Déclarations Haut-Commissariat aux droits de l’homme
Le Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme Volker Türk conclut sa visite officielle en Haïti
10 février 2023
Lieu
Port au Prince
Mesye dam bonjou (Bonjour à tous). Je vous remercie d'être venus et permettez-moi de commencer par remercier le gouvernement d'Haïti pour son invitation à visiter, et pour les discussions franches que nous avons eues au cours des deux derniers jours.
À l'heure où de multiples crises dans le monde se disputent l'attention, je crains que la situation en Haïti ne reçoive pas l'attention urgente qu'elle mérite. En tant que Haut-Commissaire des Nations Unies pour les droits humains, je suis ici pour attirer l'attention sur cette situation et pour aider à stimuler l'action en faveur des Haïtiens et des Haïtiennes.
Le monde a besoin d'entendre ce dont j'ai été témoin et ce que mes collègues documentent chaque jour, dans l’une des pires situations de pauvreté et de terreur au monde - une capitale où, dans de nombreux quartiers, des bandes armées prédatrices contrôlent l'accès à l'eau, à la nourriture, aux soins de santé et au carburant, où les enlèvements sont monnaie courante, où les enfants sont empêchés d'aller à l'école, où ils sont recrutés pour perpétrer des violences et où ils les subissent. Un pays où une personne sur deux est confrontée à la faim, vit dans une extrême pauvreté et n'a pas d'accès régulier à l'eau potable. Où les prisonniers meurent de malnutrition, de choléra, et autres. N'oublions pas la vulnérabilité du pays aux catastrophes naturelles.
Les problèmes sont vastes et accablants.
Mais je suis également ici pour mettre en garde contre le fait de considérer la situation en Haïti comme insurmontable et sans espoir. Haïti et les Haïtiennes et les Haïtiens ne doivent pas être définis par la vision réductrice et victimisante.
Beaucoup m’ont parlé d'un pays qui va de crise en crise. Moi, je vois un peuple qui a une longue histoire de résilience et de résistance et de détermination face à une série de crises, qu'il s'agisse de catastrophes naturelles ou de crises d'origine humaine imposées de l'extérieur ou de l'intérieur. Il s'agit, après tout, d'un pays né de la lutte pour la dignité et les droits humains contre le colonialisme, l‘esclavage, le racisme systémique et l'oppression.
Cependant, j'ai également ressenti l'épuisement qui résulte du fait de porter ces fardeaux jour après jour, et j'ai entendu un appel à l'aide. Un SOS lancé par les communautés haïtiennes les plus malmenées.
La sortie de ces multiples crises des droits de l'homme doit être prise en charge et dirigée par le peuple haïtien, mais l'ampleur des problèmes est telle qu'elle nécessite l'attention active et le soutien ciblé de la communauté internationale.
Aujourd'hui, je publie un rapport de mon Bureau qui expose l'impact débilitant de la violence des gangs dans plusieurs parties de la région de Cité Soleil à Port-au-Prince. Dans un seul quartier de Brooklyn - en proie à la violence des gangs - au moins 263 personnes ont été tuées, 285 blessées et quatre ont disparu entre le 8 juillet et le 31 décembre 2022. Nous avons documenté des violences sexuelles et des viols collectifs de femmes et de filles, la destruction et le pillage de maisons et le déplacement de personnes de leurs foyers. Depuis juillet, les gangs font régner un climat de terreur quasi permanent, notamment en employant des tireurs d'élite pour tirer sur les gens sans discernement. Les déplacements des personnes sont limités et l'accès aux besoins de base est bloqué, notamment l'eau, la nourriture et les services d'assainissement, ce qui crée un environnement propice à la propagation de maladies infectieuses, dont la plus récente est le choléra.
Des communautés entières étant prises en otage par des gangs, les services sociaux publics sont largement absents. Alors que les organisations non gouvernementales et les agences des Nations Unies s'efforcent de fournir une aide indispensable, les "fondations" de ces quartiers sont souvent utilisées par les gangs pour contrôler une partie de l'aide.
Ces gangs possèdent un éventail d'armes et sèment la terreur et la violence dans les communautés qu'ils contrôlent. Des sources nous ont informés que des membres d’un gang ont distribué des machettes aux parents de personnes tuées par un gang rival en les appelant à se venger.
On estime que quelque 200 gangs opèrent dans tout Haïti. Les gangs contrôlent désormais une partie de la capitale, mais se répandent également dans le centre et le nord du pays, comme dans les départements de l'Artibonite et du Nord. Plus de 500 000 enfants vivant dans des quartiers contrôlés par les gangs ont du mal à accéder à l'éducation. Beaucoup ont subi de graves violences.
J'ai rencontré une jeune fille de 12 ans qui a survécu à une balle dans la tête tirée par des membres de gangs. Et une autre jeune fille qui avait été violée par un gang. Ces violences horrifiques et insupportables à l'encontre des enfants, des femmes et des hommes d'Haïti se déroulent en grande partie en toute impunité.
Les autorités publiques n'ont pas été en mesure de réagir de manière adéquate et au moins 18 policiers ont été tués depuis le début de l'année à cause de la violence des gangs.
Le manque de ressources et de personnel dans les forces de police, associé à une corruption chronique et à un système judiciaire faible, font que l'impunité est un problème central depuis des décennies maintenant.
Cela ne doit pas continuer.
Dans mes discussions avec les hauts fonctionnaires, la société civile, mes collègues des Nations Unies et la communauté internationale ici en Haïti, j'ai souligné que les mesures visant à rétablir la sécurité devront se concentrer sur la responsabilité, la prévention et la protection pour être efficaces et durables. Il est urgent de renforcer le système de justice pénale, d'améliorer le système pénitentiaire - notamment avec 80 % de la population carcérale en détention provisoire - et de s'attaquer à la corruption et à l'impunité.
La corruption rampante est un obstacle à la réalisation des droits économiques et sociaux, elle mine davantage des institutions déjà fragiles, notamment le système judiciaire et la police, et elle est profondément corrosive dans tous les aspects de la vie quotidienne du peuple haïtien.
La crise sécuritaire actuelle a bien sûr aggravé la situation économique des Haïtiens. Plus de la moitié des 11,8 millions d'habitants d'Haïti vivent sous le seuil de pauvreté. En octobre de l'année dernière, l'inflation en glissement annuel a atteint 47,2 %. Quelque 4,7 millions de personnes sont en situation d'insécurité alimentaire aiguë et on estime à 19 200 le nombre de personnes en situation catastrophique, vivant dans des conditions proches de la famine. En 2022, on estime que seule une personne sur deux (48 %) avait un accès régulier à l'eau potable. La situation dans les prisons est particulièrement précaire, avec des pénuries de nourriture, de médicaments et d'eau qui ne cessent de s'aggraver.
La violence des gangs a déplacé un grand nombre de personnes à l’intérieur du pays. En novembre, on comptait 155 139 personnes déplacées à l'intérieur de la zone métropolitaine de Port-au-Prince. Environ un quart de ces personnes déplacées vivent dans des sites spontanés, la plupart sans accès aux services de base tels que l'eau potable, une hygiène adéquate et des installations sanitaires. Les autres 75 % vivent au sein des communautés d'accueil, partageant des ressources déjà rares. Il est urgent que les autorités répondent à leur situation particulière.
Lors de mes discussions avec la société civile, la situation critique des secteurs vulnérables de la société est apparue avec force, notamment les femmes, les communautés LGBTI, les personnes handicapées, les jeunes et les enfants. Et ce qui est également ressorti avec force, c'est la nécessité pour les organisations de la société civile - et d'ailleurs pour tous les acteurs qui peuvent contribuer à façonner les événements dans le pays - de jouer un rôle actif et constructif dans le processus de dialogue politique et d'autres plateformes pour identifier des solutions - à petite et grande échelle, à court, moyen et long terme.
La situation en Haïti est désespérée. Mais il existe une source de potentiel pour renverser la donne. Pour libérer le potentiel de changement profond, les élites politiques et économiques doivent surmonter leur indifférence à l'égard de la souffrance de la majorité. Elles doivent faire en sorte que ce soit le peuple haïtien qui exerce le pouvoir. J'ai appelé les autorités à poursuivre un dialogue inclusif en se fondant sur l’accord national du 21 décembre pour trouver une solution durable à la crise multidimensionnelle que traverse Haïti, notamment par l'organisation rapide d'élections libres et transparentes pour la restauration des institutions démocratiques.
J'ai également exhorté la communauté internationale à faire en sorte qu'Haïti figure en bonne place dans son agenda. La Police Nationale d'Haïti a besoin d'un soutien international immédiat et coordonné, à la hauteur des enjeux, pour renforcer sa capacité à répondre à la situation sécuritaire d'une manière conforme à ses obligations en matière des droits humains. Je demande également à la communauté internationale d'envisager d'urgence le déploiement d'une force d'appui spécialisée dans des délais précis, dans des conditions conformes aux lois et normes internationales relatives aux droits humains, avec un plan d'action complet et précis. Ce déploiement doit s'accompagner d'un rétablissement rapide et durable des institutions publiques dans les zones exemptes de gangs, ainsi que d'une réforme profonde du système judiciaire et pénitentiaire. Le régime de sanctions est une première étape importante. Il doit s'accompagner de la traduction en justice des auteurs de ces crimes en Haïti.
Il est tout aussi important de renforcer la coopération internationale pour accroître les contrôles aux frontières afin de mettre un terme au commerce et au trafic illicites d'armes.
Compte-tenu de l'histoire de l'implication internationale en Haïti, il y a beaucoup de leçons à tirer. L'engagement international doit être abordé avec humilité, avec la participation constante et active du peuple haïtien et avec un regard constant sur les plus vulnérables.
Et tant que la situation désastreuse du pays n'est pas résolue, il est clair que les violations et abus systématiques des droits humains ne permettent pas actuellement le retour sûr, digne et durable des Haïtiens en Haïti.
Malgré cela, 176 777 migrants haïtiens ont été rapatriés l'année dernière. Lors de ma visite à Ouanaminthe, dans le nord-est du pays, j'ai entendu des histoires terribles sur le traitement humiliant auquel sont soumis de nombreux migrants, notamment des femmes enceintes et des enfants non accompagnés ou séparés.
Permettez-moi de le souligner à nouveau : le droit international des droits humains interdit le refoulement et les expulsions collectives sans évaluation individuelle de tous les besoins de protection avant le retour.
Je vais bientôt quitter Haïti, mais bien sûr, l'important travail de l'équipe des droits humains au sein de la présence des Nations Unies ici se poursuivra. Je me réjouis de l'ouverture du gouvernement haïtien à renforcer la présence des Nations Unies en matière de droits de l'homme dans le pays. Il y a beaucoup de possibilités pour nous de soutenir le peuple haïtien et de travailler à ses côtés pour renforcer ses institutions, aider à renforcer l'espace civique, continuer à surveiller et à rendre compte des violations des droits humains et des abus, encourager les approches centrées sur les survivants pour lutter contre la violence sexuelle, soutenir les autorités judiciaires et la police nationale haïtienne et plus encore. Je m'engage à renforcer le soutien de mon Bureau ici pour faire face à ces défis.
Une profonde transformation est nécessaire en Haïti et les droits humains doivent être au centre de la vision d'un avenir meilleur pour toutes et pour tous. J'ai bon espoir qu'avec la participation active et la sagesse de son peuple, couplée au soutien et à l'assistance internationale, les Haïtiens pourront faire ressortir l'incroyable richesse de ce pays. Malgré tous les problèmes, le progrès est possible. Pour notre part, nous nous engageons à soutenir les Haïtiens qui prennent de grands risques, chaque jour, pour protéger les droits humains dans les circonstances les plus difficiles.
Mysion mwen an fini men travay la ap kontinye. Mèsi anpil. (Ma mission se termine mais le travail continue. Merci beaucoup).
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