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Communiqués de presse Organe subsidiaire de la Commission des droits de l’homme

LA SOUS-COMMISSION EXAMINE UN RAPPORT SUR L'ADMINISTRATION DE LA JUSTICE PAR LES TRIBUNAUX MILITAIRES

05 août 2002


Sous-Commission de la promotion et
de la protection des droits de l'homme
54ème session
5 août 2002
Après-midi


Elle poursuit son débat sur l'administration de la justice


La Sous-Commission de la promotion et de la protection des droits de l'homme a poursuivi, cet après-midi, son débat sur l'administration de la justice en portant son attention sur le rapport préparé par un de ses anciens membres, M. Louis Joinet, sur la question de l'administration de la justice par les tribunaux militaires. M. Joinet a notamment souligné que l'étude qu'il a menée montre qu'un processus en cours tend à la «démilitarisation» progressive de l'administration de la justice par les tribunaux militaires sous forme de restrictions croissantes apportées à leur compétence et d'évolution de leur composition.
L'expert a toutefois souligné qu'à long terme, l'objectif doit être celui de la suppression totale des tribunaux militaires. M. Joinet a par ailleurs estimé que même lorsque ce sont des militaires qui sont les auteurs de violations graves des droits de l'homme, ils doivent relever de juridictions nationales, voire internationales. Toute détention au secret est source de violations graves des droits de l'homme, a souligné M. Joinet, notant qu'un débat sur la question a ressurgi ces derniers jours avec la décision d'un tribunal aux États-Unis selon laquelle l'identité des personnes détenues à Guantanamo ne doit pas rester secrète.
Mmes Leïla Zerrougui et Françoise Jane Hampson, MM. El-Hadji Guissé, Soli Jehangir Sorabjee et Emmanuel Decaux, ainsi que le représentant de la Commission internationale de juristes ont commenté le rapport de M. Joinet.
Au fil de leurs interventions, plusieurs experts, y compris le Président de la Sous-Commission, M. Paulo Sérgio Pinheiro, ont félicité la Turquie pour l'abolition de la peine de mort en temps de paix décidée samedi dernier par le Parlement.
Dans le cadre de son débat sur l'administration de la justice en général, la Sous-Commission a entendu les représentants des organisations non gouvernementales suivantes : Commission internationale des juristes; Interfaith International; International Human Rights Association of American Minorities - IHRAAM; Indigenous World Association; Fédération PEN; Association américaine de juristes; Japan Federation of Bar Associations; Pax Romana; Fédération internationale islamique d'organisations d'étudiants; Fédération syndicale mondiale; International Educational Development Inc.; Nord Sud XXI; Organisation tunisienne des jeunes médecins sans frontières; Parti radical transnational; Congrès du monde islamique et Organisation mondiale contre la torture - OMCT.
Certaines organisations non gouvernementales ont dénoncé les carences dont souffrent, en matière d'accès à une justice équitable, certains groupes de population dans différents pays. L'accent a été mis en particulier sur les dénis de justice dont pâtissent les populations autochtones à travers le monde, ainsi que sur la discrimination liée au système des castes. D'autres ont dénoncé le grave préjudice que constitue pour l'indépendance de la magistrature la résolution 1422 adoptée le 12 juillet dernier par le Conseil de sécurité, ordonnant à la Cour pénale internationale de s'abstenir pendant un an de lancer des enquêtes contre des ressortissants d'États non parties au Traité de Rome pour des faits liés à une opération établie ou autorisée par les Nations Unies. L'attention a également été attirée sur la situation des détenus de Guantanamo qui sont relégués dans une zone de non-droit.
La Sous-Commission poursuivra demain matin, à 10 heures, son débat sur l'administration de la justice.

Présentation du rapport sur l'administration de la justice par les tribunaux militaires
Présentant son rapport sur la question de l'administration de la justice par les tribunaux militaires, M. LOUIS JOINET, expert des droits de l'homme et ancien membre de la Sous-Commission, a souligné que ce rapport, bien qu'intérimaire, est définitif en ce qui le concerne, car il n'envisage pas, si une suite devait y être donnée, d'en assumer la charge. M. Joinet a déclaré que l'étude qu'il a menée montre qu'un processus en cours tend à la «démilitarisation» progressive de l'administration de la justice par les tribunaux militaires sous forme de restrictions croissantes apportées à leur compétence et d'évolution de leur composition. À long terme, l'objectif doit être celui de la suppression totale des tribunaux militaires, a ajouté l'expert. L'évolution majeure que l'on constate, tant du point de vue conventionnel que non conventionnel, est celle de la limitation des compétences des tribunaux militaires aux seuls délits militaires, a fait observer M. Joinet. À cet égard, il a recommandé à chacun la lecture du commentaire général n°13 du Comité des droits de l'homme concernant ces questions. Les précurseurs de l'évolution constatée dans les champs conventionnel et non conventionnel sont d'anciens membres de la Sous-Commission qui, dès 1969, rédigeaient des rapports «tout à fait prophétiques», a poursuivi l'expert.
Même lorsque ce sont des militaires qui sont les auteurs de violations graves des droits de l'homme, ces militaires doivent relever de juridictions nationales voire internationales, a par ailleurs déclaré M. Joinet. Trop souvent, a-t-il ajouté, le secret défense est détourné de sa légalité. À cet égard, a-t-il précisé, il convient de souligner que toute détention au secret est source de violations graves des droits de l'homme. C'est d'ailleurs un débat qui ressurgit ces derniers jours puisque une décision vient d'être rendue aux États-Unis selon laquelle l'identité des personnes détenues à Guantanamo ne doit pas rester secrète. Quant à la question de savoir ce qu'il doit advenir de son étude, M. Joinet a suggéré que ses recommandations, peut-être après avoir été affinées, soient transformées en principes.
Dans son rapport (E/CN.4/Sub.2/2002/4), tout en soulignant que l'objectif à long terme doit tendre à la suppression des tribunaux militaires et, dans un premier temps, de ceux compétents en temps de paix, en transférant leur contentieux aux juridictions ordinaires, M. Joinet avance un certain nombre de recommandations qui tendent, dans l'immédiat, à améliorer les garanties de procédure et les règles de compétence de ces juridictions.
En premier lieu, l'expert estime qu'en toute circonstance, la compétence des juridictions militaires devrait être écartée au profit de celles des juridictions ordinaires pour juger les auteurs de violations graves des droits de l'homme telles que les exécutions extrajudiciaires, les disparitions forcées, la torture, etc… L'expert fait ensuite observer que les règles permettant d'invoquer le secret défense sont trop souvent détournées de leur finalité pour entraver le cours de la justice. À cet égard, l'expert souligne que le droit de présenter une requête en habeas corpus ou un recours en amparo doit être considéré comme un droit attaché à la personne dont la garantie doit relever, en toutes circonstances, de la compétence exclusive de la justice ordinaire. Dans son rapport, M. Joinet recommande en outre que la publicité des débats, en matière de justice militaire, soit la règle et non l'exception. Il relève en outre que dans de nombreux pays, la victime est écartée de l'instruction et des débats dès lors qu'est compétente une juridiction militaire. Il y a là une inégalité flagrante devant la loi qu'il conviendrait de supprimer, affirme l'expert. Dans tous les cas où les tribunaux militaires subsistent, leur compétence devrait être limitée au premier degré de juridiction, ajoute l'expert. Par conséquent, les voies de recours, notamment l'appel, devraient être exercées devant les juridictions civiles. M. Joinet recommande en outre la suppression de la compétence des tribunaux militaires pour juger les enfants et mineurs de moins de 18 ans. Il affirme enfin que l'évolution constatée en faveur de l'abolition progressive de la peine capitale devrait être d'autant plus étendue, en toutes circonstances, à la justice militaire que cette dernière présente des garanties moindres que celles de la justice ordinaire.

Suite du débat sur l'administration de la justice
MME LEÏLA ZERROUGUI, membre de la Sous-Commission, a déclaré que les questions évoquées par M. Louis Joinet et Mme Françoise Jane Hampson (dans son rapport présenté dans la matinée) ont acquis une acuité singulière depuis les événements du 11 septembre 2001. Si certains pays ont été encouragés à restreindre la compétence de leurs tribunaux militaires afin de se conformer aux normes du droit international - comme au Bahreïn et en Turquie - on constate que, dans bien d'autres cas, ces tribunaux militaires acquièrent une nouvelle importance. À tel point, a relevé Mme Zerrougui, que les acquis récemment obtenus en ce qui concerne les garanties de droit courent le risque de se voir remis en question. De ces tribunaux d'exception, appelés, aux États-Unis par exemple, à juger des civils dans les circonstances particulières du terrorisme international, il conviendra de surveiller scrupuleusement l'impartialité, a mis en garde l'experte. Mme Zerrougui a par ailleurs déclaré approuver pleinement la suggestion formulée par M. Joinet que la Sous-Commission fixe des conditions minimales que les tribunaux militaires devraient être tenus d'appliquer.
M. EL-HADJI GUISSÉ, membre de la Sous-Commission, s'est interrogé sur ce qui allait se passer dans les pays où l'on prend de plus en plus l'habitude de transmettre à des juridictions militaires des délits civils. Une telle attitude vise à mettre les personnes concernées face à une procédure qu'elles ne comprennent pas et qui ne leur offre pas les garanties de défense adéquates. En outre, de telles procédures ont souvent mené à des dénis de justice, voire à des exécutions sommaires, a rappelé l'expert. Or, le recours à de telles procédures prend de l'ampleur dans les pays du Sud, a-t-il souligné. M. Guissé a ajouté que ceux que M. Joinet appelle les «militaires-avocats» ne maîtrisent pas toutes les techniques de défense dans des juridictions où, en outre, ils doivent plaider devant des supérieurs.
MME FRANÇOISE JANE HAMPSON, membre de la Sous-Commission, a salué la décision du Parlement turc d'abolir la peine de mort, ainsi que la décision récente d'un Tribunal fédéral aux États-Unis de faire publier les noms des prisonniers de la base de Guantanamo.
L'idée d'un code de principes à l'usage des tribunaux spéciaux est excellente, selon Mme Hampson. Par tribunal spécial, il faut entendre toutes les juridictions y compris celles - militaires - mises en place par des forces de maintien de la paix et pour autant qu'elles aient juridiction exclusive sur les forces engagées. Dans cet ordre d'idée, une question importante concerne la composition du tribunal militaire : les liens de hiérarchie qui s'appliquent habituellement aux forces militaires ne doivent ici pas avoir cours, sous peine d'entacher l'impartialité des décisions. L'accès des avocats civils à ces tribunaux doit quant à lui être systématisé. Enfin, l'étude pourrait prendre en considération des tribunaux mixtes, où les magistrats militaires président des tribunaux civils (comme en Turquie, à une époque).
M. SOLI JEHANGIR SORABJEE, membre de la Sous-Commission, a jugé préoccupante l'apparition de tribunaux militaires dans des pays démocratiques. La recommandation n°6 de M. Joinet – selon laquelle «dans tous les cas où les tribunaux militaires subsistent, leur compétence devrait être limitée au premier degré de juridiction» – n'est pas négociable, a par ailleurs estimé M. Sorabjee. L'habeas corpus est incontestablement une procédure efficace, a poursuivi l'expert en se disant surpris d'apprendre qu'elle n'est pas perçue comme telle au Royaume-Uni.
M. SERGIO POLIFRONTI (Commission internationale de juristes ) a relevé que généralement, les tribunaux militaires ne respectent pas les normes internationales concernant l'indépendance et l'impartialité de l'administration de la justice ainsi que le droit à un procès équitable. La justice militaire est trop souvent source d'injustices les plus diverses, de violations des droits de l'homme et d'impunité. Il est maintenant généralement admis que le jugement de civils par des tribunaux militaires est incompatible avec le droit international. À cet égard, la Commission internationale de juristes soutient les conclusions du Rapporteur spécial sur l'indépendance des juges et des avocats selon lequel est en train de se dégager dans le droit international un consensus pour admettre la nécessité de restreindre de manière drastique voire d'interdire cette pratique. La Commission internationale de juristes estime en outre que les violations massives des droits de l'homme commises par des militaires ou des agents de police ne doivent pas être considérées comme des délits militaires mais comme des crimes devant être jugés par des tribunaux ordinaires. Le représentant a dénoncé les pratiques fréquentes par lesquelles il est fait recours à l'état d'urgence pour élargir excessivement le champ d'application de la justice militaire. Dans plusieurs cas, comme récemment aux États-Unis, de tels pouvoirs extraordinaires ont été utilisés pour créer des pseudo organes judiciaires tels que des commissions militaires qui ne sont en fait que des organes appartenant à la branche exécutive. Une telle pratique est contraire aux principes élémentaires associés à l'indépendance du judiciaire.
M. LOUIS JOINET, auteur du document de travail sur l'administration de la justice par les tribunaux militaires, a expliqué que les recommandations de son rapport n'ont pas la valeur normative de «principes» affinés qui pourraient, dans un second temps, être développés par la Sous-Commission. M. Joinet a souligné l'importance du principe de l'habeas corpus pour le respect des droits des détenus. L'expert a encore évoqué une décision de la Cour suprême de l'Afrique du Sud qui condamnait l'existence même des tribunaux militaires au nom du principe de l'égalité entre les hommes. M. Joinet a enfin relevé avec satisfaction que les milieux militaires eux-mêmes semblent disposés à discuter de ces questions de juridiction.
M. ALI ALI AL-ADHADH (Interfaith International) a attiré l'attention de la Sous-Commission sur les effets de la législation coloniale imposée à l'Iraq à l'époque du mandat britannique sur ce territoire. En 1924 après avoir envahi l'Iraq, le Royaume-Uni demanda à tous les Iraquiens de déclarer leur origine. Les Iraquiens furent alors divisés en deux catégories: Iraquiens ottomans ou Iraquiens iraniens. Tous les Iraquiens non enregistrés sous le régime ottoman furent considérés comme des Iraquiens iraniens. Cette séparation en deux catégories des citoyens iraquiens perdure aujourd'hui puisque le parti Baas, lorsqu'il arriva au pouvoir en 1968, utilisa cette classification discriminatoire et commença à déporter vers l'Iran de nombreux Chiites iraquiens. Il faut que la Sous-Commission demande au régime iraquien d'abolir ces classifications racistes qui perdurent depuis 1924.
M. SYED YOUSAF NASEEM (International Human Rights Association of American Minorities - IHRAAM) a qualifié de discriminatoire l'application de la loi sur la prévention du terrorisme (POTA) récemment promulgué par le Gouvernement indien. Les dispositions de cette loi ne prévoient en effet pas de recours possible, de même qu'elles autorisent des mesures attentatoires à la vie privée des individus (telles que les écoutes téléphoniques), et qu'elles autorisent le transfert arbitraire des procès d'un tribunal à l'autre, etc. Les dispositions de cette loi sont incompatible avec le Pacte international sur les droits civils et politiques, entre autres textes pourtant ratifiés par le Gouvernement de l'Inde. Il est à cet égard significatif que, si certains États indiens se refusent à appliquer cette loi, d'autres, tel le Jammu-et-Cachemire sous occupation indienne, n'hésitent pas à en abuser : 426 cas d'inculpations selon la POTA ont déjà été recensés, contre à peine vingt à New Delhi. Sur 1000 personnes inculpées dans toute l'Inde, 997 sont musulmanes, et 987 originaires du Cachemire. Cette application manifestement sélective de la POTA vise à brutaliser le peuple cachemirien et à faire taire toute voix dissidente, a déclaré le représentant, qui a ajouté que les droits juridiques des Cachemiriens et des Musulmans en Inde doivent être un sujet de préoccupation pour les membres de la Sous-Commission, en particulier pour le Groupe de travail sur l'administration de la justice.
M. RONALD BARNES (Indigenous World Association) a déclaré qu'aux États-Unis, l'administration de la justice est pour le moins sélective lorsqu'il s'agit des populations autochtones. Même lorsqu'un autochtone remporte un procès, les États-Unis n'appliqueront pas les décisions de justice, a précisé le représentant. Il en va ainsi des situations en Alaska, à Hawaï, dans les Black Hills, ainsi que dans le cas de Léonard Peltier. Même les pays tiers commencent, dans les affaires internationales, à sentir la pression de l'unilatéralisme et de la justice biaisée à laquelle chacun est confronté lorsqu'il a à faire aux États-Unis. Il convient néanmoins de se féliciter de la bonne nouvelle que constitue dans ce cadre l'information selon laquelle la Cour interaméricaine des droits de l'homme soutient l'argument selon lequel le Gouvernement des États-Unis a utilisé des moyens r obtenir le contrôle des terres ancestrales des Shoshone.
MME FAWZIA ASSAAD (Fédération PEN) a déclaré que son organisation suivait les cas d'écrivains et de journalistes actuellement poursuivis par des tribunaux militaires, au seul motif qu'ils avaient fait usage de leur droit d'expression en Turquie, au Liban, en Israël et au Myanmar. Dans ce dernier pays, le journaliste Aung Myint a été condamné à vingt-et-un ans de prison par un tribunal militaire pour avoir transmis à l'étranger des informations sur la répression qui frappe les militants de la Ligue nationale pour la démocratie. Fédération PEN appelle donc à sa libération, comme à celle d'un autre journaliste, libanais celui-ci, condamné à une peine de prison pour «collusion avec l'ennemi»: il avait, lors d'un colloque, eu une discussion avec un fonctionnaire du Gouvernement israélien. En Turquie, un groupe d'écrivains, journalistes et intellectuels a été jugé en 2001 par un tribunal militaire pour encouragement à l'objection de conscience. Bien qu'ils aient été acquittés entre-temps, International PEN craint que le seul fait de critiquer l'institution militaire ne suffise à justifier des condamnations. En Israël enfin, PEN dénonce l'utilisation de la détention administrative à l'encontre des journalistes palestiniens. Cette mesure, qui peut entraîner une peine de six mois de prison, dépend des autorités militaires. Accusés et avocats se voient refuser l'accès aux dossiers d'instructions et la détention peut être prolongée sur simple décision de l'autorité militaire. Le Groupe de travail sur l'administration de la justice devrait se saisir de ces problèmes, a estimé la représentante.
M. JAIRO SANCHEZ (Association américaine de juristes) a déclaré qu'en adoptant le 12 juillet dernier la résolution 1422, le Conseil de sécurité a gravement porté préjudice à l'indépendance de la magistrature puisque par ce texte, il a ordonné à la Cour pénale internationale de s'abstenir pendant un an de lancer des enquêtes contre des ressortissants d'États non parties au Traité de Rome pour des faits liés à une opération établie ou autorisée par les Nations Unies. En adoptant cette résolution, le Conseil de sécurité a révélé sa véritable nature qui est d'être l'instrument des grandes puissances. Désormais, il faut se demander si un gouvernement ou un État partie au Traité de Rome saura faire preuve de la dignité nécessaire pour porter devant la Cour internationale de justice de La Haye la question de la violation du Traité de Rome.
M. MITSUYUKI SUGA (Japan Federation of Bar Associations) a dénoncé les lenteurs que la Cour suprême japonaise apporte à la transcription dans la législation nationale des dispositions desa traités sur les droits de l'homme que le Japon a pourtant ratifiés, tels le Premier protocole facultatif au Pacte sur les droits civils et politiques. Dans la pratique, la Cour suprême persiste par exemple à traiter les enfants nés hors-mariage de façon discriminatoire : ces enfants ne reçoivent que la moitié de l'héritage des enfants légitimes. Malgré les avis du Comité des droits de l'homme adoptés dès 1993, rien n'a été fait par la Cour suprême pour remédier à cet état de fait. Bien au contraire, elle a statué qu'il n'était en rien contraire à la Constitution japonaise, qui prescrit pourtant l'égalité de tous devant la loi. Il convient, selon le représentant, que le Japon change sans tarder de comportement, afin d'éviter de donner le mauvais exemple, a estimé le représentant.
M. JOHN VINCENT (Pax Romana) a dénoncé les carences en matière d'accès à la justice pour les 160 millions de dalits vivant en Inde. Il a par ailleurs fait observer que la branche de la police indienne chargée de la protection des droits civils et censée poursuivre les auteurs d'infractions ou de délits est largement composée d'individus insensibles à la cause des dalits, de sorte que l'inaction de la police oblige les victimes à passer des compromis avec les auteurs des délits. Il faudrait en outre que la Sous-Commission entreprenne une étude sur les préjugés que le pouvoir judiciaire entretient à l'égard des dalits pour tout ce qui a trait à l'administration de la justice. Un autre intervenant au nom de la même organisation a souligné que depuis 1997, la République démocratique du Congo maintient un tribunal d'ordre militaire qui juge aussi bien les militaires que les civils sous le prétexte de l'état de guerre. Aussi, semble-t-il nécessaire de recommander sans délai la suppression des tribunaux militaires dépourvus de voies de recours, de manière à assurer aux militaires poursuivi qu'il bénéficient d'un procès équitable.
MME SHAMIZA SHAWI (Fédération internationale islamique d'organisations d'étudiants) a dénoncé la promulgation par le Gouvernement indien d'un train de mesures antiterroristes d'exception (POTA), en avril 2002. Ces mesures donnent de fait un blanc-sein aux autorités militaires indiennes pour opérer comme bon leur semble au Jammu-et-Cachemire. Deux incidents récents survenus au Jammu-et-Cachemire montrent bien l'impunité dont elles bénéficient. Il a notamment été démontré que cinq prétendus «terroristes» cachemiriens, abattus par erreur par l'armée indienne en mars 2000, étaient totalement innocents de telles accusations. Les actes de violence commis par les autorités indiennes pour taire cette vérité sont la preuve de la nature réelle des intentions du Gouvernement indien en ce qui concerne le Jammu-et-Cachemire. Dans un autre incident, en juin de cette année, trois civils cachemiriens ont d'autre part été abattus par les forces d'occupation indiennes. Ces deux incidents justifient pleinement l'envoi d'une commission internationale sur place afin d'enquêter sur les allégations d'implication de prétendus «terroristes» cachemiriens. Il faut au contraire protéger les populations civiles cachemiriennes des insinuations et exactions continuelles du Gouvernement indien.
MME AIDA AVELLA (Fédération syndicale mondiale) a fait part de sa préoccupation face à l'impunité dont jouissent les auteurs de crimes, attentats et menaces visant les dirigeants et les militants syndicaux en Colombie. Elle a fait observer que le système de justice militaire du pays n'exclut pas de la compétence des tribunaux militaires les exécutions extrajudiciaires ou les sévices sexuels. La représentante a par ailleurs dénoncé les attaques et les menaces dont font l'objet les défenseurs des droits de l'homme, les journalistes et les enquêteurs dans le but d'empêcher le bon déroulement des investigations et la collecte des témoignages. Mme Hina Jilani, Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies pour les défenseurs des droits de l'homme, a dénoncé, à l'issue de sa visite en Colombie, en octobre 2001, la faiblesse du système judiciaire colombien et s'est dite préoccupée par l'attitude de l'actuel Procureur général du pays, Luis Camilo Osorio, dans l'affaire de l'ex-général Rito Alejo del Rio. Aussi faudrait-il que la Sous-Commission, en particulier le Groupe de travail sur l'administration de la justice, exerce une surveillance particulière et permanente sur les affaires dans lesquelles sont impliqués des membres des forces armées colombiennes, afin de lutter contre l'impunité.
MME KAREN PARKER (International Education Development Inc.) a déclaré que son organisation était particulièrement inquiète des violations du Pacte international sur les droits civils et politiques par les États-Unis, dans le cadre de la lutte que mène ce pays contre le terrorisme. De nombreuses personnes sont ainsi détenues dans le camp de Guantanamo, à Cuba. Ces personnes devraient bénéficier de tous les droits qui leur sont garantis par la 3e Convention de Genève, et des droits que leur accordent la procédure pénale, tels que droits à un avocat, à la présomption d'innocence, etc. D'autre part, la représentante a fait remarquer que les conditions mêmes de détention de ces prisonniers contreviennent à leurs droits élémentaires. Aucune remontrance n'a fait plier les États-Unis jusqu'ici, bien au contraire. Ce pays, selon la représentante, a fait usage de sa force pour tenter d'étouffer ces questions. D'autres personnes aux États-Unis, prétendument liées au mouvement al-Qaeda, sont reléguées dans une véritable zone de non-droit. Le Patriot Act, qui est à la base de ces mesures, permet dans la pratique aux autorités de qualifier de «terroristes» des actes tels que la libération de poulets de batterie par des mouvements écologistes… «Tout cela est kafkaïen», a déclaré Mme Parker, et constitue une véritable menace contre la liberté d'expression politique la plus élémentaire. Cette quasi-abrogation des procédures pénales normales doit être vigoureusement condamnée par la Sous-Commission, a demandé la représentante.
M. ADNAN AL-SABAH (Nord Sud XXI), après s'être identifié comme venant de Jénine, a déclaré qu'Israël persiste dans ses crimes en imposant des couvre-feux interminables et en coupant les approvisionnements en eau de la population. Des milliers de civils sont menacés par des tirs d'artillerie ou par le siège auquel ils sont soumis par les forces israéliennes, a-t-il insisté. Le monde, avec l'approbation des États-Unis et des Nations Unies, reste muet face à ces crimes. Toute la nation palestinienne demande la protection internationale pour pouvoir vivre en paix, a rappelé le représentant.
M. MOHAMED ELYES BEN MARZOUK (Organisation tunisienne des jeunes médecins sans frontières) a déclaré qu'en Tunisie certaines initiatives avaient été récemment prises en vue de promouvoir l'administration de la justice, les magistrats ne s'attachant qu'à leur indépendance et en prenant toutes les mesures nécessaires pour garantir leur neutralité et leur impartialité. Le respect des règles de procédure et la garantie du procès équitable sont ainsi les soucis majeurs de tous les magistrats tunisiens; d'ailleurs une fonction de juge d'application des peines vient d'être créée dont le but est de contrôler les conditions de leur exécution, a enfin expliqué M. Ben Marzouk.
MME VANIDA TEPSHOUVAN (Parti radical transnational) a fait part de son extrême préoccupation face à l'administration de la justice et à la situation des droits de l'homme au Laos. La République démocratique populaire lao reste un pays où les citoyens sont systématiquement privés de leurs libertés d'expression, de manifestation, de religion, d'association et où il n'existe pas de possibilité de recours à un système judiciaire aux normes internationales. Le Code pénal du pays prévoit de lourdes peines à l'encontre de quiconque contesterait le pouvoir du Parti unique, permettant de justifier les arrestations arbitraires à l'encontre des défenseurs des droits de l'homme, des minorités ethniques, des minorités religieuses et des opposants au Parti unique. Dans les prisons du Laos, plusieurs centaines de personnes sont détenues depuis plus d'un an, cinq ans, ou dix ans, sans procès et ignorant souvent la raison de leur arrestation. Les tortures commencent dès les premiers interrogatoires dans les bureaux de police. Le Parti radical transnational estime nécessaire l'envoi au Laos d'une mission de la Commission des droits de l'homme afin que des enquêtes puissent être menées sur place, à l'intérieur du pays.
M. MUHAMMAD SARAF (Congrés du monde islamique) s'est déclaré victime de l'injustice administrative indienne. Sa position favorable au droit à l'autodétermination du peuple cachemirien l'a fait emprisonner pendant deux ans et torturer par les autorités indiennes. L'Inde, le Jammu-et-Cachemire en particulier, croule sous les législations d'exception incompatibles avec les conventions internationales sur les droits de l'homme. Les forces armées disposent de pouvoirs discrétionnaires dans leur lutte contre le terrorisme: pouvoir de tirer à vue sur les suspects, de détruire des habitations, de procéder à des arrestations arbitraires de personnes «sur le point de commettre un délit», de perquisitionner sans mandat, d'infliger des mesures de détention sans contrôle des juridictions civiles. Les instruments internationaux qu'a signés l'Inde l'obligent pourtant à respecter les principes des droits de l'homme, sur toute l'étendue de son territoire et en particulier au Cachemire. Le représentant prie donc la Sous-Commission d'enquêter sur les abus commis contre le peuple cachemirien.
M. ERIC SOTTAS (Organisation mondiale contre la torture - OMCT) a relevé que le secret médical, conçu pour protéger les droits et les intérêts du patient, peut avoir un effet pervers sur la protection de certains droits fondamentaux et notamment du droit à ne pas être soumis à la torture. Certes, la plupart des législations prévoient que le patient peut, en ce qui concerne son cas, délier le médecin du secret. Mais nombre de victimes ne sont pas en mesure de dénoncer elles-mêmes les exactions dont elles sont victimes ni même d'autoriser le médecin qui a pu constater les conséquences des tortures endurées à en faire état. Il s'ensuit que nombre de cas ne sont pas dénoncés ou que, devant les tribunaux, le médecin lié par le secret soit dans l'impossibilité d'apporter des éléments d'appréciation indispensables à la Cour. Il serait donc judicieux que la Sous-Commission se saisisse de la question du secret médical et examine s'il convient de recommander aux gouvernements d'affranchir les médecins de leur obligation de secret dans le cadre de la torture avérée.



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