Les femmes journalistes doivent être protégées contre la violence et le harcèlement
03 mai 2023
En 2020, la journaliste afghane Zuhal Ahad de la communauté hazara, alors âgée de 27 ans, travaillait pour la BBC et couvrait des sujets liés aux femmes en Afghanistan. En tant que femme journaliste travaillant en Afghanistan, elle a toujours été prise pour cible.
Après avoir perdu une amie défenseuse des droits humains dans un attentat à la voiture piégée, elle a pourtant dû multiplier les précautions, notamment en évitant les transports publics et en changeant de trajet et de véhicule les jours où elle se rendait au bureau ou enquêtait sur un sujet. En juillet 2021, un mois avant que les Taliban ne prennent le contrôle du pays, les menaces se sont encore aggravées.
« Moi et ma famille avons reçu des menaces à cause de mon travail, et j’ai même dû rester à la maison pendant plusieurs mois sans même pouvoir faire des courses », explique-t-elle. « J’ai quitté le pays parce que ma vie et celle de ma famille étaient ce qu’il y avait de plus important pour moi à l’époque. »
Elle est donc partie avec sa fille et son mari pour les Émirats arabes unis, puis pour le Canada, où elle continue de travailler comme journaliste indépendante pour The Guardian et Al Jazeera, couvrant l’Afghanistan. Elle donne également des cours de journalisme à l’Université de Toronto.
« J’ai dû laisser mes amis, ma famille, toute ma vie derrière moi et repartir de zéro », déplore-t-elle.
Selon le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH), on constate actuellement une tendance alarmante dans le monde entier, qui consiste à restreindre la liberté d’expression et la liberté des médias, en particulier des journalistes. En 2022, 87 journalistes ont été tués dans le monde, la plupart en toute impunité, et 323 ont été emprisonnés.
En Afghanistan, le service des droits de l’homme de la Mission d’assistance des Nations Unies en Afghanistan (MANUA) a recensé de nombreuses violations des droits humains ciblant des journalistes et des professionnels des médias depuis l’arrivée au pouvoir des Taliban. De nombreuses femmes journalistes comme Zuhal travaillent dans la crainte d’être constamment surveillées et harcelées.
« Toute menace à l’encontre d’un journaliste est une attaque directe à la liberté d’information, d’opinion et d’expression, qui sont des droits fondamentaux nous appartenant tous », a déclaré le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme Volker Türk à l’occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse. « La sécurité des journalistes n’est pas seulement une question de sécurité personnelle, c’est une question de sécurité et de santé pour des sociétés entières. »
« Cependant, alors que nous célébrons le 30e anniversaire de la Journée mondiale de la liberté de la presse, nous assistons dans le monde entier à la fermeture forcée de ces frontières et à une tendance alarmante et agressive à la suppression de la liberté d’expression », a-t-il énoncé.
La promesse de la Déclaration universelle des droits de l’homme confirme le droit de chaque personne de jouir de la liberté d’expression et de l’accès à l’information, a ajouté le Haut-Commissaire. Dans le cadre du 75e anniversaire de la Déclaration universelle, le HCDH consacrera le mois de mai à la promotion des voix critiques et des débats, à la garantie de la sécurité des journalistes et à la protection de l’espace civique.
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Sans la liberté d’expression, qui sous-tend tous nos autres droits, il n’y a que très peu de liberté.
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VOLKER TÜRK, HAUT-COMMISSAIRE DES NATIONS UNIES AUX DROITS DE L’HOMME
Tout risquer pour la vérité
Il reste très peu de femmes journalistes en Afghanistan, affirme Zuhal. Elle attribue cela aux menaces, comme celles qu’elle a reçues, et à la restriction croissante de la liberté des médias. Selon la MANUA, bien que les femmes soient toujours légalement autorisées à travailler dans les médias, de nombreuses restrictions leur sont imposées, ce qui les empêche de continuer leur travail.
Selon Zuhal, les femmes qui persistent à exercer leur activité doivent rester anonymes lorsqu’elles publient des articles, car elles ne peuvent pas risquer d’être reconnues.
« Elles font ce travail pour raconter ce qui arrive aux gens et elles continuent de le faire tout en sachant que si les Taliban les découvrent, elles seront violées, harcelées, voire torturées et tuées », alerte-t-elle. « Elles prennent quand même le risque et continuent de faire leur travail. »
Zuhal se sent plus en sécurité au Canada, mais elle reçoit toujours des menaces en ligne depuis l’Afghanistan. Par exemple, l’un de ses articles publié en 2022 sur un ministère qui avait demandé à ses employées de ne plus venir travailler suite à une interdiction décrétée par les Taliban les ordonnant de rester chez elles a suscité de nombreuses réactions sur les médias sociaux.
« À la sortie de l’article, j’ai reçu de nombreux messages sur Twitter de la part de membres des Taliban qui me menaçaient, en disant que j’étais une infidèle et que je racontais des mensonges depuis l’étranger », explique-t-elle.
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Ces menaces me donnent des cauchemars et m’empêchent de vivre en paix. Mais en tant que journaliste, je me sens responsable, je dois prendre la parole et raconter ce qui se passe.
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Zuhal Ahad, Journaliste
Selon Zuhal, toutes les parties prenantes ont la responsabilité d’assurer la sécurité des journalistes, car ils font un travail vital et ils doivent se sentir en sécurité pour pouvoir faire leur travail correctement.
M. Türk a également appelé à la mise en place de cadres nationaux plus solides, qui donnent la priorité aux droits humains.
« Grâce à une plus grande surveillance des menaces contre les journalistes et à un meilleur soutien juridique et psychologique en cas de préjudice », a-t-il ajouté. « Et surtout, grâce à des enquêtes systématiques sur les crimes commis contre les journalistes et des poursuites en justice. »
« Il est impératif, pour notre avenir à tous, que nous fassions tout ce qui est en notre pouvoir pour [protéger la sécurité des journalistes] ».