Déclarations Haut-Commissariat aux droits de l’homme
Haïti : L'Expert des droits de l’homme William O'Neill conclut sa visite officielle
28 juin 2023
Bonjou tout moun, kouman nou ye. Mwen se William O’Neill, Ekspè Endepandan sou sitiasyon dwa moun nan peyi Dayiti. Mwen kontan la avèk nou jodi a pou pale sou vizit mwen fè nan peyi Dayiti. Mwen rankontre ampil otorite, manm oganizasyon, entelektyèl epi mwen vizite Penitansye Nasyonal ak prizon Okap Ayisyen. Pwoblèm yo ampil, gen ampil bagay ki pou fèt pou dwa moun nan peyi Dayiti. (Bonjour tout le monde, comment allez-vous ? Je suis William O’Neill, Expert indépendant sur la situation des humains en Haïti. Je suis content d’être avec vous aujourd’hui pour parler de ma visite en Haiti. J’ai rencontré beaucoup d’autorités, des membres d’organisations de la société civile, des intellectuels et j’ai visité le Pénitencier National et la prison de Cap-Haitien. Les problèmes sont nombreux et il y a beaucoup à faire pour les droits humains en Haiti.)
Laissez-moi commencer par tous vous remercier pour votre présence. Merci au Gouvernement haïtien pour avoir soutenu ce mandat, suite à la visite du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme en février dernier. Merci aussi pour l’ouverture et l’engagement des autorités pour le respect, la protection et mise en œuvre des droits humains. Merci au BINUH pour l’accueil et le soutien apporté. Merci enfin aux organisations de la société civile et aux victimes que j’ai eu la chance de rencontrer.
Je viens de passer dix jours en Haiti, pays que je connais bien pour y avoir vécu et travaillé plusieurs années, notamment au sein de la Mission civile internationale en Haiti (MICIVIH) et de la société civile. J’ai eu l’honneur, en 1995, d’avoir contribué à mettre en place la Police Nationale d’Haïti (PNH) ainsi que l’Ecole de la magistrature.
J’ai malheureusement retrouvé un pays meurtri par la violence, la misère, la peur et la souffrance. La situation des droits humains est dramatique, tous les droits y sont bafoués. Les gangs continuent de faire régner la terreur, en particulier dans plus de la moitié de la capitale Port-au-Prince, devenue une zone de non-droit. Les femmes et les jeunes filles continuent de se faire violer par les gangs, souvent collectivement, pour asseoir leur contrôle sur la population. Au-delà de la violence des gangs qui sévit dans la capitale et qui a poussé des dizaines de milliers à se déplacer, les accaparements de terres par des oligarques dans le Nord-Est a aussi chassé des milliers de paysans exposés à la précarité.
Dans ce contexte d’insécurité chronique, les autorités haïtiennes font face à d’immenses défis. Mais la situation n’est pas irréversible. Beaucoup peut être fait pour pallier les défis structurels et conjoncturels ayant mené à la crise actuelle. Et ceci, rapidement, et avec peu de moyens. L’Etat a un rôle fondamental à jouer en ce sens, en tant que garant des droits humains de la population.
La solution pour Haiti doit en priorité être haïtienne. Elle doit passer par la mise en place de systèmes de performance et de surveillance pour veiller à la responsabilité et à l’intégrité de tous les acteurs, à chaque niveau de la chaîne hiérarchique. L’ampleur de la crise est telle que le soutien adapté et coordonné de la communauté internationale sera fondamental pour accompagner la transition vers une meilleure gouvernance.
Ainsi, le déploiement d’une force internationale spécialisée aux côtés de la Police Nationale d’Haiti (PNH) est indispensable pour rétablir la liberté de mouvements des populations. Dans le même ordre, afin de limiter la violence des gangs, l’embargo sur les armes principalement en provenance des Etats-Unis, établi par le Conseil de sécurité des Nations Unies, doit être appliqué immédiatement. Aucune arme n’est produite en Haiti. Le Conseil de sécurité a exprimé à plusieurs reprises ses préoccupations concernant le trafic illicite et le détournement d'armes et de matériel connexe qui portent atteinte aux droits humains.
La situation carcérale illustre les manquements et les dysfonctionnements du système judiciaire à tous les niveaux. Au pénitencier national de Port-au-Prince, et à la Prison civile du Cap-Haïtien, j’ai été témoin de conditions de détention inhumaines. 219 détenus sont décédés en détention en 2022, principalement raison de la malnutrition ou par manque d’accès aux médicaments. Les détenus sont entassés dans des cellules exigües, sous une chaleur étouffante, parfois sans accès à l’eau, aux sanitaires, avec une alimentation insuffisante. Ils survivent dans une odeur suffocante provoquée par des monticules de déchets dans la capitale, contribuant à la propagation de maladies telles que la tuberculose et le choléra. Plus de 83% des personnes incarcérées sont encore en détention préventive prolongée, sans avoir eu accès à un juge ou à un avocat, certains depuis plus d’une décennie, y compris des mineurs. Je demande aux autorités de déployer tous leurs efforts pour permettre aux détenus de vivre dans la dignité, ceci inclut l’accès immédiat et constant aux besoins élémentaires. J'appelle les autorités à s'engager à augmenter de manière significative le nombre de dossiers traités pour les personnes en détention provisoire.
Un système judiciaire efficace est essentiel pour lutter contre la corruption et l'impunité qui alimentent le cycle de la violence et qui paralysent le pays depuis des décennies. Le manque de contrôle, de responsabilité et de sanctions des fonctionnaires dans le domaine judiciaire crée un terrain fertile pour la corruption et l’impunité. En ce sens, le Conseil Supérieur du pouvoir judiciaire (CSPJ) et les inspections judiciaires doivent redoubler d’efforts pour certifier les magistrats et assurer que tout manquement sera sanctionné, en conformité avec les standards internationaux en matière de droits humains, notamment le droit de recours pour les magistrats non certifiés. Il est également urgent de rétablir le Tribunal de première instance de Port-au-Prince, qui n’est plus opérationnel depuis plus d’un an.
Bwa Kale, le mouvement d’individus qui se font justice à eux-mêmes, de manière organisée ou dans un sursaut de désespoir, est aussi un symptôme de la faillite du système judiciaire. L’histoire a montré que la justice populaire et ses nombreuses dérives n’avaient jamais permis de résoudre la violence. Néanmoins, le public peut aider la police en lui fournissant des informations sur l'origine et la nature de la violence dans leur quartier.
Le régime de sanctions de l'ONU est aussi une étape importante pour lutter contre la corruption et l’impunité. Elle doit s'accompagner de mesures visant à traduire les auteurs devant la justice haïtienne. La transparence de l’information, y compris des comptes publics, est un prérequis essentiel pour lutter contre la corruption. L’effort d’assainissement du service public et de reddition de comptes doit être accompagné d’un cadre juridique permettant un accès à l’information sans entrave. Il est aussi nécessaire que l’Etat puisse protéger les journalistes, Haiti étant le deuxième pays de la région le plus dangereux pour cette profession.
Malgré ce sombre tableau, j’ai trouvé des signes prometteurs pour contribuer au changement. J’ai été impressionné par les résultats obtenus par un Directeur Départemental de la PNH pour endiguer l’insécurité dans le département du Nord. J’ai noté les avancées rapides déjà obtenues par le nouveau Commissaire du gouvernement de Port-au-Prince qui a suivi de près de nombreux dossiers et qui s’est engagé personnellement à rendre des comptes périodiquement sur les progrès réalisés. J’ai pu rencontrer des avocats du Bureau d’Assistance Légale (BAL) du Cap haïtien, soucieux de faire avancer les dossiers et de pousser le système judiciaire vers des objectifs de performance. Je suis aussi admiratif devant le courage de juges, tels que le juge Morin, qui a récemment survécu à une tentative d’assassinat pour son travail, qui continuent à prôner haut et fort leur engagement en faveur de l’intégrité du service public et contre la corruption. Je salue en ce sens les progrès accomplis par l’Unité de Lutte Contre la Corruption (ULCC) pour poursuivre les présumés auteurs de cas emblématiques. Mon admiration va enfin à la société civile, pour leur courage et leur détermination.
J’ai aussi été encouragé par les efforts réalisés par la PNH qui opère dans des conditions difficiles et des moyens limités. Une force internationale spécialisée doit être coordonnée en étroite collaboration avec la police, afin de permettre de renforcer ses capacités sur le long-terme, avec toutes les garanties de diligence en matière de droits humains. Des transferts de technologies et de connaissances ciblées seront essentiels, notamment dans le domaine du renseignement et de la lutte contre la violence urbaine. Le développement d’une police de proximité est aussi à encourager. J’ai néanmoins reçu des informations inquiétantes concernant de possibles exécutions sommaires par des individus portant des uniformes de la police ainsi que des arrestations massives d’individus pour motif d’association de malfaiteurs, incarcérés sans jugement ni accès à un avocat. Dans ce cadre également, l’impunité doit cesser. Par ailleurs, l’effort entamé de certification des policiers doit aussi être une priorité.
La police et la justice devront également renforcer leurs capacités pour combler les lacunes en ce qui concerne les violences sexuelles et basées sur le genre qui demeurent prévalentes. D’après les informations crédibles reçues, le nombre d’incidents de violences sexuelles aurait doublé au mois de mai dans la capitale, et ceci, malgré des engagements forts de l’Etat suite à la publication, en octobre 2022, du rapport conjoint OHCHR/BINUH sur les violences sexuelles. Des unités spécialisées et des fonctionnaires formés sur la question seront indispensables pour apporter une réponse adéquate. Des services de santé spécialisés et renforcés, ainsi que de projets de suivi psychosocial des survivantes doivent accompagner ces efforts.
L’absence de l’Etat se fait ressentir pour tous les droits économiques, sociaux et culturels. L’accès à la santé, à l’eau, à l’alimentation, à l’éducation et au logement, sont sérieusement entravés par le manque de réponse étatique qui a pourtant le devoir de fournir une réponse adaptée dans la limite de ses capacités. L’insécurité, notamment dans les zones les plus marginalisées de la capitale, exacerbe encore davantage la défaillance des institutions dans ce domaine. Des quartiers entiers sont livrés à leur sort, sans accès à aucun service public, contribuant à encore accroître des inégalités déjà insupportables et alimentant des schémas d’exclusion à l’origine même de la violence. Cette situation contribue notamment au recrutement croissant d’enfants et de jeunes dans les gangs. Les départs organisés et en masse d’haïtiens en recherche d’une vie meilleure ont encore affaibli les services sociaux avec une baisse significative de la main d’œuvre notamment dans les domaines de la police et de la santé.
La violence incessante et les violations systématiques des droits humains en Haïti ne permettent pas actuellement le retour sûr, digne et durable des Haïtiens dans le pays. Au total, 176 777 migrants ont été rapatriés de janvier à décembre 2022. Certaines méthodes de rapatriement utilisées ne sont pas conformes aux normes relatives aux droits humains et violent les accords bilatéraux de migration. J’exhorte les autorités de la République dominicaine à respecter leurs engagements en ce sens et réitère l’appel à tous les pays de la région de mettre fin aux déportations massives de migrants haïtiens, en particulier de mineurs non-accompagnés. Je suis particulièrement inquiet concernant les informations reçues concernant la traite d’enfants et de femmes migrants, y compris des allégations de traite d’organe et de traite de personnes à des fins sexuelles.
Haiti est à un tournant de son histoire. Il est urgent d’agir. Il en va de la survie de toute une nation. Le pays a le choix de se redresser, de démontrer sa volonté de surmonter la crise pour aller vers un avenir meilleur ou de se résigner et sombrer davantage dans le chaos.
Assurer la sécurité et la protection de la population, surmonter les lacunes institutionnelles structurelles et rétablir la confiance dans les institutions publiques, sont des prérequis fondamentaux pour tenir des élections libres et transparentes et pour la consolidation de l'Etat de droit.
Mysion mwen an fini men travay la ap kontinye. Mèsi anpil. (Ma mission se termine mais le travail continue. Je vous remercie de tout cœur).
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