Déclarations Haut-Commissariat aux droits de l’homme
Le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme Volker Türk conclut sa visite officielle en Ukraine
07 décembre 2022
Kyïv, le 7 décembre 2022
Bonjour, et merci de votre présence.
Cela fait maintenant quatre jours que je suis ici, par des températures négatives. J’ai vu de mes propres yeux les horreurs, les souffrances et les ravages que cette guerre menée par la Russie contre l’Ukraine cause chaque jour sur la population de ce pays.
J’ai parlé aux familles des prisonniers de guerre qui attendent des nouvelles de leurs proches, dans l’angoisse. J’ai écouté la douleur de celles et ceux dont les enfants sont en première ligne ; j’ai entendu parler du sort des personnes handicapées et des personnes âgées qui sont incapables de se mettre à l’abri lorsque les sirènes de raid aérien retentissent. Je me suis rendu sur le site d’un immeuble d’habitation bombardé à Izium, dans la région de Kharkiv, où plus de 50 personnes ont été enterrées sous les décombres.
Ces ruines portaient encore les traces des vies fauchées par les bombardements aveugles.
Une chaussure. Un piano. Des jouets. Une armoire remplie de vêtements. Des étagères contenant des livres.
J’ai parlé à une femme qui m’a montré son immeuble détruit, où vivaient tous ses voisins, aujourd’hui morts.
Lundi, j’ai dû rester dans un abri souterrain pendant un certain temps, alors qu’au moins 70 missiles ont été lancés à travers l’Ukraine, frappant à nouveau des infrastructures essentielles et provoquant des coupures de courant. Un groupe de défenseurs des droits de l’homme nous a rejoints, et nous avons poursuivi calmement notre réunion. Comme s’il était normal de voir sa journée interrompue par des sirènes de raid aérien.
Ce n’est pas normal. Cela ne doit pas être normal.
Je crains que l’Ukraine ne connaisse un long et sombre hiver. Les conséquences de la guerre sur l’exercice des droits de l’homme par les habitants du pays ont déjà été dévastatrices, et le pronostic est très inquiétant.
Quelque 17,7 millions de personnes ont besoin d’une aide humanitaire et 9,3 millions ont besoin d’une aide alimentaire et de moyens de subsistance. Un tiers de la population a été contraint d’abandonner son foyer. Quelque 7,89 millions de personnes ont fui le pays, dont la majorité sont des femmes et des enfants, et 6,5 millions de personnes sont déplacées à l’intérieur du pays.
Cela signifie des vies déracinées.
L’aide humanitaire joue un rôle essentiel en apportant un soutien aux personnes les plus vulnérables, notamment les personnes âgées et les personnes handicapées. La priorité doit être donnée à la mise en place d’un filet de protection sociale adéquat pour les personnes les plus vulnérables.
Nous recevons chaque jour des informations sur les crimes de guerre. Le nombre élevé de victimes civiles, ainsi que l’importance des dommages et des destructions causés aux biens de caractère civil, dont des hôpitaux et des écoles, sont choquants, comme j’ai pu le constater par moi-même à Izium. En période d’hiver, cela a des conséquences désastreuses pour les personnes les plus vulnérables. Elles sont confrontées à des coupures de courant, sans chauffage ni électricité, qui durent des heures.
Des informations continuent de circuler sur des exécutions sommaires, des actes de torture, des détentions arbitraires, des disparitions forcées et des violences sexuelles à l’encontre de femmes, de filles et d’hommes.
Concernant les informations qui continuent de faire état de mauvais traitements, de torture et d’exécution de prisonniers de guerre, le HCDH a publié une déclaration à la mi-novembre, dans laquelle il a fait part de sa très grande inquiétude à la suite de ses constatations. Nous continuerons de suivre cette question de près.
Les prisonniers de guerre doivent être traités humainement à tout moment, dès leur capture. Il s’agit d’une obligation claire et sans équivoque en vertu du droit international humanitaire. Les prisonniers de guerre soupçonnés d’avoir commis des crimes de guerre doivent être poursuivis, conformément aux normes internationales. Le droit international interdit toutefois de les poursuivre pour avoir simplement participé aux hostilités.
Lors de ma visite lundi à Boutcha, au nord de Kyïv, j’ai vu les traces visibles de destruction laissées après le départ des forces russes en mars. Les impacts de balles sur les murs des maisons. La ville a été reprise par les forces ukrainiennes en moins de quatre semaines, mais six mois plus tard, le traumatisme de tant de personnes ayant vécu cette période dans la terreur et tant d’autres ayant perdu des êtres chers reste omniprésent.
Notre présence sur place, à savoir la mission de surveillance des droits de l’homme en Ukraine dirigée par Matilda Bogner, publie aujourd’hui un rapport qui décrit les meurtres de civils coupant du bois ou faisant leurs courses. Ce rapport révèle le sort de 441 civils dans certaines zones à travers trois régions du nord – Kyïv, Tchernihiv et Soumy – qui étaient sous contrôle russe jusqu’au début du mois d’avril. Boutcha a été la ville la plus touchée. Nous nous efforçons de corroborer les allégations d’autres meurtres dans ces régions, ainsi que dans certaines zones des régions de Kharkiv et de Kherson, qui ont été récemment reprises par les forces ukrainiennes.
Tout porte à croire que les exécutions sommaires recensées dans le rapport constituent un crime de guerre, à savoir celui d’homicide intentionnel.
Les victimes et les survivants de ces violations ont droit à la vérité, à la justice et à une réparation ; le principe de responsabilité doit être garanti dans les plus brefs délais. Il est important de mettre en place rapidement des programmes d’indemnisation des victimes et des survivants, afin de combler le vide en attendant que les responsables remplissent leurs obligations.
La remise en cause du droit international humanitaire est également très inquiétante. Il faut se rappeler que ce domaine du droit régissant la conduite des hostilités est apparu à la suite de la brutale bataille de Solférino en 1859 et a été codifié dans le sillage des horreurs des deux guerres mondiales qui ont débuté sur ce continent.
Et n’oublions pas que la Déclaration universelle des droits de l’homme a été rédigée en réponse directe « aux catastrophes et aux actes de barbarie subis par les peuples du monde pendant la Seconde Guerre mondiale ».
Le droit international humanitaire est une réalisation importante de l’humanité et une obligation. Je demande à toutes les personnes qui participent aux hostilités de le respecter pleinement, surtout dans les circonstances les plus difficiles et les plus éprouvantes. Le droit international humanitaire est plus fort que sa violation par un État. Une violation par une partie ne justifie pas les violations par une autre.
Je demande instamment que justice soit rendue à toutes les victimes, quelles qu’elles soient, dans le respect de leur dignité et de leur humanité. L’impératif d’établir les responsabilités ne change pas selon l’affiliation de la victime ou de l’auteur. Toutes les allégations de violations du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme, quels qu’en soient les auteurs et le lieu, doivent rapidement faire l’objet d’une enquête et être jugées, dans le cadre d’une procédure juridique équitable et indépendante.
Une telle approche est également essentielle pour renforcer l’état de droit en Ukraine.
Comme l’a dit un défenseur des droits de l’homme que j’ai rencontré cette semaine, il est crucial que l’Ukraine s’accroche aux valeurs d’une société libre, fondée sur le respect de l’état de droit et des droits de l’homme, notamment la liberté d’expression, le droit à un procès équitable, la liberté de croyance religieuse, le droit à la sécurité sociale – soit l’ensemble des droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels.
Et qu’elle ne les perde pas de vue dans le brouillard de la guerre.
J’ai fait comprendre à mes homologues la nécessité d’avoir constamment l’œil sur leur vision du lendemain. Pour se préparer dès maintenant au type de pays dans lequel les gens aimeraient vivre une fois la guerre terminée. L’avenir sera meilleur.
Pour s’en assurer, les droits de l’homme doivent montrer la voie.
Pour cela, il faut renforcer la cohésion sociale entre les différentes communautés et garantir les droits des plus vulnérables ; assurer l’égalité d’accès, sans discrimination, aux services essentiels pour celles et ceux qui en ont le plus besoin – y compris les personnes handicapées et les personnes âgées, les femmes étant les plus touchées.
Il faut garantir un système judiciaire pleinement opérationnel, capable de rendre des procès équitables et la justice à la population ; veiller à ce que les allégations de violations – récentes et depuis 2014 – soient traitées avec urgence et transparence, fassent l’objet d’enquêtes et soient suivies de poursuites ; veiller à ce que les lois à l’étude soient pleinement conformes aux normes internationales en matière de droits de l’homme.
La société civile doit être libre de s’épanouir, d’exprimer ses opinions et de contribuer à la construction d’une société forte de sa diversité.
L’ouverture dont ont fait preuve les autorités et leur engagement envers ma mission de surveillance en Ukraine sont encourageants. Outre notre travail de surveillance, nous avons également fourni des conseils sur les lois qui doivent être modifiées, notamment la loi no 2108-IX qui, en mars, a introduit la responsabilité pénale pour la collaboration avec un « État agresseur ». La loi contient des dispositions qui sont vagues, tout en imposant des sanctions sévères. Nous demandons qu’elle soit modifiée afin de la rendre conforme aux normes internationales, comme je l’ai mentionné lors de ma rencontre avec les parlementaires en début de semaine. Le HCDH assurera le suivi de cette question en formulant des recommandations spécifiques. Nous avons également fait part au Parlement de nos préoccupations concernant le projet de loi sur la citoyenneté et les projets de loi sur les médias.
Le bureau du HCDH en Ukraine a travaillé sans interruption depuis 2014 : recueillant des informations et rendant compte de ces dernières, travaillant avec la société civile, conseillant le Gouvernement sur le respect du droit international et la manière de répondre à nos conclusions. Notre mandat comprend la surveillance et le signalement de toutes les violations commises sur le territoire de l’Ukraine, quel qu’en soit l’auteur.
Il est important pour nous d’avoir accès aux zones occupées de l’Ukraine, d’où nous continuons également à recevoir des rapports faisant état de violations. Nous n’y avons pas eu accès récemment, mais nous continuons à le demander.
Ma représentante en Ukraine et cheffe de notre mission de surveillance, Matilda Bogner, va maintenant vous parler plus en détail de notre rapport sur les meurtres commis dans le nord de l’Ukraine.
Pour ma part, je tiens à souligner que le moyen le plus efficace d’empêcher la poursuite de ce déferlement de cruauté est de mettre un terme à cette guerre insensée, conformément à la Charte des Nations Unies et au droit international. Mon souhait le plus ardent est que tous les citoyens ukrainiens jouissent du droit à la paix.
FIN
Pour plus d’informations et pour toute demande de la part des médias, veuillez contacter : Ravina Shamdasani (porte-parole, voyageant avec le Haut-Commissaire) : ravina.shamdasani@un.org
À Kyïv, avec la cheffe de la mission de surveillance des droits de l’homme en Ukraine :
Kris Janowski : 380 952 300 437 krzysztof.janowski@un.org ;
Kateryna Girniak : +380 504 868 364 kateryna.girniak@un.org
À Genève :
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