Déclarations et discours Haut-Commissariat aux droits de l’homme
Haut-Commissaire : les étudiants bangladais ont défendu les droits humains, l’égalité et la justice
29 octobre 2024
Prononcé par
Volker Türk, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme
À
Université de Dacca
Chers étudiants et étudiantes, collègues et amis,
Les étudiants et le corps enseignant de l’Université de Dacca sont connus depuis longtemps pour leur militantisme : ils se sont mobilisés avec force ces 80 dernières années pour l’indépendance, la liberté d’expression et les droits linguistiques, pour l’égalité de représentation, et contre le régime militaire. Et à présent, pour la démocratie, le principe de responsabilité et l’égalité. Comme l’a fait remarquer votre éminent professeur, Serajul Islam Chowdhury, cette université a encouragé non seulement à rêver de liberté et d’égalité, mais aussi à agir pour que ce rêve devienne réalité.
Avec d’autres étudiants d’universités privées et publiques, de madrassas et d’autres établissements scolaires, et avec d’autres personnes à travers le pays, vous avez fait preuve d’un grand courage en défendant la justice et l’égalité pour le peuple du Bangladesh.
C’est donc un véritable honneur pour moi de prendre la parole ici aujourd’hui, à un moment clé et dans un lieu symbolique.
Vos récits de courage, de résilience, de solidarité et d’engagement en faveur des droits humains m’inspirent et me touchent.
Des étudiants qui ont aidé les manifestants blessés. Des conducteurs de pousse-pousse qui ont risqué leur vie pour aider les manifestants. Des femmes en première ligne qui ont fait sauter les verrous de leurs dortoirs, ont brisé les stéréotypes et sont descendues dans la rue, encourageant des millions de personnes.
Je tiens également à souligner le très lourd tribut payé par de nombreux activistes et spectateurs, dont vos amis et camarades de classe, qui ont été tués ou gravement blessés. Nombre d’entre eux seront en situation de handicap de longue durée. Des centaines de personnes ont été touchées à la tête et aux yeux, notamment par des tirs de plombs, et risquent de perdre à jamais la vue. Beaucoup d’entre elles reçoivent encore des soins et je leur souhaite à tous un rétablissement rapide et complet.
Notre présence ici aujourd’hui, qui marque un nouveau départ pour le Bangladesh, témoigne de leur courage et de leur sacrifice.
Arrêtons-nous quelques instants en leur mémoire [quelques secondes de silence].
Chers étudiants et étudiantes,
Lorsque j’étais étudiant en Autriche, il y a de nombreuses années de cela, j’ai découvert comment les droits humains pouvaient transformer les sociétés pour le meilleur. Cette idée simple mais puissante a depuis guidé ma vie et ma carrière, et elle résonne fort en moi ici aujourd’hui.
Nous vivons une époque troublante, où les conflits font rage, où le droit international est bafoué, où les droits humains sont piétinés et où le monde est plus inégal que jamais. Trop souvent, nos économies privilégient le profit au détriment des personnes et de la planète. La polarisation et la corruption s’ajoutent à la désinformation rampante pour affaiblir la démocratie dans le monde.
Les jeunes, où qu’ils soient, sont confrontés à un monde tumultueux, où les inégalités se creusent et où les crises économiques et l’incertitude perdurent. Votre présent et votre avenir sont menacés par le chaos climatique qui devient chaque jour plus destructeur et féroce.
Vous le savez mieux que quiconque au Bangladesh.
Car pendant une grande partie de votre vie, des politiques destructrices et corrompues ont renforcé une économie marquée par les inégalités, et ce, quelle que soit la personne au pouvoir. L’opposition politique, la dissidence citoyenne et les manifestations pacifiques ont été réprimées, souvent violemment. Les violations atroces commises, dont les exécutions extrajudiciaires, les disparitions forcées, les arrestations et détentions arbitraires et la torture, ont été réfutées et sont restées impunies.
La prospérité, les opportunités, la prise de décision et l’égalité étaient hors de portée pour de nombreuses personnes. Et les jeunes se sont heurtés à des difficultés spécifiques. Nombre d’entre eux ont été marginalisés et privés de leurs droits, sans accès à une éducation de qualité et à l’emploi.
Il y a quelques mois cependant, vous avez saisi l’occasion de mettre votre pays sur une voie différente.
Le Bangladesh a aujourd’hui une occasion historique de rétablir et de revitaliser une véritable démocratie. De mener une réforme en profondeur. D’entamer un processus de vérité, de justice et d’apaisement. De veiller à ce que les avantages du développement profitent à tous. Et de reconstruire votre pays sur la base de l’égalité, où chaque voix est entendue et valorisée, indépendamment de la classe, du genre, de la race, de l’idéologie politique ou de la religion.
Et ce sont les jeunes qui ont ouvert la voie.
Cette situation est emblématique d’une vérité que j’observe partout dans le monde.
Alors que les dirigeants mondiaux jouent à la politique avec votre avenir, les jeunes font preuve d’un véritable leadership.
Partout, ils défendent l’action climatique, la justice et les droits humains.
Comme vous, ils me donnent de l’espoir pour l’avenir.
Chers étudiants et étudiantes, et chers amis,
La démocratie est l’un des concepts les plus puissants jamais imaginés par l’humanité. Depuis deux mille cinq cents ans, elle incite les gens à agir. Or elle est aussi fragile, et nous devons la nourrir et la protéger, en particulier dans ses premiers pas.
Je sais que vous êtes tous concentrés sur cette tâche. Et je sais que vous connaissez les pièges qui ont conduit d’autres mouvements prodémocratiques dans une impasse.
Les droits humains et l’état de droit peuvent être votre feuille de route et votre boussole, alors que vous naviguez entre la violence d’un passé récent, et une société et un avenir nouveaux.
Ils apportent compréhension et clarté.
Ils représentent un vecteur d’autonomisation, ouvrant la voie aux libertés auxquelles nous avons tous droit.
Ils fournissent un modèle de gouvernance garantissant un développement fondé sur l’inclusion, la participation et le principe de responsabilité.
Ils peuvent garantir la non-répétition, pour qu’un tel abus de pouvoir ne se reproduise plus jamais.
Que cela signifie-t-il pour le Bangladesh aujourd’hui ?
C’est aux Bangladais d’en décider.
Je souhaite faire quelques observations.
Premièrement, l’approche fondée sur les droits humains appelle à la vérité, à la justice et à l’apaisement face aux événements récents et aux violations des droits humains commises dans le passé.
Il s’agit là des éléments essentiels d’une société juste. Sans apaisement, l’héritage de la violence se traduit par plus de violence et plus de victimes. Nous ne pouvons pas permettre qu’un nouveau cercle vicieux de représailles et de vengeance se répète. Inspirez-vous de modèles tels que Nelson Mandela.
La quête de justice doit également aller au-delà des procès des personnes responsables et s’attaquer aux causes profondes afin de réaliser la transformation sociale plus large à laquelle vous aspirez. Nous devons nous tourner vers l’avenir, et pas uniquement vers le passé.
Une telle approche doit commencer par un dialogue national élargi afin de tracer une voie vers la vérité, la responsabilité, la réparation et l’apaisement national. Elle doit être inclusive et centrée sur les survivants et les victimes. Je tiens aussi à souligner qu’un soutien psychosocial est essentiel après le traumatisme subi par nombre d’entre vous, vos amis étudiants et vos proches, et j’exhorterai la communauté internationale à vous soutenir dans ce processus d’apaisement.
Deuxièmement, plus globalement, le Bangladesh a une occasion importante de faire face aux violations de longue date des droits humains, de reconstruire un espace civique ouvert, diversifié et tolérant, et de réformer les principales institutions de l’État.
Cela est essentiel pour reconstruire la cohésion sociale, restaurer la confiance dans les institutions et garantir que de tels abus de pouvoir ne se reproduiront plus jamais.
Une approche fondée sur les droits humains exige l’examen, l’abolition et la réforme des lois répressives et des institutions qui étouffent la dissidence. Cela signifie qu’il faut se demander si des sanctions comme la peine de mort contribueront à faire avancer la société. Je suis fermement opposé à la peine de mort et je continuerai à plaider en faveur de son abolition dans ce pays et ailleurs.
Une approche fondée sur les droits humains exige un environnement ouvert permettant aux journalistes, aux syndicalistes, aux militants de la société civile et aux autres défenseurs des droits humains de travailler librement et en toute indépendance.
En tant qu’étudiants activistes, vous représentez une nouvelle génération de défenseurs des droits humains qui se battent pour les valeurs et les principes inhérents aux droits humains.
Je tiens à souligner que la manière dont vous vous y prenez est tout aussi importante.
Méfiez-vous de l’idée selon laquelle la fin justifie les moyens. Les moyens que vous utilisez pour changer les choses sont tout aussi cruciaux que le résultat. Le renforcement des institutions peut être plus important à long terme que leur destruction. Un État ne peut fonctionner sans institutions fortes et indépendantes ancrées dans les droits humains. Cela prendra du temps.
Pour créer un espace civique plus large et plus diversifié, il est nécessaire d’adopter une approche inclusive, qui protège les groupes minoritaires, notamment les hindous, les chrétiens, les bouddhistes et les communautés autochtones, et qui garantit leur pleine participation à la prise de décision.
Cette diversité enrichit la société et permet à tous de bénéficier d’expériences et de perspectives différentes.
Les femmes ont joué un rôle de premier plan dans les manifestations en faveur de la démocratie, ainsi que dans l’élaboration des stratégies et l’organisation qui les ont précédées. Il s’agissait également d’une lutte pour l’égalité des sexes et pour mettre fin à la discrimination contre les femmes et des filles. Elles doivent être pleinement représentées, y compris dans les rôles de direction, aujourd’hui et à l’avenir.
Troisièmement, les droits humains doivent être à la base du processus démocratique.
Le Bangladesh devra faire face à des décennies de politiques de division qui n’ont pas servi les intérêts de sa population.
Une approche fondée sur les droits humains requiert la mise en place de conditions équitables permettant à tous les partis politiques de participer librement.
Les citoyens doivent pouvoir participer à la gouvernance démocratique et avoir leur mot à dire dans la prise de décision.
Des élections libres et équitables nécessitent un environnement où la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique est respectée.
Quatrièmement, c’est l’occasion de mettre en place des politiques de développement durable inclusives qui profitent à tous.
Le Bangladesh connaît l’une des croissances économiques les plus fortes au monde. Mais cette croissance économique est inégale et les bénéfices sont concentrés sur un petit segment de la société, ce qui entraîne des niveaux élevés d’inégalité et même d’oppression.
Le Programme de développement durable à l’horizon 2030 et les objectifs de développement durable offrent une liste complète et fondée sur les droits montrant les tâches à accomplir.
Une économie centrée sur les droits humains nécessite des politiques qui placent les personnes et la planète au cœur des préoccupations. Il faut donc investir davantage dans la réduction de la pauvreté, la protection sociale, les soins de santé, l’éducation et le travail décent. L’éducation doit être indépendante, de haute qualité et accessible à tous. Les politiques économiques doivent donner la priorité au bien-être des personnes pauvres, marginalisées et vulnérables.
La diversification de l’économie peut aider à assurer une croissance qui profite à l’ensemble de la société. La législation et les pratiques liées au travail doivent placer les normes et la protection des droits des travailleurs, dont les droits des travailleurs de l’économie informelle, au centre des préoccupations. Elles doivent également garantir la non-discrimination et des perspectives pour tous.
Une approche fondée sur les droits humains exige également des mesures visant à éradiquer et à prévenir la corruption, à mettre fin au népotisme et aux oligopoles, et à garantir une gestion transparente des finances publiques.
Chers étudiants et étudiantes,
Mon dernier message est que vous n’êtes pas seuls.
Nous avons été impressionnés par le courage et le sacrifice de votre combat. C’est votre parcours, et nous sommes là pour vous accompagner et vous soutenir dans cette voie.
Le HCDH se tient prêt à jouer son rôle, en commençant par la mission d’établissement des faits, déjà lancée.
Je discuterai avec le Gouvernement provisoire des domaines dans lesquels nous pouvons apporter notre soutien au renforcement des institutions, à la reconstruction de l’espace civique, à l’établissement des responsabilités et aux processus d’apaisement, du point de vue des droits humains.
Je vous invite à nous faire part de vos préoccupations et de vos obstacles, et à nous expliquer comment nous pouvons vous aider à jouer un rôle à part entière dans l’avenir de votre pays.
Chers étudiants et étudiantes, et chers amis,
En traversant votre ville aujourd’hui, j’ai été témoin d’un véritable élan de dynamisme et d’ingéniosité, et j’ai vu de puissants graffitis portant des messages d’espoir, d’unité et de solidarité.
Le Bangladesh présente une riche palette de talents, de cultures et de créativité. Il regorge de potentiel, d’idées et de revendications justifiées en faveur d’un meilleur présent et un avenir plus radieux.
Pour réaliser ce potentiel, le Bangladesh doit définir des limites claires.
Les inégalités, les cycles de vengeance et de rétribution, la marginalisation, la corruption et les violations flagrantes des droits humains doivent être relégués au passé. Il ne doit pas y avoir de répétition ni de retour en arrière. Le présent et l’avenir doivent être empreints d’égalité et de justice.
Je m’inspire de votre engagement en faveur de la démocratie et des droits humains. Maintenez-le au premier plan de votre lutte et de votre vie.
Je suis solidaire de vous tous, alors que vous vous préparez à construire un pays plus égalitaire, plus inclusif et plus juste pour tous.
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