La lutte contre les discours de haine et l’incitation à la violence dans les médias syriens
11 février 2020
Alors que le conflit sanglant qui déchire la Syrie approche de sa neuvième année et que les tensions continuent de monter, la souffrance humaine et les violations des droits de l'homme ne semblent pas toucher à leur fin. Les divisions au sein de la société s'accentuent jour après jour et les médias jouent un rôle prépondérant en influençant les affiliations et les préjudices.
Selon le Centre syrien pour les médias et la liberté d'expression (SCM), un produit médiatique (télévision, radio, presse et Web) sur cinq contient une forme de discours de haine.
« La majorité de la population syrienne est affiliée politiquement, donc cela affecte presque tout le monde », explique Yayha Fares, qui gère les projets de l'observatoire des discours de haine du SCM. « Les généralisations et les stéréotypes, les accusations de terrorisme et de trahison, on en trouve de partout. »
Depuis 2017, l'organisation surveille les discours haineux à l'encontre des différents groupes politiques et de leurs partisans. L'objectif ultime est de réduire les discours de haine dans les médias syriens et, par conséquent, les violations des droits de l'homme qu'ils peuvent engendrer, comme l'aggravation de la discrimination et de l'incitation à la violence.
Le rapport du SCM, publié l'année dernière en partenariat avec l'UNESCO, révèle que 134 idiomes et termes employés peuvent être considérés comme faisant partie des discours de haine. Il couvre un total de 24 médias, dont 8 travaillent dans des zones contrôlées par le Gouvernement, 8 dans des zones contrôlées par l'opposition, et 8 dans les zones kurdes. Chacun d'entre eux a été défini comme ayant une portée significative et une influence sur leurs publics respectifs.
L'analyse des termes représentant des discours haineux sera bientôt publiée dans un glossaire consultable en ligne, auquel les éditeurs et les rédacteurs auront facilement accès.
De réfugié à défenseur des droits de l'homme
Yayha Fares est lui-même un réfugié qui a fui la Syrie en 2011 « pour les mêmes raisons que les autres ». Il travaille maintenant en Turquie pour le SCM et est à la tête du projet sur les discours haineux. Son organisation travaille également sur le développement des médias et la protection des journalistes.
« Nous ne pratiquons pas une forme quelconque de censure. Nous nous servons de la surveillance comme d'un outil pour comprendre la réalité et les discours des médias dans leur détail », explique-t-il.
Qu'est-ce qu'un « discours de haine » exactement ?
Bien qu'il n'existe pas de définition juridique internationale du discours de haine, le document Stratégie et plan d'action des Nations Unies contre les discours de haine* récemment publié définit le terme « discours de haine » ou « discours haineux » comme « tout type de communication orale ou écrite ou tout type de comportement visant à attaquer ou utilisant un langage péjoratif ou discriminatoire à l'encontre d'une personne ou d'un groupe sur la base de son identité, en d'autres termes, sur la base de sa religion, son origine ethnique, sa nationalité, sa race, sa couleur, son ascendance, son sexe ou tout autre facteur d'identité. »
Le Conseiller spécial des Nations Unies chargé de la prévention des génocides, Adama Dieng, ajoute que « lutter contre les discours de haine ne signifie pas limiter ou interdire la liberté d'opinion et d'expression. Il s'agit d'empêcher que les discours de haine ne se transforment en quelque chose de beaucoup plus dangereux – en particulier l'incitation à la discrimination, l'hostilité et la violence, qui est interdite par le droit international. »
Dans le but d'identifier, de prévenir et de lutter contre les discours de haine à l'échelle mondiale, l'ONU travaille avec les gouvernements, la société civile et le secteur privé pour réaliser ses objectifs.
Syrie : « tout changement dans l'usage des discours de haine est considéré comme une victoire »
Dans le cas de la Syrie, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme (HCDH) a travaillé avec plusieurs organisations locales ces douze derniers mois pour accroître et protéger l'espace civique. Une coalition d'organisations s'est réunie pour mener plusieurs tables rondes avec le HCDH, le plus récent dialogue ayant abouti à une campagne concertée sur la Journée des droits de l'homme de 2019. La campagne a ciblé les discours de haine et la stigmatisation des groupes les plus vulnérables dans le pays, y compris des millions de personnes déplacées qui sont confrontées à la discrimination sur la base de leur origine géographique ou de leur sexe.
Yayha Fares a contribué de manière significative à ces importantes discussions tout au long de l'année, et les travaux et conclusions du SCM, avec l'appui de l'UNESCO, ont servi à définir et à planifier la campagne.
« En luttant contre les discours de haine, nous ne protégeons pas uniquement la paix civile, nous protégeons la dignité de ceux qui sont attaqués en raison de leur origine ethnique, raciale ou politique. L'exclusion et l'humiliation d'autres groupes, de même que les stéréotypes, portent atteinte à la liberté des peuples. En défendant ces groupes et en élevant notre voix pour affirmer que personne ne devrait être exclu en raison de ses circonstances, nous défendons leurs droits. »
Yayha Fares et son organisation ont rappelé que leur travail ne consistait pas à montrer du doigt les médias, mais à travailler de concert avec eux pour améliorer les normes professionnelles et fournir des informations de meilleure qualité et plus solides.
« Tout changement dans l'usage des discours de haine est considéré comme une victoire », a-t-il ajouté. « Si les discours de haine ou destructeurs sont délaissés, le niveau de professionnalisme dans les médias augmentera automatiquement. »
L'organisation prévoit de mener un autre cycle de suivi des médias et espère voir prochainement certains changements positifs se produire.
« Nous essayons à travers ce projet de réparer le tissu social déchiré par la guerre. Nous espérons qu'en influençant les médias, ainsi que leurs propriétaires et gestionnaires, nous pouvons aboutir à quelque chose », a conclu M. Fares.
Avertissement : les idées, informations et opinions exprimées dans le présent article sont celles des personnes y figurant ; elles ne reflètent pas nécessairement la politique ou la position officielle du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme.
11 février 2020