Sierra Leone : les recommandations du HCDH aident à abolir la peine de mort
21 juillet 2022
Le 23 juillet 2021, un groupe de femmes a pris place dans la salle du Parlement de la Sierra Leone pour être témoins d’une décision qui a changé le cours de leur vie. C’est en ce jour que des législateurs ont aboli à l’unanimité la peine de mort.
« Je suis tellement heureuse de voir la peine de mort abolie », a déclaré Mary*, l’une des femmes présentes.
D’autres ont qualifié cette décision d’historique, affirmant qu’elle aiderait les femmes à trouver le courage de sortir de prison et qu’elle réjouirait celles dont la peine de mort serait commuée en prison à perpétuité.
Ces femmes étaient toutes d’anciennes prisonnières condamnées à mort, dont les affaires avaient été suivies par AdvocAid, une ONG sierra-léonaise qui fournit une aide juridique aux femmes en détention.
« Nous avons fait en sorte qu’un grand nombre des clients que nous avons représentés puissent assister à ce vote et être témoins de l’abolition », a déclaré Rhiannon Davis, la directrice d’AdvocAid de l’époque. « Pour nous, cette abolition représente un énorme pas en avant en tant que militants. »
L’abolition de la peine de mort en Sierra Leone est le fruit de décennies d’efforts menés par des ONG comme AdvocAid, ainsi que par la commission des droits de l’homme du pays. Elle a été rendue possible grâce aux recommandations fournies régulièrement dans le cadre de l’Examen périodique universel (EPU) du Conseil des droits de l’homme, qui passe en revue les réalisations de l’ensemble des États Membres des Nations Unies dans le domaine des droits de l’homme.
« Je suis convaincu que la Sierra Leone illustre bien la manière dont le mécanisme de l’EPU peut – avec le soutien solide de parties prenantes nationales et de partenaires de développement – soutenir efficacement des changements concrets à l’échelle nationale dans la législation et la pratique, qui sont capables de renforcer le système national de protection des droits de l’homme tout en assurant la prévention et la réussite des objectifs de développement durable », a déclaré Gianni Magazzeni, chef du service de l’EPU du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH).
« Utiliser chaque outil en notre possession »
Personne n’avait été exécuté en Sierra Leone depuis 1998, mais près de 90 détenus se trouvaient dans le couloir de la mort en 2020.
En 15 ans d’existence, AdvocAid a obtenu la libération de six femmes et de trois hommes condamnés à la peine capitale.
Toutefois, l’organisation sierra-léonaise n’a pas limité sa campagne aux actions sur le terrain. Avec le Vance Center, une autre ONG militant contre la peine capitale, elle a participé à l’EPU.
« Il s’agissait pour nous d’utiliser chaque outil en notre possession pour plaider directement auprès du Gouvernement, et d’essayer d’impliquer la communauté internationale au sens large et de montrer réellement que cette demande d’abolition ne venait pas de l’extérieur de la Sierra Leone », a déclaré Mme Davis.
L’EPU, qui est un examen cyclique de la situation des droits de l’homme dans chaque État Membre des Nations Unies effectué par d’autres États Membres, a eu lieu pour la première fois en Sierra Leone en 2011. Au cours de ce premier examen, 13 États examinateurs avaient déjà recommandé l’abolition de la peine de mort.
Un rappel des obligations conventionnelles internationales du Gouvernement
La Commission des droits de l’homme de Sierra Leone (HRCSL), l’institution des droits de l’homme du pays, a également contribué à l’EPU en présentant des observations écrites en faveur de l’abolition de la peine capitale, afin de rappeler au Gouvernement ses obligations conventionnelles internationales en matière de droits de l’homme.
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Nous voulions nous assurer qu’en cas d’adhésion de la Sierra Leone au Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui protège le droit à la vie, cela soit reflété dans nos lois
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Simitie Lavaly, l’une des cinq commissaires de la HRCSL.
La société civile et les États Membres ne sont pas les seules parties prenantes à avoir fait pression pour l’abolition de la peine de mort en Sierra Leone dans le cadre de l’EPU. Au cours des dix dernières années, des organismes des Nations Unies ont également encouragé le Gouvernement à abroger la peine de mort en communiquant des informations aux États Membres examinateurs.
Lors du premier EPU de la Sierra Leone en 2011, le HCDH a recommandé l’abolition de la peine de mort dans le pays. En 2014, le Comité des droits de l’homme et le Comité contre la torture, deux organismes de l’ONU composés d’experts indépendants surveillant respectivement la mise en œuvre du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ont formulé des recommandations similaires qui ont été présentées lors du deuxième EPU en 2016. Dans le cadre du troisième EPU en 2021, l’équipe de pays de la Sierra Leone a appelé le Gouvernement à « prendre toutes les mesures nécessaires pour abolir la peine capitale ».
2021 : une année charnière pour la réforme
À la suite des premier et deuxième EPU, la Sierra Leone a accepté toutes les recommandations concernant l’abolition de la peine de mort. Après une décennie d’engagements, c’est toutefois le troisième EPU de 2021 qui s’est avéré décisif.
« Nous nous sommes engagés pendant trop longtemps en faveur de l’abolition », a déclaré Allieu Vandy, procureur principal du Ministère de la justice. « Nous ne pouvions pas déclarer durant l’EPU “nous devons encore y réfléchir” et ne pas le faire ».
Le 17 décembre 2020, le président de la Sierra Leone, Julius Maada Bio, a déclaré que son Gouvernement avait la ferme intention d’abolir la peine de mort et a chargé son cabinet de le faire. Dans les mois qui ont précédé le troisième EPU, les fonctionnaires sierra-léonais des Ministères de la justice et des affaires étrangères se sont minutieusement préparés pour l’examen grâce à des ateliers soutenus par le Fonds de contributions volontaires pour l’assistance financière et technique aux fins de l’application des recommandations issues de l’Examen périodique universel.
« Il était très important d’identifier ce que nous devions faire correctement », a ajouté Allieu Vandy, qui a représenté le Ministère de la justice lors de ces ateliers.
Le Fonds fournit une assistance financière et technique aux pays pour mettre en œuvre les recommandations de l’EPU, et ce de différentes manières. Dans le cas de la Sierra Leone, le Fonds a aidé à l’organisation et à la conduite de réunions et d’ateliers avec diverses parties intéressées pour préparer le troisième rapport du pays et sa présentation devant l’EPU.
Lors du troisième EPU de la Sierra Leone, le Ministre de la justice de l’époque, Anthony Yeiwoh Brewah, a ensuite annoncé que le Gouvernement avait approuvé la réforme tant attendue.
Le 23 juillet 2021, les parlementaires sierra-léonais ont voté à l’unanimité en faveur de l’abrogation de la peine capitale et de son remplacement par la réclusion à perpétuité ou par une peine de prison d’au moins 30 ans.
« Nous avons fait tout cela dans les 72 jours suivant notre troisième EPU », a déclaré M. Brewah.
Près d’un quart de siècle s’est écoulé entre les dernières exécutions et l’abolition officielle de la peine capitale dans le pays, et trois EPU ont été effectués en dix ans. Cependant, la Sierra Leone est aussi la preuve vivante que la peine de mort peut être abolie grâce aux recommandations de différentes parties prenantes, même dans les pays qui ont connu un récent conflit armé.
« La Sierra Leone n’exécutera plus jamais personne, pour quelque raison que ce soit », a déclaré M. Brewah.
C’est une promesse sur laquelle Mary* et d’autres anciens condamnés à mort pourront compter pour reconstruire leur vie.
*Les noms ont été modifiés et les visages ont été rendus flous pour préserver l’anonymat de ces personnes.