Déclarations Haut-Commissariat aux droits de l’homme
Ouverture de la quarante-quatrième session du Conseil des droits de l’homme
30 juin 2020
30 juin 2020
OUVERTURE DE LA QUARANTE-QUATRIÈME SESSION DU CONSEIL DES DROITS DE L’HOMME
Le Conseil entend une déclaration de la Cheffe de l’exécutif de la Région administrative spéciale de Hong Kong concernant la nouvelle loi sur la sécurité nationale adoptée ce 30 juin
Il tient un dialogue renforcé sur la situation des droits de l’homme aux Philippines et entend une mise à jour orale sur les effets de la COVID-19 sur la jouissance des droits de l’homme
Le Conseil des droits de l’homme a ouvert ce matin, dans la Salle des Assemblées du Palais des Nations à Genève, les travaux de sa quarante-quatrième session. Il a entendu deux mises à jour orales de la Haute-Commissaire aux droits de l’homme, Mme Michelle Bachelet, concernant, pour l’une, les effets de la COVID-19 sur la jouissance des droits de l’homme et, pour l’autre, la situation des droits humains des musulmans rohingya et d’autres minorités au Myanmar – prélude au dialogue que tiendra cet après-midi le Conseil sur ce dernier sujet. Le Conseil a par ailleurs tenu un dialogue renforcé sur la situation des droits de l’homme aux Philippines.
Le Conseil a en outre entendu, par vidéoconférence, une déclaration de Mme Carrie Lam, Cheffe de l’exécutif de la Région administrative spéciale de Hong Kong, qui a expliqué que la nouvelle loi sur la sécurité nationale [adoptée par le Parlement chinois ce mardi 30 juin] vise à punir les actes de séparatisme et de terrorisme et la collusion avec les forces extérieures et étrangères et que la majorité des habitants de Hong Kong seraient ainsi mieux protégés. La loi retient le principe de la présomption d’innocence et ne sera pas rétroactive, sauf dans certains cas exceptionnels, a-t-elle par ailleurs indiqué.
S’agissant de son rapport sur les effets de la COVID-19 sur les droits de l’homme, Mme Bachelet a particulièrement évoqué l’impact de la pandémie sur les membres des minorités raciales et ethniques et des peuples autochtones, sur les femmes et les filles, sur les personnes âgées, sur les enfants et les jeunes, ainsi que sur les détenus. Elle a par ailleurs déploré que la COVID-19 soit également instrumentalisée pour limiter le droit des personnes à s’exprimer et à exprimer des opinions. Le Haut-Commissariat a élaboré un cadre de dix indicateurs des droits de l'homme pour identifier clairement les groupes particulièrement touchés et vulnérables et aider à la mise en œuvre de politiques efficaces afin d’éviter ces préjudices, a-t-elle en outre fait valoir.
La Haute-Commissaire a présenté son rapport sur la situation des droits de l’homme aux Philippines en affirmant que ses conclusions sont très graves. Les lois et les politiques visant à contrer les menaces à la sécurité nationale et les drogues illégales ont été élaborées et mises en œuvre de manière à avoir un effet grave sur les droits de l'homme, a-t-elle déclaré. L'État a l'obligation de mener des enquêtes indépendantes sur les graves violations documentées, a-t-elle rappelé. En l'absence de résultats clairs et mesurables des mécanismes nationaux, le Conseil devrait envisager des options pour des mesures d’obligation redditionnelle internationale, a-t-elle recommandé.
Suite à cette présentation, le Conseil a engagé son dialogue renforcé sur cette situation en entendant les contributions du Ministre philippin de la justice, M. Menardo Guevarra ; d’une représentante de la Commission nationale des droits de l’homme des Philippines, Mme Karen Lucia Gomez-Dumpit ; et du Directeur exécutif du Centre Ateneo des droits de l’homme de l’Université de Manille, M. Ray Paolo Santiago.
De nombreuses délégations* se sont ensuite exprimées suite à ces présentations. Nombre d’entre elles ont déploré les assassinats, les exécutions extrajudiciaires et les détentions arbitraires commis par les forces de l’ordre dans le cadre de la lutte contre les drogues.
Présentant sa mise à jour orale sur la situation des droits de l’homme des musulmans rohingyas et autres minorités au Myanmar, la Haute-Commissaire a regretté de devoir signaler que la situation des Rohingyas dans l'État Rakhine ne s’était pas améliorée et que les conditions d'un retour sûr, digne et durable depuis le Bangladesh n’étaient toujours pas réunies. Suite à cette présentation, le Myanmar est intervenu en tant que pays concerné.
Le Conseil poursuivra cet après-midi, à 15 heures, son dialogue sur cette dernière question, avant d’entamer son dialogue avec le Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme en Érythrée.
Déclaration de la Cheffe de l’exécutif de la RAS de Hong Kong
MME Carrie Lam, Cheffe de l’exécutif de la Région administrative spéciale de Hong Kong , a fait une déclaration afin d’expliquer la position des autorités sur la nouvelle loi sur la sécurité nationale [adoptée par le Parlement chinois ce mardi 30 juin]. Le pouvoir d’établir des lois incombe au Gouvernement central, a-t-elle expliqué, avant d’ajouter que [la RAS de] Hong Kong relève de ce Gouvernement central en vertu du principe «Un pays, deux systèmes».
La menace d’actes terroristes depuis quelques mois a déjà été rapportée antérieurement devant le Conseil, a poursuivi Mme Lam : [La RAS de] Hong Kong est devenue dangereuse, ce qui porte atteinte à la sécurité de toute la population, a-t-elle déclaré, affirmant que des jeunes radicalisés ont endommagé des biens nationaux. Les autorités ne peuvent rester sans rien faire face à cette menace à la sécurité, entretenue par d’autres puissances. La loi nationale sur la sécurité a tenu compte de la situation particulière de [la RAS de] Hong Kong ; elle vise à punir les actes de séparatisme, les actes de terrorisme et la collusion avec des forces extérieures et étrangères, a précisé Mme Lam. La majorité des habitants de Hong Kong seront ainsi mieux protégés, a-t-elle assuré.
La loi retient le principe de la présomption d’innocence et ne sera pas rétroactive, sauf dans certains cas exceptionnels, a par ailleurs indiqué Mme Lam. La loi n’aura pas d’impact sur l’indépendance de [la RAS de] Hong Kong, ni sur la liberté des personnes. Les autorités veilleront à ce que le principe d’«Un pays, deux systèmes» ne soit pas remis en cause, a assuré la Cheffe de l’exécutif de la RAS de Hong Kong. Elle a déploré les «deux poids, deux mesures» auxquels recourent les pays qui ont critiqué cette législation. La communauté internationale doit permette à [la RAS de] Hong Kong de protéger le pays et son économie, a-t-elle conclu.
Rapport annuel du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme et rapports du Haut-Commissariat et du Secrétaire général
Présentations
Dans sa mise à jour orale sur les effets de la COVID-19 sur la jouissance des droits de l’homme , MME MICHELET BACHELET, Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, a d’abord relevé que partout où elles existent, les données ventilées indiquent que les membres des minorités raciales et ethniques et des peuples autochtones sont à la fois plus susceptibles de mourir de la COVID-19 et davantage touchés par ses conséquences socioéconomiques.
Cela est particulièrement vrai pour les personnes d'ascendance africaine, qui restent confrontées à une éducation inégale, à des services et à un accès aux soins de santé inadéquats, ainsi qu'à des formes croisées de discrimination structurelle qui les placent en première ligne dans des emplois dits «essentiels» qui aggravent leur vulnérabilité, a souligné la Haute-Commissaire. Les populations autochtones sont également particulièrement vulnérables, a-t-elle ajouté.
La COVID-19 aggrave d’autre part l'exclusion et la discrimination dont souffrent les femmes et les jeunes filles, a poursuivi Mme Bachelet. La violence sexiste généralisée a également augmenté ces derniers mois, avec un nombre croissant d'utilisateurs de lignes d'assistance téléphonique consacrées à la violence domestique. Cette situation risque de réduire à néant les acquis obtenus de haute lutte pour la santé des femmes, leur participation à la vie économique et l'égalité des droits, a mis en garde Mme Bachelet.
Mais ce sont les personnes âgées qui enregistrent le plus grand nombre de décès et qui subissent les pires préjudices médicaux, a rappelé la Haute-Commissaire. Les taux choquants de contagion et de décès dans les maisons de soins résidentiels suggèrent de profondes lacunes dans l'approche adoptée par certaines autorités nationales face à l'impact de la pandémie. La Haute-Commissaire a plaidé pour des réformes de l'aide sociale qui donnent la priorité à un soutien individualisé aux personnes âgées et favorisent leur pleine intégration dans leur communauté. La fourniture de services vitaux aux personnes handicapées devrait également être considérablement renforcée.
Quant aux lieux de détention, ils nécessitent des soins de santé améliorés, tandis que les alternatives à la détention devraient être étendues. Mme Bachelet a plaidé pour la libération des femmes et des enfants privés de liberté.
La pandémie risque également d'avoir des répercussions profondes et durables sur les enfants. Le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) a signalé qu'à défaut d'action urgente pour protéger les familles des conséquences économiques de la pandémie, le nombre d'enfants vivant sous les seuils de pauvreté nationaux pourrait augmenter de 15 % en 2020, pour atteindre 672 millions d’enfants, a averti Mme Bachelet. On constate également des signes d'une recrudescence de l'exploitation sexuelle des enfants en ligne.
En outre, la fermeture des programmes de formation, de l'enseignement supérieur et des emplois fait également peser une lourde charge sur les jeunes de moins de 25 ans : plus de 75 % des jeunes travaillent dans le secteur informel – souvent dans des secteurs très durement touchés par la pandémie, comme la restauration et les services de divertissement. Cela aura un impact profond sur de nombreux pays, ainsi que sur les tendances migratoires : les jeunes de moins de 30 ans représentent environ 70 % des flux migratoires internationaux, a rappelé Mme Bachelet.
La Haute-Commissaire s’est en outre dite consternée par les informations indiquant que dans de nombreux pays, les membres des communautés minoritaires et les migrants sont de plus en plus stigmatisés, y compris, dans certains cas, par les fonctionnaires. Des musulmans sont ainsi la cible d'une stigmatisation et d'un discours de haine les associant à la COVID-19, tout comme les Roms dans d’autres pays.
Le Conseil a déjà souligné à juste titre l'importance d'une action de police fondée sur des principes et sur la non-discrimination pour faire respecter les droits de l'homme, a ensuite rappelé Mme Bachelet. Trop souvent, les actions injustes et violentes des forces de l'ordre reflètent une discrimination raciale profondément ancrée dans les institutions sociales, a-t-elle déclaré.
La Haute-Commissaire a par ailleurs déploré que la COVID-19 soit également instrumentalisée pour limiter le droit des personnes à s'exprimer, à exprimer des opinions et à participer à la prise de décisions qui affectent leur vie. En Fédération de Russie, en Chine, au Kosovo, au Nicaragua et dans de nombreux autres pays, la Haute-Commissaire a pris note de menaces et d'intimidations contre des journalistes, des blogueurs et des militants civiques, dans le but apparent de décourager toute critique concernant la manière dont les autorités ont répondu à la COVID-19.
En Égypte, la Haute-Commissaire est préoccupée par les restrictions sévères imposées aux libertés d'expression, d'association et de réunion pacifique - notamment en ce qui concerne les discussions en ligne sur la propagation de la COVID-19 - ainsi que par la répression de la société civile. Par ailleurs, la réponse d’El Salvador à la pandémie a donné lieu à des informations faisant état d'une application excessive et arbitraire des mesures, ainsi qu'à des annonces qui sapent l'autorité et l'indépendance des institutions du pays.
La censure et la criminalisation des discours sont susceptibles de supprimer des informations cruciales nécessaires pour faire face à la pandémie, a mis en garde la Haute-Commissaire. La désinformation préjudiciable devrait être contrée par des efforts visant, d’une part, à fournir des informations crédibles et exactes provenant de sources qui font autorité et, d’autre part, à promouvoir l'éducation aux médias sociaux. Il est essentiel que les dirigeants maintiennent une communication cohérente, crédible et fondée sur des faits avec les personnes qu'ils servent, a insisté la Haute-Commissaire.
Au Bélarus, au Brésil, au Burundi, au Nicaragua, en Tanzanie et aux États-Unis - entre autres pays -, la Haute-Commissaire a dit craindre que des déclarations qui nient la réalité de la contagion virale et la polarisation croissante sur des questions clefs n'intensifient la gravité de la pandémie en sapant les efforts destinés à en freiner la propagation et à renforcer les systèmes de santé.
La COVID-19 aggrave en outre les menaces locales et régionales contre la paix, a poursuivi Mme Bachelet. Les populations des États où les services de santé et les services essentiels ont déjà été dévastés par des conflits et des crises sont extrêmement vulnérables aux méfaits multidimensionnels de la pandémie, a-t-elle souligné. Mme Bachelet a appelé à l'assouplissement ou à la suspension des sanctions sectorielles, afin de garantir que les soins médicaux et l'aide soient accessibles à tous.
Au Yémen, la propagation actuellement rapide de la COVID-19 rend impératif de permettre l'acheminement sans entrave de l'aide humanitaire, a déclaré la Haute-Commissaire. De nombreux travailleurs de la santé dans le pays n'ont pas d'équipement de protection et la plupart ne reçoivent pas de salaire. Le Haut-Commissariat a également vérifié des cas d'intimidation et d'arrestation de personnes soupçonnées d'avoir le COVID-19 et de travailleurs de la santé qui ont discuté de l'épidémie dans le Nord.
L'accès à l'aide humanitaire est également d'une importance capitale en Syrie, où les centres de soins de santé bombardés pendant près d'une décennie de guerre pourraient être rapidement débordés. Le Bureau de coordination de l’aide humanitaire estime que 80 % de la population syrienne vit en dessous du seuil de pauvreté. Un accès transfrontalier à l’aide est essentiel, a souligné Mme Bachelet, demandant instamment l'extension – par le Conseil de sécurité – de l'autorisation de l'aide transfrontalière, ainsi que la réouverture de la frontière d'Al-Yaroubiya.
La Haute-Commissaire a aussi dit craindre que la situation des droits de l’homme droits de l'homme dans la région du Sahel ne se détériore davantage, car l'impact de la COVID-19 accroît les souffrances, la pauvreté et les griefs des populations. Déjà, les groupes extrémistes armés renforcent leur influence sur les communautés locales du centre et du nord du Mali, du nord du Burkina Faso et de certaines parties du bassin du lac Tchad. Le Haut-Commissariat continuera à renforcer ses présences sur le terrain, a assuré Mme Bachelet.
Au Soudan du Sud, la COVID-19 pourrait encore aggraver l'extrême vulnérabilité de la population. Quant à Haïti, où près de 60 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, c’est un exemple éloquent de pays où, après des années de crise, l'impact socioéconomique de la COVID-19 risque d'être dévastateur, a indiqué la Haute-Commissaire.
Le Zimbabwe est un autre pays où la maladie exacerbe les graves problèmes, a-t-elle poursuivi : le mois dernier, trois femmes du principal parti d'opposition auraient été enlevées et torturées sous couvert de l'application des restrictions liées à la COVID-19. Toutefois, les décisions récentes des tribunaux du pays pourraient indiquer la voie vers une plus grande justice et une base de gouvernance plus solide, a ajouté la Haute-Commissaire.
Pour mettre un terme aussi rapidement que possible aux souffrances des peuples et permettre une reprise efficace, les politiques doivent s'attaquer aux inégalités et aux lacunes en matière de protection qui ont rendu les sociétés si vulnérables, a affirmé Mme Bachelet. Il importe aussi construire une nouvelle économie qui soit écologiquement durable, équitable et juste, a-t-elle poursuivi, avant d'encourager les États à veiller à ce que les programmes d'aide économique et de relance des entreprises stipulent que les entreprises bénéficiaires doivent respecter les principes directeurs des Nations Unies sur les entreprises et les droits de l'homme. La pandémie et ses conséquences doivent faire l'objet d'un travail coordonné et mondial, y compris pour la recherche d’un vaccin, qui doit être considéré comme un bien public mondial, a en outre déclaré Mme Bachelet.
Le Haut-Commissariat a élaboré un cadre de dix indicateurs des droits de l'homme pour identifier clairement les groupes particulièrement touchés et vulnérables et aider à la mise en œuvre de politiques efficaces afin d’éviter ces préjudices, a fait valoir Mme Bachelet. Ces indicateurs clefs ont été annexés au document-cadre qui guide toutes les ripostes socioéconomiques des Nations Unies à la COVID-19.
Mme Bachelet a enfin invité les États à reconnaître que les droits de l'homme sont essentiels à la reprise. « En ce moment crucial, nous devons également pouvoir compter sur des ressources régulières et prévisibles et sur une volonté politique ferme dans les mois et les années à venir. Les risques sont déjà énormes. Un partenariat renforcé peut les atténuer. Votre engagement peut faire et fera la différence - aujourd'hui et dans les jours à venir », a conclu Mme Bachelet.
Dialogue renforcé sur la situation des droits de l’homme aux Philippines
Présentations
Présentant ensuite son rapport sur la situation des droits de l'homme aux Philippines ( A/HRC/44/22 , version préliminaire en anglais), MME BACHELET a commencé par remercier le Gouvernement philippin de sa coopération, dont témoignent notamment la soumission de documents écrits et plusieurs réunions tenues avec le Haut-Commissariat à Bangkok et Genève. Mais, a-t-elle ajouté, l’équipe du Haut-Commissariat n'a pas été autorisée à se rendre dans le pays [dans le cadre du mandat confié par la résolution 41/2 du Conseil ].
Les conclusions du rapport sont très graves, a d’emblée souligné Mme Bachelet. Les lois et politiques visant à lutter contre les menaces à la sécurité nationale et contre les drogues illégales ont été élaborées et mises en œuvre de manière à avoir un effet grave sur les droits de l'homme ; elles ont entraîné des milliers de meurtres, des détentions arbitraires et la diffamation de ceux qui contestent ces graves violations des droits de l'homme, a déclaré la Haute-Commissaire.
Le rapport constate ainsi que plus de 248 défenseurs des droits de l'homme, avocats, journalistes et syndicalistes ont été tués aux Philippines entre 2015 et 2019, y compris un grand nombre de défenseurs des droits de l'environnement et des droits des peuples autochtones. Les défenseurs des droits de l'homme sont régulièrement traités de terroristes, d'ennemis de l'État et même de virus similaires à la COVID-19, a déploré Mme Bachelet.
L'adoption de la nouvelle loi antiterroriste renforce les inquiétudes quant à l'effacement de distinctions importantes entre la critique, la criminalité et le terrorisme, a poursuivi la Haute-Commissaire. La loi pourrait avoir un effet encore plus paralysant sur les droits de l'homme et le travail humanitaire, en entravant le soutien aux communautés vulnérables et marginalisées, a-t-elle ajouté. La Haute-Commissaire a invité instamment le Président philippin à s'abstenir de signer la loi et à lancer un vaste processus de consultation afin d'élaborer une législation qui puisse prévenir et contrer efficacement l'extrémisme violent - mais qui contienne aussi des garanties pour empêcher son utilisation abusive contre des personnes engagées dans des critiques et des actions de sensibilisation pacifiques.
Le rapport constate également que de graves violations des droits de l'homme, y compris des exécutions extrajudiciaires, ont résulté de la « guerre contre la drogue » et de l'incitation à la violence de la part des plus hauts niveaux du gouvernement. La campagne contre les drogues illégales est menée sans tenir compte de l'état de droit, des procédures légales, ni des droits de l'homme des personnes qui pourraient consommer ou vendre des drogues. Le rapport constate que les meurtres ont été généralisés et systématiques – et qu'ils se poursuivent, a insisté Mme Bachelet.
La Haute-Commissaire a également constaté une impunité quasi-totale, ce qui indique que l'État n'est pas disposé à demander des comptes aux auteurs d'exécutions extrajudiciaires. Les familles des victimes se sentent naturellement impuissantes et les chances de justice sont très minces. En outre, de l'aveu même de hauts fonctionnaires, cette campagne draconienne n'a pas permis de réduire l'offre de drogues illicites, a ajouté Mme Bachelet.
Les Philippines se sont activement engagées auprès de nombreux mécanismes des droits de l'homme des Nations Unies au fil des ans, et le présent rapport s'appuie sur les recommandations de ces mécanismes, a ensuite fait observer la Haute-Commissaire. Le Haut-Commissariat est prêt à renforcer son engagement constructif sur la base des recommandations du rapport, a-t-elle indiqué. La Haute-Commissaire a instamment invité le Conseil à rester actif et vigilant au sujet de la situation aux Philippines. L'État a l'obligation de mener des enquêtes indépendantes sur les graves violations documentées, a-t-elle rappelé. En l'absence de résultats clairs et mesurables des mécanismes nationaux, le Conseil devrait envisager des options pour des mesures d’obligation redditionnelle internationale, a-t-elle recommandé.
M. MENARDO GUEVARRA, Ministre de la justice des Philippines, a affirmé que les droits de l’homme sont ancrés dans la politique du Gouvernement philippin et a ajouté que le premier et le plus important de ces droits est la sûreté, la sécurité et le bien-être du grand public. L’engagement des autorités à cet égard a été ferme et inébranlable, d'autant plus alors que la nation est confrontée au défi de la pandémie de COVID-19.
Une évaluation de la situation des droits de l'homme aux Philippines ne peut être crédible que si elle se base sur le contexte sur le terrain, a poursuivi le Ministre philippin de la justice. Les autorités ont à cœur de défendre la démocratie et sont préoccupées par l’incursion dans la démocratie des problèmes liés aux stupéfiants, a-t-il déclaré. Le Président philippin a gagné la campagne contre les stupéfiants et cette campagne bénéficie de l’appui de la population, a-t-il affirmé, avant d’ajouter qu’un mécanisme de suivi et de reddition de comptes a été mis en place pour faire le bilan des résultats de cette campagne.
Chaque fois qu’il y a un mort lors d’une opération de police, une enquête est ouverte par un mécanisme spécialement créé à cette fin, a par ailleurs déclaré le Ministre de la justice. Aussi, les informations figurant dans le rapport [de la Haute-Commissaire] qui font état d’une impunité dans le pays sont-elles sans fondement dans un système qui offre toutes les possibilités, face à une allégation d'acte répréhensible imputable à un acteur étatique, d'examiner cette allégation, d'établir les faits et de poursuivre les auteurs, pour autant que cette allégation soit étayée par des faits. Aux Philippines, les mécanismes de droits de l’homme assurent leur devoir de diligence en cas de violations des droits de l’homme, a assuré le Ministre, en voulant pour preuve l’arrestation, par exemple, d’un général de l’armée en 2018.
MME KAREN LUCIA GOMEZ-DUMPIT, représentante de la Commission nationale des droits de l’homme des Philippines , a dénoncé la rhétorique d’incitation à la haine et à la violence permettant l’impunité. Il faut que les autorités philippines acceptent les conclusions du rapport [de la Haute-Commissaire aux droits de l’homme des Nations Unies], poursuivent les dialogues et coopèrent avec d’autres mécanismes de reddition de comptes, y compris avec les procédures spéciales. La culture de la violence a contribué à la culture d’impunité ; les autorités doivent changer d’approche pour aller vers une approche fondée sur les droits de l’homme, a insisté Mme Gomez-Dumpit. Elle a indiqué que la Commission qu’elle représente recommande notamment que les autorités adoptent un discours et une pratique respectueux des institutions démocratiques, y compris des médias, et permettent une pleine coopération des institutions de l’État avec la Commission, de manière à permettre l’ouverture d’enquêtes sur les violations des droits de l’homme dans le cadre de la campagne de lutte contre les stupéfiants.
M. RAY PAOLO SANTIAGO, Directeur exécutif du Centre Ateneo des droits de l’homme de l’Université de Manille , a relevé une certaine évolution positive au niveau législatif aux Philippines. Mais, a-t-il ajouté, comme le montre le rapport de la Haute-Commissaire, la théorie se heurte durement à la réalité, le pays restant confronté à des faiblesses dans l’application de la loi et dans le fonctionnement des institutions – ce qui, a-t-il affirmé, est un héritage de la dictature de Marcos. Les Philippines sont aussi le lieu d’une répartition inégale de la richesse et du pouvoir, dans un paysage politique dominé par des dynasties politiques fonctionnant sur le clientélisme, a-t-il poursuivi.
M. Santiago a confirmé que de nombreux cas d’arrestations et d’assassinats arbitraires ont été documentés ces dernières années. Il a estimé que la nouvelle loi antiterroriste risquait de donner encore plus de marge de manœuvre aux forces de l’ordre. M. Santiago a aussi déploré des agressions contre des médias considérés comme critiques [à l’égard des autorités]. L’expert a enfin déploré des entraves à l’accès à la justice aux Philippines.
Aperçu du dialogue
Au cours du dialogue qui a suivi ces présentations, nombre de participants ont déploré les assassinats, les exécutions extrajudiciaires et les détentions arbitraires commis par les forces de l’ordre dans le cadre de la lutte contre les drogues. Ils ont aussi critiqué le harcèlement dont sont victimes les défenseurs des droits de l’homme et les journalistes dans le pays. Des enquêtes impartiales et indépendantes sur tous ces faits ont été demandées et certains ont appuyé l’idée de créer un mécanisme d’enquête pour éviter l’impunité des auteurs des violations des droits de l’homme.
Plusieurs intervenants se sont inquiétés de la nouvelle loi antiterroriste et de la possibilité, dans certains cas, d’abaisser l’âge de la responsabilité pénale à 9 ans.
Certaines délégations ont salué la volonté des autorités philippines tant de collaborer avec le Haut-Commissariat que de respecter leurs obligations en matière de droits de l’homme.
La menace que représente la drogue pour la cellule familiale a été soulignée à plusieurs reprises. Mais le combat contre les stupéfiants ne saurait justifier des violations des droits de l’homme, a-t-il été rappelé. Plusieurs délégations ont appelé la communauté internationale à soutenir la lutte contre les stupéfiants aux Philippines.
Pour un certain nombre de délégations, le Haut-Commissariat devrait s’en tenir au principe d’impartialité dans son travail et se pencher sur les informations présentées par les gouvernements, qui font autorité. La politisation des droits de l’homme risque de discréditer le Conseil, a mis en garde une délégation, avant de demander à la communauté internationale d’aider les États à remédier à leurs difficultés à la demande des États eux-mêmes.
*Liste des intervenants : Finlande (au nom d’un groupe de pays), Union européenne, Viet Nam (au nom de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est), Liechtenstein, Canada, Belgique, Fonds des Nations Unies pour l’enfance, Chine, Fédération de Russie, Thaïlande, Venezuela, Arabie saoudite, France, Koweït, Sri Lanka, Syrie, Australie, Iran, Jordanie, Luxembourg, Bélarus, Indonésie, République démocratique populaire lao, Japon, Cambodge, Bahreïn, Iraq, Nouvelle-Zélande, Pays-Bas, Liban, Autriche, Azerbaïdjan, Viet Nam, Suisse, Islande, Royaume-Uni, Irlande, Myanmar, Cuba, Nicaragua, Organisation mondiale contre la torture, Forum asiatique pour les droits de l'homme et le développement, Human Rights Watch, Franciscans International, Amnesty International, CIVICUS- Alliance mondiale pour la participation des citoyens, Commission internationale de juristes, Federatie van Nederlandse Verenigingen tot Integratie van Homoseksualiteit – COC Nederland, Fédération internationale des ligues des droits de l'homme (FIDH), Action de Carême.
Remarques de conclusion
Mme Gomez-DUMPIT a déclaré que la Commission nationale des droits de l’homme des Philippines était prête à dialoguer avec le Haut-Commissariat aux droits de l’homme. Elle a exprimé l’espoir que le Ministre de la justice – qui a affirmé que la justice doit être rendue pour toutes les victimes de violations des droits de l’homme – tiendrait parole. La Commission va suivre les résultats de ce dialogue et continuera à faire rapport devant le Conseil sur la situation des droits de l’homme aux Philippines.
M. Santiago a rappelé que tout le monde doit être égal devant la loi. Il faut trouver des solutions et remédier aux faiblesses institutionnelles aux Philippines, a-t-il ajouté. Il a souligné que, même si une visite de pays n’a pu être autorisée, le Centre qu’il dirige a coopéré avec le Haut-Commissariat. Des mesures concrètes doivent être prises pour aller vers davantage de reddition de comptes, a insisté M. Santiago. Il a plaidé pour la mise en œuvre d’une commission d’établissement des faits afin de lutter contre l’impunité.
MME BACHELET a rappelé que dans une démocratie, il faut assurer la liberté d’expression et la liberté de la presse. Le Gouvernement philippin doit s’abstenir d’exercer des représailles à l’encontre des personnes qui ont coopéré avec le Haut-Commissariat dans le cadre de la rédaction du rapport, a-t-elle ajouté.
Mme Bachelet a appelé à la mise en place d’une commission d’enquête indépendante et crédible sur les violations des droits de l’homme, chargée notamment de la collecte de données dans le domaine des exécutions extrajudiciaires. S’agissant des stupéfiants, elle a plaidé pour une approche axée sur la santé publique car les personnes qui consomment des drogues ne peuvent pas être considérées comme des criminels.
M. GUEVARRA a assuré que les autorités philippines ont traité de manière minutieuse les différents cas mentionnés dans le rapport et a déploré que certains cas aient été utilisés de manière sélective. Le Gouvernement encourage des arguments basés sur les faits et l’évaluation du fond de chaque affaire. C’est à l’État qu’il incombe de contrer toutes les menaces à l’encontre des communautés, a rappelé M. Guevarra, ajoutant que les Philippines sont l’un des pays les plus touchés par le terrorisme. Le pays a entrepris des efforts importants pour assurer la reddition de comptes et il faut continuer d’appuyer les mécanismes de droits de l’homme du pays, a-t-il conclu.
Dialogue sur la mise à jour orale de la Haute-Commissaire concernant la situation des droits humains des musulmans rohingya et d’autres minorités au Myanmar
Mise à jour orale
Dans sa mise à jour orale sur la situation des droits de l’homme des musulmans rohingya et d’autres minorités au Myanmar, MME BACHELET a regretté de devoir signaler que la situation des Rohingyas dans l'État Rakhine ne s’était pas améliorée et que les conditions d'un retour sûr, digne et durable depuis le Bangladesh n’étaient toujours pas réunies.
La Haute-Commissaire a rappelé avoir présenté, à la dernière session du Conseil, un rapport complet sur les causes profondes des violations subies par les Rohingyas et les autres minorités ethniques au Myanmar. Le rapport notait que la discrimination et l'exclusion de ces groupes marquaient les lois et politiques du Myanmar depuis plus d'un demi-siècle. Le conflit armé en cours dans l’État Rakhine, combiné à l'absence d'un environnement propice à un retour volontaire, sûr, digne et durable, a encore aggravé la vulnérabilité des Rohingyas.
Les restrictions de l'accès humanitaire et de la liberté de mouvement liées à la pandémie de COVID-19 ont encore aggravé cette situation, a poursuivi la Haute-Commissaire. Tout en félicitant le Myanmar d'avoir réussi à contenir le virus à ce jour, elle a demandé au Gouvernement de respecter l'appel du Secrétaire général à un cessez-le-feu mondial, de mettre fin au conflit armé qui s'intensifie dans l'État Rakhine et de s'attaquer aux causes profondes qui empêchent les retours des Rohingyas depuis 2017.
Dans les États Rakhine et Chin, a poursuivi Mme Bachelet, la population civile continue de subir le poids d'un conflit armé qui s'intensifie entre les militaires («Tatmadaw») et l'Armée de l’Arakan. Ce week-end, les [forces armées] Tatmadaw ont lancé une « opération de nettoyage » dans la région de Kyauktan, dans l’État Rakhine. Les habitants ont été sommés de quitter leurs maisons, toute personne restante étant considérée comme faisant partie de l'Armée de l’Arakan. La Haute-Commissaire a appelé les Tatmadaw à étendre aux États Rakhine et Chin le cessez-le-feu déjà en place ailleurs dans le pays et à cesser immédiatement ces « opérations de nettoyage ».
Le Haut-Commissariat a documenté un ensemble de violations graves des droits de l'homme et du droit humanitaire international, y compris des frappes aériennes, des bombardements de zones civiles et la destruction et l'incendie de villages dans d'autres régions. Le mois dernier, les Tatmadaw auraient brûlé de vastes zones du canton de Buthidaung où les Rohingyas vivaient avant 2017. Selon des témoins oculaires et des images satellites, des zones où se trouvaient jusqu'à une douzaine de villages rohingyas sont en cendres. Ces villages n'étaient pas seulement les foyers où les réfugiés rohingyas espéraient retourner : ils constituaient également la preuve de ce qui s'est passé en 2017. Il y a cinq mois à peine, la Cour internationale de justice a rendu une ordonnance pour empêcher la destruction des preuves des allégations de génocide, a rappelé Mme Bachelet.
Aucune solution n’est en vue à la crise des réfugiés rohingyas, a déploré la Haute-Commissaire aux droits de l’homme. Le Gouvernement du Myanmar doit prendre des mesures immédiates pour remédier à cette situation chronique, notamment en modifiant la loi de 1982 sur la citoyenneté et en rétablissant la citoyenneté des Rohingyas, a-t-elle recommandé. Elle a aussi recommandé que les droits des Rohingyas à se présenter à des fonctions publiques et à voter soient rétablis.
La pandémie de COVID-19 aggrave encore les souffrances des réfugiés rohingyas, a poursuivi Mme Bachelet. Elle a insisté sur la vulnérabilité de centaines de milliers de personnes vivant dans des conditions précaires dans les camps de réfugiés au Bangladesh. Mme Bachelet s’est également dite très préoccupée par le sort des Rohingyas qui se trouvent actuellement sur des navires échoués en mer.
En ce qui concerne les enquêtes et l’obligation redditionnelle, Mme Bachelet a relevé que la Commission d'enquête nationale du Myanmar avait remis au Gouvernement son rapport sur les violences de 2017, mais que le texte complet de ce rapport n'est toujours pas public. L'indépendance de cette Commission et la crédibilité de son enquête sont depuis longtemps mises en doute, a regretté Mme Bachelet, avant de demander instamment au Gouvernement de publier le rapport et de coopérer avec les mécanismes internationaux de responsabilisation.
Pays concerné
Le Myanmar a déclaré œuvrer avec détermination pour résoudre cette situation, malgré les difficultés qu’il rencontre, notamment les menaces terroristes. Le Gouvernement poursuit ses efforts pour assurer la paix, la sécurité et l’harmonie dans l’État Rakhine, a assuré la délégation du Myanmar.
La délégation a cité un certain nombre de mesures prises pour appliquer les recommandations destinées à assurer le développement économique de l’État Rakhine, ainsi que pour restaurer la cohésion sociale et la cohabitation harmonieuse entre les différentes composantes de la société. La délégation du Myanmar a en outre assuré que Gouvernement apportait l’assistance humanitaire voulue aux personnes qui en ont besoin.
Le Myanmar continue d’autre part de collaborer avec le Bangladesh pour commencer le rapatriement des Rohingyas, les retours volontaires étant d’ores et déjà possibles, a poursuivi la délégation. Le Myanmar a demandé l’aide du Programme des Nations Unies pour le développement et du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés pour la construction de logements d’accueil, a-t-elle rappelé.
La délégation a demandé que le système de justice national soit respecté et a indiqué que l’armée du Myanmar menait ses propres enquêtes.
Enfin, la délégation a précisé que, dans le cadre de la pandémie de COVID-19, son Gouvernement s’efforçait d’assurer la prise en charge des personnes malades et d’éviter la propagation de la maladie dans les camps de réfugiés. La délégation a appelé la communauté internationale à aider le Myanmar à trouver des solutions durables à cette crise.
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