Déclarations Multiple Mechanisms FR
Dialogue interactif concernant le rapport de la Haute-Commissaire sur le Venezuela
29 juin 2022
Prononcé par
Michelle Bachelet, Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme
À
Cinquantième session du Conseil des droits de l’homme
Lieu
Genève
Monsieur le Président,
Excellences,
J’ai le plaisir de présenter mon rapport, qui donne un aperçu des dernières évolutions en matière de droits de l’homme au Venezuela et évalue l’application des recommandations précédentes, conformément à la résolution 45/20.
Trois ans se sont écoulés depuis ma visite à Caracas. Je tiens à souligner les progrès accomplis depuis lors dans la mise en œuvre des recommandations formulées par le HCDH, notamment les réformes engagées par le Gouvernement, en particulier dans les domaines de la justice, des services de police et de la détention. J’encourage les autorités à prendre des mesures supplémentaires pour promouvoir des changements structurels à long terme dans le pays.
Je rappelle que les initiatives législatives doivent, dès le départ, être accompagnées de consultations véritables et inclusives avec la société civile.
Je prends note de la dissolution des forces d’action spéciale (FAES) de la police nationale bolivarienne, conformément à mes précédentes recommandations. Cette restructuration est l’occasion d’introduire des changements supplémentaires et durables, tels que le renforcement de la nature civile des forces de sécurité et les procédures de contrôle mises en place à tous les niveaux. Le HCDH a relevé moins de décès dans le cadre des opérations de sécurité que les années précédentes.
Pourtant, comme nous le disons toujours, une mort est une mort de trop.
Je prends également note de la condamnation de plusieurs membres des forces de défense et de sécurité dans sept affaires de décès survenus lors de manifestations en 2017 qui ont été suivies par le HCDH, et j’encourage à en faire plus.
Dans l’affaire du décès de l’ancien conseiller municipal Fernando Albán alors qu’il était privé de liberté, deux agents du SEBIN ont été reconnus coupables d’homicide, et leur peine a ensuite été réduite à deux ans et huit mois de détention. Au cours de la procédure, les proches de la victime ont dénoncé le fait que l’enquête aurait négligé d’éventuels signes de torture ou de mauvais traitements, ainsi que la responsabilité des supérieurs hiérarchiques. Je prends note de ces événements et j’invite les autorités à poursuivre leur enquête à cet égard.
Je continue de demander des enquêtes indépendantes, complètes et rapides, assorties de garanties d’une procédure régulière, qui conduisent à l’établissement des responsabilités de tous les auteurs, et à des réparations complètes pour les victimes et leurs familles.
Je suis émue par la persévérance des victimes et de leurs proches dans leur quête de justice et j’appelle les autorités à garantir leur participation effective tout au long du processus judiciaire.
Le procureur général a partagé des informations avec le HCDH sur certains dossiers faisant l’objet d’une enquête. Dans le contexte de la coopération actuelle, j’espère que nous aurons bientôt accès aux audiences judiciaires et que nous continuerons à échanger sur d’autres affaires.
Je remarque également que le Procureur de la Cour pénale internationale a annoncé un accord avec le Gouvernement vénézuélien pour établir un bureau à Caracas. Le HCDH est prêt à soutenir les efforts nationaux visant à promouvoir le principe de responsabilité en cas de violations des droits de l’homme.
En ce qui concerne la réforme de la Cour suprême de justice, je prends note des préoccupations exprimées au sujet de la reconduction du mandat de certains magistrats, qui serait en contradiction avec les limites constitutionnelles d’une période unique de 12 ans de mandat, ainsi que des liens entre certains magistrats et partis politiques.
Il est très important de renforcer l’indépendance judiciaire et la séparation des pouvoirs au Venezuela. Conformément à mes recommandations précédentes, j’appelle les autorités à augmenter la nomination d’une plus grande proportion de juges titulaires par le biais d’un processus public et transparent.
Entre mai 2021 et avril de cette année, mon équipe s’est rendue dans 21 centres de détention et a mené 259 entretiens confidentiels avec des détenus, dont 46 femmes.
Je tiens à reconnaître les efforts déployés pour améliorer les conditions de détention, notamment en réduisant la surpopulation, et j’encourage les autorités à utiliser ces progrès initiaux afin de garantir des changements structurels plus durables.
Mon équipe a également continué à dialoguer avec les autorités concernant certains détenus dont la situation est préoccupante, notamment sur des allégations de mauvais traitements et autres violations des droits de l’homme. Ce travail a contribué à la libération de 68 détenus, dont 14 femmes, dont la moitié environ a été libérée sous condition.
Je reste préoccupée par les conditions de détention dans les centres de détention précédemment administrés par les services de renseignement (Helicoide et Boleita). Ces centres ne sont pas adaptés à la détention, étant donné les risques de mauvais traitements et de détention au secret, entre autres. Je regrette que l’accès à ces deux centres, ainsi que l’accès aux centres de détention militaires, ne soit plus accordé à mon équipe.
Je continue à demander que toutes les personnes détenues arbitrairement retrouvent leur pleine liberté, en particulier, celles dont la détention a été jugée arbitraire par le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire, et celles qui ont purgé leur peine ou se sont vu accorder un ordre de remise en liberté. Tous les détenus doivent se voir garantir le droit à un conseil juridique de leur choix, et ceux qui ont besoin de soins médicaux doivent également recevoir des soins adéquats en temps voulu.
Les amendements juridiques adoptés pour réduire les retards dans les procédures judiciaires et limiter la détention provisoire doivent être mis en œuvre sans délai.
Excellences,
Je reste préoccupée par les restrictions de l’espace civique et démocratique au Venezuela. Entre mai 2021 et avril de cette année, mon équipe a recensé 166 restrictions injustifiées de l’espace démocratique et civique, dont la stigmatisation, la criminalisation et des menaces contre des personnes exprimant des opinions dissidentes. Ces personnes ont continué à être discréditées dans les médias institutionnels.
En ce qui concerne la liberté d’expression, le HCDH a recensé 34 cas de harcèlement, de censure et de confiscation d’équipement multimédia, ainsi que des cas de coupure de l’accès à Internet.
Le fait que la législation relative à la lutte contre le terrorisme et le crime organisé soit utilisée contre le travail des défenseurs des droits de l’homme et des professionnels des médias reste préoccupant.
Ces pratiques doivent cesser.
Je prends note du non-lieu prononcé hier dans l’affaire pénale contre les cinq membres du personnel de l’ONG Azul Positivo qui avaient été accusés de blanchiment d’argent, d’association illicite et autres infractions en janvier 2021, dans le cadre de leur travail humanitaire.
Je prends également note de l’engagement volontaire du Gouvernement, pris dans le cadre du troisième cycle de l’EPU, de renforcer le plein exercice des droits aux libertés d’opinion et d’expression et de garantir les droits d’association, de réunion et de manifestation pacifique.
Cet engagement exige des garanties solides pour que les organisations de la société civile et les syndicats puissent mener leurs activités sans ingérence injustifiée, pour que les journalistes puissent travailler sans crainte de représailles et pour que toutes les opinions politiques puissent être librement exprimées.
Concernant les manifestations pacifiques, liées pour la plupart aux droits économiques et sociaux, le HCDH n’a recensé aucun décès et a relevé moins d’arrestations arbitraires que les années précédentes.
À la suite de la récente détention, en juin, de plusieurs manifestants pacifiques, qui ont ensuite été libérés sous condition, je rappelle que toute limitation des libertés fondamentales doit être strictement conforme au droit international des droits de l’homme.
Les voix dissidentes doivent être considérées comme le symbole d’un espace civique et démocratique sain.
À cet effet, je tiens à saluer la création récente d’espaces de dialogue avec la société civile, notamment les réunions de haut niveau entre les autorités et le Foro Civico, un groupe d’organisations de la société civile, ainsi que le Forum du dialogue social organisé sous les auspices de l’Organisation internationale du Travail (OIT). Ces espaces sont essentiels pour parvenir à des accords véritables et efficaces et doivent être protégés.
Je réitère également mon soutien envers l’établissement d’un dialogue entre le Gouvernement et l’opposition sous l’égide du Venezuela et j’encourage sa reprise rapide de manière inclusive et authentique. La participation des femmes devrait être prioritaire, et le dialogue devrait être fondé sur les droits de l’homme et l’état de droit, afin de garantir qu’il réponde aux besoins de l’ensemble de la population, en particulier des plus vulnérables.
Excellences,
Des obstacles persistent pour réaliser pleinement les droits économiques, sociaux et culturels dans le pays. Il faut redoubler d’efforts pour garantir que personne ne soit laissé de côté. Le prochain Cadre de coopération durable des Nations Unies, actuellement en discussion avec les autorités, serait une contribution précieuse à ces efforts, à condition qu’il soit ancré dans les droits de l’homme.
En ce qui concerne les prévisions de reprise économique au Venezuela, la croissance doit contribuer à réduire les inégalités existantes dans le pays et se traduire par une amélioration concrète du niveau de vie et de l’accès aux services de base de toute la population. À l’heure actuelle, le salaire minimum, bien qu’il ait été augmenté en mars, couvre environ 8 % du coût d’un panier alimentaire, selon la société civile. La levée des sanctions sectorielles pourrait contribuer à résoudre des problèmes préexistants.
J’insiste également pour que toutes les ressources disponibles soient utilisées, dans toute la mesure du possible, pour combler les lacunes des services et infrastructures essentiels, tels que les centres de santé. L’allocation des ressources doit se faire de manière transparente, tout en garantissant l’accès aux informations d’intérêt public. Il est également essentiel de garantir la transparence concernant les données officielles.
Excellences,
Le Gouvernement vénézuélien a accepté d’étendre la présence du HCDH sur le terrain à 16 personnes. Puisqu’il s’agit de mon dernier dialogue interactif sur le Venezuela devant ce Conseil, permettez-moi de saluer la coopération que nous avons établie au cours des trois dernières années, grâce à la confiance des victimes, de la société civile et des autorités.
Grâce à une coopération et un engagement plus forts, je suis convaincue que nous pouvons continuer à améliorer la situation des droits de l’homme de l’ensemble de la population vénézuélienne.
Merci.