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Sécurité des journalistes

Ukraine : la quête de justice pour les meurtres de journalistes et de militants

01 novembre 2019

version ukrainienne

Dans un contexte mondial d'insécurité pour les journalistes et les défenseurs des droits de l'homme – et face au conflit armé qui ravage l'est du pays depuis cinq ans, à l'occupation de la Crimée et à la corruption omniprésente – l'Ukraine a été le théâtre d'une série d'attaques et d'assassinats. Dans la plupart des cas, l'impunité prévaut. La mission de surveillance des droits de l'homme en Ukraine demande que chaque affaire fasse l'objet d'une enquête efficace. Elle soutient également plusieurs réformes judiciaires et juridiques dans le pays, et fournit des conseils au Gouvernement concernant l'établissement des responsabilités.

« Rien ne pouvait l'arrêter, il était intransigeant. »

« Il s'exprimait vivement sur des questions que d'autres avaient peur de couvrir, principalement sur des affaires de corruption à l'échelle locale. Sa persistance manque déjà dans le paysage médiatique local », a déclaré Valerii Makeev, un juriste de Cherkasy, en Ukraine, au sujet de son ami défunt, le journaliste Vadym Komarov.

En juin 2019, Vadym Komarov, 55 ans, est décédé à la suite d'une attaque brutale. « Je suis persuadé qu'il a été tué à cause de son travail de journaliste. C'est vraiment triste de voir que l'enquête sur son meurtre piétine. »

L'avocat a décrit comment, au lendemain de l'attaque meurtrière, la police n'a recueilli aucune preuve. Le journaliste n'a jamais repris connaissance après l'attaque et il est mort après avoir passé 45 jours dans le coma. « Je remercie les Nations Unies et la communauté internationale d'avoir attiré l'attention sur cette affaire, d'en avoir parlé. À la suite de ces appels pour mener une enquête efficace, la police a qualifié l'affaire de meurtre, après l'avoir initialement considérée comme une affaire d'agression physique ayant conduit à la mort. » 

Tirs par balle, attaques à l'acide, voitures piégées : les médias et la société civile ukrainiens ciblés par des attaques d'une extrême violence 

Vadym Komarov est au moins le quatrième journaliste ou militant des droits de l'homme à avoir perdu la vie en moins de cinq ans en Ukraine.

En 2015, deux hommes masqués ont tiré sur le journaliste et écrivain Oles Buzyna, âgé de 45 ans, dans sa maison à Kiev. Oles Buzyna critiquait ouvertement le Gouvernement, en particulier concernant les événements de la place Maïdan et les protestations de masse en 2013 et 2014.

Un éminent journaliste d'investigation Pavlo Sheremet, 44 ans, a été tué dans l'explosion d'une voiture piégée dans le centre de Kiev en 2016. 

En 2018, un groupe d'hommes a attaqué à l'acide Kateryna Handziuk, 33 ans, une militante contre la corruption à Kherson. Elle est décédée à l'hôpital après trois mois d'opérations chirurgicales et de douleurs insupportables causées par des brûlures sur tout le corps.

Par ailleurs, l'écologiste Mykola Bychko, 23 ans, a été retrouvé pendu en 2018 dans une forêt près d'un village dans la région de Kharkiv. Il luttait contre la pollution de l'eau, prétendument causée par des entreprises locales. La police a classé l'affaire, considérant qu'il s'agissait d'un suicide. Des défenseurs des droits de l'homme affirment que d'autres preuves n'ont pas été prises en compte et demandent qu'une nouvelle enquête soit lancée.

Les procédures juridiques dans ces affaires, bien qu'elles soient en cours, soulèvent un certain nombre de préoccupations.

Enquêtes en cours 

Après trois ans, l'enquête sur le meurtre de Pavlo Sheremet est toujours en cours et aucun suspect n'a encore été identifié. Ce mois-ci, le nouveau Président ukrainien a déclaré que l'affaire devait être résolue, son prédécesseur ayant fait la même déclaration après le meurtre.

Un an après l'attaque à l'acide ayant coûté la vie à Kateryna Handziuk, un tribunal a condamné les assaillants à une peine allant de 3 à 6 ans de réclusion, mais aucune personne n'a à ce jour été reconnue coupable d'avoir commandité cet acte. Les enquêtes et les procès visant des fonctionnaires de haut rang, soupçonnés d'être derrière cette attaque, évoluent lentement sans résultats notables.

Des procès durant plusieurs années

Quant au meurtre d'Oles Buzyna, l'enquête a duré près de trois ans. Deux suspects ont été identifiés et l'acte d'accusation a été transmis au tribunal. Les deux hommes accusés du meurtre sont étroitement liés à un groupe d'extrême droite dont des membres ont assisté à des audiences du tribunal de Kiev et ont fait pression sur les juges et les jurés dans certains cas. Le procès a duré un an et demi, jusqu'à ce que le président du tribunal décide de se récuser en mai 2019, en raison de pressions exercées sur lui. Le procès a dû alors repartir de zéro, retardant encore davantage le processus.

Des spécialistes des droits de l'homme surveillent des procès dans tout le pays, au rythme de dix audiences par semaine en moyenne. « Même si nous constatons que l'Ukraine a adopté plusieurs réformes concernant son système judiciaire, les problèmes fondamentaux liés à l'efficacité des enquêtes et la garantie d'audiences équitables par des tribunaux indépendants n'ont pas été résolus. Malheureusement, cela laisse de grosses lacunes en matière d'établissement des responsabilités », a déclaré Matilda Bogner, la responsable de la mission de surveillance des droits de l'homme en Ukraine. 

Des changements à l'horizon    

La mission de surveillance des droits de l'homme vient en aide aux autorités de l'État dans le domaine de l'établissement des responsabilités, l'indépendance et la sécurité du pouvoir judiciaire.

« Nous savons que nous ne sommes pas seuls dans la lutte contre l'impunité. Les déclarations publiques, les rapports et les activités de plaidoyer de la mission de surveillance des droits de l'homme nous encouragent à être actifs et à nous appuyer sur des normes internationales, et nous garantissent que justice sera faite », a déclaré Sergiy Tomilenko, le président du syndicat de journalistes ukrainien.  

Plusieurs partenaires internationaux proposent des formations auprès de l'autorité judiciaire, de la police et du ministère public reposant sur les analyses et les recommandations formulées par la mission de surveillance des droits de l'homme. « Leurs rapports fournissent des informations détaillées sur les évolutions en cours dans le pays qui sont les plus pertinentes pour notre travail dans le domaine de la réforme du secteur de la sécurité civile », a déclaré Rosalyn Sheehan, responsable adjointe des opérations de la mission de l'Union européenne en Ukraine.

En 2019, à la suite des élections présidentielles et parlementaires, l'Ukraine a formé un nouveau gouvernement. « Des progrès sont nécessaires concernant les enquêtes portant sur les assassinats et les attaques violentes contre les journalistes et les militants de la société civile. En traduisant les coupables en justice, le Gouvernement contribuera à prévenir de futures attaques. Dans un pays abritant un conflit armé actif et faisant l'objet d'allégations de corruption endémique, il est primordial d'assurer la protection des journalistes et des militants qui osent parler et informer le grand public », a déclaré M Bogner.  

Avertissement. Depuis 2014, le Gouvernement n'a pas le contrôle de certaines parties de son territoire à l'est du pays, et la Fédération de Russie occupe la péninsule de Crimée dans le sud. Bien que ce ne soit pas l'objet de cet article, la situation de la liberté d'expression et des médias dans la république populaire autoproclamée de Donetsk, la république populaire autoproclamée de Lougansk et le territoire de la Crimée soulève de graves préoccupations en matière de droits de l'homme. Plus d'informations à ce sujet sont disponibles dans les rapports des Nations Unies sur la situation des droits de l'homme en Ukraine et dans les rapports thématiques sur la situation des droits de l'homme en Crimée*.

1er novembre 2019