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Déclarations et discours Haut-Commissariat aux droits de l’homme

Situation mondiale : le Haut-Commissaire exprime son inquiétude concernant plus de 40 pays

07 Mars 2023

Le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme fait le point sur la situation mondiale lors de la 52e session du Conseil des droits de l’homme, Salle 20 du Palais des Nations, le 7 mars 2023 à Genève, en Suisse. © HCDH Anthony Headley.

Prononcé par

Volker Türk, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme

À

52e session du Conseil des droits de l’homme

Point 2 : rapport annuel et compte rendu oral du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme sur les activités du HCDH et l’évolution récente de la situation des droits de l’homme

Monsieur le Président,

Excellences,

Chers participants et participantes,

Cette session du Conseil se concentre sur plusieurs situations particulièrement alarmantes. Nous vous présenterons des interventions au sujet de la situation dans un certain nombre de pays tout au long de cette session [1]. Ce matin et tout au long de l’année, j’ai l’occasion de vous faire part de certaines évolutions globales en matière de droits de l’homme, une liste qui n’est pas exhaustive et qui requiert une attention particulière en vue de trouver des solutions.

Des solutions qui découlent de droits universels tout en étant adaptées aux spécificités de chaque pays. Des solutions qui mettent en avant notre longue expérience dans des contextes difficiles et notre travail d’intermédiaire entre la société civile, les défenseurs et défenseuses des droits humains et les institutions de l’État.

La pleine coopération avec le HCDH et nos présences sur le terrain, ainsi qu’avec les différents mécanismes des droits de l’homme, ne vise que cela : trouver des solutions. Il s’agit d’obtenir des résultats. Nous ne nous en servons pas pour critiquer. Et il ne s’agit pas de s’engager pour la forme. Il s’agit d’obtenir des résultats concrets dans la vie de la population. Ce type de coopération démontre qu’un État cherche véritablement à honorer ses engagements en matière de droits de l’homme. Au cours de cette année, je ferai le point sur la coopération et l’absence de coopération avec les différents mécanismes de protection des droits de l’homme.

Je suis conscient que les discussions sur des questions complexes liées aux droits de l’homme peuvent être difficiles ou délicates pour certains et certaines. D’autres préfèreraient que ces questions se déroulent à huis clos. Cependant, nous devons recréer un espace nous permettant de mener des discussions constructives et ouvertes, sans être dérangés par les bras de fer géopolitiques et en gardant à l’esprit que personne n’est parfait. Peut-être que sur le moment, vous n’apprécierez pas ce que vous entendez dire, mais avec le temps, vous pourrez vous rendre compte que cela devait être dit. Ma seule préoccupation, en somme mon devoir, est de rester fidèle au mandat, au cadre normatif des droits de l’homme et à l’impératif d’améliorer la les conditions de vie des individus.

Monsieur le Président,

Le mépris de l’être humain atteint des niveaux effroyables lorsque la guerre éclate et que la violence devient quotidienne.

Un quart de la population mondiale vit aujourd’hui dans des lieux touchés par des conflits, et ce sont les civils qui en souffrent le plus.

La paix est précieuse et fragile, et nous devons la protéger.

Tout d’abord, en respectant la Charte des Nations Unies et le droit international, y compris le droit international des droits de l’homme.

La guerre en Ukraine a fait des victimes civiles et provoqué une destruction d’une ampleur catastrophique. Les droits des Ukrainiens et des Ukrainiennes sont mis à mal pour les générations à venir, et les répercussions de la guerre sur les prix des carburants et des denrées alimentaires, ainsi que les tensions géopolitiques, ont des effets négatifs sur les populations de toutes les régions du monde. Le fait qu’une guerre en Europe puisse à nouveau causer de tels dommages dans le monde entier va à l’encontre des promesses de changements transformateurs formulées il y a plus de 75 ans. Je m’exprimerai en détail sur la situation en Ukraine à la fin du mois de mars.

Douze longues années d’atrocités : la Syrie est devenue un microcosme des blessures infligées dans le plus grand mépris des droits humains. Les séismes du mois dernier sont venus s’ajouter à cette tragédie. La seule façon d’aller de l’avant est de faire respecter les droits de l’homme et de faire en sorte que tous ceux qui ont commis ces atrocités répondent de leurs actes, deux éléments qui font défaut depuis longtemps en Syrie. Je soutiens pleinement les appels en faveur d’une nouvelle institution chargée de faire la lumière sur le sort des personnes disparues et le lieu où elles se trouvent, et de venir en aide aux victimes, et j’invite le Gouvernement – ainsi que les autres États Membres – à coopérer avec elle, si elle est effectivement mise en place.

La situation en matière de sécurité au Mali est particulièrement alarmante dans le centre du pays et dans la zone frontalière entre le Burkina Faso, le Mali et le Niger. Dans cette région, de nombreux groupes armés profitent de l’hostilité intercommunautaire et de l’absence des autorités étatiques pour étendre leur influence et mener des attaques contre les civils. Les groupes armés non étatiques ont commis la plupart des violations et des abus. Des violations graves ont également été commises par les forces armées maliennes, accompagnées dans certains cas par des agents militaires et de sécurité étrangers. Je suis également très inquiet concernant les discours de haine pour des motifs ethniques, les menaces, les intimidations et les attaques contre la société civile et les médias par acteurs étatiques et non étatiques, qui suscitent une peur croissante de dénoncer les abus. Cette situation est d’autant plus préoccupante que le pays s’engage dans un processus électoral où un libre débat d’idées devrait prendre son essor.

La perspective d’une aggravation de l’instabilité au Burkina Faso est pour moi une source d’inquiétude. Au cours des six derniers mois de l’année 2022, le HCDH a recensé au moins 1 076 victimes de violations et d’abus, le nombre de victimes ayant presque doublé entre octobre et décembre par rapport au trimestre précédent. Les groupes armés sont responsables de la plupart de ces incidents, mais les opérations militaires font de plus en plus de victimes parmi les civils. J’ai exhorté les autorités à écouter les revendications de la population concernant relative à toute forme d’impunité et à enquêter sur de telles allégations. Il est essentiel d’inverser la tendance à la montée incessante de la violence et de permettre à la société civile et aux partis politiques de se développer.

En Éthiopie, nous nous félicitons de la mise en œuvre d’un accord de cessation des hostilités. Cette mise en œuvre doit être pleine et entière y compris en ce qui concerne la justice transitionnelle. J’ai le plaisir d’annoncer que les consultations nationales sur les options politiques en matière de justice transitionnelle ont commencé hier avec le soutien du HCDH, et qu’elles seront suivies de consultations dans tout le pays avec les personnes touchées par le conflit. Malgré ces progrès, nous avons reçu des informations concernant la présence continue dans le Tigré des forces régionales d’Amhara et de la milice Fano, ainsi que des forces de défense érythréennes, qui auraient commis de très graves violations. Il est manifestement nécessaire d’assurer un suivi constant et d’enregistrer les informations reçues concernant la situation. Des progrès tangibles doivent également être réalisés en matière de reddition de comptes à la suite des violations et des atteintes liées au conflit, notamment en ce qui concerne la mise en œuvre du rapport du HCDH et de la Commission éthiopienne des droits de l’homme. La situation des droits de l’homme dans d’autres régions d’Éthiopie est également très préoccupante, en particulier dans celle de l’Oromia.

Outre la présence militaire continue de l’Érythrée dans le Tigré, nous avons reçu des informations selon lesquelles l’Érythrée augmente encore son recours à la conscription forcée et prolongée, une pratique qui s’apparente à l’esclavage et qui provoque des afflux de réfugiés. Cette politique doit être interrompue de toute urgence pour que le pays puisse reprendre la voie du développement durable.

Au Yémen, les différentes parties doivent tenir compte des appels d’une population épuisée par huit années de guerre brutale et s’engager résolument dans un processus de paix sous l’égide des Nations Unies. Pour qu’un accord de paix soit durable, la justice transitionnelle et la reddition de comptes sont fondamentales, et les femmes doivent pouvoir participer pleinement aux pourparlers. Deux membres du personnel des Nations Unies, l’un de l’UNESCO et l’autre du HCDH, sont détenus depuis 16 mois et doivent être libérés immédiatement.

En Libye, la violence généralisée des acteurs armés, l’impasse politique qui perdure et la restriction croissante de l’espace civique continuent de détruire des vies et de porter gravement atteinte aux droits de la population. La mission indépendante d’établissement des faits sur la Libye présentera son rapport final à la fin de cette session, et il est urgent que les autorités mettent en œuvre ses recommandations sans délai.

Concernant le Sahara occidental, le HCDH continue de suivre à distance la situation des droits de l’homme. Étant donné que la dernière visite du HCDH a eu lieu il y a près de huit ans, il est crucial que le Haut-Commissariat puisse entreprendre à nouveau des missions significatives dans la région.

Ces derniers mois, j’ai eu l’occasion de discuter de la situation préoccupante des droits de l’homme au Cachemire avec l’Inde et le Pakistan. Les progrès réalisés en matière de droits de l’homme et de justice concernant les actes passés seront essentiels pour faire avancer les questions liées à la sécurité et au développement. Je continuerai de réfléchir à la manière dont le HCDH peut apporter son aide, notamment aux possibilités d’accès à la région.

Le peuple de Haïti affronte une violence cauchemardesque. Des gangs lourdement armés contrôlent les services et l’accès à de vastes parties de la capitale et du pays. Ils commettent fréquemment des meurtres, des enlèvements, des tirs isolés et des violences sexuelles à un degré effroyable. La situation exige un éventail de réponses : dynamiser le processus politique en vue d’élections libres et transparentes ; appliquer pleinement l’embargo sur les armes ; imposer des sanctions efficaces envers ceux qui parrainent et dirigent des bandes armées ; apporter un soutien international pour renforcer les capacités de la police et des systèmes judiciaires haïtiens pour lutter contre l’impunité et la corruption omniprésentes ; et déployer une force d’appui spécialisée, limitée dans le temps et assortie de garanties en matière de droits de l’homme. Nous devons rester vigilants en ce qui concerne Haïti, notamment en soutenant le travail mené par le HCDH sur le terrain.

Monsieur le Président,

La discrimination et le racisme sont des menaces pernicieuses, tant pour la dignité humaine que pour nos relations en tant qu’êtres humains. Ils font du mépris une arme. Ils permettent l’humiliation et les violations des droits humains, alimentent les griefs et le désespoir, et constituent des entraves au développement.

Je suis choqué au plus haut point par le mépris dont font l’objet les femmes et l’égalité des genres sur Internet par certains « influenceurs », qui alimentent des attitudes sociales qui permettent d’ignorer, voire de tolérer, la violence fondée sur le genre et la marchandisation généralisée des femmes.

Plus généralement, la portée et l’ampleur de la discrimination à l’égard des femmes et des filles en font l’une des violations des droits humains les plus répandues au monde, et son démantèlement constituera l’un des principaux axes de notre travail.

La répression des femmes en Afghanistan est sans précédent et va à l’encontre de tout système de croyances établi. Les droits des femmes et des filles de faire des choix concernant leur mode de vie et de participer à la vie publique ont été ou sont en train d’être supprimés. Cette répression et cette persécution des femmes mettent en péril l’économie et l’avenir de l’Afghanistan. Une telle tyrannie ne peut se poursuivre sans reddition de comptes. Nous ne baisserons pas les bras ; nous poursuivrons la lutte pour le respect des droits et des libertés de chaque femme et de chaque fille afghane.

En Iran, il est urgent que les autorités donnent suite aux revendications des manifestants, en particulier des femmes et des filles, qui continuent de subir de profondes discriminations. Je reste profondément préoccupé par les 17 manifestants qui auraient été condamnés à mort ; 4 ont été exécutés à ce jour et plus de 100 sont actuellement sous le coup d’accusations passibles de la peine de mort. Les grâces récemment annoncées constituent une première étape bienvenue. Je continue à demander la libération immédiate et inconditionnelle de toutes les personnes détenues arbitrairement dans le cadre des manifestations et dans d’autres circonstances, notamment les ressortissants étrangers et les personnes ayant la double nationalité. Tous les Iraniens, y compris les femmes et les filles, doivent être libres de faire leurs propres choix, d’exprimer leurs opinions et d’exercer leurs droits.

Je me félicite de la nouvelle loi adoptée par la Sierra Leone en novembre, qui interdit la discrimination fondée sur le genre, impose la présence d’au moins 30 % de femmes au Parlement, dans le corps diplomatique, dans les conseils locaux et dans la fonction publique, et établit l’égalité salariale entre les femmes et les hommes, entre autres. De nombreux États beaucoup plus riches pourraient prendre exemple sur cette décision.

Je salue également l’adoption par l’Espagne, le mois dernier, d’une législation visant à faire respecter les droits sexuels et procréatifs essentiels, notamment en supprimant les restrictions à l’accès à l’avortement sans risque. Les nouvelles mesures portent également sur l’accès de toutes les femmes à la procréation assistée, ainsi que sur la violence et la discrimination fondées sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre ; elles interdisent les « thérapies de conversion » et la mutilation génitale des bébés nés intersexes.

Les discours de haine odieux ne visent pas seulement les femmes et les filles, mais aussi les personnes d’ascendance africaine, les juifs, les musulmans, les LGBTIQ+, les réfugiés, les migrants et bien d’autres personnes appartenant à des groupes minoritaires. Les provocations délibérées, comme les récents incidents au cours desquels le Coran a été brûlé, visent à creuser le fossé entre les communautés. Et cela est dangereux.

La violence infligée de manière si disproportionnée aux personnes d’ascendance africaine par les forces de l’ordre illustre le préjudice structurel profond enraciné dans la discrimination raciale.

Le HCDH et les mécanismes de défense des droits de l’homme des Nations Unies ont souligné à plusieurs reprises l’usage excessif de la force, le profilage racial et les pratiques discriminatoires de la part de la police, qui ont récemment été observés en Australie, en France, en Irlande et au Royaume-Uni. Au Brésil, le nombre total de décès lors d’affrontements avec la police a baissé en 2021 pour la première fois depuis 9 ans. Selon une source, ces décès ont baissé de 31 % pour les personnes « blanches », mais ont augmenté de près de 6 % pour les personnes d’ascendance africaine.

Aux États-Unis, les personnes d’ascendance africaine seraient presque trois fois plus susceptibles d’être tuées par la police que les personnes « blanches ». La mort brutale de Tyre Nichols à Memphis, il y a deux mois, a marqué les esprits non seulement en raison de la gravité des violences qui ont été filmées, mais aussi parce qu’elle a été suivie d’une action immédiate visant à poursuivre les membres des forces de l’ordre impliqués, alors qu’en général, seule une fraction de ces cas mène à des poursuites judiciaires.

Aux États-Unis et dans tous les autres pays, des actions rapides et déterminées pour tenir les auteurs responsables dans chaque cas doivent être la règle, et non l’exception. Des garanties structurelles doivent être mises en place, notamment un contrôle indépendant, des procédures de plainte efficaces et une réforme législative solide. Cependant, même les actions les plus fortes menées au sein des forces de l’ordre ne porteront pas pleinement leurs fruits si d’autres mesures concrètes ne sont pas prises pour lutter contre le racisme et les structures qui le véhiculent dans l’ensemble de nos sociétés.

Les forces de police doivent servir et protéger tous les membres de la société. Aux Philippines, où des meurtres sont encore commis dans le cadre d’opérations de police liées à la drogue, le HCDH œuvre, avec les acteurs de la sécurité, au renforcement du principe de responsabilité et à la promotion des droits de l’homme dans la lutte contre la drogue. Le Gouvernement a annoncé des mesures visant à contrôler les officiers supérieurs de police dans le cadre d’opérations de lutte contre la corruption, et j’espère que des progrès rapides seront réalisés dans la poursuite des auteurs de violations des droits de l’homme. Si je me réjouis des récents acquittements de défenseurs et défenseuses des droits humains, il faut mettre fin à d’autres accusations pour des motifs politiques et créer un environnement plus sûr pour la société civile.

Monsieur le Président,

Les injustices structurelles, la pauvreté abjecte et les inégalités croissantes constituent des violations généralisées des droits de l’homme. J’aimerais mentionner quelques exemples.

Le Liban est en proie à l’une des pires crises économiques de l’histoire moderne. Plus de la moitié de la population vivrait aujourd’hui sous le seuil de pauvreté et deux millions de personnes seraient confrontées à l’insécurité alimentaire. De nombreux services du secteur public ont été interrompus, l’accès à l’éducation et aux soins de santé devient un luxe et l’électricité est une denrée rare. Je demande instamment que l’on redouble d’efforts pour lutter contre la corruption, ancrer les mesures économiques et financières dans l’état de droit et intégrer fermement les principes de responsabilité et de transparence dans toutes les mesures économiques. Une enquête sérieuse sur l’explosion d’août 2020 doit être menée de toute urgence, sans interférence politique ni retard supplémentaire.

À Sri Lanka, la dette écrasante et la crise économique ont fortement limité l’accès des populations aux droits économiques et sociaux fondamentaux. Les politiques de relance devront corriger les inégalités et investir dans les protections sociales et d’autres leviers de résilience économique. Elles doivent également s’attaquer aux problèmes sous-jacents de corruption, de transparence et de responsabilité dans la gouvernance, ainsi qu’à l’impunité enracinée. Le recours à des lois draconiennes en matière de sécurité, ainsi que le harcèlement et la surveillance de la société civile et des victimes, doivent cesser. Le HCDH reste déterminé à soutenir une approche authentique et globale de la justice transitionnelle.

De nombreux pays d’Afrique australe ont été durement touchés par des chocs économiques successifs, notamment la COVID-19, la hausse des prix des denrées alimentaires, des carburants et des engrais due à la guerre en Ukraine, et la montée en flèche du remboursement de la dette. Dans cette région, où l’on dénote les plus fortes inégalités au monde, ces chocs plongent des millions de personnes supplémentaires dans la pauvreté. L’inflation galopante en République de Maurice, par exemple, a donné lieu à des manifestations publiques sans précédent. Les pénuries d’énergie ont entraîné de graves coupures de courant dans plusieurs pays, avec des répercussions négatives sur les entreprises, les soins de santé et l’approvisionnement en eau. L’Afrique du Sud a déclaré le mois dernier que la crise énergétique constituait une catastrophe nationale. Dans le même temps, les tribunaux sud-africains contribuent à tracer la voie à suivre en ce qui concerne le fondement juridique des droits économiques, sociaux et culturels.

Alors que de nombreux pays du Nord sont également confrontés à la pauvreté, les habitants du Royaume-Uni subissent actuellement une crise du coût de la vie qui pourrait entraîner la plus forte baisse du niveau de vie jamais enregistrée. Les groupes raciaux et ethniques minoritaires sont touchés de manière disproportionnée. Je salue les mesures prises par le Gouvernement pour atténuer la hausse du prix des carburants et augmenter le salaire minimum, mais j’encourage davantage de dialogue avec les travailleurs en grève et les personnes vivant dans la pauvreté, ainsi que des réformes capables de faire progresser les droits économiques, sociaux et culturels.

Pour faire face à ces défis d’injustice structurelle et d’inégalités, nous devons construire des économies qui renforcent la confiance dans le Gouvernement et font progresser les droits et le bien-être des personnes.

Une économie axée sur les droits de l’homme est une économie dans laquelle l’objectif de faire progresser les droits de l’homme influence toutes les décisions économiques, fiscales, monétaires, d’investissement et commerciales nationales.

Ces mesures nationales seront très bénéfiques pour des millions de personnes. Toutefois, elles ne peuvent espérer remédier à l’urgence de la dette mondiale qui a frappé si violemment les pays en développement en particulier. Ses conséquences anéantissent l’espoir et la vie des populations.

Il est urgent d’augmenter considérablement le financement et de réformer les institutions financières internationales pour faire face à ces difficultés. Le HCDH plaidera vigoureusement en faveur d’un changement fondé sur les droits de l’homme. L’initiative Bridgetown de la Barbade se distingue par une vision claire de la justice économique et de nouvelles méthodes pour les organismes de financement internationaux.

Monsieur le Président,

La restriction sévère de l’espace civique est le talon d’Achille – la faiblesse fatale – de la gouvernance. Si j’ai un message à adresser à chaque chef d’État ou de gouvernement, c’est celui-ci : écoutez la population, et en particulier les victimes et les défenseurs et défenseuses des droits humains. Ces personnes connaissent très bien ces questions et vous devez écouter ce qu’ils ont à dire.

Je suis alarmé par le nombre et la diversité des pays dans lesquels je dois signaler des mesures qui portent atteinte aux institutions judiciaires, à la liberté des médias et à l’espace des libertés civiques fondamentales.

Permettez-moi de commencer sur une note positive.

En Tanzanie, des progrès ont été réalisés pour ouvrir l’espace civique et démocratique au cours des deux dernières années. Les interdictions frappant les médias et les rassemblements politiques ont été levées et une réforme des lois restrictives est promise. La Tanzanie reste confrontée à de nombreux défis et je salue l’engagement du Président en faveur du dialogue. Il reste encore beaucoup à faire en matière de responsabilité et d’autres questions relatives aux droits de l’homme, notamment en ce qui concerne Ngorongoro et Loliondo.

La Zambie a également pris des mesures positives en faveur d’un plus grand respect des droits de l’homme et de l’état de droit. On peut citer parmi ces mesures de nombreux amendements et textes législatifs, notamment l’abolition de la peine de mort et la suppression des dispositions qui criminalisent la « diffamation du président ». Je me réjouis de pouvoir travailler avec le mécanisme national d’établissement de rapports et de suivi, et j’encourage les mesures visant à favoriser un dialogue pacifique entre les partis politiques. J’invite également les dirigeants politiques et les médias à faire de leur mieux pour ne pas accroître la polarisation et la division ethnique. Les institutions financières internationales doivent reconnaître que la Zambie, comme plusieurs autres pays, a besoin d’urgence d’alléger sa dette pour consolider ses progrès.

Au Kenya, des progrès ont été réalisés en matière de responsabilité pour les violations graves des droits de l’homme. J’encourage la réalisation de progrès plus concrets en matière de justice, conformément aux engagements pris par le Gouvernement.

Quant à la Fédération de Russie, je suis profondément inquiet face à de multiples tendances. La clôture du journal Novaïa Gazeta et du Groupe Helsinki de Moscou est un autre signe de la disparition de l’espace civique en Russie. Les messages incessants en faveur de la guerre diffusés par les médias publics alimentent les stéréotypes et incitent à la haine et à la violence. Plus de 180 affaires pénales ont été ouvertes pour diffamation présumée des forces armées. Parmi les personnes condamnées à ce jour figurent un journaliste et un conseiller municipal. Depuis décembre, toute personne ou entité considérée comme étant « sous influence étrangère », une étiquette excessivement large et vague, peut être désignée comme « agent étranger » et soumise à de nombreuses restrictions. En décembre, la législation interdisant ce que l’on appelle la « propagande de relations non traditionnelles » a été élargie pour couvrir les informations, destinées à toutes et tous, sur les relations et la sexualité des LGBTIQ+, ainsi que sur les personnes effectuant leur transition, ce qui constitue une évolution inquiétante.

Je m’inquiète également de l’agitation croissante contre les droits des LGBTIQ+ dans de nombreux pays, et plus récemment en Afrique de l’Est, notamment des discours de politiciens qui incitent à la haine et de la répression des organisations LGBTIQ+. La semaine dernière, un projet de loi contre l’homosexualité très inquiétant a été déposé au Parlement de l’Ouganda, tandis qu’au Burundi, 24 personnes ont été arrêtées dans le cadre d’une opération de répression, dont beaucoup travaillaient dans le domaine de l’éducation en matière de sida. Il est impensable qu’au 21e siècle, nous soyons confrontés à de tels niveaux de sectarisme, de préjugés et de discrimination, qui portent atteinte au développement de tous les membres de la société.

Au Tadjikistan, des journalistes indépendants et des blogueurs ont été condamnés à des peines allant de 7 à 21 ans de prison, pour des accusations liées au terrorisme et à l’extrémisme, dans le cadre d’une répression accrue de la liberté d’expression. Les procès sont clos, mais ne semblent pas avoir apporté de preuves substantielles d’un quelconque crime.

Au Bangladesh, je note avec regret la multiplication des actes de violence politique, les arrestations arbitraires de militants politiques et le harcèlement permanent des défenseurs et défenseuses des droits humains et des médias à l’approche des élections de cette année. Après de longues consultations avec le HCDH concernant la loi sur la sécurité numérique, je demande instamment que cette dernière soit modifiée, car des sanctions pénales continuent d’être prononcées contre celles et ceux qui exercent leurs droits à la liberté d’expression et de conviction.

Au Cambodge, le Gouvernement continue de réprimer l’opposition politique, les défenseurs et défenseuses des droits humains et les médias indépendants. En témoignent la fermeture de l’agence de presse Voice of Democracy et la peine très lourde infligée la semaine dernière au chef de l’opposition Kem Sokha, sur la base d’accusations douteuses. Ces actions compromettent gravement l’espace civique et politique, y compris l’environnement nécessaire à la tenue d’élections libres et équitables en juillet.

En Tunisie, je suis préoccupé par les récentes mesures de répression sévères au cours desquelles des juges, des médias, des acteurs de la société civile, des membres de l’opposition et des dirigeants syndicaux ont été poursuivis, notamment devant des tribunaux militaires, entre autres pour crimes contre la sécurité nationale et actes de terrorisme. Cette réduction de l’espace civique et de la marge de manœuvre des syndicats pour défendre les droits des travailleurs doit être inversée. Plus récemment, une vague d’arrestations et d’agressions dans tout le pays, accompagnées de propos déshumanisants et racistes, ont ciblé les migrants, pour la plupart originaires du sud du Sahara. Je prends note du fait que les autorités ont annoncé il y a deux jours des mesures d’aide aux migrants. En outre, je demande instamment que toutes les attaques fassent l’objet d’une enquête approfondie et que les discours de haine xénophobes cessent.

En Égypte, les restrictions de l’espace civique se poursuivent, notamment à travers la répression de la dissidence, la détention arbitraire et les mesures de censure et de blocage de sites Web. Il y a deux jours, de lourdes peines ont été imposées à plusieurs personnes militant pour les droits de l’homme, dans le cadre d’une procédure portant sur des accusations douteuses liées au terrorisme, ce qui a également soulevé des préoccupations quant à l’équité du procès. Conformément à la stratégie nationale égyptienne pour les droits de l’homme, je demande instamment aux autorités de libérer toutes les personnes détenues arbitrairement et de lever les restrictions imposées à l’espace civique.

Au Pérou, au moins 60 personnes ont été tuées et plus d’un millier d’autres blessées lors d’affrontements avec les forces de sécurité et près de barrages routiers au cours des récentes manifestations. Les griefs sous-jacents, notamment la discrimination et l’exclusion, touchent particulièrement les peuples autochtones, les campesinos ruraux et les populations urbaines pauvres. Les récentes initiatives du Gouvernement, telles que la création d’une commission chargée d’apporter un soutien économique aux familles des personnes tuées ou blessées, doivent être élargies afin de garantir l’établissement des responsabilités, la vérité et une réparation complète pour toutes les victimes. Le HCDH est prêt à soutenir un dialogue constructif sur ces questions sous-jacentes.

Concernant la Chine, nous avons établi des voies de communication avec une série d’acteurs pour assurer le suivi de diverses questions relatives aux droits de l’homme, notamment la protection des minorités, comme les Tibétains, les Ouïghours et d’autres groupes. Dans la région du Xinjiang, le HCDH a fait état de graves préoccupations, notamment des détentions arbitraires à grande échelle et des séparations familiales, et a formulé des recommandations importantes qui nécessitent un suivi concret. Nous sommes également préoccupés par les restrictions sévères de l’espace civique en général, notamment la détention arbitraire de défenseurs et défenseuses des droits humains et d’avocats, et par l’impact de la loi sur la sécurité nationale à Hong Kong.

Monsieur le Président,

La lutte contre les changements climatiques et la défense du droit à un environnement propre, sain et durable sont les combats phares de notre génération. J’aimerais à nouveau vous citer quelques exemples.

La Somalie connaît actuellement une sécheresse sans précédent, qui a des conséquences dramatiques sur la vie et les droits de millions de personnes. L’année dernière, près de 1,2 million de Somaliens ont quitté leur foyer en raison du manque de pluie. La concurrence entre éleveurs pour obtenir des ressources naturelles rares est un facteur de conflit : depuis 2020, au moins 237 personnes ont été tuées dans le cadre de violences entre clans liées à la terre, aux pâturages ou à l’eau. La situation est exacerbée par les Chabab, un groupe armé qui cible les sources d’eau et les infrastructures pour punir les communautés perçues comme soutenant le Gouvernement. Au total, on prévoit que 8,3 millions de personnes en Somalie auront de toute urgence besoin d’une aide alimentaire ou d’autres formes d’assistance entre avril et juin de cette année.

Dans la région du Sahel, un rapport récent du HCDH souligne l’impact profond de la dégradation des sols liée aux changements climatiques et de la baisse de la production alimentaire sur les revenus, la santé, la concurrence pour les ressources, les conflits et les déplacements de population – un cercle vicieux qui s’aggrave à chaque saison des semis. Les températures au Sahel augmentent beaucoup plus rapidement que la moyenne mondiale. Même si l’augmentation de la température mondiale est maintenue à 1,5 degré, ce qui est peu probable, l’impact sur les populations du Sahel sera permanent et dévastateur.

L’Iraq subit également de graves dommages liés aux changements climatiques, avec une forte augmentation des températures, une diminution des précipitations et une augmentation des tempêtes de sable. Le débit du Tigre et de l’Euphrate a diminué respectivement de 29 % et de 73 %, les projets de barrages dans la région étant un facteur supplémentaire. Selon les experts techniques qui ont participé l’année dernière à la deuxième Conférence sur l’eau de Bagdad, 7 millions d’Iraquiens risquent de ne pas pouvoir satisfaire leurs besoins en eau dans un avenir proche. Je suis également préoccupé par le rétrécissement de la liberté d’expression dans le pays.

Les États insulaires du Pacifique, dont les petits États insulaires en développement, ont été les premiers à plaider en faveur d’une action climatique, notamment d’un cadre régional de prévention et d’intervention concernant les déplacements de population, que le HCDH soutient. Je note en particulier l’initiative de Vanuatu de demander un avis consultatif à la Cour internationale de justice sur les obligations des États de protéger les droits des générations présentes et futures contre les effets néfastes des changements climatiques.

Une gouvernance transparente est essentielle pour réparer les préjudices et renforcer la résilience. Les fonds de financement du climat doivent atteindre les personnes les plus touchées et les plus vulnérables, et doivent intégrer des garanties solides en matière de droits de l’homme.

Nous devons également dénoncer les fausses solutions climatiques. Je déplore les tentatives de l’industrie des combustibles fossiles, lors des négociations mondiales sur le climat et ailleurs, de blanchir sa réputation et de faire dérailler notre objectif de décarbonisation. Cela doit être évité lors de la prochaine COP28 à Dubaï et nous avons besoin d’une participation inclusive, sûre et importante de la part de la société civile.

Dans chaque pays, j’encourage avec force les éléments suivants. Un accès du public à l’information sur les risques environnementaux et les politiques gouvernementales. La pleine participation et consultation sur les lois et les mesures environnementales, notamment pour les peuples autochtones et les autres personnes qui sont les premières à subir les effets néfastes du climat. Et la protection des personnes qui expriment leurs préoccupations face aux infractions contre l’environnement ou aux politiques qui causent des dommages environnementaux.

Dénigrer les manifestations en faveur du climat, concevoir des lois qui restreignent injustement les activités visant à sensibiliser le public sur les effets néfastes des changements climatiques et permettre que les attaques contre les militants restent impunies : ces tactiques nuisent à tous les États et à tous les êtres humains. Et nous devons y mettre un terme de toute urgence.

Monsieur le Président,

Conflits, discrimination, pauvreté, restrictions de l’espace civique et triple crise planétaire.

Nous sommes confrontés aux effets cumulés de toutes ces crises, tout en faisant face à une nouvelle vague de difficultés en matière de droits de l’homme, notamment dans la sphère numérique et dans les domaines de l’intelligence artificielle et de la surveillance. Pour relever ces difficultés, il est urgent d’adopter une nouvelle approche, de faire preuve d’une véritable volonté politique, de renouveler nos engagements et d’augmenter considérablement le financement, en plaçant les droits de l’homme au centre des préoccupations.

Profitons de cette année d’anniversaire des droits de l’homme pour redoubler d’efforts.

Merci.

Ce discours a été en partie prononcé en français.