Communiqués de presse Haut-Commissariat aux droits de l’homme
Zeid Ra’ad Al Hussein demande la création d’une cour hybride spéciale au Sri Lanka alors qu’un rapport de l’ONU confirme des schémas de violations graves
Rapport sur le Sri Lanka
16 septembre 2015
GENEVE (16 septembre 2015) – Un rapport des Nations Unies* publié ce jour a identifié des schémas de violations graves commises au Sri Lanka entre 2002 et 2011 qui indiquent clairement que des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité ont probablement été commis par les deux parties au conflit. Le rapport recommande l’établissement d’une cour hybride spéciale qui intègre des juges, des procureurs, des avocats et des enquêteurs internationaux, comme une étape essentielle vers la justice.
« Notre enquête a mis à nu le niveau horrible de violations et d’abus qui ont eu lieu au Sri Lanka, y compris des bombardements indiscriminés, des exécutions extrajudiciaires, des disparitions forcées, des récits terrifiants de torture et de violence sexuelle, le recrutement d’enfants et d’autres crimes graves », a déclaré le Haut-Commissaire Zeid Ra’ad Al Hussein. « De manière importante, le rapport met à jour des violations qui figurent parmi les crimes les plus graves qui touchent l'ensemble de la communauté internationale. »
Parmi les crimes les plus graves documentés dans le rapport figurent :
· Des homicides illégaux: De nombreux homicides illégaux auraient été commis par les deux parties entre 2002 et 2011, ainsi que par des groupes paramilitaires liés aux forces de sécurité. Des hommes politiques tamouls, des travailleurs humanitaires, des journalistes et des citoyens ordinaires ont fait partie des victimes présumées des forces de sécurité sri lankaises et des paramilitaires associées à celles-ci. Il semble qu’un schéma de meurtres, par exemple, à proximité des points de contrôle des forces de sécurité et des bases militaires existait et des homicides illégaux de personnes détenues par les forces de sécurité, y compris des personnes qui avaient été capturées ou s’étaient rendues à la fin du conflit. Les Tigres de libération de l'Eelam tamoul (LTTE) auraient aussi tué des civils tamouls, musulmans et singhalais, par le biais de d’attaques suicide indiscriminées et de mines ainsi que par des assassinats de personnes, parmi lesquelles des agents publics, des universitaires et des personnalités politiques tamoules dissidentes.
· Des violencessexuelles et sexistes: L’un des résultats choquants de l’enquête tient dans l’étendue des violences sexuelles commises sur les détenus par les forces de sécurité sri lankaises, souvent de manière extrêmement brutale, les hommes risquant d’en être les victimes tout autant que les femmes. Des témoignages terribles de 30 survivants de violence sexuelle qui ont été interviewés indiquent que les violences sexuelles n’étaient pas des actes isolés mais faisaient partie d’une politique délibérée destinée à infliger des tortures, suivant des schémas et utilisant des outils similaires. Le rapport décrit des tortures sexuelles qui avaient cours lors des séances d’interrogatoire ainsi que des viols, dont la plupart se déroulaient en dehors des séances d’interrogatoire. Les tortures sexuelles étaient perpétrées dans un grand nombre d’endroits par diverses forces de sécurité, pendant et après le conflit. A ce jour, pas un seul auteur de violencesexuelle liée au conflit armé n’a été condamné.
· Des disparitions forcées: les disparitions forcées ont touché des dizaines de milliers de Sri Lankais pendant des décennies, notamment pendant les 26 ans du conflit armé avec les LTTE. Il existe des motifs raisonnables de croire que les disparitions forcées ont pu être commises dans le cadre d’attaques étendues et systématiques contre la population civile. Il existe en particulier des motifs raisonnables de croire qu’un grand nombre d’individus qui se sont rendus pendant la phase finale du conflit ont été victimes de disparitions forcées et sont toujours portés disparus. Beaucoup d’autres, y compris des personnes n’ayant pas un lien direct avec le conflit, ont disparu, généralement après avoir été enlevés dans des « camionnettes blanches ».
· Des tortures etautres formes de traitements cruels, inhumains ou dégradants: l’utilisation brutale de la torture par les forces de sécurité sri lankaises était généralisée pendant la décennie couverte par le rapport, en particulier pendant la période suivant la fin du conflit. Certains des centres les plus fréquemment utilisés avaient des salles disposant d’équipements pour la torture, ce qui illustre le caractère prémédité et systématique du recours à la torture. Ces salles contenaient des objets, dont des barres en métal et des bâtons pour les bastonnades, des barils d’eau pour les simulations de noyade et des poulies auxquelles les victimes étaient suspendues. Les victimes interviewées pour le rapport ont décrit les traces de sang sur les murs et les sols de ces salles et décrit dans le détail les tortures qui leur ont été infligées.
· Des recrutements d’enfants et leur utilisation pendant les hostilités, ainsi que les enlèvements et le recrutement forcé d’adultes: Des informations indiquent un schéma d’enlèvements ayant abouti à des recrutements forcés d’adultes par les LTTE, qui s’est intensifié vers la fin du conflit. Le recrutement et l’utilisation répandus d’enfants dans le conflit armé par les LTTE et le groupe paramilitaire des Karuna, qui soutenait le gouvernement suite à sa scission avec les LTTE en 2004, ont aussi été documentés. Les enfants étaient souvent recrutés de force dans les maisons, les écoles, les temples et aux points de contrôle et, après avoir reçu une formation sommaire, envoyés sur la ligne de front. Selon de nombreux rapports, au cours des derniers mois du conflit, les LTTE ont de plus en plus recruté d’enfants de moins de 15 ans. Cespratiques pourraient constituer des crimes de guerre s’ils sont établis par une cour.
· Des attaques contre les civils et les objets civils: Il existe des motifs raisonnables de croire que de nombreuses attaques perpétrées lors de la dernière phase de la guerre n’ont pas respecté les principes du droit international humanitaire dans la conduite des hostilités, en particulier le principe de distinction. Le rapport documente les bombardements répétés par les forces gouvernementales, notamment ceux d’hôpitaux et de locaux humanitaires dans des zones densément peuplées, les zones de sécurité (“No Fire Zones”), que le gouvernement avait lui-même annoncé mais qui étaient des zones que les LTTE contrôlaient. Les attaques directes contre des objets civils et/ou des civils ne prenant pas directement part aux hostilités constituent une violation grave du droit international humanitaire et pourraient constituer un crime de guerre. La présence présumée de cadres des LTTE prenant directement part aux hostilités et opérant au sein d’une population principalement composée de civils, lançant des attaques à très grande proximité de ces lieux et la politique des LTTE qui consistait à forcer les civils à rester dans les zones d’hostilités actives, pourraient aussi avoir violé le droit international humanitaire. Toutefois, cela n’exonèrerait pas le gouvernement de ses responsabilités au regard du droit international humanitaire. L’obligation de respecter le droit international humanitaire ne dépend pas de la conduite de la partie adverse et n’est pas subordonnée au principe de réciprocité.
· Un déni d’aide humanitaire: Il existe des motifs raisonnables de croire que le gouvernement a imposé des restrictions considérables sur la liberté de mouvement du personnel et des activités humanitaires, et aurait pu bloquer de manière délibérée la livraison d’aide alimentaire et de fournitures médicales suffisantes à Vanni dans la province du Nord, ce qui pourrait représenter l’utilisation, comme méthode de guerre, de la famine contre la population civile.
· Des violations lors de la détention de personnes déplacées internes (PDIs) dans des camps fermés: La manière dont ont été menés les processus de sélection destinés à séparer les anciens combattants des LTTE des civils n’a pas respecté les normes internationales et a facilité les mauvais traitements et les abus. Près de 300 000 PDIs ont été privés de liberté dans des camps pendant des périodes bien plus logues que celles permises par le droit international. Il existe des motifs raisonnables de croire que les PDIs ont été traités comme des suspects et détenus en raison de leur origine tamoule, ce qui pourrait constituer de la discrimination et un crime contre l'humanité de persécution.
Le rapport documente des années de déni et de tentatives de camouflage, d’échecs dans la conduite d’enquêtes rapides, d’enlisement des enquêtes et de représailles contre les familles des victimes et d’autres personnes en quête de justice.
Il note que l’échec répété des enquêtes nationales successives à établir les responsabilités a conduit au scepticisme, à la colère et à la méfiance de la part des victimes, en particulier parce que de nombreuses structures responsables de violations et crimes sont toujours en place. Le rapport démontre les faiblesses systématiques dans le traitement de ces crimes, en particulier lorsque les forces militaires ou de sécurité sont impliquées. Il décrit aussi les représailles contre les professionnels de la justice et d’autres secteurs qui ont tenté de poursuivre les cas de violations des droits de l’homme impliquant des agents de l’Etat.
L’engagement du nouveau gouvernement à faire que justice soit rendue par le biais d’un processus national est louable, indique le rapport, mais la triste réalité est que le système de justice pénale du Sri Lanka n’est pas encore prêt.
Le rapport note, en premier lieu, l’absence de tout système fiable de protection des victimes et des témoins. De plus, le rapport note l’incapacité du cadre juridique national à traiter les crimes internationaux d’une telle magnitude. Le troisième défi est la mesure dans laquelle le système judicaire et le secteur de la sécurité sri lankais sont déformés et corrompus par des années d’urgence, de conflit et d’impunité, indique le rapport.
Le Haut-Commissaire a salué les étapes positives franchies par le nouveau Gouvernement du Président Mathiripala Sirisena depuis janvier 2015 mais, a déclaré que « Le Sri Lanka doit maintenant avancer dans le démantèlement des structures répressives et des cultures institutionnelles qui restent profondément enracinées après des décennies d’érosion des droits de l’homme. »
« Ceci ne va pas arriver du jour au lendemain et nul ne devrait sous-estimer l’ampleur de la tâche », a-t-il dit. « Nous avons vu de nombreux moments de l’histoire sri-lankaise au cours desquelles les gouvernements ont promis de tourner la page et de mettre un terme aux pratiques telles que les disparitions forcées, mais l’échec à régler la question de l’impunité et à venir à bout des problèmes systémiques qui ont rendu de tels abus possibles signifie que les “camionnettes blanches” pourraient et ont été réactivées lorsque nécessaire. Il est impératif que le gouvernement saisisse cette opportunité unique de briser ce « moule » d’impunité une fois pour toutes. Cela signifie qu’il faut une transformation en profondeur sur la manière dont les institutions et les fonctionnaires opèrent. »
Le rapport recommande une série de mesures pour développer une politique de justice transitionnelle globale afin de traiter la question des violations des droits de l’homme au cours des 30 dernières années et pour empêcher qu’elles se reproduisent.
Le Haut-Commissaire a exhorté toutes les communautés et secteurs de la société, y compris la diaspora, à voir ce rapport comme « une opportunité de changer de discours et de passer du déni à la reconnaissance et à un engagement constructif pour apporter un changement. »
« Après tant d’années de violations des droits de l’homme effrénées et d’impunité institutionnalisée, les plaies des victimes d’un côté comme de l’autre se sont infectées et aggravées », a déclaré Zeid Ra’ad Al Hussein. « A moins d’être traitées en profondeur, leurs souffrances ininterrompues vont se polariser davantage, devenir un obstacle à la réconciliation et même semer les germes de nouveaux conflits. »
« Le degré de défiance envers les autorités et institutions étatiques par de larges pans de la société sri-lankaise ne devrait pas être sous-estimée », a déclaré le Haut-Commissaire. « C’est pour cette raison que l’établissement d’une cour hybride spéciale, qui intègre des juges, des procureurs, des avocats et des enquêteurs internationaux, est si importante. Une procédure judiciaire uniquement nationale n’a aucune chance de surmonter les suspicions très fortes et justifiables, nourries par des décennies de violations, de mauvaises pratiques et de promesses non tenues. »
« Le système national de justice pénale doit aussi être renforcé et réformé afin qu’il puisse regagner la confiance du public, mais ce processus prendra des années et doit être entrepris en parallèle de la mise en place d’une cour hybride spéciale, et non à sa place. En effet, une telle cour pourrait aider à stimuler les réformes nécessaires pour amener le Sri Lanka sur un nouveau chemin vers la justice, qui renforcera la confiance du public en chemin. »
Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme a été mandaté par le Conseil des droits de l'homme des Nations Unies pour procéder à une enquête approfondie sur les allégations de graves violations et abus des droits de l'homme et crimes commis par les deux parties au Sri Lanka pendant la période 2002-2011. Le rapport d’enquête est basé sur des témoignages oculaires, des interviews de victimes et de témoins, du matériel vidéo et photographique, y compris des images satellitaires, dont beaucoup ne sont pas du domaine public, qui ont été analysés par des experts militaires et légistes et sur une révision approfondie de documents, y compris des 3 000 déclarations et soumissions écrites et des rapports précédents non publiés. L’enquête de l’équipe du Haut-Commissariat n’a pas obtenu accès au Sri Lanka et a été confrontée à d’autres contraintes, y compris à des menaces, des intimidations et de la surveillance de la part du précédent gouvernement afin d’empêcher les gens, en particulier dans le nord du pays, de coopérer avec l’enquête.
* Le rapport est divisé en deux parties qui sont liées:
1) Le rapport d’ensemble du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme sur la promotion de la réconciliation, de l'établissement des responsabilités et des droits de l’homme (A/HRC/30/61) est disponible ici : http://www.ohchr.org/EN/HRBodies/HRC/RegularSessions/Session30/Documents/A_HRC_30_61_ENG.docx
2) Le rapport joint de l’enquête du Haut-Commissariat aux droits de l’homme sur le Sri Lanka (A/HRC/30/CRP.2) est disponible ici :http://www.ohchr.org/EN/HRBodies/HRC/RegularSessions/Session30/Documents/A_HRC_30_CRP_2.docx
La réponse du Gouvernement sri-lankais est disponible ici : http://www.ohchr.org/Documents/HRBodies/HRCouncil/OISL/ResponseSriLanka15092015.pdf
FIN
Pour toute information ou demande d’interview, prière de contacter :
A Genève: Rupert Colville (+41 22 917 9767 / rcolville@ohchr.org) ou Pam O’Toole (+41 79 752 04 50 / mediaconsultant@ohchr.org) ou Cécile Pouilly (+41 22 917 9310 / cpouilly@ohchr.org)
A Colombo: Ravina Shamdasani (+41 79 201 0115 ou +94 77 448 1925 / rshamdasani@ohchr.org)
Pour en savoir plus le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme : http://www.ohchr.org/fr
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