Mettre le feu à la maison
03 décembre 2015
Notre maison. Le lieu où nous sommes protégés des éléments, où nous sommes entourés d’affection, où nous grandissons, où nous rêvons.
Mais notre maison brûle. Et nous sommes les pyromanes.
Nous avons mis le petit bois de la cupidité. Nous avons jeté l’huile de la consommation effrénée. Nous avons attisé les flammes avec une réglementation trop indulgente, la dissimulation intentionnelle des faits, et un mépris sans bornes pour les écosystèmes, les espèces et les gens, oui les gens, qui sont les plus proches des flammes. Notre maison - notre seule maison, notre planète, est en feu. Et nous avons à peine bougé de nos moelleux fauteuils pour éteindre l’incendie.
En ce moment, les chefs d’état, réunis à Paris, négocient fébrilement un accord mondial assorti d’engagements contraignants pour, enfin, commencer à éteindre le feu du changement climatique.
Les chefs d’état présents à Paris ont fait des déclarations audacieuses, porteuses d’espoir et même ambitieuses, étayées par une volonté politique sans précédent dans des négociations sur le climat. Cependant, les difficultés sont manifestes. Nous sommes loin d’avoir obtenu les engagements qui permettraient de limiter le réchauffement à 2 degrés (et encore plus loin de la limite d’1,5 degré), très loin de parvenir à un engagement sur les 100 milliards de dollars qui seraient nécessaires pour financer la lutte contre le changement climatique, l’intégration des droits de l’homme dans le texte exécutoire de l’accord suscite des réticences et la participation de la société civile aux négociations a été limitée, voire réprimée.
Compte tenu des enjeux, prendre des mesures urgentes, efficaces et ambitieuses est sans nul doute un impératif moral. Mais c’est aussi une obligation juridique. Voici pourquoi.
Premièrement, nous savons que le changement climatique est un phénomène causé par l’activité humaine. Nous savons que ce n’est pas un accident de la nature, mais le résultat de choix effectués par les êtres humains, tant dans la sphère publique que dans la sphère privée. L’utilisation de combustibles fossiles, les technologies destructives, les modes de consommation non durables, la militarisation incessante du monde sont autant d’activités humaines qui détruisent le climat et qui, par conséquent, nuisent à la réalisation des droits de l’homme pour tous.
Deuxièmement, nous savons à présent que le changement climatique a des effets désastreux sur tout un éventail de droits garantis par la communauté internationale - droits à l’alimentation, à l’eau, à l’assainissement, au logement convenable et à la santé – au détriment de millions de gens. Dans le cas des habitants des petits états insulaires, même le droit à l’autodétermination est menacé, car l’élévation du niveau des océans risque de faire disparaître leurs pays à tout jamais. Et les ravages causés par le changement climatique ont privé un nombre bien trop élevé de personnes du droit à la vie même.
Troisièmement, le droit international des droits de l’homme impose des obligations juridiques positives à tous les états, qui doivent prendre les mesures législatives, politiques, institutionnelles et budgétaires nécessaires pour protéger les droits de l’homme de tels préjudices. Les états sont tenus de prévenir ces préjudices en réglementant les pratiques environnementales, tenus aussi de traduire les contrevenants en justice, de protéger les collectivités vulnérables et d’assurer des réparations lorsque des torts ont été infligés.
De toute évidence, nous vivons à une époque de manquement généralisé à ces obligations. Il faut que cela cesse.
Les principes d’égalité et d’équité sont également à la base des droits de l’homme. Nous savons que les personnes qui sont le moins responsables de cette menace sont celles qui en subissent le plus les effets. Et ce sont également celles qui ont le moins de ressources pour s’adapter et survivre.
Les pauvres, les peuples autochtones, les petits agriculteurs et pêcheurs, les groupes minoritaires et les habitants des pays les moins développés ont tous désespérément besoin de solidarité et de soutien – en particulier de la part de ceux qui ont le plus de ressources et qui ont le plus contribué au changement climatique.
Tous les êtres humains doivent aider à éteindre le feu : il en va à la fois de leur intérêt et de leur responsabilité. Mais n’est-ce pas aujourd’hui un truisme moral que d’affirmer que la part prise dans le préjudice et la capacité de participer à la solution sont des facteurs importants, voire décisifs, lorsqu’on détermine les responsabilités de chacun ?
Les solutions fondées sur le principe de justice climatique supposent l’établissement des responsabilités et la réparation des préjudices subis, la protection et l’autonomisation des personnes vulnérables, la participation libre, active et utile de la société civile et des communautés touchées, la non-discrimination et l’équité dans les politiques relatives au climat.
Pour honorer ces obligations relatives aux droits de l’homme, les états doivent agir dès à présent, moyennant des lois plus énergiques, une réglementation plus efficace du secteur privé, des protections judiciaires, des taxes carbone et d’autres ajustements significatifs des dispositifs d’incitation, et d’une manière générale, par des mesures délibérées de tous les gouvernements, d’ordre individuel et collectif, pour faire face à cette menace. Au niveau international, il faut convenir de l’objectif le plus ambitieux possible, afin de maintenir les émissions au-dessous du niveau qui entraînerait une augmentation d’1,5 degré de la température de la planète, comme l’exigent plus de 100 nations et la population mondiale. Il faut également allouer les ressources nécessaires pour permettre au développement de s’adapter, d’emprunter la voie de la durabilité, notamment en accordant aux pays en développement une aide relative au changement climatique.
Le monde compte aujourd’hui sur les responsables réunis à Paris pour faire progresser ce programme. Des dispositions essentielles ont été proposées, qui contraindraient les états à appliquer l’accord qui se dessine en respectant leurs obligations au titre du droit international et en intégrant pleinement les normes relatives aux droits de l’homme dans toutes les mesures destinées à répondre au changement climatique, à s’y adapter et à en atténuer les effets.
Il ne faut pas laisser passer cette occasion.
Que les chefs d’état et de gouvernement réunis à Paris relèvent ce défi avec une détermination à la hauteur de la menace. Car c’est notre maison, mais aussi la leur. Et l’incendie se propage.
3 décembre 2015