Communiqués de presse Organe subsidiaire de la Commission des droits de l’homme
SOUS-COMMISSION DES DROITS DE L'HOMME: DÉBAT SUR LA CORRUPTION ET SON IMPACT NÉGATIF SUR LES DROITS DE L'HOMME
15 août 2006
Partager
Sous-Commission de la promotion
et de la protection des droits de l'homme
15 août 2006
La Sous-Commission entame également l'examen du rapport final sur
l'application des normes relatives aux droits de l'homme dans
le contexte de la lutte contre l'extrême pauvreté
La Sous-Commission de la protection et de la promotion des droits de l'homme a cet après-midi entamé l'examen des questions relatives aux droits économiques, sociaux et culturels. Elle a entendu dans ce contexte la présentation de deux rapports, l'un portant sur la corruption et son impact négatif sur les droits de l'homme et l'autre sur l'application des normes et critères relatifs aux droits de l'homme dans le contexte de la lutte contre l'extrême pauvreté.
Mme Christy Ezim Mbonu, Rapporteuse spéciale sur la corruption et son impact négatif sur les droits de l'homme, a présenté son deuxième rapport d'étape. Elle a indiqué avoir établi des questionnaires qui ont été envoyés aux États membres, aux organisations non gouvernementales en prise avec la problématique de la corruption et à d'autres membres de la société civile. Ces questionnaires demandent notamment aux États d'indiquer la situation de leur législation en matière de corruption, les mesures adoptées pour enrayer la corruption, ainsi qu'un exemple récent d'application de ces mesures. Les réponses à ces questionnaires sont destinées à venir enrichir son rapport final.
Les experts de la Sous-Commission ont été très nombreux à commenter le rapport de Mme Mbonu, présentent notamment des suggestions pour l'approfondissement des recherches de la Rapporteuse spéciale. Ainsi, dans le cas où les systèmes judiciaires des pays concernés sont incapables d'enrayer ce phénomène, on pourrait imaginer d'établir des instances indépendantes des gouvernements pour la lutte contre la corruption, à l'image des institutions nationales des droits de l'homme. La question de la nécessaire coopération internationale en matière de lutte contre la corruption, notamment dans le domaine bancaire, a aussi été abordée dans différentes interventions. Un expert a relevé que la faiblesse des salaires est un facteur prédisposant à la corruption dans de nombreux pays. Le rôle de la mondialisation, et donc de la prépondérance croissante des lois du marché dans l'extension de la corruption a aussi été souligné. Certaines interventions ont porté également sur la corruption au niveau des marchés d'État ou sur l'existence dans certains pays de dispositions autorisant les sociétés commerciales à déduire de leur déclaration fiscale les fonds destinés à corrompre des fonctionnaires étrangers.
M. José Bengoa, coordonnateur du groupe spécial d'experts sur l'application des normes et critères relatifs aux droits de l'homme dans le contexte de la lutte contre l'extrême pauvreté, a présenté indiqué qu'il présentait le rapport final sur la question, qui constitue la synthèse de nombreuses années de travail sur les droits de l'homme et l'extrême pauvreté. Le rapport attire notamment l'attention sur le concept de «droit des pauvres» en expliquant que le droit international a défini toute une série de droits pour les catégories vulnérables de la population et que les pauvres devraient aussi en faire partie.
Une représentante du Sri Lanka est intervenue en réponse à la déclaration d'une organisation non gouvernementale faite ce matin au titre du point de l'ordre du jour relatif à la violation des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans tous les pays.
La Sous-Commission poursuivra son débat sur les droits économiques, sociaux et culturels demain à 10 heures.
Présentation du deuxième rapport d'étape sur la corruption et son impact sur les droits de l'homme
MME CHRISTY MBONU, Rapporteuse spéciale sur la corruption, a présenté un deuxième bilan d'étape sur son «rapport sur la corruption et son impact négatif sur la pleine jouissance de tous les droits de l'homme, en particulier les droits économiques, sociaux et culturels» (document de séance A/HRC/Sub.1/58/CRP.10). Elle a rappelé qu'elle avait présenté un rapport préliminaire en 2004 et un premier rapport d'étape en 2005. Dans tous ces rapports, elle a pu établir le caractère universel de la corruption: la corruption se produit partout, quel que soit le pays ou le niveau de développement. Elle a également décrit la corruption comme un cancer se développant dans tous les secteurs de la société, entraînant la négation de tous les droits, économiques, politiques, sociaux et culturels. Le rapport de Mme Mbonu présente les problèmes de corruption qui touchent le secteur judiciaire, les partis politiques, le secteur privé ou les marchés publics.
Rappelant que, lors de la précédente session de la Sous-Commission, la question des mesures à prendre a été soulevée, Mme Mbonu a indiqué qu'elle avait établi des questionnaires qui ont été envoyé aux États membres, aux organisations non gouvernementales en prise avec la problématique de la corruption et autres membres de la société civile. Les réponses à ces questionnaires permettront d'enrichir le rapport final. Ces questionnaires demandent notamment aux États d'indiquer l'état de la législation en matière de corruption, les mesures adoptées pour enrayer la corruption, ainsi qu'un exemple récent d'application de ces mesures. Elle a appelé les États membres à répondre aux questionnaires afin qu'elle puisse achever son mandat.
Examen du rapport sur la corruption
M. IBRAHIM SATTAR, expert de la Sous-Commission, a estimé que la Rapporteuse spéciale a raison de parler de la corruption comme d'un cancer qui se propage rapidement. Pour être efficace, l'antidote doit être administré sans délai, ce qui n'est pas le cas dans plusieurs pays en développement, qui sont trop souvent gouvernés par des élites corrompues. D'autres États, dont le système bancaire bénéficie de fonds détournés, ont adopté des systèmes de contrôle des fonds utilisés à des fins terroristes, mais ne semblent pas prêts à appliquer ces méthodes aux fonds provenant de la corruption. Il faut à cet égard réitérer l'espoir que la Convention internationale sur la lutte contre la corruption entre en vigueur au plus tôt, a dit l'expert.
La Rapporteuse spéciale devrait par ailleurs élargir la portée de son questionnaire en tirant parti de l'expérience accumulée dans les pays touchés: on devrait ainsi déterminer combien de ministres ont été mis en examen, combien d'entre eux ont été sanctionnés, quelles sommes ont pu être récupérées, dans quelles banques et dans quels pays étrangers. M. Sattar a également suggéré que la Rapporteuse spéciale élargisse la portée de son travail et imagine, pour la communauté internationale, d'autres moyens d'action que la Convention.
M. EMMANUEL DECAUX, expert de la Sous-Commission, a insisté sur l'importance que revêt ce sujet. Cette réflexion ne fait que commencer, a-t-il précisé. Il faut aller plus loin et voir le caractère multidimensionnel et proliférant du phénomène. Le rapport marque un tournant, a-t-il estimé, notamment avec l'élaboration de questionnaires. Il a à cet égard souhaité qu'ils aient un écho et que les États se fassent un devoir d'y répondre. Il a par ailleurs souligné que l'ensemble des acteurs de la communauté internationale devrait s'investir dans cette problématique.
Il y a au sein des États des instances indépendantes qui pourraient être les correspondants de Mme Mbonu, a en outre suggéré M. Decaux, et constituer des partenaires utiles pour la diffusion de ces questionnaires. Il a également souhaité que soit rendue claire l'idée que la corruption touche l'ensemble des droits, se montrant à cet égard favorable à la proposition de M. Sattar d'élargir la portée du questionnaire. Enfin, il a également fait observer qu'au sein des organisations internationales se cachent des activités de corruption qui ont un effet négatif et dévastateur.
MME LALAINA RAKOTOARISOA, experte de la Sous-Commission, a remercié la Rapporteuse spéciale pour son rapport, qui reflète bien la réalité de la corruption dans les pays en voie de développement mais aussi dans les pays industrialisés. L'experte a souhaité mettre l'accent sur le blanchiment d'argent, une infraction qui a des conséquences graves en raison des relations étroites qu'elle entretient avec plusieurs autres crimes de portée internationale, comme par exemple le trafic de drogue, la traite des êtres humains ou encore le terrorisme. Des milliards de dollars sont ainsi blanchis chaque année, a dit l'experte, le trafic de numéraire ne laissant quasiment pas de traces.
Dans de nombreux pays en voie de développement, le système bancaire défaillant sont mis à profit par des trafiquants d'armes, notamment, pour blanchir le produit de leurs agissements. Dans ce contexte, la lutte contre le blanchiment est un préalable au respect des droits de l'homme. L'experte a par ailleurs suggéré à la Rapporteuse spéciale de formuler différemment certains passages de son rapport, afin d'éviter la confusion entre les notions de recel et de blanchiment. Mme Mbonu pourrait également demander des informations complémentaires sur les mesures prises pour la lutte contre le trafic de numéraire et pour la restitution des sommes détournées aux États qui ont été victimes de ces agissements.
M. EL HADJI GUISSÉ, expert de la Sous-Commission, a rappelé avoir effectué, il y a quelques années, une étude sur l'impunité relative aux droits économiques, sociaux et culturels et souligné que dans son énumération des causes du sous-développement chronique se trouvait la corruption. Nous la considérons aujourd'hui comme un fléau et un frein au développement, a-t-il ajouté. Se référant aux questionnaires réalisés par la Rapporteuse spéciale sur la corruption, il a préconisé qu'ils fassent l'objet d'une étude pluridisciplinaire. Il a fait observer que la corruption s'appuie essentiellement sur l'argent et que le blanchiment d'argent finalise ces activités de corruption. À chaque fois qu'il y a un corrompu, il y a un corrupteur, et la corruption bénéficie aux deux.
Dans nos États, la corruption a atteint toutes les couches de la société et touché tous les compartiments de l'État, a poursuivi M. Guissé. À ce titre, il aurait souhaité que soit abordée la question de la corruption au niveau des marchés d'État. Cette corruption gangrène toute l'économie nationale et lorsqu'on en arrive là, ce sont les hommes politiques et leurs familles qui sont concernés et qui s'arrangent pour que le système entier leur permette ces activités, a estimé l'expert. Il a à cet égard comparé la corruption à un membre gangrené: lorsque tout le corps est gangrené, il est mort, il est bon à jeter. Ce fléau doit être combattu, a-t-il ajouté, mais lorsque les juridictions elles-mêmes sont constituées de magistrats corrompus, il n'est plus possible d'évoluer vers une justice plus équitable. Corrompus et corrupteurs forment une association de malfaiteurs, a-t-il martelé. En conclusion, il a proposé à Mme Mbonu d'élargir son champ d'action et son champ d'étude, tant sur le plan des moyens que sur les niveaux d'étude des activités de corruption. Il a ajouté que la corruption est un phénomène très grave et englobant qui entraîne dans sa mouvance tous les droits de l'homme qu'ils soient économiques, sociaux, politiques ou culturels.
M. IBRAHIM SALAMA, expert de la Sous-Commission, a dit qu'il s'était demandé où se trouvent les points particuliers sur lesquels la Sous-Commission pourrait apporter une contribution nouvelle à la résolution du problème de la corruption. La Sous-Commission pourrait à cet égard chercher et compiler des preuves empiriques sur l'incidence de la corruption sur la jouissance des droits économiques, sociaux et culturels. Les deux visites que Mme Mbonu a effectuées dans des pays d'Afrique pour évaluer les moyens d'action à la disposition des États ont donné des résultats intéressants, a dit M. Salama, relevant que l'action judiciaire ne doit être qu'un aspect de la lutte contre la corruption. En effet, comment agir dans le cas où le système judiciaire des pays concernés est lui-même corrompu ou inefficace? Il faut tirer ici une analogie avec les institutions nationales de droits de l'homme, instances indépendantes des gouvernements qui pourraient inspirer l'instauration d'agences similaires de lutte contre la corruption. La question est maintenant de savoir si un tel système peut être mis en place.
M. Salama a suggéré qu'une autre piste de recherche pour la Sous-Commission pourrait être une mise en relation du problème de la corruption avec le futur protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, si l'on part du principe que la corruption constitue, en soi, une violation du Pacte. Un dernier aspect à analyser est celui de la coopération internationale dans la recherche des fonds issus de la corruption, fonds qui sont parfois des instruments de politique étrangère. Des mécanismes non judiciaires de supervision nationaux seraient peut-être ici aussi appropriés.
M. VLADIMIR KARTASHKIN, expert de la Sous-Commission, a regretté que Mme Mbonu n'ait pas été en mesure de terminer son rapport, tout en insistant sur le travail énorme qu'elle a fourni. Il a souhaité attirer l'attention sur la corruption des plus hauts fonctionnaires de l'État: que ce soit des ministres, des députés, des juges ou des procureurs, cette corruption au plus haut niveau porte un préjudice particulier à un État, a-t-il estimé. La misère, le faible niveau économique et le fait qu'un pourcentage important de la population vit en-dessous du seuil de pauvreté sont également dans une large mesure provoqués par l'existence de la corruption, a poursuivi l'expert. La corruption porte atteinte à tous les droits: économiques, sociaux, politiques ou culturels.
M. Kartashkin a également déploré que les personnes corrompues au plus haut niveau ne soient pas traduites en justice, soulignant que seuls les responsables aux niveaux les plus bas font l'objet de poursuites judiciaires. La corruption à tous les niveaux est condamnable, a concédé l'expert, mais la corruption au niveau le plus bas n'est pas aussi dangereuse que celle qui sévit au plus hauts niveaux de l'État. Citant l'exemple de la Chine, il s'est réjoui de ce que, grâce à des mesures sévères à l'encontre de hauts fonctionnaires, elle ait réussi à mettre un frein à la corruption, et ce, même si cela reste un exemple isolé. Enfin, il a souhaité que soit ajoutée une question aux questionnaires de Mme Mbonu, afin d'obtenir des renseignements sur le nombre de fonctionnaires de haut niveau qui ont été poursuivis, ainsi que sur ce que la législation de l'État prévoit dans un tel cas. M. Kartashkin a à cet égard proposé que soient confisqués les biens propres du condamné suite à une inculpation de corruption.
M. CHEN SHIQIU, expert de la Sous-Commission, a relevé l'actualité du sujet abordé par Mme Mbonu et approuvé, après d'autres experts, la suggestion de M. Sattar d'élargir la portée du questionnaire. En ce qui concerne la lutte contre la corruption au niveau international, elle est encore insuffisante, a dit M. Chen. De nombreuses résistances sont évidentes au niveau des États mais aussi au plan international. La Chine a par exemple adopté de nombreuses lois, mais malgré cela, des poursuites doivent régulièrement être lancées contre des hauts fonctionnaires accusés de corruption, a expliqué l'expert.
M. Chen a affirmé que la corruption a été encouragée au niveau international, ce qui entraîne la nécessité d'une coopération internationale, notamment s'agissant du contrôle des établissements bancaires. La question est de savoir si une volonté d'agir se manifestera. La ratification de la Convention internationale sur la lutte contre la corruption sera un bon moyen de mesurer l'engagement des États. La plupart des fonds issus de la corruption dans les pays en voie de développement finissent dans les pays développés, où les coupables n'hésitent pas à demander l'asile politique, a déploré M. Chen. Le problème est ici l'attitude des pays d'accueil et leur volonté politique d'agir efficacement contre la corruption: M. Chen s'est demandé si ces pays seraient prêts à manifester leur sincérité dans l'application des droits de l'homme et à procéder à l'extradition des fonctionnaires coupables.
MME CHIN SUNG CHUNG , expert de la Sous-Commission, a souhaité savoir ce que Mme Mbonu entend par société civile, demandant à ce titre si elle prévoit d'envoyer les questionnaires également aux instances nationales des droits de l'homme et aux organes des Nations Unies.
M. SOLI JEHANGIR SORABJEE, experte de la Sous-Commission, a cité l'exemple de son pays, l'Inde, indiquant que la corruption se trouve partout, à tous les niveaux. Nous avons des lois, a-t-il précisé, citant à titre d'exemple une loi de présomption de corruption, qui oblige une personne qui possède trop de biens par rapport à ses activités à se justifier de ses acquis. Mais, en dépit de ces lois, il n'y a pas de condamnation, a regretté M. Sorabjee, et ce, notamment par manque de temps.
M. Sorabjee a ajouté qu'aller en prison n'est pas un grave problème pour un haut fonctionnaire. Il se fait mettre la télévision, l'air conditionné, a ironisé l'expert. Il a à cet égard souligné l'intérêt que représente la proposition de M. Kartashkin de confisquer les biens mal acquis. Un haut fonctionnaire corrompu n'est pas uniquement quelqu'un qui s'enrichit, c'est aussi quelqu'un qui viole les droits de l'homme, a insisté l'expert, et il faut des lois très strictes et une pression de l'opinion publique pour qu'il soit établi que ces gens violent les droits de l'homme.
M. JANIO IVÁN TUÑÓN VEILLES, expert de la Sous-Commission, a constaté qu'avec l'arrivée de sociétés étrangères souhaitant profiter des mesures de privatisation prises par certains États d'Amérique latine, des influences occultes s'exercent et l'argent se met à circuler dans tous les sens, ce qui a pour effet de faire exploser les prix des services publics. Un tel processus s'est produit au Panama pour le téléphone, dont les prix ont triplé, ainsi que pour l'électricité. Ces comportements corrompus, très difficiles à prouver, touchent aussi d'autres secteurs et entraînent une augmentation de la pauvreté. Les budgets destinés à l'infrastructure routière, par exemple, se trouvent soudainement amputés par l'enrichissement de fonctionnaires corrompus, ce qui rend impossible la construction d'équipements pourtant indispensables pour les populations. Il est difficile de poursuivre légalement cette forme de criminalité. Les rares procès concernant de telles affaires se soldent par des libérations préventives et les auteurs de ces délits pourtant graves sont rapidement élargis.
L'étude de Mme Mbonu sur le corruption devrait englober ce type de comportements non couverts par la loi, a suggéré M. Tuñon Veilles. Il a par ailleurs évoqué le cas d'un État où de l'argent public a été détourné par le biais de la dotation d'une fondation à but non lucratif à la mission fictive; cet argent s'est volatilisé.
M. GUDMUNDUR ALFREDSSON, expert de la Sous-Commission, a proposé que le questionnaire fasse référence aux principes énoncés dans les instruments traditionnels des droits de l'homme, notamment ceux qui concernent le rôle des instances judiciaires. La référence aux règles de base des Nations Unies pourrait renforcer ce questionnaire, a-t-il estimé.
M. YOZO YOKOTA, expert de la Sous-Commission, a déclaré soutenir les efforts de Mme Mbonu dans la diffusion de son questionnaire ayant trait aux pratiques de corruption. Il convient de déterminer soigneusement à qui ce questionnaire devrait être soumis, a-t-il ajouté. Il a fait observer que la corruption, fréquente dans les pays en voie de développement, n'en touche pas moins aussi les pays plus développés, y compris le Japon. Dans ce pays, un Premier ministre a ainsi été impliqué, en son temps, dans une affaire de corruption dans le cadre de l'achat d'avions de guerre (affaire Lockheed), a-t-il rappelé. La corruption ne concerne pas seulement les dirigeants, a poursuivi M. Yokota; il convient aussi d'appréhender le phénomène sous l'angle du corrupteur - autrement dit, par exemple, des sociétés transnationales.
Les Nations Unies elles-mêmes ne semblent pas à l'abri de ce phénomène, qui ne se manifeste pas seulement en instrumentalisant l'argent mais aussi des fonctions de pouvoir voire des faveurs sexuelles en échange de l'admission dans un camp de réfugiés, comme cela s'est vu récemment. Les institutions des Nations Unies sont certes composées d'êtres humains mais elles n'en devraient pas moins agir de manière exemplaire. Il semble à cet égard que le Secrétaire général ait pris des mesures contre des fonctionnaires impliqués dans le scandale «pétrole contre nourriture» en Iraq, a relevé M. Yokota.
M. EL HADJI GUISSÉ, expert de la Sous-Commission, a demandé à la Rapporteuse spéciale d'inclure dans son questionnaire la demande d'information concernant les niveaux de salaires des différents pays. En effet, les salaires sont parfois si dérisoires que les fonctionnaires sont constamment confrontés au problème de la corruption, a fait observer M. Guissé, souhaitant par-là souligner que certaines personnes sont placées dans des situations qui les prédisposent à la corruption.
M. MOHAMED HABIB CHERIF, expert de la Sous-Commission, a souligné le caractère transversal de la corruption, fléau grave qui perturbe les mécanismes d'exercice et de protection des droits de l'homme et qui institue une inégalité de chances et de privilèges. La violation des droits de l'homme qui consiste à acheter des consciences touche tous les droits de l'homme, qu'ils soient économiques, sociaux, culturels, civils ou politiques, a-t-il poursuivi. À titre d'exemple, l'expert a cité la corruption de magistrats, de responsables politiques ou celle tendant à spolier les patrimoines culturels de certains pays. Il a en outre attiré l'attention sur l'aggravation des phénomènes de corruption et de blanchiment d'argent du fait de la mondialisation. La mondialisation fait que la loi du marché s'applique dans tous les domaines et fait prévaloir les valeurs matérielles sur les valeurs morales, a ajouté l'expert.
M. Cherif a fait observer que la transparence et la bonne gouvernance constituent des moyens efficaces de prévenir la corruption. Il a également souligné que la liberté d'expression joue un rôle essentiel dans la dénonciation et la découverte de ces pratiques immorales. La corruption profite aux producteurs qui veulent écouler leur marchandise, donc aux riches, a-t-il ajouté. La corruption constitue une entrave au droit au développement et au droit des peuples à disposer de leurs richesses, a insisté M. Cherif. La corruption est aussi un moyen de domination d'un nouvel ordre et mérite d'être analysée sous cet angle macroéconomique et transnational, a-t-il estimé.
MME ANTOANELLA-IULIA MOTOC, experte de la Sous-Commission, a affirmé que le rapport présenté par Mme Mbonu est l'un des plus importants de la Sous-Commission car la corruption touche pratiquement tous les autres droits de l'homme, surtout dans les pays en voie de développement. Ce phénomème touche aussi les pays développés, où il affecte le fonctionnement de la vie publique et économique, a-t-elle fait observer. Le rôle des sociétés transnationales est aussi très important, qui véhiculent, dans leur manière de conduire leurs affaires, des valeurs incitant à la corruption. Il est difficile d'imaginer à quel niveau de corruption il est possible de tomber dans les pays où l'État de droit est affaibli, a poursuivi Mme Motoc.
Prenant l'exemple des pays de l'Europe de l'Est, Mme Motoc a par ailleurs fait remarquer que la transition vers la démocratie et l'intégration dans les organisations internationales a pu se faire dans de bonnes conditions. D'une manière générale, la démocratisation doit s'accompagner d'une volonté politique d'instaurer l'État de droit, a-t-elle souligné. L'influence de l'Union européenne a permis de développer, dans les pays de l'Est, des conditions favorables à la lutte contre la corruption. Cela n'a certes pas empêché certains très hauts fonctionnaires de se trouver sur la sellette, a poursuivi Mme Motoc; c'est pourquoi il est également nécessaire de mettre en place des systèmes juridiques nationaux capables de traiter les cas de corruption. Mme Motoc a attiré l'attention sur les difficultés auxquelles se heurte la recherche de preuves de la corruption. La situation dans certains «États défaillants» («failed States») entraîne un niveau de corruption endémique à peine imaginable, a ajouté l'experte. L'action des opérations de maintien de la paix dans ces États doit concerner en priorité le rétablissement du système judiciaire et de la police, a affirmé Mme Motoc. Elle a par ailleurs estimé que la corruption au sein de l'Organisation des Nations Unies devrait être abordée par Mme Mbonu sous l'angle de ses effets sur le terrain et non pas seulement sous l'angle de l'Organisation elle-même.
M. SOLI JEHANGIR SORABJEE, expert de la Sous-Commission, a souhaité attirer l'attention sur l'existence, en Allemagne, d'une loi relative au régime fiscal des pots de vin versés à des agents publics étrangers, qui autorisait une déductibilité des pots de vin; après une forte campagne, cette mesure a été abrogée. M. Sorabjee s'est toutefois demandé s'il existait encore des lois de ce genre dans certains pays.
Conclusion de la Rapporteuse spéciale
MME MBONU a dit apprécier au plus haut point les contributions de ses collègues, relevant en particulier les suggestions d'étendre la portée de son questionnaire. Ce dernier n'est évidemment pas complet et il n'est jamais mauvais de rappeler aux États la nécessité d'agir, même si tous ne réagissent pas. Les réponses aux questionnaires permettront de se faire une meilleure idée de la direction que doit prendre l'action. Il reste par ailleurs difficile de déterminer avec quelque précision l'ampleur de la corruption: au Nigéria, on estime à 700 millions de dollars les fonds détournés. De telles sommes rapatriées au profit de leurs bénéficiaires légitimes permettraient d'améliorer grandement le sort des populations les plus pauvres. Au plan de la coopération internationale, La Rapporteuse spéciale a relevé que les autorités suisses ont adopté des lois très restrictives limitant l'entrée de fonds douteux et qui permettraient notamment le rapatriement des 700 millions de dollars déjà mentionnés. Le Nigéria fait des démarches dans d'autres pays détenant des fonds détournés lui appartenant. La corruption implique nécessairement un corrupteur et un corrompu, a rappelé Mme Mbonu, évoquant le rôle néfaste de certaines sociétés transnationales comme Enron ou Halliburton.
La corruption sévit partout, a poursuivi Mme Mbonu, qui a précisé s'être efforcée de débusquer la corruption dans les systèmes judiciaires, dans les forces armées, dans la vie économique. Elle détaille par exemple dans son rapport les mesures judiciaires prises contre certains hauts fonctionnaires ou magistrats du Nigéria convaincus de corruption. Le rapport synthétise ces informations qui ont servi de base à l'élaboration du questionnaire. De nombreuses parties prenantes, comme l'organisation «Transparency International», contribuent aussi à cette réflexion, de même que les débats à la Sous-Commission. Mme Mbonu a relevé que le fonctionnement de la corruption est difficile à démasquer car les corrompus - dans le système judiciaire, économique ou politique - s'efforcent par tous les moyens de masquer leurs activités.
La Rapporteuse spéciale a aussi observé que les questions soulevées par M. Decaux demanderaient des recherches plus approfondies. Le vol d'objets culturels dans les pays pauvres est en effet très répandu, une notion absente de son rapport, a admis Mme Mbonu. Cette dernière a par ailleurs dit avoir déjà traité de la relation entre primauté du droit et lutte corruption dans ses premiers rapports. Le blanchiment d'argent est mentionné dans le rapport. Le blanchiment est lié à d'autres crimes et violations des droits de l'homme, par exemple la traite des enfants, a confirmé Mme Mbonu. L'experte a évoqué la possibilité de lier la corruption au protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels prévoyant des recours pour faire valoir le respect desdits droits.
Présentation du rapport final sur les droits de l'homme et l'extrême pauvreté
M. JOSÉ BENGOA, expert de la Sous-Commission et coordonnateur du groupe spécial d'experts sur l'application des normes et critères relatifs aux droits de l'homme dans le contexte de la lutte contre l'extrême pauvreté, a présenté le rapport du groupe spécial (A/HRC/Sub.1/58/16) en remerciant tous ceux qui ont aidé à la réalisation de ce rapport et notamment les organisations non gouvernementales. Tout au long du travail, le groupe spécial a été en contact avec des personnes touchées par l'extrême pauvreté, ce qui nous a beaucoup stimulés, a précisé l'expert. Ce rapport final constitue la synthèse de nombreuses années de travail sur les droits de l'homme et l'extrême pauvreté.
M. Bengoa a souhaité attirer l'attention sur le concept de «droit des pauvres» en expliquant que le droit international a défini toute une série de droits pour les catégories vulnérables de la population et que les pauvres devraient aussi en faire partie. D'autre part, il a souligné que le groupe a évolué d'une conception où la pauvreté est liée aux droits économiques, sociaux et culturels vers une conception à la portée plus large, où la pauvreté touche à l'ensemble des droits de l'homme, civils et politiques y compris. Enfin, il a ajouté qu'il existe une relation importante entre la corruption et la pauvreté, soulignant que les actes de corruption se font toujours au détriment des plus pauvres.
Le rapport final du groupe d'experts sur l'application des normes et critères relatifs aux droits de l'homme dans le contexte de la lutte contre l'extrême pauvreté (A/HRC/Sub.1/58/16), analyse plusieurs aspects théoriques importants ayant trait à cette notion. Le rapport définit ainsi le concept: l'extrême pauvreté est une négation des droits fondamentaux de la personne humaine qui met en échec la réalisation effective des droits de l'homme. Les experts concluent qu'il existe une relation étroite entre la violation des droits de l'homme et les situations d'extrême pauvreté. Ce consensus est un grand acquis de la communauté internationale dont il faut maintenant tirer les conséquences.
Le rapport insiste également sur les questions d'indivisibilité et de progressivité: l'extrême pauvreté est une forme de discrimination, de négation des droits civils et politiques, en particulier du droit à la vie, et en même temps une négation des droits économiques, sociaux et culturels. Dans l'extrême pauvreté, on retrouve l'interdépendance et l'indivisibilité de tous les droits qui sont violés. Il n'existe pas de hiérarchisation des droits humains, qui sont tous interdépendants, indivisibles et universels. Le rapport aborde aussi la question de l'effectivité des droits et de la participation. Enfin, le document présente un projet de principes directeurs intitulé «Extrême pauvreté et droits de l'homme: les droits des pauvres» préparé par les experts.
Observations des experts sur le rapport présenté par M. Bengoa
M. GUDMUNDUR ALFREDSSON, expert de la Sous-Commission, a rappelé qu'il avait participé au Forum social présidé par M. Bengoa depuis plusieurs années et a salué l'importance du travail accompli dans ce contexte. Il a aussi rappelé plusieurs des commentaires et questions qu'il a déjà formulés au sujet du rapport qui vient d'être présenté. Ainsi, au paragraphe 5, les États sont sommés de rendre compte périodiquement de leurs actions: le texte est quelque peu imprécis car il ne mentionne ni à qui les États doivent rendre compte, ni à quelle fréquence. Un projet de résolution attaché au texte pourrait préciser ces points. La rédaction du texte au paragraphe 14 risque revient en outre à permetrte que soit octroyé aux pauvres davantage de droits qu'à d'autres citoyens, il faudrait donc revoir le libellé. M. Alfredsson a mentionné d'autres aspects du texte qui devraient figurer, plutôt que dans une déclaration de principes, dans une résolution d'accompagnement, concernant le droit au travail par exemple. Quoi qu'il en soit le travail du groupe d'experts est excellent, a dit M. Alfredsson.
MME ANTOANELLA-IULIA MOTOC, experte de la Sous-Commission, a fait observer que la présente étude est un projet de l'ancienne Commission qui a réussi. Elle a fait part de certains dilemmes que les experts ont dû affronter dans l'élaboration de ce rapport et notamment celui portant sur la nature même du document juridique qui devrait être envisagé. Finalement, au vu du contexte international, des difficultés et des controverses idéologiques qui sous-tendent la problématique de la pauvreté, il fallait commencer par un texte à l'ambition plus modeste qu'une déclaration sur la pauvreté, a expliqué l'experte. Ce texte constitue à cet égard un commencement, a-t-elle précisé. Elle a en outre souhaité préciser que cette étude a mené les experts à passer du temps aux côtés de personnes vivant dans une pauvreté extrême, expérience profondément marquante.
M. IBRAHIM SALAMA, expert de la Sous-Commission, a estimé que l'avantage de l'approche choisie par le groupe réside notamment dans le fait qu'elle part des objectifs de développement pour passer dans le domaine du droit, D'autre part, elle propose aux praticiens des méthodes d'action applicables directement. Cependant, le texte hésite entre le mode d'une déclaration politique et celui d'une approche normative. Le texte ne devrait pas être transmis en l'état au Conseil des droits de l'homme, mais plutôt à l'organe qui remplacera la Sous-Commission, a estimé M. Salama.
Droit de réponse
MME SARALA FERNANDO (Sri Lanka) en réponse à l'intervention faite ce matin par une organisation non gouvernementale, a affirmé que les allégations de cette ONG allaient à l'encontre de l'esprit de dialogue constructif qu'essaie de construire le Conseil des droits de l'homme. Elle a réfuté les accusations faites par l'ONG contre le Gouvernement du Sri Lanka et portant sur l'aide apportée suite au Tsunami, invitant à consulter les rapports effectués sur les infrastructures proposées par le Gouvernement suite à la catastrophe. Elle a en outre affirmé que ce sont les Tigres de libération de l'Eelam tamoul (LTTE) qui ont empêché la population d'accéder à l'eau et non le Gouvernement, et que toutes les personnes déplacées se sont réfugiées dans les zones contrôlées par le Gouvernement où elles sont maintenant prises en charge par les autorités sri-lankaises et le Haut Commissariat pour les réfugiés. Enfin, s'agissant des allégations concernant les bombardements des foyers d'enfants, elle a fait savoir qu'il s'agissait là d'une stratégie des LTTE pour détourner l'attention des exactions qu'ils commettent.
et de la protection des droits de l'homme
15 août 2006
La Sous-Commission entame également l'examen du rapport final sur
l'application des normes relatives aux droits de l'homme dans
le contexte de la lutte contre l'extrême pauvreté
La Sous-Commission de la protection et de la promotion des droits de l'homme a cet après-midi entamé l'examen des questions relatives aux droits économiques, sociaux et culturels. Elle a entendu dans ce contexte la présentation de deux rapports, l'un portant sur la corruption et son impact négatif sur les droits de l'homme et l'autre sur l'application des normes et critères relatifs aux droits de l'homme dans le contexte de la lutte contre l'extrême pauvreté.
Mme Christy Ezim Mbonu, Rapporteuse spéciale sur la corruption et son impact négatif sur les droits de l'homme, a présenté son deuxième rapport d'étape. Elle a indiqué avoir établi des questionnaires qui ont été envoyés aux États membres, aux organisations non gouvernementales en prise avec la problématique de la corruption et à d'autres membres de la société civile. Ces questionnaires demandent notamment aux États d'indiquer la situation de leur législation en matière de corruption, les mesures adoptées pour enrayer la corruption, ainsi qu'un exemple récent d'application de ces mesures. Les réponses à ces questionnaires sont destinées à venir enrichir son rapport final.
Les experts de la Sous-Commission ont été très nombreux à commenter le rapport de Mme Mbonu, présentent notamment des suggestions pour l'approfondissement des recherches de la Rapporteuse spéciale. Ainsi, dans le cas où les systèmes judiciaires des pays concernés sont incapables d'enrayer ce phénomène, on pourrait imaginer d'établir des instances indépendantes des gouvernements pour la lutte contre la corruption, à l'image des institutions nationales des droits de l'homme. La question de la nécessaire coopération internationale en matière de lutte contre la corruption, notamment dans le domaine bancaire, a aussi été abordée dans différentes interventions. Un expert a relevé que la faiblesse des salaires est un facteur prédisposant à la corruption dans de nombreux pays. Le rôle de la mondialisation, et donc de la prépondérance croissante des lois du marché dans l'extension de la corruption a aussi été souligné. Certaines interventions ont porté également sur la corruption au niveau des marchés d'État ou sur l'existence dans certains pays de dispositions autorisant les sociétés commerciales à déduire de leur déclaration fiscale les fonds destinés à corrompre des fonctionnaires étrangers.
M. José Bengoa, coordonnateur du groupe spécial d'experts sur l'application des normes et critères relatifs aux droits de l'homme dans le contexte de la lutte contre l'extrême pauvreté, a présenté indiqué qu'il présentait le rapport final sur la question, qui constitue la synthèse de nombreuses années de travail sur les droits de l'homme et l'extrême pauvreté. Le rapport attire notamment l'attention sur le concept de «droit des pauvres» en expliquant que le droit international a défini toute une série de droits pour les catégories vulnérables de la population et que les pauvres devraient aussi en faire partie.
Une représentante du Sri Lanka est intervenue en réponse à la déclaration d'une organisation non gouvernementale faite ce matin au titre du point de l'ordre du jour relatif à la violation des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans tous les pays.
La Sous-Commission poursuivra son débat sur les droits économiques, sociaux et culturels demain à 10 heures.
Présentation du deuxième rapport d'étape sur la corruption et son impact sur les droits de l'homme
MME CHRISTY MBONU, Rapporteuse spéciale sur la corruption, a présenté un deuxième bilan d'étape sur son «rapport sur la corruption et son impact négatif sur la pleine jouissance de tous les droits de l'homme, en particulier les droits économiques, sociaux et culturels» (document de séance A/HRC/Sub.1/58/CRP.10). Elle a rappelé qu'elle avait présenté un rapport préliminaire en 2004 et un premier rapport d'étape en 2005. Dans tous ces rapports, elle a pu établir le caractère universel de la corruption: la corruption se produit partout, quel que soit le pays ou le niveau de développement. Elle a également décrit la corruption comme un cancer se développant dans tous les secteurs de la société, entraînant la négation de tous les droits, économiques, politiques, sociaux et culturels. Le rapport de Mme Mbonu présente les problèmes de corruption qui touchent le secteur judiciaire, les partis politiques, le secteur privé ou les marchés publics.
Rappelant que, lors de la précédente session de la Sous-Commission, la question des mesures à prendre a été soulevée, Mme Mbonu a indiqué qu'elle avait établi des questionnaires qui ont été envoyé aux États membres, aux organisations non gouvernementales en prise avec la problématique de la corruption et autres membres de la société civile. Les réponses à ces questionnaires permettront d'enrichir le rapport final. Ces questionnaires demandent notamment aux États d'indiquer l'état de la législation en matière de corruption, les mesures adoptées pour enrayer la corruption, ainsi qu'un exemple récent d'application de ces mesures. Elle a appelé les États membres à répondre aux questionnaires afin qu'elle puisse achever son mandat.
Examen du rapport sur la corruption
M. IBRAHIM SATTAR, expert de la Sous-Commission, a estimé que la Rapporteuse spéciale a raison de parler de la corruption comme d'un cancer qui se propage rapidement. Pour être efficace, l'antidote doit être administré sans délai, ce qui n'est pas le cas dans plusieurs pays en développement, qui sont trop souvent gouvernés par des élites corrompues. D'autres États, dont le système bancaire bénéficie de fonds détournés, ont adopté des systèmes de contrôle des fonds utilisés à des fins terroristes, mais ne semblent pas prêts à appliquer ces méthodes aux fonds provenant de la corruption. Il faut à cet égard réitérer l'espoir que la Convention internationale sur la lutte contre la corruption entre en vigueur au plus tôt, a dit l'expert.
La Rapporteuse spéciale devrait par ailleurs élargir la portée de son questionnaire en tirant parti de l'expérience accumulée dans les pays touchés: on devrait ainsi déterminer combien de ministres ont été mis en examen, combien d'entre eux ont été sanctionnés, quelles sommes ont pu être récupérées, dans quelles banques et dans quels pays étrangers. M. Sattar a également suggéré que la Rapporteuse spéciale élargisse la portée de son travail et imagine, pour la communauté internationale, d'autres moyens d'action que la Convention.
M. EMMANUEL DECAUX, expert de la Sous-Commission, a insisté sur l'importance que revêt ce sujet. Cette réflexion ne fait que commencer, a-t-il précisé. Il faut aller plus loin et voir le caractère multidimensionnel et proliférant du phénomène. Le rapport marque un tournant, a-t-il estimé, notamment avec l'élaboration de questionnaires. Il a à cet égard souhaité qu'ils aient un écho et que les États se fassent un devoir d'y répondre. Il a par ailleurs souligné que l'ensemble des acteurs de la communauté internationale devrait s'investir dans cette problématique.
Il y a au sein des États des instances indépendantes qui pourraient être les correspondants de Mme Mbonu, a en outre suggéré M. Decaux, et constituer des partenaires utiles pour la diffusion de ces questionnaires. Il a également souhaité que soit rendue claire l'idée que la corruption touche l'ensemble des droits, se montrant à cet égard favorable à la proposition de M. Sattar d'élargir la portée du questionnaire. Enfin, il a également fait observer qu'au sein des organisations internationales se cachent des activités de corruption qui ont un effet négatif et dévastateur.
MME LALAINA RAKOTOARISOA, experte de la Sous-Commission, a remercié la Rapporteuse spéciale pour son rapport, qui reflète bien la réalité de la corruption dans les pays en voie de développement mais aussi dans les pays industrialisés. L'experte a souhaité mettre l'accent sur le blanchiment d'argent, une infraction qui a des conséquences graves en raison des relations étroites qu'elle entretient avec plusieurs autres crimes de portée internationale, comme par exemple le trafic de drogue, la traite des êtres humains ou encore le terrorisme. Des milliards de dollars sont ainsi blanchis chaque année, a dit l'experte, le trafic de numéraire ne laissant quasiment pas de traces.
Dans de nombreux pays en voie de développement, le système bancaire défaillant sont mis à profit par des trafiquants d'armes, notamment, pour blanchir le produit de leurs agissements. Dans ce contexte, la lutte contre le blanchiment est un préalable au respect des droits de l'homme. L'experte a par ailleurs suggéré à la Rapporteuse spéciale de formuler différemment certains passages de son rapport, afin d'éviter la confusion entre les notions de recel et de blanchiment. Mme Mbonu pourrait également demander des informations complémentaires sur les mesures prises pour la lutte contre le trafic de numéraire et pour la restitution des sommes détournées aux États qui ont été victimes de ces agissements.
M. EL HADJI GUISSÉ, expert de la Sous-Commission, a rappelé avoir effectué, il y a quelques années, une étude sur l'impunité relative aux droits économiques, sociaux et culturels et souligné que dans son énumération des causes du sous-développement chronique se trouvait la corruption. Nous la considérons aujourd'hui comme un fléau et un frein au développement, a-t-il ajouté. Se référant aux questionnaires réalisés par la Rapporteuse spéciale sur la corruption, il a préconisé qu'ils fassent l'objet d'une étude pluridisciplinaire. Il a fait observer que la corruption s'appuie essentiellement sur l'argent et que le blanchiment d'argent finalise ces activités de corruption. À chaque fois qu'il y a un corrompu, il y a un corrupteur, et la corruption bénéficie aux deux.
Dans nos États, la corruption a atteint toutes les couches de la société et touché tous les compartiments de l'État, a poursuivi M. Guissé. À ce titre, il aurait souhaité que soit abordée la question de la corruption au niveau des marchés d'État. Cette corruption gangrène toute l'économie nationale et lorsqu'on en arrive là, ce sont les hommes politiques et leurs familles qui sont concernés et qui s'arrangent pour que le système entier leur permette ces activités, a estimé l'expert. Il a à cet égard comparé la corruption à un membre gangrené: lorsque tout le corps est gangrené, il est mort, il est bon à jeter. Ce fléau doit être combattu, a-t-il ajouté, mais lorsque les juridictions elles-mêmes sont constituées de magistrats corrompus, il n'est plus possible d'évoluer vers une justice plus équitable. Corrompus et corrupteurs forment une association de malfaiteurs, a-t-il martelé. En conclusion, il a proposé à Mme Mbonu d'élargir son champ d'action et son champ d'étude, tant sur le plan des moyens que sur les niveaux d'étude des activités de corruption. Il a ajouté que la corruption est un phénomène très grave et englobant qui entraîne dans sa mouvance tous les droits de l'homme qu'ils soient économiques, sociaux, politiques ou culturels.
M. IBRAHIM SALAMA, expert de la Sous-Commission, a dit qu'il s'était demandé où se trouvent les points particuliers sur lesquels la Sous-Commission pourrait apporter une contribution nouvelle à la résolution du problème de la corruption. La Sous-Commission pourrait à cet égard chercher et compiler des preuves empiriques sur l'incidence de la corruption sur la jouissance des droits économiques, sociaux et culturels. Les deux visites que Mme Mbonu a effectuées dans des pays d'Afrique pour évaluer les moyens d'action à la disposition des États ont donné des résultats intéressants, a dit M. Salama, relevant que l'action judiciaire ne doit être qu'un aspect de la lutte contre la corruption. En effet, comment agir dans le cas où le système judiciaire des pays concernés est lui-même corrompu ou inefficace? Il faut tirer ici une analogie avec les institutions nationales de droits de l'homme, instances indépendantes des gouvernements qui pourraient inspirer l'instauration d'agences similaires de lutte contre la corruption. La question est maintenant de savoir si un tel système peut être mis en place.
M. Salama a suggéré qu'une autre piste de recherche pour la Sous-Commission pourrait être une mise en relation du problème de la corruption avec le futur protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, si l'on part du principe que la corruption constitue, en soi, une violation du Pacte. Un dernier aspect à analyser est celui de la coopération internationale dans la recherche des fonds issus de la corruption, fonds qui sont parfois des instruments de politique étrangère. Des mécanismes non judiciaires de supervision nationaux seraient peut-être ici aussi appropriés.
M. VLADIMIR KARTASHKIN, expert de la Sous-Commission, a regretté que Mme Mbonu n'ait pas été en mesure de terminer son rapport, tout en insistant sur le travail énorme qu'elle a fourni. Il a souhaité attirer l'attention sur la corruption des plus hauts fonctionnaires de l'État: que ce soit des ministres, des députés, des juges ou des procureurs, cette corruption au plus haut niveau porte un préjudice particulier à un État, a-t-il estimé. La misère, le faible niveau économique et le fait qu'un pourcentage important de la population vit en-dessous du seuil de pauvreté sont également dans une large mesure provoqués par l'existence de la corruption, a poursuivi l'expert. La corruption porte atteinte à tous les droits: économiques, sociaux, politiques ou culturels.
M. Kartashkin a également déploré que les personnes corrompues au plus haut niveau ne soient pas traduites en justice, soulignant que seuls les responsables aux niveaux les plus bas font l'objet de poursuites judiciaires. La corruption à tous les niveaux est condamnable, a concédé l'expert, mais la corruption au niveau le plus bas n'est pas aussi dangereuse que celle qui sévit au plus hauts niveaux de l'État. Citant l'exemple de la Chine, il s'est réjoui de ce que, grâce à des mesures sévères à l'encontre de hauts fonctionnaires, elle ait réussi à mettre un frein à la corruption, et ce, même si cela reste un exemple isolé. Enfin, il a souhaité que soit ajoutée une question aux questionnaires de Mme Mbonu, afin d'obtenir des renseignements sur le nombre de fonctionnaires de haut niveau qui ont été poursuivis, ainsi que sur ce que la législation de l'État prévoit dans un tel cas. M. Kartashkin a à cet égard proposé que soient confisqués les biens propres du condamné suite à une inculpation de corruption.
M. CHEN SHIQIU, expert de la Sous-Commission, a relevé l'actualité du sujet abordé par Mme Mbonu et approuvé, après d'autres experts, la suggestion de M. Sattar d'élargir la portée du questionnaire. En ce qui concerne la lutte contre la corruption au niveau international, elle est encore insuffisante, a dit M. Chen. De nombreuses résistances sont évidentes au niveau des États mais aussi au plan international. La Chine a par exemple adopté de nombreuses lois, mais malgré cela, des poursuites doivent régulièrement être lancées contre des hauts fonctionnaires accusés de corruption, a expliqué l'expert.
M. Chen a affirmé que la corruption a été encouragée au niveau international, ce qui entraîne la nécessité d'une coopération internationale, notamment s'agissant du contrôle des établissements bancaires. La question est de savoir si une volonté d'agir se manifestera. La ratification de la Convention internationale sur la lutte contre la corruption sera un bon moyen de mesurer l'engagement des États. La plupart des fonds issus de la corruption dans les pays en voie de développement finissent dans les pays développés, où les coupables n'hésitent pas à demander l'asile politique, a déploré M. Chen. Le problème est ici l'attitude des pays d'accueil et leur volonté politique d'agir efficacement contre la corruption: M. Chen s'est demandé si ces pays seraient prêts à manifester leur sincérité dans l'application des droits de l'homme et à procéder à l'extradition des fonctionnaires coupables.
MME CHIN SUNG CHUNG , expert de la Sous-Commission, a souhaité savoir ce que Mme Mbonu entend par société civile, demandant à ce titre si elle prévoit d'envoyer les questionnaires également aux instances nationales des droits de l'homme et aux organes des Nations Unies.
M. SOLI JEHANGIR SORABJEE, experte de la Sous-Commission, a cité l'exemple de son pays, l'Inde, indiquant que la corruption se trouve partout, à tous les niveaux. Nous avons des lois, a-t-il précisé, citant à titre d'exemple une loi de présomption de corruption, qui oblige une personne qui possède trop de biens par rapport à ses activités à se justifier de ses acquis. Mais, en dépit de ces lois, il n'y a pas de condamnation, a regretté M. Sorabjee, et ce, notamment par manque de temps.
M. Sorabjee a ajouté qu'aller en prison n'est pas un grave problème pour un haut fonctionnaire. Il se fait mettre la télévision, l'air conditionné, a ironisé l'expert. Il a à cet égard souligné l'intérêt que représente la proposition de M. Kartashkin de confisquer les biens mal acquis. Un haut fonctionnaire corrompu n'est pas uniquement quelqu'un qui s'enrichit, c'est aussi quelqu'un qui viole les droits de l'homme, a insisté l'expert, et il faut des lois très strictes et une pression de l'opinion publique pour qu'il soit établi que ces gens violent les droits de l'homme.
M. JANIO IVÁN TUÑÓN VEILLES, expert de la Sous-Commission, a constaté qu'avec l'arrivée de sociétés étrangères souhaitant profiter des mesures de privatisation prises par certains États d'Amérique latine, des influences occultes s'exercent et l'argent se met à circuler dans tous les sens, ce qui a pour effet de faire exploser les prix des services publics. Un tel processus s'est produit au Panama pour le téléphone, dont les prix ont triplé, ainsi que pour l'électricité. Ces comportements corrompus, très difficiles à prouver, touchent aussi d'autres secteurs et entraînent une augmentation de la pauvreté. Les budgets destinés à l'infrastructure routière, par exemple, se trouvent soudainement amputés par l'enrichissement de fonctionnaires corrompus, ce qui rend impossible la construction d'équipements pourtant indispensables pour les populations. Il est difficile de poursuivre légalement cette forme de criminalité. Les rares procès concernant de telles affaires se soldent par des libérations préventives et les auteurs de ces délits pourtant graves sont rapidement élargis.
L'étude de Mme Mbonu sur le corruption devrait englober ce type de comportements non couverts par la loi, a suggéré M. Tuñon Veilles. Il a par ailleurs évoqué le cas d'un État où de l'argent public a été détourné par le biais de la dotation d'une fondation à but non lucratif à la mission fictive; cet argent s'est volatilisé.
M. GUDMUNDUR ALFREDSSON, expert de la Sous-Commission, a proposé que le questionnaire fasse référence aux principes énoncés dans les instruments traditionnels des droits de l'homme, notamment ceux qui concernent le rôle des instances judiciaires. La référence aux règles de base des Nations Unies pourrait renforcer ce questionnaire, a-t-il estimé.
M. YOZO YOKOTA, expert de la Sous-Commission, a déclaré soutenir les efforts de Mme Mbonu dans la diffusion de son questionnaire ayant trait aux pratiques de corruption. Il convient de déterminer soigneusement à qui ce questionnaire devrait être soumis, a-t-il ajouté. Il a fait observer que la corruption, fréquente dans les pays en voie de développement, n'en touche pas moins aussi les pays plus développés, y compris le Japon. Dans ce pays, un Premier ministre a ainsi été impliqué, en son temps, dans une affaire de corruption dans le cadre de l'achat d'avions de guerre (affaire Lockheed), a-t-il rappelé. La corruption ne concerne pas seulement les dirigeants, a poursuivi M. Yokota; il convient aussi d'appréhender le phénomène sous l'angle du corrupteur - autrement dit, par exemple, des sociétés transnationales.
Les Nations Unies elles-mêmes ne semblent pas à l'abri de ce phénomène, qui ne se manifeste pas seulement en instrumentalisant l'argent mais aussi des fonctions de pouvoir voire des faveurs sexuelles en échange de l'admission dans un camp de réfugiés, comme cela s'est vu récemment. Les institutions des Nations Unies sont certes composées d'êtres humains mais elles n'en devraient pas moins agir de manière exemplaire. Il semble à cet égard que le Secrétaire général ait pris des mesures contre des fonctionnaires impliqués dans le scandale «pétrole contre nourriture» en Iraq, a relevé M. Yokota.
M. EL HADJI GUISSÉ, expert de la Sous-Commission, a demandé à la Rapporteuse spéciale d'inclure dans son questionnaire la demande d'information concernant les niveaux de salaires des différents pays. En effet, les salaires sont parfois si dérisoires que les fonctionnaires sont constamment confrontés au problème de la corruption, a fait observer M. Guissé, souhaitant par-là souligner que certaines personnes sont placées dans des situations qui les prédisposent à la corruption.
M. MOHAMED HABIB CHERIF, expert de la Sous-Commission, a souligné le caractère transversal de la corruption, fléau grave qui perturbe les mécanismes d'exercice et de protection des droits de l'homme et qui institue une inégalité de chances et de privilèges. La violation des droits de l'homme qui consiste à acheter des consciences touche tous les droits de l'homme, qu'ils soient économiques, sociaux, culturels, civils ou politiques, a-t-il poursuivi. À titre d'exemple, l'expert a cité la corruption de magistrats, de responsables politiques ou celle tendant à spolier les patrimoines culturels de certains pays. Il a en outre attiré l'attention sur l'aggravation des phénomènes de corruption et de blanchiment d'argent du fait de la mondialisation. La mondialisation fait que la loi du marché s'applique dans tous les domaines et fait prévaloir les valeurs matérielles sur les valeurs morales, a ajouté l'expert.
M. Cherif a fait observer que la transparence et la bonne gouvernance constituent des moyens efficaces de prévenir la corruption. Il a également souligné que la liberté d'expression joue un rôle essentiel dans la dénonciation et la découverte de ces pratiques immorales. La corruption profite aux producteurs qui veulent écouler leur marchandise, donc aux riches, a-t-il ajouté. La corruption constitue une entrave au droit au développement et au droit des peuples à disposer de leurs richesses, a insisté M. Cherif. La corruption est aussi un moyen de domination d'un nouvel ordre et mérite d'être analysée sous cet angle macroéconomique et transnational, a-t-il estimé.
MME ANTOANELLA-IULIA MOTOC, experte de la Sous-Commission, a affirmé que le rapport présenté par Mme Mbonu est l'un des plus importants de la Sous-Commission car la corruption touche pratiquement tous les autres droits de l'homme, surtout dans les pays en voie de développement. Ce phénomème touche aussi les pays développés, où il affecte le fonctionnement de la vie publique et économique, a-t-elle fait observer. Le rôle des sociétés transnationales est aussi très important, qui véhiculent, dans leur manière de conduire leurs affaires, des valeurs incitant à la corruption. Il est difficile d'imaginer à quel niveau de corruption il est possible de tomber dans les pays où l'État de droit est affaibli, a poursuivi Mme Motoc.
Prenant l'exemple des pays de l'Europe de l'Est, Mme Motoc a par ailleurs fait remarquer que la transition vers la démocratie et l'intégration dans les organisations internationales a pu se faire dans de bonnes conditions. D'une manière générale, la démocratisation doit s'accompagner d'une volonté politique d'instaurer l'État de droit, a-t-elle souligné. L'influence de l'Union européenne a permis de développer, dans les pays de l'Est, des conditions favorables à la lutte contre la corruption. Cela n'a certes pas empêché certains très hauts fonctionnaires de se trouver sur la sellette, a poursuivi Mme Motoc; c'est pourquoi il est également nécessaire de mettre en place des systèmes juridiques nationaux capables de traiter les cas de corruption. Mme Motoc a attiré l'attention sur les difficultés auxquelles se heurte la recherche de preuves de la corruption. La situation dans certains «États défaillants» («failed States») entraîne un niveau de corruption endémique à peine imaginable, a ajouté l'experte. L'action des opérations de maintien de la paix dans ces États doit concerner en priorité le rétablissement du système judiciaire et de la police, a affirmé Mme Motoc. Elle a par ailleurs estimé que la corruption au sein de l'Organisation des Nations Unies devrait être abordée par Mme Mbonu sous l'angle de ses effets sur le terrain et non pas seulement sous l'angle de l'Organisation elle-même.
M. SOLI JEHANGIR SORABJEE, expert de la Sous-Commission, a souhaité attirer l'attention sur l'existence, en Allemagne, d'une loi relative au régime fiscal des pots de vin versés à des agents publics étrangers, qui autorisait une déductibilité des pots de vin; après une forte campagne, cette mesure a été abrogée. M. Sorabjee s'est toutefois demandé s'il existait encore des lois de ce genre dans certains pays.
Conclusion de la Rapporteuse spéciale
MME MBONU a dit apprécier au plus haut point les contributions de ses collègues, relevant en particulier les suggestions d'étendre la portée de son questionnaire. Ce dernier n'est évidemment pas complet et il n'est jamais mauvais de rappeler aux États la nécessité d'agir, même si tous ne réagissent pas. Les réponses aux questionnaires permettront de se faire une meilleure idée de la direction que doit prendre l'action. Il reste par ailleurs difficile de déterminer avec quelque précision l'ampleur de la corruption: au Nigéria, on estime à 700 millions de dollars les fonds détournés. De telles sommes rapatriées au profit de leurs bénéficiaires légitimes permettraient d'améliorer grandement le sort des populations les plus pauvres. Au plan de la coopération internationale, La Rapporteuse spéciale a relevé que les autorités suisses ont adopté des lois très restrictives limitant l'entrée de fonds douteux et qui permettraient notamment le rapatriement des 700 millions de dollars déjà mentionnés. Le Nigéria fait des démarches dans d'autres pays détenant des fonds détournés lui appartenant. La corruption implique nécessairement un corrupteur et un corrompu, a rappelé Mme Mbonu, évoquant le rôle néfaste de certaines sociétés transnationales comme Enron ou Halliburton.
La corruption sévit partout, a poursuivi Mme Mbonu, qui a précisé s'être efforcée de débusquer la corruption dans les systèmes judiciaires, dans les forces armées, dans la vie économique. Elle détaille par exemple dans son rapport les mesures judiciaires prises contre certains hauts fonctionnaires ou magistrats du Nigéria convaincus de corruption. Le rapport synthétise ces informations qui ont servi de base à l'élaboration du questionnaire. De nombreuses parties prenantes, comme l'organisation «Transparency International», contribuent aussi à cette réflexion, de même que les débats à la Sous-Commission. Mme Mbonu a relevé que le fonctionnement de la corruption est difficile à démasquer car les corrompus - dans le système judiciaire, économique ou politique - s'efforcent par tous les moyens de masquer leurs activités.
La Rapporteuse spéciale a aussi observé que les questions soulevées par M. Decaux demanderaient des recherches plus approfondies. Le vol d'objets culturels dans les pays pauvres est en effet très répandu, une notion absente de son rapport, a admis Mme Mbonu. Cette dernière a par ailleurs dit avoir déjà traité de la relation entre primauté du droit et lutte corruption dans ses premiers rapports. Le blanchiment d'argent est mentionné dans le rapport. Le blanchiment est lié à d'autres crimes et violations des droits de l'homme, par exemple la traite des enfants, a confirmé Mme Mbonu. L'experte a évoqué la possibilité de lier la corruption au protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels prévoyant des recours pour faire valoir le respect desdits droits.
Présentation du rapport final sur les droits de l'homme et l'extrême pauvreté
M. JOSÉ BENGOA, expert de la Sous-Commission et coordonnateur du groupe spécial d'experts sur l'application des normes et critères relatifs aux droits de l'homme dans le contexte de la lutte contre l'extrême pauvreté, a présenté le rapport du groupe spécial (A/HRC/Sub.1/58/16) en remerciant tous ceux qui ont aidé à la réalisation de ce rapport et notamment les organisations non gouvernementales. Tout au long du travail, le groupe spécial a été en contact avec des personnes touchées par l'extrême pauvreté, ce qui nous a beaucoup stimulés, a précisé l'expert. Ce rapport final constitue la synthèse de nombreuses années de travail sur les droits de l'homme et l'extrême pauvreté.
M. Bengoa a souhaité attirer l'attention sur le concept de «droit des pauvres» en expliquant que le droit international a défini toute une série de droits pour les catégories vulnérables de la population et que les pauvres devraient aussi en faire partie. D'autre part, il a souligné que le groupe a évolué d'une conception où la pauvreté est liée aux droits économiques, sociaux et culturels vers une conception à la portée plus large, où la pauvreté touche à l'ensemble des droits de l'homme, civils et politiques y compris. Enfin, il a ajouté qu'il existe une relation importante entre la corruption et la pauvreté, soulignant que les actes de corruption se font toujours au détriment des plus pauvres.
Le rapport final du groupe d'experts sur l'application des normes et critères relatifs aux droits de l'homme dans le contexte de la lutte contre l'extrême pauvreté (A/HRC/Sub.1/58/16), analyse plusieurs aspects théoriques importants ayant trait à cette notion. Le rapport définit ainsi le concept: l'extrême pauvreté est une négation des droits fondamentaux de la personne humaine qui met en échec la réalisation effective des droits de l'homme. Les experts concluent qu'il existe une relation étroite entre la violation des droits de l'homme et les situations d'extrême pauvreté. Ce consensus est un grand acquis de la communauté internationale dont il faut maintenant tirer les conséquences.
Le rapport insiste également sur les questions d'indivisibilité et de progressivité: l'extrême pauvreté est une forme de discrimination, de négation des droits civils et politiques, en particulier du droit à la vie, et en même temps une négation des droits économiques, sociaux et culturels. Dans l'extrême pauvreté, on retrouve l'interdépendance et l'indivisibilité de tous les droits qui sont violés. Il n'existe pas de hiérarchisation des droits humains, qui sont tous interdépendants, indivisibles et universels. Le rapport aborde aussi la question de l'effectivité des droits et de la participation. Enfin, le document présente un projet de principes directeurs intitulé «Extrême pauvreté et droits de l'homme: les droits des pauvres» préparé par les experts.
Observations des experts sur le rapport présenté par M. Bengoa
M. GUDMUNDUR ALFREDSSON, expert de la Sous-Commission, a rappelé qu'il avait participé au Forum social présidé par M. Bengoa depuis plusieurs années et a salué l'importance du travail accompli dans ce contexte. Il a aussi rappelé plusieurs des commentaires et questions qu'il a déjà formulés au sujet du rapport qui vient d'être présenté. Ainsi, au paragraphe 5, les États sont sommés de rendre compte périodiquement de leurs actions: le texte est quelque peu imprécis car il ne mentionne ni à qui les États doivent rendre compte, ni à quelle fréquence. Un projet de résolution attaché au texte pourrait préciser ces points. La rédaction du texte au paragraphe 14 risque revient en outre à permetrte que soit octroyé aux pauvres davantage de droits qu'à d'autres citoyens, il faudrait donc revoir le libellé. M. Alfredsson a mentionné d'autres aspects du texte qui devraient figurer, plutôt que dans une déclaration de principes, dans une résolution d'accompagnement, concernant le droit au travail par exemple. Quoi qu'il en soit le travail du groupe d'experts est excellent, a dit M. Alfredsson.
MME ANTOANELLA-IULIA MOTOC, experte de la Sous-Commission, a fait observer que la présente étude est un projet de l'ancienne Commission qui a réussi. Elle a fait part de certains dilemmes que les experts ont dû affronter dans l'élaboration de ce rapport et notamment celui portant sur la nature même du document juridique qui devrait être envisagé. Finalement, au vu du contexte international, des difficultés et des controverses idéologiques qui sous-tendent la problématique de la pauvreté, il fallait commencer par un texte à l'ambition plus modeste qu'une déclaration sur la pauvreté, a expliqué l'experte. Ce texte constitue à cet égard un commencement, a-t-elle précisé. Elle a en outre souhaité préciser que cette étude a mené les experts à passer du temps aux côtés de personnes vivant dans une pauvreté extrême, expérience profondément marquante.
M. IBRAHIM SALAMA, expert de la Sous-Commission, a estimé que l'avantage de l'approche choisie par le groupe réside notamment dans le fait qu'elle part des objectifs de développement pour passer dans le domaine du droit, D'autre part, elle propose aux praticiens des méthodes d'action applicables directement. Cependant, le texte hésite entre le mode d'une déclaration politique et celui d'une approche normative. Le texte ne devrait pas être transmis en l'état au Conseil des droits de l'homme, mais plutôt à l'organe qui remplacera la Sous-Commission, a estimé M. Salama.
Droit de réponse
MME SARALA FERNANDO (Sri Lanka) en réponse à l'intervention faite ce matin par une organisation non gouvernementale, a affirmé que les allégations de cette ONG allaient à l'encontre de l'esprit de dialogue constructif qu'essaie de construire le Conseil des droits de l'homme. Elle a réfuté les accusations faites par l'ONG contre le Gouvernement du Sri Lanka et portant sur l'aide apportée suite au Tsunami, invitant à consulter les rapports effectués sur les infrastructures proposées par le Gouvernement suite à la catastrophe. Elle a en outre affirmé que ce sont les Tigres de libération de l'Eelam tamoul (LTTE) qui ont empêché la population d'accéder à l'eau et non le Gouvernement, et que toutes les personnes déplacées se sont réfugiées dans les zones contrôlées par le Gouvernement où elles sont maintenant prises en charge par les autorités sri-lankaises et le Haut Commissariat pour les réfugiés. Enfin, s'agissant des allégations concernant les bombardements des foyers d'enfants, elle a fait savoir qu'il s'agissait là d'une stratégie des LTTE pour détourner l'attention des exactions qu'ils commettent.
VOIR CETTE PAGE EN :