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Déclarations Haut-Commissariat aux droits de l’homme

Série de dialogues sur le leadership du Brookings Center for Universal Education et de la Banque mondiale L’éducation durant la pandémie de COVID-19

21 Septembre 2020

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Déclaration de Michelle Bachelet,
Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme

Le 21 septembre 2020

Bonjour. Je suis ravie de pouvoir me joindre à cette discussion cruciale et opportune. Une éducation de qualité, financée de manière adéquate et accessible à tous est indispensable au développement durable et à la réalisation de tous les droits de l’homme.

Le Secrétaire général des Nations Unies Antonio Guterres parle souvent de son expérience en tant qu’enseignant dans les quartiers pauvres de Lisbonne, au Portugal. Il a lui-même été témoin du pouvoir transformateur de l’éducation dans l’éradication de la pauvreté, et à quel point la transmission de compétences peut s’avérer vitale pour les individus, leurs familles, les communautés et l’ensemble de la société.

Comme M. Guterres l’a fait remarquer, « investir dans l’éducation est le moyen le plus rentable de stimuler le développement économique, d’améliorer les compétences et les possibilités des jeunes femmes et hommes et de faire progresser les 17 objectifs de développement durable ». 

Des progrès majeurs ont été accomplis ces dix dernières années vers la réalisation universelle du droit à l’éducation, grâce à l’augmentation des taux de scolarisation à tous les niveaux, en particulier pour les filles. En 2019, l’UNICEF a annoncé que plus de 90 % des enfants en âge d’aller à l’école primaire étaient scolarisés. Malheureusement, ces progrès n’étaient pas homogènes. Les effectifs scolaires variaient considérablement d’une région à l’autre ; l’augmentation des inscriptions se ralentissait ; et les établissements scolaires n’offraient pas tous un enseignement de qualité – en 2019, 617 millions de jeunes à travers le monde n’avaient pas acquis les compétences élémentaires nécessaires en mathématiques, en lecture et en écriture*.  Malgré cela, de nombreux progrès durement acquis ont été accomplis.

C’est alors qu’est arrivée la COVID-19, qui a causé le plus grand bouleversement des systèmes éducatifs de l’histoire moderne. La pandémie a affecté pratiquement 1,6 milliard d’apprenants de par le monde. Les écoles ont été fermées dans 160 pays, affectant ainsi 94 % de la population étudiante mondiale. Des centaines de millions d’apprenants ont été renvoyés chez eux pour tenter de suivre des systèmes improvisés d’apprentissage à distance – souvent avec un accès insuffisant aux outils numériques.

Il pourrait s’agir d’une véritable catastrophe éducative, économique et sociale. L’UNICEF a annoncé le mois dernier qu’au moins 463 millions d’élèves* – soit 30 % des enfants scolarisés – dans le monde ne peuvent pas suivre un apprentissage à distance grâce à Internet, la télévision ou la radio.

Il sera essentiel de combler les fossés numériques et les lacunes en matière de connectivité révélés par cette crise. En outre, les efforts urgents nécessaires pour résoudre ces problèmes et d’autres questions sont un argument clé pour augmenter, ou du moins protéger, les budgets de l’éducation.

Car qu’arrive-t-il à un enfant qui ne va plus à l’école ? À l’ONU, nous recevons chaque jour des rapports sur le risque accru de violations des droits de l’enfant liées à la pandémie. Ces rapports font notamment état de travail forcé, de mariage d’enfants et de traite, y compris à des fins d’exploitation sexuelle. Ils indiquent également une augmentation des violences domestiques à l’égard des enfants et un impact accru sur leur nutrition, et certains rapports révèlent une augmentation de leur recrutement par les groupes armés. 

Dans un document publié dans The Lancet*, l’UNICEF, la FAO, le PAM  et l’OMS ont insisté sur l’impact catastrophique de la pandémie sur la nutrition, en particulier dans les pays à revenu faible ou intermédiaire. Une étude récente* suggère que, sans une action rapide, la prévalence mondiale de l’émaciation chez les enfants pourrait augmenter de près de 15 %. Cela se traduirait par 6,7 millions d’enfants supplémentaires de moins de cinq ans souffrant d’émaciation.

De l’Afghanistan à l’Alaska, les enfants sont confrontés non seulement à une réduction du nombre d’heures d’école, mais aussi à la probabilité d’un système éducatif moins attentif et moins individualisé, à un risque plus élevé de graves violations des droits de l’enfant et à des répercussions à long terme de toutes ces tendances sur leur avenir.

En outre, leurs familles – principalement leurs mères et leurs sœurs aînées – doivent alors veiller à ce que ces enfants soient en sécurité et bien occupés, ce qui a un impact sur leur propre capacité à conserver un emploi décent. L’Organisation internationale du Travail a averti* que la COVID-19 pourrait réduire à néant les « modestes progrès » réalisés en matière d’égalité des genres au travail ces dernières décennies.

L’importance de la protection du droit à l’éducation ne peut pas être plus évidente. Il est tout à fait logique, d’un point de vue économique et stratégique, que les pays investissent dans une éducation de qualité, afin que les enfants et les jeunes puissent réaliser leur potentiel de développement, faire entendre leur voix pour participer aux décisions et contribuer à l’économie et à leur société. L’accès universel à une éducation de qualité est le meilleur investissement que nous puissions faire pour un monde et un avenir meilleurs pour l’humanité. Cela est indispensable pour sortir les communautés et les individus de la pauvreté et les impliquer dans un développement durable et pacifique.

Nous ne pouvons pas laisser la COVID-19 devenir le point de rupture à partir duquel nos avancées, certes imparfaites mais très précieuses, commencent à s’effondrer.

Certes, même avant la pandémie, le financement de l’éducation était déjà très problématique. Au début de l’année 2020, le déficit de financement pour atteindre l’objectif de développement durable 4 relatif à une éducation de qualité dans les pays à revenu faible et ceux à revenu intermédiaire inférieur s’élevait, selon les estimations, à 148 milliards de dollars par an. La récession due à la COVID pourrait avoir des répercussions encore plus importantes.

Pour sauvegarder l’éducation – et l’avenir de nos enfants et de nos sociétés – les gouvernements devront prendre des décisions budgétaires difficiles. Je ne peux pas dire que ce sera facile. Mais nous devons leur faire comprendre que cela est nécessaire et nous devons aider la société civile à rendre ces décisions gouvernementales visibles et importantes sur le plan politique. Les mesures visant à assurer la continuité de l’apprentissage et l’éducation pour tous, telles que les modalités d’enseignement flexibles, l’enseignement à distance par des moyens techniques limités ou inexistants et les bons d’alimentation, devraient être considérées comme un élément essentiel des plans de relance nationaux liés à la COVID-19, en parallèle à des initiatives d’aide à la santé, à la protection sociale, aux entreprises et à l’emploi.

Permettez-moi de soulever un dernier point Les États doivent être responsables de la protection du droit à l’éducation. Mais ils doivent également être aidés dans cette tâche.

Nous ne pouvons accepter que la période de l’après-COVID-19 soit marquée par un nationalisme accru. Lorsque les pays décident de faire cavalier seul – que ce soit en termes de vaccins ou de développement humain – ils n’arrivent à mettre fin à aucune crise. Ils perpétuent les crises.

Si la COVID-19 nous a appris une chose, c’est l’énorme valeur des mesures qui défendent les droits de l’homme de manière universelle.

Nous avons vu la manière dont les inégalités profondément ancrées et les lacunes en matière de droits de l’homme alimentent ce virus – renforçant sa contagion et accélérant considérablement sa menace. Ce que nous devons voir aujourd’hui, ce sont des actions visant à combler ces lacunes et guérir ces blessures profondes, tant au sein de nos sociétés qu’entre ces dernières.

La pauvreté affecte les pauvres – mais elle affecte aussi les riches. Une scolarité déficiente marquée par la misère et l’injustice ne nuit pas seulement aux enfants en situation de précarité. Elle nuit à nous tous.

Les autorités nationales devraient protéger le financement de l’éducation, en renforçant la mobilisation des recettes, en remédiant aux inefficacités et – si possible – en augmentant les dépenses.

Mais la communauté internationale doit également agir pour protéger le financement de l’éducation dans le monde, en renforçant la coordination internationale pour faire face aux crises de la dette, et en protégeant l’aide publique au développement pour l’éducation.

Le renforcement de la résilience des systèmes éducatifs sera la clé de notre reprise, et de notre capacité à tirer les leçons de cette pandémie pour bâtir des économies plus vertes, plus intelligentes, plus résilientes et plus inclusives – dans un monde plus sûr et plus juste pour nous tous. 

Merci pour vos efforts afin de défendre le droit à l’éducation.