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Traite des êtres humains

Un survivant de la traite appelle à « une prise en compte systématique des droits humains »

01 Décembre 2023

Suamhirs Piraino-Guzman et son chien d’assistance (à droite), lors d’une conversation avec le Haut-Commissaire des Nations Unies Volker Türk, le 29 novembre 2023 à Genève, en Suisse. © HCDH/Philippe Liondjo

Suamhirs Piraino-Guzman avait 14 ans lorsqu’il a été victime de la traite. Arraché à son Honduras natal, il a été emmené clandestinement par ses ravisseurs en Californie, aux États-Unis. Retenu prisonnier et régulièrement drogué, il s’est retrouvé seul dans une pièce sombre et sans fenêtre, et a enduré des souffrances inimaginables.

« Pendant six longs mois, on m’a vendu au plus offrant », a-t-il déclaré.

Près de 20 ans plus tard, cet homme, qui a survécu à l’exploitation sexuelle et à la traite des enfants, est aujourd’hui un fervent défenseur de l’intérêt général et un membre actif des réseaux de survivants. Il entame également sa deuxième année en tant que président du conseil d’administration du Fonds de contributions volontaires des Nations Unies pour la lutte contre les formes contemporaines d’esclavage.

« Les survivants de la traite et de l’esclavage sont en première ligne dans la lutte contre la traite des êtres humains et les violations des droits humains », a déclaré M. Piraino-Guzman. « Cependant, peu d’hommes survivants de la traite demandent de l’aide, car nous sommes confrontés à la stigmatisation et à la honte en raison de notre sexe. Beaucoup des services qui m’ont été proposés n’ont pas fonctionné, car ils ne reflétaient pas les complexités de la traite des êtres humains et des formes contemporaines d’esclavage. Ils ne comprenaient pas comment un homme pouvait être victime d’une agression sexuelle grave. »

Tout a basculé le jour où la police a fait irruption dans la maison où il était séquestré depuis six mois. Bien qu’il ait été immédiatement transporté à l’hôpital pour y recevoir les soins nécessaires, il a rapidement été envoyé dans un centre de détention pour migrants géré par le service de l’immigration et des douanes des États-Unis.

Ils m’ont d’abord vu comme un immigrant qui n’avait à priori pas le droit d’être aux États-Unis, alors que j’avais été exploité dans le pays.

Suamhirs Piraino-Guzman

Il a dû attendre 3 ans avant de recevoir une lettre officielle reconnaissant son statut de victime de la traite. Pendant ce temps, il fut livré à lui-même, inquiet pour sa sécurité et sa survie. N’étant pas autorisé à travailler, il a été exposé à d’autres incriminations.

« J’ai été présenté à un juge, qui a ordonné qu’on me prescrive des médicaments à fortes doses, car selon lui, j’avais été agressé sexuellement tellement de fois que j’allais probablement faire quelque chose à quelqu’un d’autre », a-t-il expliqué. « J’ai été traité comme un criminel à cause de mon traumatisme, à la fois par le système d’immigration américain et par le système qui était censé s’occuper de moi. »

« Le système lui-même ne savait pas quoi faire d’un immigré et d’un garçon ayant subi de graves violences sexuelles », a-t-il ajouté.

Au cours des quatre années qui ont suivi, Suamhirs Piraino-Guzman a connu 21 foyers d’accueil, refuges et établissements de soins de santé mentale différents, sans jamais défaire ses bagages. Aujourd’hui âgé de 33 ans, il vit à Seattle et a acquis la nationalité américaine. Titulaire d’un doctorat en psychologie, il a choisi de se spécialiser dans la prise en charge adaptée aux traumatismes et dans la santé mentale des survivants des formes contemporaines d’esclavage. En 2015, il a été nommé par le Président Barak Obama membre du Conseil consultatif fédéral sur la traite des êtres humains jusqu’en 2018.

Il faut demander aux survivants ce dont ils ont besoin

« Je recommande à tous les pays qui cherchent à utiliser les services sociaux pour s’attaquer au problème de la traite de faire appel à la communauté pour découvrir ce dont ils ont besoin. Ce dont j’avais besoin à l’époque, c’était d’un logement, d’une thérapie, de quelqu’un à qui parler », a-t-il expliqué. « J’étais dans un pays où je n’avais aucune famille, je n’avais trouvé aucune solution, personne ne cherchait à établir un lien avec moi ou à m’aider à créer des liens avec cette communauté. »

Depuis 30 ans, le Fonds de contributions volontaires des Nations Unies pour la lutte contre les formes contemporaines d’esclavage, dont M. Piraino-Guzman est aujourd’hui le président, accompagne les survivants en donnant de l’argent à des organisations locales qui leur fournissent des soins de santé, un abri, de la nourriture, une aide juridique, une formation professionnelle, une éducation, des activités génératrices de revenus et d’autres formes de soutien.

En 2023, le Fonds a aidé plus de 7 000 personnes. Il s’agit notamment de victimes du travail forcé ou de la servitude pour dettes, de survivants de l’esclavage sexuel ou de la traite, ou encore d’enfants utilisés dans les conflits armés. Le Fonds soutient également 5 000 survivants de l’esclavage par ascendance dans la région du Sahel grâce à un appel spécial.

« Ce qu’il faut faire dans le monde entier, c’est non seulement mettre en place des services adaptés pour traiter les traumatismes subis par les victimes, mais aussi aider ces dernières à tisser des liens dans la société dans laquelle elles se trouvent aujourd’hui, afin d’améliorer leur bien-être », a indiqué M. Piraino-Guzman.

« Le Fonds cherche à créer un processus linéaire de rétablissement dans lequel les victimes de la traite sont identifiées et soutenues, trouvent un moyen de sortir de leur situation de traite et reçoivent ensuite l’ensemble des services dont elles ont besoin », a-t-il ajouté. « Nous avons besoin d’un logement, de soins dentaires, médicaux et oculaires. Nous avons besoin de thérapie. Nous avons besoin d’une autonomisation socioéconomique. Nous devons être en première ligne de ce qui se passe dans nos communautés. »

« Votez pour les droits humains »

Il y a 75 ans, des représentants provenant de contextes juridiques et culturels différents et de toutes les régions du monde ont rédigé la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui est un ensemble de droits universels, indivisibles et inaliénables reconnaissant la dignité et la valeur de chaque personne sur un pied d’égalité.

Pour la première fois, la communauté internationale a convenu d’un ensemble de valeurs communes et a reconnu que les droits sont inhérents à tout être humain du simple fait de sa naissance, et non pas accordés par les États.

Pour Suamhirs Piraino-Guzman, les droits humains restent abstraits dans de nombreuses régions du monde et constituent un concept inaccessible consigné dans « un document précieux conservé à l’Office des Nations Unies à Genève ».

« Pourtant, si vous ouvrez ce Livre bleu, vous vous rendrez compte qu’il s’agit de votre vie quotidienne : votre droit au logement, votre droit à la santé, votre droit à une vie exempte d’esclavage, d’exploitation et d’abus », a-t-il déclaré. « Je veux que les gens agissent. Je veux qu’ils sachent que mes droits sont aussi importants que ceux des autres et que, malheureusement, mes droits ont été violés non seulement lorsque j’ai été victime de la traite, mais aussi en tant que personne handicapée. »

« Certaines personnes m’ont aidé tout au long de mon parcours, ont veillé à ce que mes droits soient protégés et m’ont poussé à persévérer », a-t-il ajouté. « Parlez des droits de l’homme à vos enfants à table, parlez-en lors des réunions de famille, exprimez-vous et prenez des décisions politiques fondées sur les droits humains afin que chaque personne dans ce monde soit protégée non seulement de l’exploitation, mais aussi de toute forme de racisme, de sexisme, d’homophobie, de xénophobie et d’autres formes de discrimination systémique qui sont malheureusement répandues dans le monde entier. »