éducation, d’alimentation et de rémunération digne) conformément aux obligations internationales de l’État.
Les sanctions sectorielles ont exacerbé les problèmes préexistants en matière de droits humains et doivent être levées.
Madame la Vice-Présidente,
Je prends note de la libération de deux dirigeants syndicaux le 24 juin. Cela porte à 65 le nombre total de personnes libérées à la suite d’une détention arbitraire depuis mai 2023, dont neuf femmes. Beaucoup de ces libérations dépendent de comparutions régulières devant les tribunaux.
Je réitère mon appel à la libération de toutes les personnes détenues arbitrairement au Venezuela, y compris celles qui restent en détention provisoire au-delà des limites fixées par la législation nationale. Cela est le cas du défenseur des droits humains Javier Tarazona, qui a terminé mardi sa troisième année complète de détention et dont l’état de santé se détériore.
Entre avril 2023 et février 2024, le Haut-Commissariat a effectué neuf visites dans des centres de détention vénézuéliens situés dans cinq États différents, et s’est entretenu avec 146 personnes privées de liberté, dont 46 femmes, en vue d’améliorer les conditions de détention, notamment l’accès à la santé et à la nourriture.
Dans le cadre des transferts de détenus vers la prison de haute sécurité Rodeo I, je suis particulièrement préoccupé par les informations faisant état d’intimidations et de mauvais traitements contre des détenus, leurs proches et leurs avocats, ainsi que par le manque général d’informations et d’accès pour les conseillers juridiques et les membres de la famille.
Je reste préoccupé par le fait que des personnes continuent d’être inculpées de chefs d’accusation liés au terrorisme qui ne sont pas conformes aux normes internationales en matière de droits humains, à savoir les principes de légalité et de sécurité juridique, et que le droit à un procès équitable est également menacé. Au cours de l’année écoulée, le HCDH a recensé 29 cas de personnes poursuivies en vertu de la législation pertinente.
Depuis mai 2023, le HCDH a également recensé 28 cas de personnes détenues, certaines perçues comme exprimant des opinions dissidentes, dont le lieu de détention a été caché à leurs proches et à leurs avocats, malgré les efforts de leurs familles pour obtenir des informations auprès des autorités. Cela s’est produit sur des périodes allant de deux à 41 jours, ce qui équivaut à une disparition forcée. Toutes les allégations de disparitions forcées doivent faire l’objet d’une enquête et de poursuites, et cette pratique doit cesser.
Je salue les récents verdicts prononcés contre sept agents de la Force d’action spéciale, aujourd’hui dissoute, pour des homicides perpétrés lors d’opérations de sécurité entre 2018 et 2019. Je demande instamment que les auteurs de violations commises lors d’opérations de sécurité et de manifestations répondent pleinement de leurs actes, notamment par la garantie de l’accès des victimes à la justice et à des voies de recours.
Madame la Vice-Présidente,
La prochaine élection présidentielle qui se tiendra le 28 juillet, ainsi que les élections locales, régionales et législatives prévues pour 2025, sont des occasions phares de respecter la volonté du peuple.
Je déplore que les restrictions de l’espace civique se multiplient.
Nous avons besoin au contraire d’un espace de débat libre et ouvert.
Le HCDH continue de recevoir des rapports faisant état de détentions à l’approche du jour des élections, y compris de partisans et de membres de l’opposition.
Cela ne laisse rien présager de bon et j’appelle à un changement de pratiques.
Au cours de l’année écoulée, le HCDH a constaté avec inquiétude une augmentation des menaces, du harcèlement et des attaques contre des acteurs de la société civile, des journalistes, des syndicalistes et d’autres voix jugées critiques, notamment par le biais d’arrestations et de poursuites judiciaires, ainsi que 38 cas de détention arbitraire. Nous pouvons citer notamment Rocío San Miguel et Carlos Julio Rojas, qui sont détenus respectivement depuis le 9 février et le 15 avril 2024, sans avoir accès au conseiller juridique de leur choix.
Nous restons également préoccupés par le projet de loi sur les organisations non gouvernementales et leur financement, ainsi que par l’introduction d’un projet de loi contre le fascisme, le néofascisme et les expressions similaires, qui contient des définitions vagues et larges. Je réitère mon appel à ne pas adopter de législation qui restreindrait davantage le droit de participer aux affaires publiques et les libertés d’association et d’expression. C’est d’ailleurs l’un des sujets que j’ai abordés lors de ma visite au Venezuela l’année dernière.
Les 10 nouveaux cas de fermeture injustifiée de radios, recensés par le HCDH, et le blocage d’au moins 50 sites Web, soit 6 de plus qu’au cours de la période précédente, sont également inquiétants.
J’encourage les autorités à lever les restrictions sur l’espace civique, à le protéger et à garantir des processus électoraux totalement transparents, inclusifs et participatifs, conformément aux normes internationales.
J’appelle également tous les acteurs à respecter les engagements pris dans l’Accord de la Barbade.
Madame la Vice-Présidente,
Entre janvier et novembre 2023, 186 cas de féminicides ont été signalés. Il est essentiel d’enquêter sur ces meurtres et de renforcer les efforts de prévention et les mesures prises pour y répondre. Un protocole élaboré par le Bureau du Procureur général est une première étape, mais il faut aller beaucoup plus loin.
La discrimination, les discours désobligeants des fonctionnaires et la violence contre les personnes LGBTIQ+ persistent. Selon une organisation, 28,7 % des personnes LGBTIQ+ interrogées ont déclaré avoir subi des actes de violence de la part des forces de sécurité de l’État.
Les violations des droits des peuples autochtones se poursuivent malheureusement, notamment dans le cadre des actions visant à lutter contre l’exploitation minière illégale. Je réitère mes appels à la démarcation des territoires autochtones.
Le HCDH a également recueilli des informations sur l’usage excessif de la force et les mauvais traitements infligés par les forces de l’ordre au peuple yukpa dans l’État de Zulia. Je demande instamment aux autorités d’enquêter pleinement sur les actes de discrimination et de violence contre les populations autochtones et d’en poursuivre les auteurs.
Madame la Vice-Présidente,
Instaurer la confiance, c’est la seule façon d’avancer, surtout en cette période électorale.
J’encourage toutes les personnes au pouvoir à prendre des engagements concrets en ce sens. Aujourd’hui, plus que jamais, un dialogue constructif et ouvert entre les citoyens et avec les institutions de l’État est essentiel pour surmonter les profondes divisions et reconstruire le contrat social entre les Vénézuéliens.
Merci.