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Déclarations Haut-Commissariat aux droits de l’homme

Déclaration du Haut-Commissaire concernant le rapport sur le Territoire palestinien occupé

03 mars 2023

Volker Türk, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme

Prononcé par

Volker Türk, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme

À

52e session du Conseil des droits de l’homme

A partir de

Dialogue interactif sur le rapport du Haut-Commissaire concernant le Territoire palestinien occupé

Lieu

Genève

Monsieur le Président,

Excellences,

Mesdames et Messieurs les délégués,

La situation dans le Territoire palestinien occupé est une tragédie.

Une tragédie avant tout pour le peuple palestinien. Plus d’un demi-siècle d’occupation a entraîné des dépossessions croissantes, des privations de plus en plus importantes et des violations récurrentes et graves de leurs droits, y compris le droit à la vie. Personne ne peut vivre de cette manière, ni s’imaginer que forcer les gens à vivre dans des conditions aussi désespérées puisse conduire à une solution durable.

Le peuple d’Israël souffre également de cette situation : insécurité, douleur, perte et peur. Ils ont le droit de vivre en paix, dans leur État, tout comme les Palestiniens, dans un État enfin reconnu et viable.

Cependant, l’intensification actuelle de la violence de part et d’autre rend cette perspective très lointaine.

En 2022, le nombre de Palestiniens tués par les forces de sécurité israéliennes a été le plus élevé de ces 17 dernières années, et le nombre d’Israéliens tués le plus haut depuis 2016. Ce bilan s’est encore fortement dégradé au cours des premières semaines de 2023 et du mois qui vient de s’achever.

Dans la nuit de dimanche à lundi, deux frères israéliens, âgés de 19 et 21 ans, ont été tués par un Palestinien dans la ville de Huwara, en Cisjordanie.

Quelques heures plus tard, des centaines de colons israéliens ont déclenché des émeutes dans la région. Un Palestinien a été tué par balle et deux autres ont été blessés. Une troisième personne a été poignardée et une quatrième a été violemment battue. Des maisons, des magasins et des dizaines de véhicules appartenant à des Palestiniens ont été incendiés ou endommagés. Selon le Croissant-Rouge palestinien, 390 personnes ont été blessées lors de ce déchaînement de violence et trois ambulances ont été attaquées.

L’attaque a été fermement condamnée par le président d’Israël, qui l’a qualifiée de « violence criminelle contre des innocents », qui « nous nuit en tant que société morale et pays légitime ».

Toutefois, le Ministre des finances a publiquement appelé à « l’anéantissement » de la ville de Huwara, des propos impensables d’incitation à la violence et à l’hostilité.

Monsieur le Président,

L’augmentation de la violence condamne des innocents de tous bords à de nouvelles tragédies, dans une terrible logique – ou plutôt un illogisme – qui se perpétue.

Dans mon rapport A/HRC/52/75, j’explique qu’au cours de la période considérée, les forces de sécurité israéliennes ont fréquemment eu recours à la force meurtrière, quel que soit le niveau de menace, et parfois même comme mesure initiale, plutôt qu’en dernier recours. Le HCDH a également enregistré plusieurs cas manifestes d’exécutions extrajudiciaires ciblées commises par des membres des FSI.

Le rapport indique que 131 Palestiniens ont été tués par les FSI au cours de l’année écoulée dans le cadre de l’application de la loi, c’est-à-dire en dehors de tout contexte d’hostilités. D’après nos informations, 65 de ces personnes n’étaient pas armées et n’avaient pas participé à des attaques ou à des affrontements. Depuis 2017, moins de 15 % de ces meurtres ont fait l’objet d’une enquête et moins de 1 % ont donné lieu à une inculpation.

Treize Israéliens ont été tués par des Palestiniens au cours de la période couverte par ce rapport. Neuf Israéliens, dont trois enfants, et un ressortissant étranger ont depuis été tués dans deux attentats.

Les peines collectives, interdites par le droit international, sont de plus en plus souvent imposées aux Palestiniens par Israël. Le blocus de Gaza, qui limite l’accès de 2 millions de personnes à ce territoire, est en vigueur depuis 16 ans.

À l’heure actuelle, 967 Palestiniens sont placés en « détention administrative », qui consiste à détenir arbitrairement des personnes pour des périodes souvent longues, sans inculpation ni procès. Ce chiffre est le plus élevé depuis 15 ans.

Les homicides illicites, le recours à la force, la torture et les mauvais traitements infligés par les forces de sécurité palestiniennes se produisent en toute impunité. Il en va de même pour les autorités de facto de Gaza.

Plus de 270 colonies israéliennes empiètent sur la Palestine et la fragmentent. Le mur de séparation divise des milliers de Palestiniens et les sépare de leurs terres. Il constitue un obstacle majeur à leur liberté de circulation, notamment en entravant l’accès aux soins de santé, à l’éducation et à l’emploi, et étouffe leur vie.

La force meurtrière a été employée à plusieurs reprises contre des travailleurs palestiniens qui tentaient de franchir le mur pour entrer en Israël. Au cours de la période examinée, deux hommes ont été tués par balle et 35 blessés dans de telles circonstances aux mains des forces de sécurité israéliennes.

Monsieur le Président,

Des décennies de pertes et de violence. De violence contre l’occupation ; de violence pour la maintenir et la faire respecter. Je condamne la violence qui a tué et blessé tant de personnes des deux côtés, et qui engendre un profond désespoir. Des deux côtés, il y a, je crois, le sentiment croissant d’un avenir qui se rétrécit, dans lequel personne ne peut même espérer la paix et la sécurité pour ses enfants.

L’occupation met à mal les deux sociétés, à tous les niveaux, de l’enfance à la vieillesse, et dans tous les aspects de la vie.

Pour que cette violence cesse, il faut que l’occupation prenne fin. De tous les côtés, certaines personnes en ont conscience.

Je suis intimement convaincu que la cause des droits de l’homme, qui nous unit et nous rappelle ce qu’est l’humanité, peut être le moteur d’un changement de cap vers la paix et la sécurité pour tous.

J’exhorte les décideurs et les personnes de tous bords à mettre en œuvre les recommandations de nos rapports et à s’éloigner du précipice vers lequel la montée de l’extrémisme et de la violence nous a conduits.

J’aimerais souligner certaines des recommandations récurrentes du système des droits de l’homme qui pourraient immédiatement changer la donne.

Il faut prendre des mesures pour garantir que les actions des FSI en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est, se déroulent dans les limites fixées par le droit international des droits de l’homme pour les opérations d’application des lois.

Il faut traiter tous les cas de violence de la même manière. Le droit n’est pas le droit s’il ne s’applique qu’à une seule partie. Il faut que les auteurs de tous les actes de violence illicites répondent véritablement de leurs actes, ce qui constituerait un premier pas essentiel pour ramener le calme : les violences meurtrières commises par la foule à Huwara dimanche, et les deux meurtres qui les ont précédées.

Toutes les parties doivent adhérer totalement à l’esprit et à la lettre de l’accord conclu lors du Sommet d’Aqaba le 26 février, et s’appuyer sur cette démarche de résolution de problèmes à l’échelle régionale pour résoudre d’autres problèmes à l’avenir.

Il faut prévenir les infractions commises aux points de contrôle ou, le cas échéant, enquêter sur ces faits et poursuivre leurs auteurs. Il faut mettre fin au blocus de Gaza. Il faut assouplir les restrictions, au lieu de les renforcer, pour améliorer la vie des individus et leur permettre de respirer.

Et il faut éloigner les jeunes – en fait, les personnes de tout âge et de toute opinion politique – de la violence et de l’extrémisme, et de l’illusion qu’il s’agit d’une solution.

De telles mesures sont ancrées dans les rapports et les activités de suivi du HCDH. Elles pourraient immédiatement contribuer à réduire la violence, au lieu de l’escalade actuelle qui risque de mener à une forte aggravation de la situation.

Les États Membres doivent jouer un rôle en aidant toutes les parties à trouver une issue. Dans un avenir proche, il faut mettre fin aux colonies dans les territoires occupés. Et dans un avenir prévisible, il doit y avoir une solution à deux États, avec la fin de l’occupation et la reconnaissance mutuelle des droits légitimes de tous les Israéliens et Palestiniens à vivre dans la dignité, la paix et la sécurité.

Merci, Monsieur le Président.