De l’horreur à la guérison
01 avril 2016
Le poids que porte Jana* est lourd. Elle porte la fausse culpabilité que les victimes de la torture partagent. Même après des mois de thérapie, elle reste convaincue que son père est mort à cause d’elle.
Jana n’avait que 10 ans lorsqu’elle a été arrêtée par l’armée syrienne à Dera afin de faire pression sur son père pour qu’il se présente à son poste. Elle a été arrêtée avec de nombreux autres garçons et filles, dont le plus jeune avait 5 ans et le plus vieux seulement 11 ans. Leur épreuve, qui a duré 22 jours dans l’obscurité d’un cachot, les a transformés à jamais.
L’histoire de Jana est l’une des neuf histoires présentées dans une nouvelle publication intitulée From Horror to Healing : A life-saving journey supported by the UN Fund for Victims of Torture (De l’horreur à la guérison : un voyage pour renaître à la vie soutenu par le Fonds des Nations Unies pour les victimes de la torture), qui relate les histoires personnelles de victimes de la torture et de praticiens qui les aident à guérir, à reprendre une vie normale et à faire valoir leurs droits.
Ces témoignages ont été recueillis auprès d’organisations et de centres de réadaptation qui fournissent chaque année une assistance directe à environ 50 000 victimes de la torture et aux membres de leur famille avec le soutien du le Fonds de contributions volontaires des Nations Unies pour les victimes de la torture. Chaque récit est accompagné d’illustrations et met en avant le travail accompli par les médecins, les psychologues, les travailleurs sociaux et les juristes qui apportent une assistance aux victimes de la torture et à leurs familles.
« Les victimes ont le droit à des réparations », a indiqué le Haut-Commissaire aux droits de l’homme Zeid Ra'ad Al Hussein. « La réadaptation des victimes est une obligation des États. Mais comme la plupart des États n’ont pas mis ce droit en pratique, ce sont souvent des initiatives émanant de la société civile qui comblent ces lacunes, bien souvent avec le seul soutien du Fonds des Nations Unies pour les victimes de la torture ».
L’histoire de Jana est racontée par Reem, une conseillère psychosocials qui travaille pour le Centre pour les victimes de torture (CVT) en Jordanie, avec l’appui du Fonds. Ils se sont rencontrés à Amman, où Reem travaille avec des réfugiés syriens et irakiens, notamment des enfants qui ont survécu à des atrocités de guerre et à des actes de torture dans leur pays natal. Le CVT les aide à guérir et à reconstruire leur vie à travers une assistance psychosociale individuelle ou en groupe.
Lorsqu’ils étaient enfermés dans le cachot, Jana et les autres enfants ont été frappés par quatre soldats ; ils n’avaient droit qu’à un œuf dur par jour et à de l’eau sale. Jana a vu un enfant de sept ans se faire torturer à mort sous ses yeux – et son corps est resté là, à se décomposer. L’odeur de son cadavre était une autre forme de torture pour les enfants emprisonnés.
Après que le père de Jana s’est livré à l’armée, Jana et d’autres enfants ont été remis en liberté.
« Les effets physiques et psychologiques de la torture sur Jana étaient tels que sa mère ne l’a pas reconnue lorsqu’elle a été remise en liberté », précise Reem. « Sa mère s’est enfuie aussitôt en Jordanie avec Jana et son petit frère ».
En Jordanie, Jana a développé des symptômes graves de troubles de stress post-traumatique. Elle s’est repliée sur elle et était traumatisée chaque fois qu’elle entendait un enfant pleurer ou crier. Une nuit, elle a fait des cauchemars au sujet de l’enfant qui avait été torturé à mort. Elle se sentait coupable de n’avoir rien fait pour empêcher sa mort.
La thérapie n’en a pas moins commencé à produire ses effets. « Au fur et à mesure des séances de psychothérapie individuelles, Jana a appris à surmonter ses peurs, à rompre son isolement et à sortir de la tristesse, et elle a fait des progrès continus », raconte Reem.
« En même temps, sa mère participait à des ateliers de thérapie en groupe avec d’autres femmes qui étaient dans une situation semblable. La relation entre Jana et sa mère s’est renforcée », ajoute-t-elle.
Entre-temps, le père de Jana a pu s’enfuir en Jordanie. Mais la joie de Jana a été de courte durée. Il est rentré en République arabe syrienne et a été tué en ayant été pris pour cible par un bombardement.
Reem a expliqué la douleur que sa mort a été pour Jana : « Cela fut pour elle un sérieux revers qui a réveillé tous ses sentiments de culpabilité injustifiés. D’une certaine façon, elle se sentait responsable de sa mort. ‘Je me hais’, ne cessait-elle de répéter. ‘Je ne mérite pas de vivre’, disait-elle ».
La capacité profonde qu’ont les êtres humains de guérir, même après la torture, a prévalu pour Jana. « Elle a poursuivi sa thérapie et, aujourd’hui, elle peut même aider ses amis traumatisés et s’emploie à encourager les jeunes réfugiés à suivre une thérapie au CVT », explique Reem.
« Les histoires et les illustrations de cette nouvelle publication montrent que la torture est une réalité très présente dans toutes les régions du monde », a rappelé Laura Dolci-Kanaan, la Secrétaire du Fonds. « Des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants ont besoin de services spécialisés centrés sur les victimes fournis en temps opportun qui les aideront à se rétablir et à retrouver leur dignité ».
La publication From Horror to Healing sera présentée lors d’une manifestation publique organisée à Genève le 8 avril par le Fonds dans le cadre d’une campagne organisée pour marquer le 35e anniversaire de la création du Fonds. Des praticiens spécialistes de la question venus de toutes les régions du monde se pencheront lors de cette manifestation sur les façons d’aider les enfants à guérir de la torture et de mettre fin aux effets dévastateurs de la torture transmis de génération en génération.
Depuis 1981, le Fonds de contributions volontaires des Nations Unies pour les victimes de la torture, qui est géré par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme à Genève a distribué plus de 168 millions de dollars des États-Unis de subventions à plus de 630 organisations qui apportent une assistance directe aux victimes de la torture sur le plan médical, psychologique, social et judiciaire.
* Le nom de Jana a été modifié afin d’assurer sa protection.
1er avril 2016