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Déclarations Haut-Commissariat aux droits de l’homme

Le droit international des droits de l’homme est-il menacé? Conférence du cycle «Grotius Lectures» à la Law Society, Londres

Le droit des droits de l’homme est-il menacé?

26 juin 2017

Par Zeid Ra'ad Al Hussein, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme

Le 26 juin 2017

Au début du mois, la Première ministre britannique a appelé à passer outre les droits de l'homme, s'ils devaient compromettre la lutte contre le terrorisme. Plus précisément, Theresa May a déclaré qu'il était nécessaire «de limiter les libertés et les mouvements des terroristes présumés lorsque nous disposons de preuves suffisantes démontrant qu'ils constituent une menace, mais pas suffisamment pour les poursuivre en justice». Pour une opinion publique de plus en plus inquiète, secouée par les terribles attaques terroristes récentes, ses remarques traduisaient sans doute une profonde colère et de la frustration, mais elles visaient aussi à toucher la corde sensible d'une certaine partie de l'électorat et c'est cette perspective qui m'inquiète vraiment.

Les représentants du gouvernement britannique affirmeront probablement que ces commentaires s'inscrivent dans le cadre d'une campagne électorale dure et s'attacheront vraisemblablement à nous rassurer discrètement en affirmant que le soutien du gouvernement pour les droits de l'homme reste déterminé et indiscutable.

Quelle que soit l'intention derrière ses remarques, elles étaient profondément regrettables, un cadeau d'un dirigeant occidental majeur à tout régime autoritaire qui, dans le monde, viole effrontément les droits de l'homme au prétexte de lutter contre le terrorisme. Et cela ne concerne pas que les dirigeants.

Il y a quelques jours, un ancien contre-amiral sri lankais citant la Première ministre Theresa May, a présenté une pétition au Président du Conseil des droits de l'homme. Il a exigé que des mesures soient prises à l'encontre du HCDH pour avoir «contraint» le Sri Lanka à entreprendre des réformes constitutionnelles et avoir exercé des pressions en vue de créer un tribunal mixte pour juger les auteurs de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité – alors qu'en réalité, selon lui, il s'agissait seulement de lutter contre le terrorisme.

Ma première question: Pourquoi le droit international des droits de l'homme est-il une cible si facile? Pourquoi fait-il l'objet de tant d'incompréhension, d'un tel rejet de la part de certains, de crainte de la part d'autres, de dédain ou d'attaques?

Ma deuxième question: Si la Première ministre pensait ce qu'elle disait, quels droits universels le Royaume-Uni serait-il prêt à abandonner afin de sanctionner des personnes contre lesquelles les preuves sont insuffisantes pour justifier des poursuites? Quels sont précisément les droits qu'elle considère comme futiles ou gênants? Le droit à la vie privée? Le droit à la liberté et à la sécurité des personnes? La liberté d'expression? La liberté de religion et de conviction? Le principe de non-refoulement? L'interdiction de la torture? Le droit à un procès équitable?

Et pourquoi, en premier lieu, luttons-nous contre les terroristes, sinon pour défendre à la fois le bien-être des gens et les droits de l'homme et les valeurs mêmes que la Première ministre déclare à présent vouloir sacrifier, en partie – pour combattre les terroristes? Et où cela s'arrêterait-il? Renoncer aujourd'hui à certains droits peut avoir des effets destructeurs pour d'autres droits, demain. Si nous poussons ce raisonnement jusqu'à sa conclusion logique, à terme, le détricotage complet des droits de l'homme nous changera complètement – les États comme les organisations internationales. Pour citer Nietzsche: «Quiconque combat des monstres doit s'assurer qu'il ne devient pas lui-même un monstre».  Il deviendrait quasiment impossible de nous distinguer des terroristes que nous combattons.

Pourquoi, dès lors, la Première ministre Theresa May a-t-elle dit cela?  Une partie de la réponse au moins tient dans les conditions du marché. Le droit relatif aux droits de l'homme est depuis longtemps ridiculisé par une presse à sensation influente, ici au Royaume-Uni, se délectant à décrire ce qu'elle décrit comme les conclusions aberrantes de la Cour européenne des droits de l'homme à Strasbourg. Ce point de vue suscite de l'intérêt dans une tranche de l'opinion publique qui ignore l'importance du droit international des droits de l'homme – bien souvent considéré par beaucoup comme étant trop éloigné des réalités quotidiennes, trop continental, trop jargonnant, trop militant et finalement trop bizarre. Comment la Cour peut-elle s'intéresser au droit de vote des prisonniers et à d'autres revendications tout aussi futiles, lorsqu'on les compare aux souffrances des victimes? Les salauds méritent d'être sanctionnés, point final! Au plan émotionnel, cela peut se comprendre. Mais, il faut reconnaître que la contribution britannique, qui illustre une tradition juridique particulièrement riche, est présente dans l'ensemble de la Convention européenne des droits de l'homme.

Et ce, pour de bonnes raisons. Reconnaître que même un criminel a des droits constitue le fondement d'une pensée éclairée, un principe inscrit dans le droit commun. Il est au cœur même de la civilisation et nous différencie en cela des hordes primitives arrimées au seul sentiment de vengeance et aux cruautés. Je pense, comme beaucoup d'autres, que les criminels aussi ont des droits fondamentaux, car quelles que soient les horreurs commises, ils restent des êtres humains. Souvent, leur comportement pathologique n'est que le résultat de traumatismes qui leur ont été infligés par d'autres.

Permettez-moi de vous donner un exemple, même s'il est extrême.  En Irak, certains défendent l'idée de tuer le plus grand nombre possible d'enfants soldats de l'État islamique et iraient même jusqu'à proposer de les torturer, vu la monstruosité de leurs actes. Mais en Sierra Leone, de nombreux enfants disciples de Foday Sankoh, qui, à une époque, tranchaient les membres d'autres petits enfants, sont aujourd'hui pour une grande part rééduqués, grâce dans une large mesure aux efforts des Nations Unies. Il s'agissait d'enfants même s'ils étaient des terroristes – et il faut d'abord les considérer comme des enfants.

Dans le cadre de ce bref discours, je vais m'efforcer d'aborder certains de ces coups portés au droit international des droits de l'homme et au droit international, de manière plus générale. Vous m'avez fait l'honneur de me demander de parler aux successeurs d'Hugo Grotius. Que dirait Grotius aujourd'hui s'il revenait à la vie pour quelques instants? Serait-il surpris du résultat global, près de 400 ans après la publication de son traité sur Le droit de la guerre et de la paix? De l'étendue de l'actuelle hostilité? De la lutte? Ou, peut-être, ne serait-il surpris par aucun de ces éléments.

Alors qu'il favorisait une «société» internationale régie par le droit et non par la force, il serait peut-être surpris qu'il ait fallu 300 années supplémentaires marquées de traités et de gigantesques bains de sang, culminant dans deux guerres mondiales, avant que l'humanité n'adopte un système de droit international. Ou, autrement dit, la raison seule s'est avérée insuffisante.

Seule la mort de quelque 100 millions de personnes dans deux guerres mondiales et l'Holocauste pouvaient mobiliser la volonté nécessaire à un profond changement. L'humanité est tombée dans un précipice, a survécu et, figée par la peur, en est devenue d'autant plus sage. La perspective d'un anéantissement nucléaire a également défini la pensée d'après-guerre. Et peu après, les États ont rédigé la Charte, renforcé le droit international – codifié le droit international des réfugiés, perfectionné le droit humanitaire international et créé le droit international des droits de l'homme et le droit pénal international.

Ce sont précisément ces textes de droit international qui sont menacés aujourd'hui.

Bien qu'il me faudrait, dans cette intervention, parler de toutes les menaces au droit public international, de la prise et de l'annexion de la Crimée à l'enthousiasme des puissances européennes à déroger à l'accomplissement de leur obligations au titre de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés ou au bombardement, apparemment délibéré, par de grands acteurs étatiques d'infrastructures protégées par le DIH – telles que des cliniques, des hôpitaux en Syrie, au Yémen et en Afghanistan – je me contenterai par souci de concision d'évoquer les principales menaces à l'endroit du droit international des droits de l'homme et j'accorderai une attention particulière à l'interdiction absolue du recours à la torture. Ce faisant, j'espère démontrer combien ils sont symptomatiques du cynisme à grande échelle qui défie le droit international, de manière plus générale.

Permettez-moi, tout d'abord, de revenir à la lutte contre le terrorisme et sur la manière dont les gouvernements du monde entier en profitent pour remettre en cause les progrès réalisés en matière de droits de l'homme. La restriction des libertés d'expression et d'association – qui menace d'anéantir toute contestation dans des pays comme l'Égypte, Bahreïn et la Turquie –  clôt ce qu'il reste d'espace démocratique et, pour tous, au motif de lutter contre le terrorisme. Et cette contagion se propage, rapidement.

Lorsque j'insiste sur ce point et souligne les excès de l'action gouvernementale, je suis parfois accusé de faire preuve de sympathie pour les terroristes, ce qui est scandaleux. Je tiens à ce qu'il n'y ait aucune ambiguïté. Je condamne sans réserve le terrorisme. Rien ne peut le justifier, quelle que soit la revendication, réelle ou apparente.

Daech, al-Qaïda, al-Nosra et Boko Haram professent une idéologie distincte et elle doit être désamorcée à la source. Si elle doit être combattue sur le plan de la sécurité, au moyen de réseaux de renseignements et de forces armées, les actions envisagées doivent également être extrêmement précises. Autrement dit, la nature arbitraire et imprécise qui caractérise le choix des objectifs de la part des terroristes exige des États une réaction diamétralement opposée. L'application de la loi avec la précision d'un laser, conformément aux normes et garanties universelles des droits de l'homme, est le seul antidote acceptable pour que ce combat se conclue victorieusement.

La détention, et dans certains cas la torture, de personnes dont l'association avec un groupe terroriste est inventée de toutes pièces, mais qui sont néanmoins accusées en vertu d'une loi contre le terrorisme vaguement formulée – simplement parce qu'elles ont critiqué le gouvernement – est non seulement injuste, mais dangereuse et complètement vouée à l'échec.

Non seulement, elle fera d'une personne injustement accusée quelqu'un qui détestera l'État, mais aussi sa famille, ses amis, voire sa communauté. Et certains ne se contenteront pas de cette simple haine. La détention arbitraire sert la cause des terroristes, non celle de l'État; elle favorise leur recrutement. Et pourtant les détentions arbitraires sont fréquentes dans les États aux prises avec le terrorisme. En fait, si l'on s'en tient aux discours de nombreux gouvernements, tout avocat ou journaliste est quasiment par définition un terroriste, notamment s'ils s'intéressent aux droits de l'homme. Y compris ceux qui sont ici aujourd'hui!

Par ailleurs, comme les prisons deviennent souvent des usines à transformer les petits délinquants en extrémistes violents, la privation légale de liberté décrétée par les tribunaux doit être réservée aux délits les plus graves et les solutions non carcérales privilégiées pour les délits moins graves. Ce n'est pas ce à quoi l'on assiste.

Au contraire, nous voyons que les États-Unis imposent à nouveau de très longues peines de prison pour les personnes reconnues coupables de délits liés à la drogue. Et au lieu de se focaliser sur les personnes potentiellement violentes mues par l'idéologie Takfirie ou par toute autre idéologie extrémiste, l'administration Trump soumet les décrets présidentiels sur l'interdiction de voyager à la Cour suprême, bien qu'ils soient déclarés inconstitutionnels dans les juridictions inférieures.

De même, dans les semaines qui ont suivi les odieux attentats terroristes à Paris, en novembre 2015, les autorités françaises ont décidé de frapper large et ont fermé 20 mosquées et associations musulmanes, tout en ordonnant 2 700 perquisitions sans mandat. Au Royaume-Uni, la Investigatory Powers Act de 2016 (loi régissant les pouvoirs d'enquête) constituait l'un des systèmes de surveillance de masse les plus radicaux, autorisant l'interception, l'accès, la rétention et le piratage de communications en l'absence de tout soupçon raisonnable. Les réfugiés et les migrants étaient de plus en plus considérés comme des chevaux de Troie pour les terroristes.  L'hystérie faisait rage dans les milieux politiques dans toute l'Europe; de leur côté, les terroristes devaient arborer un large sourire. Quand il a fallu gérer les réactions de l'opinion publique, au lieu d'adopter une approche rationnelle, la fièvre s'est installée.

Pour venir à bout du terrorisme, les gouvernements doivent se montrer précis dans la chasse aux terroristes. Faire croire que l'on bouclera les frontières – avec ou sans murs décorés avec des panneaux solaires – est une illusion et une illusion vicieuse. Les enfants migrants ne devraient pas être placés en détention. Les refoulements ne devraient pas exister. Ni le reflux collectif ou les décisions prises aux frontières par des agents de police, en lieu et place des magistrats. Non plus que le renvoi vers des pays qui n'offrent aucune garantie de sécurité.

Selon nous, le traité de l'UE avec la Turquie a échoué sur nombre de ces points essentiels; notamment, concernant le droit de tout demandeur d'asile à une évaluation individuelle. En y ajoutant les mesures d'urgence prises hâtivement dans un grand nombre de parlements européens, qui dérogent aussi à la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, l'Europe – en tant que sentinelle du respect des droits des réfugiés et des droits de l'homme dans le monde entier – se retrouve empêtrée dans une situation de grande hypocrisie.

Les démagogues et les populistes à travers toute l'Europe et dans de nombreuses autres régions du monde ainsi que les tabloïds de ces pays attisent, sans vergogne, la xénophobie et le fanatisme depuis des années – le carburant qui a donné lieu à ces politiques mal avisées. Et cela semble s'être avéré payant avec une aubaine de soutien populaire en leur faveur. Au référendum qui s'est déroulé ici au Royaume-Uni, dominé par la peur exacerbée des étrangers et des institutions étrangères, est venu s'ajouter le résultat des élections américaines; le mouvement populiste qui faisait de plus en plus d'adeptes semblait alors irrésistible.

Après tout, la condition initiale de l'esprit humain est la peur. La peur primordiale. Ce mécanisme instinctif le plus profond qui nous protège du danger, de la mort. Une émotion que tout extrémiste, y compris les habiles populistes, cherchent à exploiter ou à stimuler. En la manipulant et en annihilant le raisonnement déductif fondé sur les connaissances, ils façonnent plus facilement les mouvements qu'ils dirigent et ils servent leurs ambitions politiques – du moins pour un temps.

Le mécanisme émotionnel en œuvre dans l'esprit d'un défenseur des droits de l'homme fonctionne différemment. Faire le bien dans nos vies, pas seulement au profit de quelques personnes, mais au profit de tous; défendre les droits de l'homme de tout un chacun – nécessite un effort permanent de la pensée afin que les préjugés naturels profondément enfouis en chacun de nous soient surveillés de près et extirpés de notre vie au quotidien. Il est possible que les défaillances de l'esprit humain relèvent du cerveau reptilien; mais la lutte interne pour les surmonter est profondément humaine. Penser à tous, œuvrer pour tous; tels sont les deux principaux enseignements tirés par ceux qui ont survécu aux deux guerres mondiales – qu'il s'agisse du comportement des personnes ou des États. Et ils sont gravés dans la Charte des Nations Unies.

Les mots «droits de l'homme» n'ont pas été écrits dans le préambule de la Charte des Nations Unies par son dernier auteur, Virginia Gildersleeve, par fioriture littéraire. Ils figurent dans le texte – presque au début, à la troisième ligne – car les droits de l'homme étaient considérés comme le seul choix possible pour inaugurer la nouvelle ère. En effet, le 26 juin 1945, jour de la signature de la Charte, des tueries d'une ampleur jusqu'alors inconnue venaient à peine de prendre fin, avec dans le monde entier des villes réduites en cendres encore fumantes, témoignant de la malveillance et de la stupidité incommensurables des hommes.

C'est seulement en acceptant que les droits de l'homme deviennent la pierre angulaire que le reste de l'édifice – réussite du développement économique, paix durable – devient possible. C'est un point qui, aujourd'hui encore – peut-être surtout aujourd'hui – doit être assimilé par les nombreux acteurs politiques qui ne voient dans les droits de l'homme qu'une contrainte fastidieuse. En fait, de nombreuses personnes qui jouissent de leurs droits depuis leur naissance ne sont tout simplement pas conscientes de ce que ces principes signifient. A l'instar de l'oxygène, ils échappent à nos perceptions sensorielles habituelles et ce n'est que lorsque, soudainement, nous en sommes privés, que nous comprenons leur immense importance.

Défendre les droits universels de tout être humain, de tout détenteur de droits, est une autre manière de dire que ce n'est qu'en travaillant main dans la main – en tant qu'hommes et en tant qu'Etats – que nous pourrons nous débarrasser des fléaux de la violence et de la guerre.

Hélas, les réflexes innés encore une fois véhiculés par les populistes et les démagogues semblent toujours fonctionner. Ils vendent la suprématie et non l'égalité, sèment la suspicion plutôt que la tranquillité et font preuve d'hostilité à l'égard de catégories bien définies de personnes qui sont vulnérables – des boucs émissaires tout désignés qui ne méritent pas leur haine. Cette engeance d'hommes politiques semble plus attachée à tirer profit de la peur réelle de certains électeurs qu'à promouvoir le bien-être de tous. 

Fort heureusement, le changement est en marche. La vague populiste et nationaliste chauvine dans le monde occidental, qui a culminé aux États-Unis, est retombée pour le moment, après s'être écrasée contre les urnes en Autriche, aux Pays-Bas et en France. Pour autant, de nouvelles vagues sont encore possibles. Néanmoins, en Europe, le mouvement antipopuliste, comme certains l'ont appelé, est en marche.

Dans d'autres régions du monde, les menaces sur le droit international et sur les institutions qui le défendent ne sont, pour le moment, pas impactées par ces récents développements plus positifs.

Les États-Unis réfléchissent à la diminution de leur contribution financière aux Nations Unies et à d'autres institutions multilatérales. Ils s'interrogent toujours sur leur retrait possible du Conseil des droits de l'homme et, à un moment, il était même question qu'ils se retirent des principaux instruments relatifs aux droits de l'homme auxquels ils ont adhéré.

L'année dernière, il a également été indiqué que neuf États arabes – la coalition conduite par l'Arabie saoudite qui combat les rebelles Houthis et pro-Saleh au Yémen – avaient menacé, fait sans précédent, de se retirer des Nations Unies s'ils figuraient sur la liste des auteurs, en annexe du rapport du Secrétaire général sur les enfants et les conflits armés.

La Commission interaméricaine des droits de l'homme, la Cour interaméricaine, le Tribunal de la communauté de développement de l'Afrique australe et la Cour pénale internationale n'ont pas non plus été épargnées par ces menaces. Heureusement, dans la majorité de ces cas, les menaces de retrait ont fait long feu et, même si un ou deux pays se sont effectivement retirés, il n'y a pas eu de réaction en chaîne. Mais la régularité de ces menaces signifie qu'il est de plus en plus probable qu'un jour l'hémorragie se produira – un départ soudain qui viendra fermer le livre d'une partie du système du droit international.

Dans ce contexte, ce qui me paraît le plus inquiétant est la tentation constante exprimée par le Président des États-Unis, dans l'ensemble de sa campagne et peu après, d'un retour à la pratique de la torture. Nous apprenons maintenant que le règlement (TTA) de l'Armée de terre américaine ne sera pas révisé et le ministre de la Défense des États-Unis conseille la Maison-Blanche en ce sens.  Pour le moment, il y a peu de danger d'un retour à la pratique dite des «techniques d'interrogatoire renforcées», un euphémisme qui ne trompe personne. Bien sûr, le climat aux États-Unis pourrait changer radicalement, si le pays devait, à l'avenir, connaître une épouvantable attaque terroriste. Et, gardant à l'esprit la manière dont l'opinion publique américaine, au cours des dix dernières années, est devenue bien plus réceptive à la torture, la balance pourrait pencher en faveur de sa pratique – et porter atteinte à la situation délicate dans laquelle se trouve la Convention contre la torture.

Il convient de rappeler que la Convention contre la torture, ratifiée par 162 pays, est l'instrument le plus intransigeant de tout le droit international. Son interdiction de la torture est si absolue, qu'elle ne peut être levée – même en cas de situation d'urgence «menaçant l'existence de la nation.» Et pourtant, nonobstant sa reconnaissance plus large comme jus cogens (norme impérative) et la limpidité de l'article 2 de la Convention, l'existence de si nombreuses victimes ayant survécu à la torture, toujours non reconnues, ne bénéficiant d'aucune aide et qui se voient refuser justice et réparation, constitue un témoignage vivant de la terrible persistance de la torture dans le monde.

Si seul un petit nombre d'États semblent pratiquer la torture systématiquement, dans le cadre de leur politique gouvernementale, 20 pays (énumérés sur notre site Internet) ne reconnaissent pas la compétence du Comité contre la torture, dans son article 20. En conséquence, ils refusent a priori tout examen d'accusation de violation généralisée.

Un bien plus grand nombre d'États pratiquent des actes de torture isolés – ou plus répétitifs – et infligent des mauvais traitements. Constat inquiétant, les pays qui appartiennent à ce groupe ne prennent tout simplement pas leurs obligations suffisamment au sérieux. Les niveaux d'impunité sont très élevés, étant donné que la plupart des personnes qui sont reconnues coupables ne s'exposent qu'à des sanctions administratives; et dans de nombreux États, les preuves obtenues sous la torture sont toujours recevables devant les tribunaux.

Il existe aussi un certain nombre d'États – et ce groupe peut éventuellement se développer – qui, bien que n'étant pas connus pour recourir à la torture, y consentent néanmoins, par exemple en négligeant le principe de non-refoulement visé à l'article 3 de la Convention.

Un bon nombre d'autres États parties manquent aussi pleinement ou partiellement à leurs obligations en vertu de l'article 14 de la Convention relatif aux réparations et aux mesures de réadaptation des victimes, quels que soient le lieu et l'auteur des tortures.

Il y a 11 ans, des progrès sensibles ont été réalisés avec l'entrée en vigueur du Protocole facultatif qui autorise les visites préventives du Sous-Comité pour la prévention de la torture sur tout lieu privatif de liberté, à tout moment. Quelque 50 mécanismes préventifs nationaux ont été créés et le Sous-Comité a conduit 54 visites. Cependant, nombre de ces mécanismes préventifs manquent de ressources et ne sont pas habilités à produire des résultats concrets.

La fragilité de la Convention est mise en évidence par le fait qu'aucun pays ne respecte l'ensemble de ses modalités. Aucun pays n'admettra publiquement qu'il pratique la torture, mais les preuves ne manquent pas pour démontrer que la torture est systématiquement pratiquée, tout du moins par certains États – la première catégorie évoquée ci-dessus.

Il semble qu'en prétextant se conformer à la Convention, tous les gouvernements se soient livrés à un simulacre. Et il pourrait s'avérer plus déterminant que nous ne le pensions initialement, car il implique un sentiment de honte. Voyons l'autre option.

Le Président des Philippines a parlé ouvertement des exécutions extra-judiciaires. Et le Président des États-Unis d'Amérique a déclaré que la torture pouvait être nécessaire dans certaines circonstances. Plus de faux-semblants. Les vieux tabous sont brisés. Si d'autres dirigeants emboitent le même pas rhétorique, en fragilisant la Convention par leurs discours, la pratique de la torture risque de se généraliser, ce qui serait catastrophique. La Convention serait sabordée et avec elle, c'est un pilier porteur central du droit international qui s'effondrerait.

Les risques qui pèsent sur tout le système du droit international sont donc bien réels.

Aujourd'hui, le 26 juin, a lieu la Journée internationale contre la torture et, il y a quelque temps, j'ai participé à une table ronde au King's College organisée par l'Association internationale du barreau, afin de sensibiliser à l'interdiction absolue de la torture et à la nécessité pour la profession de jouer un rôle bien plus actif pour empêcher son usage.

Le progrès humain n'est pas un long fleuve tranquille; il chancèle régulièrement et parfois même s'effondre provisoirement. Les efforts communs entrepris pour une cause commune, dans un cadre de compréhension et de réglementation commun, feront toujours l'objet d'attaques de la part de ceux qui s'intéressent plus à leurs petits intérêts personnels ou nationaux. Ces professionnels extrêmes favorables à un programme minimal assumé sont susceptibles de rejeter nombre des lois internationales actuelles et des institutions de l'après-guerre comme des anachronismes. Et le fait que pour les non-juristes, le système du droit international soit si compliqué, que le système des droits de l'homme soit si illisible pour de nombreux non-spécialistes, rend difficile la mobilisation du grand public qui ne perçoit pas nécessairement la menace.

Et cela me conduit au principal risque qui pèse sur les droits de l'homme aujourd'hui: l'indifférence. L'indifférence d'une grande partie du milieu des affaires, dans le monde entier, qui recherche le profit au prix parfois de grandes souffrances imposées aux autres. L'indifférence d'une part importante de la communauté du renseignement et de la sécurité pour qui la recherche d'informations éclipse tous les droits des tiers et qui voit une trahison dans les obstacles mis à leurs terribles pratiques discriminatoires.

Certains hommes politiques pour qui les droits économiques, sociaux et culturels ne signifient pas grand-chose sont indifférents aux conséquences de l'austérité économique. Ils considèrent les droits de l'homme comme un frein gênant à l'opportunisme – cette monnaie commune du monde politique. Pour les autres, l'indifférence ne suffit pas. Leur rejet de l'agenda des droits s'exprime par un mépris absolu pour les autres, un cortège de mesquinerie.

Notre monde se dirige dangereusement vers la perte du sentiment de compassion, devenant progressivement un monde de la post-vérité mais aussi de la mort de l'empathie. Il devient si difficile pour nous aux Nations Unies de trouver les sommes nécessaires à l'action humanitaire dans le monde entier. Nos appels de fonds pour les plus démunis atteignent rarement 50 pour cent des besoins; le chiffre final étant souvent bien inférieur.

Que nous arrive-t-il?

Je ne place pas mon espoir dans les gouvernements mais dans toutes ces personnes qui rejettent toutes les formes de terrorisme, qui dénoncent les pratiques extrêmes et discriminatoires de la lutte contre le terrorisme et refusent les populismes qui dépassent les limites idéologiques acceptables. Je place mon espoir dans ceux qui choisissent d'élire des dirigeants politiques plus éclairés. Je place mon espoir dans les plus courageux d'entre nous: les militants des droits de l'homme souvent victimes de violations eux-mêmes, n'ayant d'autre arme que leur intelligence et leur voix, prêts à tout sacrifier, notamment leur présence auprès de leurs enfants et de leur famille, qui perdent leur emploi, parfois leur vie, pour défendre les droits – non seulement leurs droits mais aussi ceux des autres.

Quel magnifique exemple! Ils me touchent. Et nous devrions tous être touchés. C'est grâce à eux que nous gardons notre sang-froid et ce sont eux, pas nous, qui assument le lourd fardeau de la défense de cet élément essentiel de notre ordre juridique international. Ce sont eux qui nous sauveront, et à notre tour, nous devons tout faire pour les protéger.

Je ne crois pas que Grotius serait surpris par tout cela.

Il n'est pas si facile de contrer les réflexes qui siègent dans notre cerveau reptilien et l'humanité restera encore pendant des siècles indigne de confiance et peu fiable. Notre comportement, le comportement des États, devront encore s'appuyer pendant longtemps sur des échafaudages juridiques pour préserver ce que nous pensons être la civilisation. Grotius nous serait reconnaissant de continuer à défendre sa société internationale, à lutter pour elle, un sourire ironique aux lèvres en pensant combien il était visionnaire, il y a quatre siècles déjà.

Merci de votre attention.

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