Déclarations et discours Haut-Commissariat aux droits de l’homme
Les droits humains sont notre rempart contre le pouvoir absolu
09 septembre 2024
Prononcé par
Volker Türk, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme
À
Cinquante-septième session du Conseil des droits de l’homme
Situation mondiale
Monsieur le Président,
Excellences,
Mesdames et Messieurs les délégués,
Le mois prochain, cela fera deux ans que j’ai pris mes fonctions de Haut-Commissaire.
Dans le cadre de cet exposé de la situation mondiale, je voudrais donc m’éloigner du format habituel d’énumération des différentes situations nationales et proposer quelques réflexions plus générales sur la situation actuelle des droits humains, à mi-parcours de mon mandat.
Il me semble que nous arrivons à un tournant. Nous pouvons continuer sur la voie actuelle, une « nouvelle normalité » dangereuse, et avancer les yeux fermés vers un avenir dystopique. Ou nous pouvons nous réveiller et changer les choses pour le mieux, pour l’humanité et la planète.
La « nouvelle normalité » ne peut être une escalade militaire vicieuse et sans fin et des méthodes de guerre, de contrôle et de répression technologiquement « avancées » de plus en plus effroyables.
La « nouvelle normalité » ne peut être l’indifférence persistante face à l’aggravation des inégalités au sein des États et entre ces derniers.
Elle ne peut être la diffusion à tout va de la désinformation, étouffant les faits et notre capacité à faire des choix libres et éclairés. Une rhétorique enflammée et des solutions simplistes dénuées de contexte, de nuance et d’empathie. Ouvrant la voie aux discours de haine et aux conséquences désastreuses qui s’ensuivent inévitablement.
La « nouvelle normalité » ne peut consister à accepter l’injustice, motivée par la cupidité, qui veut que la triple crise planétaire affecte le plus ceux qui en sont le moins responsables. Ou que le développement durable reste hors de portée de tant de personnes.
La « nouvelle normalité » ne peut pas permettre que la souveraineté nationale soit détournée pour masquer (ou excuser) d’horribles violations.
Ou encore permettre de discréditer des institutions multilatérales ou de réécrire des règles internationales, en s’attaquant aux normes universellement reconnues.
Ce n’est pas le monde que nous voulons, en tant qu’individus, pour nos familles et nos proches, pour nos sociétés, pour notre communauté mondiale et pour les générations futures.
Nous pouvons et devons faire un autre choix.
Nous reconnecter à notre humanité commune, à la nature et à notre planète.
En d’autres termes, nous pouvons choisir d’être guidés par les droits humains et les valeurs universelles que nous partageons tous.
Monsieur le Président,
Les droits humains ne sont pas en crise. Mais le pouvoir politique nécessaire pour en faire une réalité l’est.
Dans toutes les régions du monde, nous constatons que des dynamiques de pouvoir profondément ancrées sont à l’œuvre pour s’emparer du pouvoir ou s’y accrocher, au détriment des droits humains universels.
Malgré quelques avancées importantes, 30 ans après les engagements universels sur les droits des femmes à Beijing, l’ombre du patriarcat plane toujours. Nous assistons à des régressions alarmantes concernant des questions liées à l’égalité des genres que nous pensions réglées depuis des années. Dans les cas extrêmes, par exemple en Afghanistan, des lois et des politiques méprisables éliminent ouvertement les femmes de la vie publique.
Mais partout, insidieusement, la haine et la misogynie subtile, et parfois moins subtile, en ligne et hors ligne sont presque normalisées. Dans la plupart des régions du monde, les femmes connaissent des taux de pauvreté plus élevés que les hommes. La violence fondée sur le genre, y compris la violence au sein du couple, est d’une fréquence dévastatrice et reste largement cachée. La justice pour les victimes et les efforts de prévention sont cruellement insuffisants, en contradiction flagrante avec la promesse que « tous les êtres humains naissent libres et égaux ».
Le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée continuent de sévir dans les sociétés, soutenus par des structures de pouvoir bien établies, des intérêts particuliers, l’inertie des institutions et des stéréotypes nuisibles, souvent enracinés dans l’héritage du colonialisme et de l’esclavage. Malgré certains progrès, ceux-ci restent inégaux et insuffisants. Dans de trop nombreux États, dans toutes les régions du monde, nous constatons que les inégalités socioéconomiques se creusent. Il existe également une pénurie de politiques fondées sur des données, qui sont essentielles à la transparence et à l’établissement des responsabilités pour faire face à ces phénomènes.
Plus tard au cours de cette session, je présenterai mon rapport sur le racisme systémique et les formes multiples et croisées de discrimination auxquels sont confrontés les Africains et les personnes d’ascendance africaine.
Par ailleurs, des personnalités politiques, relayées par certains médias, font des migrants, des réfugiés et des minorités des boucs émissaires, comme nous l’avons vu, par exemple, en période électorale en Allemagne, en Autriche, aux États-Unis d’Amérique, en France, en Hongrie et au Royaume-Uni, pour n’en citer que quelques pays. Ces personnes profitent des craintes et du désespoir de la population, en montant les groupes les uns contre les autres, et cherchent à semer le trouble et à diviser. L’histoire nous a montré que les discours haineux peuvent engendrer des actes haineux. Une direction politique fondée sur les droits humains et un débat reposant sur des preuves en sont l’antidote. C’est la seule façon de relever les véritables défis auxquels les citoyens sont confrontés dans des domaines tels que la santé, le logement, l’emploi et la protection sociale.
Malgré l’évolution mondiale significative et bienvenue vers la dépénalisation des relations homosexuelles consenties, nous assistons à l’adoption d’une série de lois visant à établir ou à étendre les sanctions pénales dans certains pays, tels que le Ghana, l’Indonésie, l’Iraq et l’Ouganda, en contradiction avec les normes universelles fondamentales que les États ont adoptées. En réalité, ces politiques nuisent aux sociétés dans leur ensemble, et les gens sont laissés de côté.
Monsieur le Président,
En ce qui concerne la peine de mort, la tendance globalement positive vers son abolition dans le monde est entachée par une augmentation substantielle des exécutions dans un nombre limité d’États, notamment la République islamique d’Iran, en particulier pour des crimes liés à la drogue, mais aussi l’Arabie saoudite.Il en résulte une augmentation constante du nombre de personnes exécutées dans le monde. Il sera important de s’attaquer de front à ce problème et de fournir les preuves et les arguments politiques qui permettront d’inverser à nouveau cette tendance.
Les sociétés sont par nature en constante évolution. Toutefois, au lieu de faire preuve de créativité, nous assistons à des tentatives de museler les libertés d’expression, de réunion et d’association, ainsi que la liberté de la presse, y compris dans les contextes électoraux. Ces libertés sont cependant cruciales pour permettre un débat critique, pour faire ressortir le meilleur des sociétés et pour trouver des solutions aux multiples problèmes auxquels nous sommes confrontés. Nous pouvons notamment citer la détention de journalistes en Azerbaïdjan, l’arrestation, la détention et le harcèlement d’opposants politiques au Mali, en Ouganda et au Venezuela, l’arrestation et la détention d’opposants politiques et d’activistes en Tunisie, la persécution d’opposants politiques et de journalistes au Nicaragua et la répression d’activistes au Viet Nam. En Chine, des restrictions injustifiées de l’espace civique continuent d’être imposées au nom de la sécurité nationale et de la stabilité sociale.
Monsieur le Président,
L’« asservissement de l’État » sous ses différentes formes est un abus de pouvoir qui a de graves conséquences pour les droits humains.
Des acteurs économiques et politiques puissants prennent le contrôle d’institutions publiques qui devraient être indépendantes, comme le système judiciaire ou les commissions électorales. Ils réduisent au silence les voix critiques et pillent les ressources à des fins purement politiques et financières.
C’est ce que nous constatons par exemple au Guatemala, où le droit pénal et ses procédures sont utilisés abusivement par certains acteurs officiels, tels que le Procureur général, pour faire pression et persécuter les personnes qui défendent les droits humains et promeuvent le principe de responsabilité.
Dans certains cas, des acteurs du secteur privé se livrent au commerce illégal des ressources d’un pays au détriment du développement de ce pays et de sa population, comme cela a été largement signalé, par exemple, en République centrafricaine ou dans l’est de la République démocratique du Congo. C’est également un problème endémique en Amérique latine, notamment au Brésil et au Pérou.
Monsieur le Président,
Je tiens également à mettre en garde contre de nouvelles formes de pouvoir, exercées sur la vie des gens et sur notre « place publique mondiale » par le biais de technologies numériques mal ou insuffisamment réglementées. Cela concerne également l’exploitation de nos données à grande échelle.
Les droits humains, y compris la protection de la liberté d’expression et de la vie privée, doivent être au cœur des efforts de régulation des technologies numériques, tout en contribuant à garantir que la violence en ligne, la désinformation, les discours de haine et l’incitation à la haine soient enrayés. Nous devons veiller activement à ce que les avantages des technologies numériques et de l’intelligence artificielle soient accessibles aux personnes qui en ont le plus besoin, afin de contribuer à réduire les inégalités mondiales et à combler la fracture numérique. Le pacte numérique mondial doit donc être fermement ancré dans le cadre normatif des droits humains.
Monsieur le Président,
J’ai parlé de l’impact négatif de l’abus de pouvoir et des systèmes de pouvoir enracinés sur les droits des peuples. Pourtant, des mouvements tels que ceux contre l’apartheid ou le racisme, ainsi que ceux pour les droits des femmes, les droits environnementaux et bien d’autres nous ont montré comment les droits humains peuvent déclencher des changements positifs dans la société, en nous guidant vers une plus grande justice et une plus grande stabilité.
Les droits humains sont des régulateurs et des correcteurs des dynamiques de pouvoir qui ont mal tourné.
Au Bangladesh par exemple, le récent mouvement étudiant a fait des droits humains son fer de lance. Le pays a désormais l’occasion de se forger un nouvel avenir, le gouvernement intérimaire affirmant publiquement son engagement en faveur d’un processus pacifique et inclusif fondé sur les droits humains et l’état de droit. Le HCDH soutient les autorités, notamment en menant une mission d’enquête indépendante sur les récentes violations présumées des droits humains, ainsi que sur l’établissement des responsabilités, les processus de réconciliation et d’apaisement, et d’autres réformes essentielles et qui se font attendre depuis longtemps.
Plus globalement, alors que certaines élections ont déjà eu lieu et que d’autres sont encore à venir cette année, j’invite tous les électeurs à garder à l’esprit les questions qui leur tiennent le plus à cœur : qu’il s’agisse de leur logement, de l’éducation de leurs enfants, de leur santé ou de leur emploi, de la justice, de leur famille et de leurs proches, de l’environnement, de l’absence de violence, de la lutte contre la corruption, de la possibilité d’être entendus.
Ces questions relèvent toutes des droits humains.
J’exhorte les électeurs à se demander quels programmes politiques ou candidats œuvreront en faveur des droits humains de tous.
Lesquels favoriseront l’égalité des chances et s’efforceront d’encourager des systèmes économiques capables d’offrir un travail décent pour un salaire décent ?
Quels partis politiques intègrent les droits humains et la solidarité dans leur vision, au lieu de les affaiblir ?
Et je demande à tous les électeurs d’être vigilants. Méfions-nous des discours véhéments, des « fortes personnalités » qui nous jettent des paillettes à la figure en nous proposant des solutions illusoires et irréalistes. Comme je l’ai dit précédemment, n’oubliez pas que lorsqu’un groupe est désigné comme bouc émissaire pour les maux de la société, ce sera peut-être un jour votre tour.
Monsieur le Président,
Il y a 75 ans, les États ont adopté les quatre Conventions de Genève définissant les lois de la guerre, auxquelles ils se sont engagés à se conformer, après les horreurs et la dévastation causées par les deux guerres mondiales. Il y a près de 80 ans, ils ont adopté la Charte des Nations Unies, qui promet de « préserver les générations futures du fléau de la guerre ».
Et pourtant, nous en sommes là.
Franchissant d’innombrables lignes rouges ou étant prêt à les franchir.
Il y a presque deux ans, au Soudan, où j’ai effectué ma première visite en tant que Haut-Commissaire, il y avait de l’espoir. Aujourd’hui, le pays connaît l’une des pires crises humanitaires et de protection au monde, alimentée par une impunité de longue date, des luttes de pouvoir stériles, des intérêts économiques concurrents et l’instrumentalisation des tensions ethniques. Selon les estimations, plus de 20 000 personnes ont été tuées. La communauté internationale ne peut pas laisser cette situation perdurer.
Nous savons que les guerres se répercutent sur les générations futures, alimentant des cycles de haine répétés si leurs causes ne sont pas traitées.
Malheureusement, la guerre à Gaza en est l’exemple le plus flagrant.
Depuis l’horreur des attentats du 7 octobre qui ont coûté la vie à plus de 1 200 personnes en Israël et ont fait de nombreux blessés, plus de 40 000 Palestiniens ont été tués par les forces israéliennes, plusieurs milliers ont été blessés et des milliers sont encore sous les décombres à Gaza. Jour après jour, les Palestiniens s’efforcent de survivre. Plus de 1,9 million de personnes dans la bande de Gaza ont été déplacées de force et ont très peu accès à l’aide humanitaire. Onze mois plus tard, 101 otages israéliens sont toujours détenus à Gaza. Si le nombre réel est probablement plus élevé, près de 10 000 Palestiniens sont détenus dans des prisons israéliennes ou des installations militaires ad hoc, souvent de manière arbitraire, et plus de 50 personnes sont décédées en raison de conditions inhumaines et de mauvais traitements. En Cisjordanie, des opérations meurtrières et destructrices, dont certaines sont d’une ampleur inégalée au cours des deux dernières décennies, aggravent une situation déjà désastreuse en raison des graves violences commises par les colons.
Il est impératif et urgent de mettre fin à cette guerre et d’éviter un conflit régional de grande ampleur. Par ailleurs, l’illégalité de la situation dans l’ensemble du territoire palestinien occupé découlant des politiques et des pratiques d’Israël, telle qu’elle a été clairement définie par la Cour internationale de Justice dans son avis consultatif de juillet, doit être examinée de manière approfondie.
Les États ne doivent pas et ne peuvent pas accepter un mépris flagrant du droit international, y compris des décisions contraignantes du Conseil de sécurité et des ordonnances de la Cour internationale de Justice, que ce soit dans cette situation ou dans toute autre.
En Ukraine, les civils sont pris au piège dans des cycles de terreur, face aux attaques continues de la Fédération de Russie visant des installations civiles telles que des hôpitaux, des établissements scolaires et des supermarchés, et aux vagues répétées de ciblage des infrastructures énergétiques entraînant des pannes d’électricité dans tout le pays. J’ai peur pour la population ukrainienne cet hiver. Le HCDH, troublé par les effets des récentes escalades sur les civils, y compris à Koursk, a cherché à accéder à toutes les zones touchées afin de pouvoir surveiller la situation des droits humains. Je regrette que la Fédération de Russie ait jusqu’à présent refusé d’accorder un tel accès aux zones concernées.
La crise du Myanmar continue d’atteindre des sommets d’inhumanité, comme en témoignent les récentes frappes aériennes, les arrestations massives et les informations faisant état d’exécutions extrajudiciaires, qui se poursuivent sans relâche dans un climat d’impunité paralysant. Ce sont les civils qui paient le plus lourd tribut, le nombre de victimes civiles étant l’un des plus élevés depuis le début de la crise actuelle en 2021. La communauté rohingya se retrouve acculée au nord de l’État rakhine, où elle n’a nulle part où se réfugier.
Dans nombre de ces situations, l’aide humanitaire, même minime, apportée aux civils est instrumentalisée, détournée, voire bloquée, tout comme l’accès des observateurs des droits humains. Pour celles et ceux d’entre nous qui sont engagés dans ces efforts, c’est comme si nous nous tenions au bord d’un fleuve à regarder les gens se noyer, des bouées de sauvetage empilées à nos pieds.
Dans d’autres cas, la violence est dirigée contre les systèmes humanitaires et des droits humains, comme c’est le cas avec la détention scandaleuse du personnel de l’ONU au Yémen. Le personnel des Nations Unies et les travailleurs humanitaires ne doivent jamais être pris pour cible.
Je fournirai des comptes rendus spécifiques sur plusieurs de ces situations et d’autres plus tard au cours de cette session.
Excellences,
Les États eux-mêmes ont conçu le droit international des droits de l’homme et le droit international humanitaire pour préserver et garantir notre humanité commune.
Ces normes sont notre rempart contre le pouvoir absolu.
Toutes les parties aux conflits et les autres États, en particulier ceux qui ont de l’influence, doivent faire tout ce qui est en leur pouvoir pour mettre fin aux violations.
Les États peuvent mener de nombreuses actions concrètes, notamment s’abstenir d’exporter ou de transférer des armes à une partie à un conflit armé, lorsqu’il existe un risque réel qu’elles soient utilisées en violation du droit international humanitaire, conformément aux obligations qui leur incombent en vertu des Conventions de Genève et de la diligence raisonnable en matière de droits humains. Je trouve encourageant le fait que certains États aient déjà pris des mesures dans ce sens.
Monsieur le Président,
L’action en faveur des droits humains est cruciale pour la paix.
Pour prévenir les conflits.
Pour lancer un signal d’alerte lorsqu’un conflit est susceptible d’éclater.
Pour établir des faits objectifs et fiables sur ce qui s’est passé dans le brouillard de la guerre, afin de parvenir à la vérité et à la justice pour chaque victime, au lendemain des faits.
Et pour veiller à ce que les négociations de paix soient inclusives et acceptables pour toutes les parties, et donc réellement durables.
Les accords de paix conclus tout au long des années 1990, des pays de l’ex-Yougoslavie au Guatemala et au Cambodge, ont montré la valeur de l’intégration des droits humains. Au Libéria, les principes des droits humains ont aussi transformé les processus de paix, notamment en favorisant la participation des femmes.
Le HCDH a été directement impliqué dans les négociations de l’Accord de paix de 2016 en Colombie, et nous sommes toujours présents dans le pays, pour aider à intégrer la dimension des droits humains, et plus récemment pour fournir des conseils sur le démantèlement des organisations criminelles et soutenir les institutions de justice transitionnelle.
Je salue également les progrès réalisés par le Népal dans la mise en place des organes de justice transitionnelle prévus par les accords de paix de 2006.
Nous devons également nous unir pour soutenir la justice au niveau national et mondial.
Les moments décisifs des procès de Nuremberg et les jugements rendus par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et le Tribunal pénal international pour le Rwanda, ainsi qu’en Sierra Leone et au Cambodge, devant la CPI et les tribunaux nationaux en vertu de la compétence universelle, sont des messages clairs à l’intention des auteurs de ces crimes : une fois que vous avez commis ce type de crime, il y a toujours un risque que la responsabilité devienne personnelle.
Il est essentiel de disposer d’un cadre normatif clair et complet. Je salue donc les efforts déployés actuellement par les États pour combler une lacune dans cette structure existante et pour faire avancer les négociations concernant une convention sur la prévention et la répression des crimes contre l’humanité.
Monsieur le Président,
L’instabilité nationale alimente l’instabilité mondiale.
Inversement, la solidarité et la cohésion au sein des pays constituent une base solide pour la coopération internationale.
Comme les États l’ont reconnu dans la Déclaration et le Programme d’action de Vienne en 1993, la promotion et la protection de tous les droits de l’homme sont une préoccupation légitime de la communauté internationale.
En tant que Haut-Commissaire, je m’engage à promouvoir une vision des droits humains pour le XXIe siècle axée sur la recherche de solutions, tournée vers l’avenir et fédératrice. Et qui concerne directement chaque être humain.
La coopération internationale, fondée sur les droits humains, est le moyen dont nous disposons pour opérer des changements et relever les défis majeurs de notre époque.
Les institutions multilatérales, y compris le système international des droits humains, sont à la disposition de la communauté internationale : pour permettre le dialogue en étant plus représentative, pour s’attaquer aux racines de la méfiance et pour faciliter les progrès. En cette période trouble, elles doivent également être la voix de la raison, en s’appuyant sur des preuves et des faits, et développer une réflexion à long terme indispensable en apportant des solutions concrètes à des problèmes concrets.
Il est donc essentiel de saisir pleinement les opportunités offertes par l’écosystème des droits humains, y compris par le HCDH, et de veiller à ce que les droits humains soient renforcés et fortement intégrés dans le prochain Pacte pour l’avenir. C’est un appel que je lance à toutes les délégations présentes aujourd’hui, à ce stade critique des négociations.
Vous avez construit cette formidable architecture normative « dans une plus grande liberté », à juste titre. Utilisez-la et renforcez-la, en toute bonne foi et avec humilité, car rien n’est jamais acquis.
Monsieur le Président,
À l’avenir, je souhaite être transparent sur l’approche de mon mandat, sur les défis et les opportunités.
Je crois à la coopération, aux échanges francs et au maintien d’un dialogue ouvert, surtout en cas de désaccord profond.
Nous devons dépasser les approches absolutistes, la mentalité « nous contre eux » et le manque de nuance. Le monde est bien trop complexe.
Il est de mon devoir de m’exprimer publiquement, chaque fois que cela est nécessaire, afin d’obtenir le plus grand impact positif.
Les droits humains sont censés remettre en question nos propres hypothèses et identifier les lacunes. Ils sont destinés à encourager la réflexion autocritique, car personne n’est parfait.
La sélectivité et l’incohérence des normes ne servent personne, et surtout pas les victimes de violations des droits humains.
L’argument selon lequel nous devrions nous concentrer uniquement sur les crises les plus graves du moment ne tient pas pour la cause des droits humains.
Car les droits humains commencent « dans les petites collectivités, près de chez soi » [Eleanor Roosevelt].
Et les droits humains sont universels, indissociables et interdépendants.
Il est important pour moi de comprendre quand et pourquoi certains États rechignent à coopérer de manière effective avec le HCDH. Et certains ne s’adressent à nous que lorsqu’ils ont un problème dans un autre domaine. Ma priorité restera donc de faire comprendre à tous les États l’importance d’une collaboration avec le HCDH et le système des droits de l’homme dans son ensemble, non seulement pour collaborer, mais aussi pour réaliser des progrès tangibles.
Sur le plan interne, nous avons consacré beaucoup de temps à l’élaboration d’un plan d’organisation visant à rendre le HCDH plus efficace et plus réactif, apte à répondre aux nombreuses attentes que vous avez à notre égard et aux demandes d’aide, de soutien et de conseil que nous recevons. Nous avons besoin de votre financement actif et de votre soutien stratégique et politique pour nous aider à le mettre en œuvre.
Les gouvernements et les autres acteurs n’apprécieront pas toujours ce que nous avons à dire. Cela est inhérent à la nature même des droits humains. Cependant, je vous invite à ne pas « tuer le messager » et à vous concentrer sur la poursuite de notre objectif commun fondamental : la promotion et la protection des droits humains pour tous, partout dans le monde.
Le Haut-Commissariat continuera de travailler sans relâche pour soutenir les victimes partout dans le monde. Je vous invite tous à tirer le meilleur parti de cette institution, car un HCDH solide et un écosystème des droits humains sain et doté de ressources suffisantes sont bénéfiques à l’échelle mondiale. Ils représentent également un retour sur investissement extraordinaire pour une fraction infime des ressources si facilement allouées à d’autres domaines.
Collectivement, nous devons faire le choix de rejeter la « nouvelle normalité » et l’avenir dystopique qu’elle présente. Adhérons et faisons confiance à la pleine puissance des droits humains pour nous guider vers le monde que nous voulons : un monde plus pacifique, plus juste, plus égalitaire et plus durable.