Skip to main content

Communiqués de presse Organes conventionnels

LE MAINTIEN DE L’ETAT D’URGENCE EN PLACE EN SYRIE DEPUIS 38 ANS VIVEMENT CRITIQUE PAR LES EXPERTS DU COMITE DES DROITS DE L’HOMME

30 Mars 2001



Comité des droits de l'homme
Soixante et onzième session
30 mars 2001
1916e séance - matin




La délégation syrienne invoque la menace
à sa sécurité nationale pour justifier le maintien de cette mesure



La République arabe syrienne présentait, ce matin, son deuxième rapport initial au Comité des droits de l’homme, vingt-quatre ans après la présentation de son rapport initial, et avec un retard de dix ans dans la présentation de ce second rapport, des délais que plusieurs membres du Comité n’ont pas manqués de souligner.

Le chef de la délégation syrienne a mis en avant le caractère démocratique qui, a-t-il dit, prévaut en Syrie. Il a justifié l’état d’exception qui y est en place depuis 38 ans par la persistance de menace israélienne, rappelant qu’à la suite de la guerre de 1967, une partie du territoire syrien était toujours occupée par Israël. «Nous savons que ce pays prépare une nouvelle guerre contre la Syrie», a-t-il déclaré. Il a affirmé que les informations de certaines organisations étaient exagérées ou incorrectes et que la présence de la délégation syrienne, à cette séance du Comité, atteste bien de sa volonté d’apporter tous les éclaircissements voulus. La Syrie n’a pas eu connaissance d’allégations concernant des exécutions extrajudiciaires, des disparitions, des actes de torture et autres peines ou traitements inhumains ou dégradants dont seraient responsables des membres de l’armée ou d’autres forces de sécurité, a-t-il déclaré, précisant que ces autorités qu’il avait contactées, avaient affirmé que de telles allégations sont totalement sans fondement et assuré qu’elles se conforment aux dispositions du droit international.

«Pour qu’un dialogue soit utile, il faut qu’il soit franc et sincère», a déclaré un expert en préambule de ses commentaires, ajoutant qu’il tient à la disposition de la délégation syrienne une liste de personnes condamnées à mort et exécutées dans des conditions qui semblaient peu équitables, que des cas de torture avaient été signalés à la prison de Palmyre et ailleurs, que des personnes ont été détenues sans jugement, qu’il y a encore des prisonniers politiques, qu’on a cité le chiffre de 150 Libanais détenus en Syrie sans jugement ou après jugement, certains ayant été exécutés.

Au nombre des hypothèses formulées par les experts pour expliquer les problèmes qu’ils ont identifiés dans la situation des droits de l’homme en Syrie, a été mentionnée l’obsession sécuritaire. «La sécurité est une préoccupation légitime pour un Etat, a déclaré l’un d’eux, mais elle ne saurait tout justifier». Le maintien de l’état d’urgence a été vivement critiqué. Un expert a fait remarquer que, vingt-quatre ans après la présentation de son premier rapport, la Syrie fournit toujours les mêmes explications pour justifier ce maintien. Contrairement aux déclarations de la délégation, a fait observer un expert, la Syrie a arrêté des milliers de personnes, dans le cadre de l’état d’urgence, parfois sans motif d’accusation et traduisant, dans certains cas, des civils devant les tribunaux militaires. Il a été demandé s’il était prévu d’y mettre fin rapidement. Est-il exact qu’il existe des listes noires de Syriens vivant à l’étranger auxquels on refuse la délivrance de passeports ou encore que la nationalité syrienne est refusée à 140 000 kurdes, ce qui en fait des apatrides et contrevient aux normes internationales? a-t-il été demandé.

Des experts ont reproché au cadre législatif syrien de reconnaître les droits fondamentaux au niveau constitutionnel mais d’en confier l’exécution à la législation qui semble les restreindre. Plusieurs d’entre eux ont fait référence à «la nouvelle ère» qui s’était ouverte pour la Syrie avec l’arrivée à la présidence de la République de Bashar el-Assad, qui a succédé à son père en juillet 2000 en faisant toutefois remarquer qu’il ne s’agit pas encore d’une rupture avec le passé.

Le Comité poursuivra l’examen du rapport de la Syrie cet après-midi à partir de 15 heures.


Rapport de la République arabe syrienne (CCPR/C/SYR/2000/2)

L'adhésion de la Syrie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques le 21 avril 1969 fait de cet instrument une partie intégrante de la législation interne applicable conformément aux dispositions de la Constitution. Les droits énoncés dans le Pacte sont garantis par la Constitution syrienne qui est la Loi fondamentale du pays et par les lois en vigueur en Syrie.

Le rapport énumère les instruments internationaux visant à garantir le respect de la dignité humaine et des droits de l'homme fondamentaux que la Syrie a ratifiés. Il décrit les fondements législatifs de l’indépendance de la justice et précise qu’en tant que membre fondateur de l'Organisation des Nations Unies, la Syrie exerce et applique le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Le caractère démocratique de l'environnement politique en République arabe syrienne garantit au peuple arabe syrien le droit d'adopter le système politique et économique de son choix. Ce droit est garanti par la Constitution.

En élaborant la Constitution de 1973, le législateur syrien a tenu compte des dispositions dudit Pacte et d'autres conventions et traités qu'il avait ratifiés. Aussi n'y a-t-il aucune contradiction entre les articles du Pacte et ceux de la Constitution. Toutefois, si une loi interne contredit les dispositions d'un traité international auquel la Syrie est partie, c'est le traité international qui prime. La législation syrienne ne fait pas, en principe, de discrimination entre hommes et femmes, puisque les femmes jouissent, en tant que membres de la société, des mêmes droits constitutionnels, juridiques et politiques que les hommes, est-il précisé dans le rapport. Les femmes bénéficient aussi de l'égalité des chances entre femmes et hommes dans les domaines politiques. Ainsi, la loi électorale promulguée dans le décret législatif No 26 de 1973 accorde aux femmes le droit de vote dans les élections générales, ainsi que le droit de se présenter aux élections de l'Assemblée du peuple où elles détiennent actuellement 10,4% des sièges. À cet égard, il est signalé que les femmes peuvent accéder à des postes ministériels. Actuellement, deux femmes sont à la tête de deux ministères : celui de la culture et celui de l'enseignement supérieur.

La loi sur l'état de siège, actuellement en vigueur en République arabe syrienne, est un régime constitutionnel d'exception fondé sur l'imminence d'un péril qui menace l'entité nationale, est-il indiqué. Depuis 1948, la République arabe syrienne, qui est l'un des membres fondateurs de l'Organisation des Nations Unies, a fait l'objet, à l'instar d'autres Etats arabes voisins, d'une menace réelle de guerre par Israël et, à maintes reprises, cette menace de guerre a été suivie d'une agression contre le territoire, les eaux territoriales et l'espace aérien de la République arabe syrienne, en particulier en 1967, lorsque Israël s'est emparé d'une partie du territoire de la République arabe syrienne, qu'il continue d'occuper, et dont il a expulsé une bonne partie de sa population. Le rapport décrit les mesures en vigueur dans le cadre de l’état de siège mais signale néanmoins que celui-ci est quasiment en veilleuse, dans la mesure où il n'est mis en œuvre que dans des cas très limités.

Concernant le droit à la vie – un des plus sacrés des droits de l’homme -, le législateur syrien a pris soin d’infliger les peines les plus lourdes à toute personne ayant privé un être humain de ce droit. Le rapport précise que la peine capitale s’applique notamment dans les cas d’homicide volontaire, de conspiration, d’atteinte à la défense nationale, de désertion de contrebande, de fabrication de stupéfiants et de culture de plantes servant à leur fabrication. La peine capitale est exécutée sous forme de pendaison pour les civils, et par les armes pour les militaires.

La Constitution syrienne dispose dans l'article 28, paragraphe 3, que: "nul ne peut être torturé physiquement, moralement ou faire l'objet d'un traitement dégradant. La loi détermine les sanctions à infliger aux auteurs de tels actes". En République arabe syrienne chaque personne est reconnue comme une personnalité juridique, avec tout ce que cela implique en matière de droits et d'obligations, et ce dès le début de son développement en tant que fœtus dans l'utérus de sa mère jusqu'à sa naissance, puis toute sa vie durant jusqu'à sa mort.

Les principes juridiques sur lesquels est fondé le système sociopolitique en Syrie mettent l'accent sur le concept de liberté religieuse. La liberté de conviction et la pratique religieuse et le respect pour toutes les religions sont garantis par l'article 35 de la Constitution syrienne. La liberté du culte qui est exercée par toutes les communautés religieuses est illustrée par leur liberté de conduire leurs affaires religieuses en public et de faire appliquer leur code du statut personnel par leurs autorités religieuses. Cela est conforme au pluralisme religieux de la société syrienne, bien que la Constitution stipule que la religion du Président de la République est l'islam. En fait, les Syriens sont libres d'observer ou non leurs pratiques religieuses. Le législateur syrien a proclamé la liberté de pensée, de conscience et de religion, quand il a édicté le Code du statut personnel qui régit dans le cas des musulmans le mariage et tout ce qui en découle, ainsi que les lois qui réglementent le mariage et ses effets dans le cas des différentes communautés chrétiennes et les lois concernant le mariage au sein de la communauté mosaïque. Ces textes législatifs sont respectés. Chaque confession a ses propres tribunaux qui connaissent des conflits nés de l'application des lois les concernant. Ainsi, la liberté de conviction, de pensée, de conscience et de religion de tous les citoyens est protégée par la loi et dans la pratique. La liberté d'expression est protégée en Syrie, et la liberté de pensée n'y est soumise à aucune autre censure que celle qui est dictée par la conscience de chacun. Tout citoyen a le droit de participer à la vie politique, économique, sociale et culturelle (art. 26 de la Constitution). Le syndicat de la presse, la Fédération des journalistes, est une organisation démocratique populaire chargée de veiller à ce que la situation professionnelle des journalistes soit conforme à l'article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. L'état d'urgence, instauré en raison de l'occupation par Israël d'une partie du territoire national et de l'existence d'une situation de guerre avec Israël depuis plus de 50 ans, n'empêche pas les journalistes de s'acquitter de leurs tâches et de leur devoir professionnels avec les différents moyens mis à la disposition de la presse.

Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques a fait l'objet de débats dans la presse et a été abordé dans les détails par les moyens d'information qui continuent à y faire référence et à l'expliquer au public, qui est conscient de ses droits et de ses obligations tels qu'énoncés dans la Constitution et les lois du pays qui réglementent le journalisme et le processus d'information en Syrie. Les journalistes syriens exercent leur rôle dans les différents moyens d'information en s'inspirant de la devise exprimée comme suit par le Président Hafez al-Assad: "nous n'avons pas peur de la presse, mais avons peur pour elle. La liberté de la presse fait partie de la liberté de la nation et de ses forces populaires". Le rapport souligne que, depuis 1970, aucun journaliste n'a été emprisonné, suspendu de ses fonctions ou empêché d'exprimer son opinion. Le droit de former des partis politiques étant inviolable aux termes de la Constitution syrienne, celle-ci reconnaît l'existence, sous la direction du Parti Baath arabe socialiste, d'un Front national progressiste, dont les buts visent notamment à unifier les capacités des masses populaires et à les mettre au service des objectifs de la nation arabe et à libérer les territoires arabes occupés.

La République arabe syrienne porte un intérêt particulier à la famille et œuvre résolument pour la protéger; et, pour ce faire, il protège et encourage le mariage. Le mariage est un contrat consensuel en vertu duquel un homme et une femme sont déclarés époux légitimes. L'égalité en matière de droits conjugaux est reconnue. Toutefois, l'organisation et la continuité de la famille en tant que cellule de base de la société, est-il expliqué, nécessitent la désignation d'une autorité responsable, dont les compétences doivent être clairement définies dans l'éventualité d'un conflit entre les époux et afin d'établir l'équilibre requis entre les droits et les obligations. Car, dans le cadre de la famille, les rôles respectifs du mari et de l'épouse diffèrent du fait des caractéristiques biologiques de la femme qui assurent la perpétuation de l'espèce (grossesse, accouchement et allaitement), confèrent à l'épouse certains droits et l'empêchent de pratiquer certaines activités. Loin d'être discriminatoire, est-il précisé, cette différence entre les rôles respectifs de la femme et de l'homme donne lieu à une répartition des tâches dans le cadre de la famille, qui ne génère aucun droit excessif, ne néglige aucune obligation et ne porte nullement atteinte aux droits civils ou politiques; elle concerne uniquement les affaires de famille et les relations entre ses membres.

Le rapport fournit des renseignements sur élections parlementaires du 30 novembre et le 1er décembre 1998. Le nombre de candidats était de 7 361 dont 815 femmes. 8 527 bureaux de vote étaient répartis entre 15 circonscriptions électorales. Le nombre total des électeurs était de 8 600 071. Le nombre effectif des électeurs qui se trouvaient sur le territoire syrien aux dates prévues était de 7 100 071 personnes. Des cartes d'électeurs ont été délivrées à 6 601 323 personnes, et 82,2% d’entre elles ont exercé leur droit de vote soit 77,5 % du nombre effectif des électeurs. Il s'agit là de taux élevés qui traduisent l'intérêt que porte notre peuple à son Assemblée, est-il souligné. Sur les 250 membres élus à l'Assemblée du peuple, 127 représentaient les travailleurs et les agriculteurs qui, aux termes de la Constitution, doivent détenir un minimum de 50 % des sièges, et 123 les autres catégories de la population. Le nombre des membres de l'Assemblée du peuple appartenant aux Partis du Front national progressiste était de 167. Le nombre de candidates élues à l'Assemblée s'élève à 26 (soit 10,4 % du total), contre 24 dans l'Assemblée précédente. Le nombre de membres élus pour la première fois était de 174, les 76 autres membres ayant conservé leur siège. La société syrienne se distingue par sa tolérance et l'absence de fanatisme. La discrimination est inconnue dans l'histoire du pays et est totalement étrangère à ses valeurs. La Syrie est, à cet égard, engagée dans une lutte sans merci contre toutes les manifestations de racisme où qu'elles surviennent, en particulier celles que les autorités d'occupation israéliennes pratiquent contre les citoyens arabes. Il convient de noter, à ce propos, que la République arabe syrienne a été parmi les premiers Etats à adhérer aux conventions internationales contre l'apartheid.


Présentation du rapport par la délégation syrienne

M. ABBOUD SARRAJ, doyen de la Faculté de droit de Damas, a mis en avant le rôle prépondérant du peuple en République arabe syrienne qu’il a décrit comme une société démocratique où les droits de l’individu sont pleinement respectés. Se référant à l’état d’urgence déclaré en Syrie le 8 mars 1963, il a expliqué que le système constitutionnel syrien prévoyait la possibilité de prendre des mesures exceptionnelles pour protéger l’Etat des dangers qui le menacent, faisant remarquer que cette disposition existait dans tous les pays du monde. Il a expliqué le maintien de l’état d’urgence jusqu’à ce jour par le fait que «les ennemis politiques de la révolution» ne respectent pas les processus démocratiques et qu’ils se sont livrés à des attaques, des pillages et des incendies. Il a invoqué les conflits successifs entre son pays et Israël, notamment la guerre de 1967 qui a entraîné l’occupation d’une partie de son territoire par Israël, la guerre de 1973 et l’invasion du Liban en 1982. Nous savons qu’Israël prépare actuellement une nouvelle guerre contre la Syrie, a-t-il déclaré. Cela justifie le fait que l’Etat veuille pouvoir mobiliser ses forces rapidement. Il a également évoqué les difficultés qui ont opposé les pouvoirs publics syriens aux Frères musulmans qui ont, a-t-il dit, mené depuis 1975 une campagne d’assassinats et d’attentats.

M. Sarraj a toutefois fait valoir que la loi sur l’état d’urgence a connu en Syrie une application limitée. Ceux qui ont été arrêtés en vertu de cette loi, sont des criminels ou des trafiquants de drogue, a-t-il indiqué. Leur arrestation n’excède pas sept jours et ils sont ensuite déférés devant le tribunal compétent. L’appel est toujours possible et le ministère public a d’ailleurs donné raison à un grand nombre d’entre eux. Les descriptions faites par certaines organisations de la situation en Syrie sont très exagérées ou incorrectes, a-t-il affirmé, rappelant que sonpays a ratifié un grand nombre d'instruments internationaux dont il respecte pleinement les dispositions. La présence de la délégation syrienne devant ce Comité prouve notre volonté d’apporter tous les éclaircissements souhaités, a-t-il souligné.


Réponses de la délégation syrienne aux questions écrites des experts

Pour ce qui est du cadre institutionnel juridique dans lequel le Pacte est appliqué, M. ABBOUD SARRAJ, doyen de la faculté de droit de l’Université de Damas, a indiqué que le Pacte peut être invoqué directement devant les tribunaux. Le représentant a indiqué l’avoir fait lui-même. Les voies de recours judiciaires passent par le Bureau des plaintes qui relève de la présidence de la République. Ce Bureau présente un rapport mensuel au Président sur les plaintes qu'il a reçues. La prévalence des dispositions des conventions internationales sur le droit interne est rappelée par la décision 24 de la Cour de cassation mais aussi par l’article 25 du Code civil, qui stipule explicitement qu’aucun texte contrevenant aux conventions internationales n’est valide. M. Sarraj a souligné que la primauté des instruments internationaux constitue un des piliers de la jurisprudence syrienne.

Depuis que la Syrie a ratifié le Pacte en 1969, le législateur a veillé à faire respecter les droits qui y sont énoncés. En outre, lorsque la nouvelle constitution a été élaborée en 1973, les articles du Pacte y ont été reflétés. M. Sarraj a indiqué que c’est également le Bureau des plaintes du Président qui examine les plaintes de personnes dont les droits civils et politiques ont été violés, engage des enquêtes et décide des sanctions. Ce Bureau est l’organisme indépendant chargé de veiller au respect des droits l’homme.

M. Sarraj a assuré les experts du Comité qu’il n’y a jamais eu de dérogations aux droits du Pacte après la déclaration de l’état d’exception en Syrie car le Gouvernement syrien a pris toutes les mesures nécessaires pour que cela ne se produise pas. Le Gouvernement n’exerce ce pouvoir que dans le cadre établi par la loi. La loi d’exception n’est pas appliquée en ce moment en Syrie, elle ne l’est que dans des cas extrêmement graves.

Pour assurer effectivement l’égalité des sexes en matière de statut personnel, l’Etat partie applique, depuis 1953, le droit des personnes en s’inspirant de la jurisprudence islamique pour les musulmans, et de la jurisprudence chrétienne pour les chrétiens. Il a notamment indiqué que l’autorité au sein de la famille est divisée entre les époux. La décision du divorce relève de l’époux qui est cependant assujetti à un ensemble de règles juridiques. L’épouse peut aussi demander le divorce devant les tribunaux. Répondant à une question sur les mesures prises par la Syrie pour assurer une meilleure représentation et participation des femmes, le représentant a estimé qu’il est très rare que les lois d’un Etat dans le monde aient couvert les droits des femmes comme la Constitution syrienne le fait. En Syrie, la femme jouit d’une égalité économique et politique avec les hommes et jouit du droit au travail et à un salaire égal à celui de l’homme. M. Sarraj a indiqué que le personnel de la faculté de droit de Damas compte 70 femmes sur 80 membres. Cette situation se retrouve dans de nombreuses institutions publiques et, à cet égard, le Gouvernement prend des mesures positives pour renforcer les acquis.

En ce qui concerne l’imposition et l’exécution de la peine de mort en Syrie pendant les dix dernières années, M. Sarraj a déclaré que la peine capitale est très rarement appliquée bien qu’elle soit maintenue dans les textes législatifs. Il a indiqué qu’il y a très longtemps, la peine capitale avait été appliquée au meurtrier d’un enfant. Lorsqu’elle est prononcée, le condamné à mort fait généralement l’objet d’une commutation de sa peine par la Cour de cassation ou d’une grâce présidentielle. Le représentant n’a pas pu donner de chiffres car de telles condamnations sont très rarement prononcées. N’ayant pu obtenir de statistiques sur cette pratique très rare ou trouver de condamnés à mort en attente de leur exécution, le représentant a indiqué qu’il devrait effectuer des recherches supplémentaires. L’âge minimum pour l’imposition de la peine de mort est de 18 ans, a précisé M. Sarraj, rappelant qu’un mineur est une personne âgée de moins de 18 ans. La législation interne ne fixe pas l’âge maximum pour l’imposition de la peine de mort, toutefois, les autorités judiciaires examinent actuellement un texte dans ce sens. Le représentant a précisé que la peine capitale n’a jamais été imposée à une personne âgée de plus de 60 ans. Selon M. Sarraj, la peine de mort ne serait appliquée par les autorités syriennesque si c’est absolument nécessaire et contre des accusés ayant commis un acte barbare et représentant une menace pour la société.

M. Sarraj a déclaré que la Syrie n’a pas eu connaissance d’allégations concernant des exécutions extrajudiciaires, des disparitions, des actes de torture et autres peines ou traitements inhumains ou dégradants dont seraient responsables des membres de l’armée ou d’autres forces de sécurité. Une fois contactées par M. Sarraj, ces autorités ont affirmé que de telles allégations sont totalement sans fondement et assuré qu’elles se conforment aux dispositions du droit international.

M. Sarraj a assuré les membres du Comité qu’il est en contact étroit avec les autorités pénitentiaires et effectue, en compagnie de ses étudiants, plusieurs visites par an à la prison centrale de Damas. Ils consignent ensuite leurs commentaires et observations dans des rapports qu’ils présentent au Ministère de la justice. Pour ce qui est des conditions de détention, le représentant s’est dit satisfait de ce qui se passe à la prison centrale de Damas, un établissement représentatif des autres prisons. Il a précisé que les prisonniers de droit commun sont séparés des détenus. Il a réfuté les allégations selon lesquelles des prisonniers sont privés de soins médicaux en expliquant qu’il existe des centres de santé où les prisonniers sont suivis gratuitement par des spécialistes, ainsi que des pharmacies et des sanatoriums au sein des prisons. Les prisonniers malades peuvent être opérés dans les hôpitaux publics.

Par ailleurs, des cours d’alphabétisation et d’enseignement primaire et secondaire, ainsi que technique sont dispensés dans les prisons. Certains prisonniers suivent des cours en auditeur libre auprès de nombreuses facultés. Les livres leur sont fournis par l’administration pénitentiaire. Les professeurs se rendent dans les prisons pour effectuer un suivi pédagogique et faire passer les examens des détenus. Ces mesures jouent un très grand rôle dans la réinsertion sociale future des prisonniers. Un enseignement religieux musulman et chrétien est également organisé dans les prisons qui, par ailleurs, sont dotées de bibliothèques, centres sportifs et centres de musique.

Lorsqu’un détenu décède, un comité pénitentiaire comprenant un médecin légiste enquête sur les causes de sa mort et procède à une autopsie dont il présente les résultats à la famille du détenu. M. Sarraj a souligné que ces décès surviennent dans les prisons syriennes tout comme dans le reste de la société. Il a précisé que 49 personnes sur l’ensemble de la population carcérale sont mortes d’un arrêt cardiaque, deux d’un cancer, deux de maladies du foie, deux d’un caillot de sang et trois de maladies rénales ou respiratoires. La population carcérale en Syrie compte 4% de femmes.

La peine des travaux forcés existe mais reste théorique. Au sein des prisons, le travail est volontaire et rémunéré quotidiennement ou mensuellement. Les salaires sont perçus lorsque le prisonnier est libéré. Le représentant a noté que les Nations Unies font régulièrement part au Ministère de la justice de leurs réserves au sujet du maintien de la peine des travaux forcés dans le code pénal syrien et suggèrent l’abolition de ces mesures. Il a fait valoir que ces dispositions figurent dans le code pénal depuis 1949 mais qu’elles n’ont jamais été appliquées. Le terme de travaux forcés n’apparaît jamais dans les textes de loi et il est prévu de l’effacer dans les rares cas où il apparaît encore.

Le délégué a précisé que les étrangers qui entrent en Syrie et souhaitent y résider, doivent se faire enregistrer et déclarer leur lieu de résidence ainsi que leurs changements de résidence ultérieurs, précisant qu’il s’agit de mesures de précaution. Si le Ministère de l’intérieur décide de procéder à une déportation, l’étranger peut faire appel auprès du Ministre et ensuite auprès des tribunaux administratifs, a-t-il expliqué. Répondant à la question sur l’obligation de visa de sortie, il a précisé que de nouvelles dispositions étaient à l’étude pour faciliter les voyages des citoyens, soulignant toutefois que le visa de sortie avait pour objectif d’éviter aux criminels de fuir le pays et non d’empêcher les citoyens de se déplacer. Répondant à la question sur les mesures prises pour assurer l’intégrité de la correspondance, il a cité les dispositions législatives en vigueur.


Questions et commentaires des experts

Il a été fait observer à la délégation que pour qu’un dialogue soit utile, il faut qu’il soit franc et sincère. Plusieurs d’entre eux ont fait observer que la présentation du rapport avait été tardive et que la déclaration du doyen Sarraj n’expliquait pas que ce document se soit fait attendre pendant dix-sept ans. Il a été reproché au rapport de se limiter à une énumération des dispositions législatives syriennes, omettant de fournir des informations concrètes sur la situation des droits de l’homme dans le pays. Les experts ont exprimé leur doute quant au respect desdispositions du Pacte. La Constitution, ont souligné certains experts, envisage toute une série de droits et de libertés mais s’en remet à la loi pour donner un support concret à ces dispositions. Or, l’examen de la législation syrienne montre qu’elle limite les droits et libertés, ont-ils fait valoir, ajoutant qu’ils en venaient à se demander si ce dispositif n’avait pas été conçu pour limiter, voire même pour violer ces droits et libertés. Un expert a estimé que l’obsession de la sécurité était prédominante dans le rapport et que, si la sécurité était importante pour tous les Etats, elle ne saurait tout justifier.

La question des crimes politiques a fait l’objet de nombreuses questions et remarques. Il a été demandé des explications sur les cas de peines de mort, de torture et d’exécutions extrajudiciaires pour crimes politiques, sur les disparitions de Syriens et de Libanais. Les mesures à l’égard des étrangers, en particulier celles limitant la liberté de circulation, ont semblé excessives. Un expert a dit pouvoir fournir une liste de personnes condamnées à mort et exécutées, dont une femme, dans des conditions qui semblaient peu équitables. Des cas de torture ont été signalés à la prison de Palmyre et ailleurs, a-t-il fait observer. Des personnes ont été détenues sans jugement. L’une d’entre elles a passé dix-huit ans en prison et a été libérée sans avoir été jugée. Nous savons qu’il y a encore des prisonniers politiques, certains appartenant à des partis politiques religieux. On a cité le chiffre de 150 Libanais détenus en Syrie sans jugement ou après jugement, précisant que certains ont été exécutés. Les experts ont dit ne pas oublier que la Syrie commençait une ère nouvelle même s’il ne s’agit pas encore d’une rupture avec le passé. Concernant l’état d’exception, un expert a fait observer que son usage devait être limité aux cas où la nation est en danger. Il a été demandé à ce propos d’indiquer les possibilités visant à mettre un terme à l’état d’exception en place depuis 38 ans, qui, même s’il est peu utilisé, constitue une menace constante au regard des pouvoirs exorbitants qu’il confère à l’Etat. Des précisions ont été demandées sur des listes noires éventuelles de Syriens vivant à l’étranger et à qui on refuse la délivrance de passeports. Est-il exact également que la nationalité syrienne soit refusée à 140 000 Kurdes, ce qui en fait des apatrides et contrevient aux normes internationales. Des questions ont été également posées sur le maintien des dispositions qui permettent la répudiation, les crimes d’honneur, les différences de traitement de l’adultère en fonction du sexe de celui qui le pratique et l’absence de sanctions en cas de viol conjugal.

D’autres experts du Comité ont estimé que l’exposé sur la théorie des lois syriennes est insuffisant en soulignant qu’il peut y avoir un abîme entre la loi et la pratique. Dans un Etat démocratique, ont-il ajouté, il est important de savoir que le pouvoir émane du peuple et il est encore plus important de savoir où il va ensuite et, surtout, entre les mains de qui il reste. Un expert a ajouté que l’Etat partie ne peut se contenter d’affirmer que des allégations sont fausses mais il doit également expliquer les mesures d’enquêtes qu’il a prises pour s’en assurer. Tout en se félicitant de ce que la Syrie n’ait émis aucune réserve au Pacte, ils ont souligné que la Syrie est, par cet engagement, pleinement tenue de s’assurer que tous les droits énoncés dans le Pacte soient garantis. Les experts ont ensuite remarqué que, bien que 24 années se soient écoulées depuis la présentation du rapport initial de la Syrie, sa délégation a fourni les mêmes explications qu’en 1977 sur l’application de l’état d’exception. Un représentant syrien ayant fait valoir que les dispositions sur l’état d’urgence en Syrie sont semblables à ce qui existe dans tous les pays du monde, les experts ont souligné qu’il est anormal qu’une telle mesure soit en vigueur depuis plus de 30 ans. Bien que la délégation syrienne ait assuré que l’application des dispositions sur l’état d’urgence est réduite et pratiquement suspendue, le Comité a reçu des informations selon lesquelles, en se basant sur cet état d’urgence, l’Etat partie a arrêté des milliers de personnes, parfois sans motif d’accusation, et parfois en traduisant ces civils devant des tribunaux militaires. Cette situation prolongée a donc eu pour conséquence de nombreuses violations des droits de l’homme. Le Comité a espéré que les changements politiques en Syrie créeront de nouvelles perspectives permettant de lever cet état d’urgence. Un expert a souhaité savoir pourquoi la Syrie n’a pas mis en œuvre la disposition de l’article 4 du Pacte en avertissant les autres Etats parties ainsi que les Nations Unies des mesures prises. Un autre expert a demandé à quels droits la Syrie a dérogé.

Les experts ont également regretté que la peine de mort puisse être appliquée dans une gamme très étendue de possibilités comprenant des motifs politiques. Bien que la délégation syrienne ait affirmé ne pas connaître de cas récents de son application, un expert a fait part d’informations selon lesquelles, en 1999, au moins deux personnes auraient été exécutées sur la place publique après avoir été déclarées coupables d’assassinat. Cet expert a été d’avis que si la peine de mort n’est effectivement pas appliquée, il faudrait la retirer de la législation; mais que si on continue de l’appliquer, la Syrie doit fournir les détails de son application au Comité.

Un autre expert a fait part d’allégation de cas de disparitions non expliquées de Syriens mais aussi de Libanais faits prisonniers par les forces armées syriennes. Il semblerait que dans de nombreux cas, ni le motif de l’arrestations ni le lieu de détention n’est indiqué. A cet égard, le Comité a demandé de préciser les bases juridiques sur lesquelles les autorités civiles ou militaires syriennes s’appuient pour enlever et arrêter des Libanais sur le territoire du Liban. Sur la question de la torture, un membre du Comité a déclaré que de nombreuses informations semblent indiquer qu’elle continue d’être pratiquée avec assiduité notamment dans le cadre des interrogatoires ou dans les prisons militaires. Les experts ont demandé s’il est arrivé qu’un cas de torture soit traduit devant les tribunaux. En outre, contrairement aux informations fournies par M. Sarraj sur la prison centrale de Damas, les conditions d’emprisonnement de nombreux prisonniers représenteraient un traitement inhumain et dégradant. Le Comité a demandé à la délégation syrienne d’indiquer les règlements que suit l’administration pénitentiaire pour le traitement des prisonniers. Il a souhaité savoir si un prisonnier peut porter plainte pour violation de ses droits sans encourir de représailles.

Par ailleurs, les experts ont demandé des précisions sur le traitement que reçoit la polygamie. Ils se sont demandés si les châtiments corporels sont effectivement maintenus dans certaines écoles. Ils se sont également étonnés de l’absence de rapport sur la situation des droits de l’homme émanant d’organisations non gouvernementales syriennes en s’interrogeant sur les relations que le Gouvernement entretient avec les ONG nationales ou internationales. Le Comité a encouragé le Gouvernement syrien à tenir un dialogue avec les ONG. Ils ont estimé que les tribunaux et le Bureau des plaintes relevant du Président ne sauraient être considérés comme des organes indépendants pour la surveillance des droits de l’homme. Les droits des Kurdes syriens ne possédant pas de documents d’identité ont été évoqués et les experts se sont inquiétés d’un décret de 1996 interdisant l’emploi de la langue kurde sur le lieu de travail et d’un autre décret interdisant les chansons arabes kurdes pendant les mariages et les festivités.

Un expert a rappelé le massacre de Hamma, un village de 30 à 40 000 personnes qui avait été assiégé et où environ 10 000 personnes seraient mortes. Il a demandé aux autorités syriennes de relâcher tous les civils détenus suite à cette crise, d’indiquer où les quelque 10 000 disparus se trouvent, de permettre le retour et la réinstallation des personnes se trouvant en exil. Il a suggéré aux autorités de mener une enquête sur cette affaire et ses conséquences.




* *** *

VOIR CETTE PAGE EN :