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Déclarations Haut-Commissariat aux droits de l’homme

Quarante-septième session du Conseil des droits de l’homme

21 Juin 2021

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Point 2 : rapport de la Haute-Commissaire sur la situation actuelle des droits de l’homme

Déclaration de Michelle Bachelet, Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme

Le 21 juin 2021

Madame la Présidente du Conseil,
Excellences,
chers collègues et amis,

C’est pour moi un honneur de m’adresser à ce Conseil à l’occasion de son quinzième anniversaire – alors que nous assistons malheureusement à une période de graves reculs des droits de l’homme.

L’extrême pauvreté, les inégalités et les injustices sont en hausse. L’espace civique et démocratique est fragilisé. La génération actuelle de dirigeants mondiaux devra trouver une solution claire pour sortir de la crise complexe de la COVID-19 et s’orienter vers un avenir inclusif, écologique, durable et résilient, faute de quoi elle court à sa perte.

L’Appel à l’action en faveur des droits humains du Secrétaire général est une véritable feuille de route qui relie, plus étroitement que jamais, les piliers de l’ONU que sont le développement, la paix et la sécurité, et les droits de l’homme.

Il place le soutien envers l’ensemble des droits de l’homme au cœur de la capacité de chaque société à se relever de la pandémie – et au cœur du travail de toutes les entités et équipes des Nations Unies.

Le Secrétaire général a également souligné la nécessité d’adopter un nouveau contrat social*, reposant sur un nouveau pacte mondial* de solidarité, pour partager plus équitablement le pouvoir, les ressources et les opportunités. En septembre, il présentera à l’Assemblée générale un plan pour un programme commun à l’échelle des Nations Unies.

Ces mesures audacieuses mettent un accent sans précédent sur la capacité qu’ont les droits de l’homme de garantir un développement sain et inclusif, une paix durable et des sociétés fondées sur la confiance.

Je saisis cette occasion pour informer le Conseil de l’analyse et du travail menés par le HCDH pour concrétiser ces initiatives, et pour veiller à ce qu’elles fonctionnent ensemble pour avoir un réel impact sur les populations du monde entier.

Ce faisant, je souhaite insister sur deux points :

Premièrement, l’Appel à l’action est un outil sans précédent pour tirer parti de la force des partenariats dans l’ensemble des Nations Unies. Je m’engage à faire en sorte que cela conduise à une analyse par pays plus large, mieux intégrée et solidement fondée sur des preuves, à une stratégie uniforme de sensibilisation et à des programmes sur le terrain mieux ciblés et plus efficaces en raison de leur ancrage solide dans les droits de l’homme.

Deuxièmement, l’Appel à l’action souligne la nécessité d’aborder les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels comme une synergie incontestable et indissociable. Les droits économiques et sociaux et le droit au développement sont des droits universels. Il ne s’agit pas de services ordinaires dont le prix est fixé par le marché, mais de facteurs essentiels à la construction de sociétés plus pacifiques et égalitaires. Les droits civils et politiques sont tout aussi essentiels à la construction de sociétés inclusives et participatives. Ensemble, indépendamment de la richesse ou du stade de développement du pays, les mesures prises pour faire respecter ces droits créent un puissant mouvement de confiance publique.

Comme je l’ai souligné précédemment au Conseil au cours de mon mandat, les politiques qui soutiennent la justice sociale contribuent également à développer des économies plus fortes. Elles permettent de mettre en place des systèmes politiques plus inclusifs. Elles renforcent le climat de confiance. Elles font naître l’espoir. Les politiques qui soutiennent les droits de chaque individu à faire ses propres choix font avancer le Programme 2030 ; elles sont bonnes pour les communautés et les nations. La possibilité pour la société civile et les médias indépendants de critiquer et de débattre favorise la transparence et l’innovation. Les systèmes qui rendent justice aux victimes permettent de reconnaître les griefs et facilitent la construction ou la reconstruction de la sécurité et de la paix.

L’Appel à l’action nous demande de faire progresser cette vision de l’ensemble des Nations Unies œuvrant pour le respect de tous les droits de l’homme.

Ce sera difficile, et absolument vital.

Madame la Présidente,

Je suis convaincue que l’Appel à l’action sera un instrument d’intégration des droits de l’homme d’une puissance sans précédent, qui créera une dynamique et un tremplin permettant une intégration beaucoup plus forte des droits de l’homme dans l’ensemble des activités des Nations Unies, en particulier au niveau national.

Dans un certain nombre de pays, on constate déjà une meilleure analyse de l’impact des lois et des politiques nationales sur les personnes confrontées à des formes multiples et croisées de discrimination, notamment les femmes et les filles ; des programmes des Nations Unies plus ciblés ; et un plaidoyer plus fort et plus unifié, avec une direction habilitée à s’exprimer sur les droits.

Au Cambodge par exemple, la pauvreté a doublé durant la pandémie et affecterait à présent 17,6 %* de la population. Il y a deux ans, le taux de pauvreté était de 10 %. Notre personnel chargé des droits de l’homme, en tandem avec l’ensemble du système des Nations Unies au Cambodge, a plaidé conjointement en faveur d’un système de protection sociale bien conçu et fondé sur les droits de l’homme, de la priorité accordée aux budgets de santé et d’un espace civique plus large. Une nouvelle stratégie des droits de l’homme de l’équipe de pays garantira le soutien au développement fondé sur les droits et au travail de relèvement après la pandémie.

En Serbie, alors que la pandémie prenait de l’ampleur, notre conseiller pour les droits de l’homme s’est associé à des collègues des Nations Unies, à des agences gouvernementales et à la société civile pour mener des actions de sensibilisation urgentes auprès des habitants, principalement roms, des quartiers informels insalubres du pays. Dans un effort sans précédent pour recenser les besoins les plus urgents, nous avons finalement pu atteindre plus de 700 établissements. Ce recensement a indiqué des domaines clés où l’accès insuffisant à l’eau potable, à l’électricité, à l’assainissement et à un revenu de base indique à la fois une négligence de longue date et une menace imminente pour la santé publique. Cet exercice, qui n’aurait pas pu être réalisé sans le travail de toute l’équipe de pays, a conduit à des réponses immédiates et ciblées de la part des autorités, avec une description de la marche à suivre pour surmonter la négligence systémique et l’exclusion sociale.

En Argentine, l’équipe de pays des Nations Unies a été rapidement mobilisée pour répondre aux inquiétudes majeures en matière de droits de l’homme dans le nord-est de la province de Formosa, alors que la pandémie s’installait. Le coordonnateur résident a mené une mission d’évaluation virtuelle avec la participation de l’UNICEF, du FNUAP, de l’OMS/OPS et du HCDH. Il a ensuite entamé des consultations avec les autorités sur un éventuel programme stratégique commun des Nations Unies visant à répondre à l’urgence sanitaire dans la province, conformément aux normes internationales en matière de droits de l’homme, notamment en s’attaquant à un certain nombre de problèmes structurels, avec une attention particulière pour les peuples autochtones et les populations vulnérables.

L’Appel à l’action a permis d’envisager des changements importants. Il nous sera d’une aide précieuse face aux ambitions de la nouvelle génération concernant des analyses communes de pays et des cadres de coopération pour le développement durable. Nous devons veiller à ce que tous les acteurs des Nations Unies comprennent qui sont les plus marginalisés et pourquoi ; à identifier ensemble les reculs en matière de droits de l’homme ; et à agir ensemble lorsque le soutien collectif des Nations Unies peut aider les États à relever les principaux défis en matière de droits de l’homme, notamment les inégalités structurelles.

Excellences,

Notre initiative Surge, lancée en septembre 2019, a joué un rôle essentiel dans la mise à niveau de l’expertise économique de ses équipes de terrain à un moment crucial. Au fur et à mesure de la progression de la pandémie, nous avons pu compter sur une équipe d’économistes sur le terrain pour travailler avec le personnel des Nations Unies chargé de l’économie et du développement, afin de donner des conseils sur les stratégies de relèvement des pays et l’utilisation de politiques fiscales appropriées pour maximiser les ressources disponibles pour les États.

Ce travail s’appuie largement sur les recommandations ciblées d’experts émises par le Comité des droits économiques, sociaux et culturels, d’autres organes conventionnels et de nombreux titulaires de mandats au titre de procédures spéciales.

En Guinée par exemple, ce soutien technique et financier a permis à notre présence sur le terrain d’entreprendre une évaluation de l’impact du secteur minier sur les droits de l’homme, en particulier les droits économiques et sociaux. L’extraction minière est l’une des principales sources de revenus en Guinée, et donc potentiellement un accélérateur clé pour le développement durable et une meilleure réalisation des droits économiques et sociaux. Toutefois, l’exploitation minière sauvage ou artisanale, en particulier, est associée à de graves violations des droits de l’homme, notamment des déplacements forcés et la dégradation de l’environnement.

Lors de notre évaluation, nous avons collaboré étroitement avec l’équipe de pays des Nations Unies en Guinée et avons bénéficié d’un travail très positif de la part des principaux responsables gouvernementaux, de l’institution nationale des droits de l’homme et des sociétés minières elles-mêmes, ainsi que des communautés et des groupes de la société civile affectés. Cela a conduit aux réformes politiques en cours, notamment des changements législatifs et des réformes de la gouvernance dans le secteur minier et la gestion des ressources naturelles. Le renforcement des capacités et des cadres juridiques est prévu, et un projet pilote commun du HCDH et du gouvernement sur le droit au développement est également en cours.

Aucun programme de redressement national ne peut espérer être pleinement efficace si la discrimination continue d’affecter la moitié de la population. Dans dix pays d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale – le Bénin, la Côte d’Ivoire, la Guinée, le Mali, le Niger, la République centrafricaine, la République démocratique du Congo, le Sénégal, la Sierra Leone et le Togo – nous nous sommes associés à l’UNICEF et ONU-Femmes pour lancer des enquêtes sur les impacts spécifiques de la pandémie sur les femmes et les filles. Ce travail, qui sera mené jusqu’à la fin du mois de juillet, fait suite aux recommandations du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes concernant le recueil de données précises ventilées par âge et par sexe. En remédiant au manque très répandu de données primaires sur le genre, il est susceptible de fournir de nouvelles perspectives sur les formes croisées de discrimination auxquelles les femmes sont confrontées – et de suggérer de nouvelles façons de les résoudre. Il est également conforme au besoin exprimé par un certain nombre de gouvernements de soutenir des réponses à la pandémie fondées sur des preuves. Et il apportera des informations essentielles concernant les mesures prises par les Nations Unies dans le cadre de leurs programmes face à la COVID-19.

L’Appel à l’action fournit un cadre essentiel pour renforcer les efforts visant à lutter contre les effets interdépendants des changements climatiques, de la pollution et de la dégradation des droits liés à la nature. Avec le PNUE et le PNUD, nous sommes à la tête des initiatives interinstitutionnelles visant à faire progresser le droit à un environnement sain en développant des orientations à l’échelle des Nations Unies sur la protection des défenseurs des droits environnementaux ; en mettant l’accent sur la participation des enfants et des jeunes aux décisions liées à l’environnement ; et en soutenant le travail des équipes de pays et des institutions nationales des droits de l’homme dans ces domaines.

Dans le Pacifique, notre Bureau régional et le PNUE ont organisé des formations sur le renforcement des capacités destinées aux défenseurs des droits environnementaux. Ils plaident également ensemble en faveur d’un environnement plus favorable qui donne plus de pouvoir aux réseaux de défense des droits de l’homme et aux autres facteurs de changement positif.

Excellences,

L’établissement d’un Nouveau contrat social consiste à rétablir la confiance du public en renforçant le soutien aux droits fondamentaux. Il est essentiel d’établir des sociétés dans lesquelles les décideurs accordent la priorité à la lutte contre les inégalités et à la promotion des droits à la protection sociale, à la santé à l’éducation, et à d’autres droits. Ces investissements publics dans les engagements juridiques pris par chaque État peuvent être étayés par des politiques macroéconomiques qui cherchent à tirer le meilleur parti des ressources disponibles, notamment par une fiscalité progressive et la réduction des flux financiers illicites. Une économie respectueuse des droits de l’homme exige la transparence, la responsabilité et une grande place accordée au dialogue social, au contrôle et à la participation.

Selon la Banque mondiale, entre janvier et septembre 2020, plus de 200 pays ont mis en place plus d’un millier de mesures de protection sociale représentant une dépense moyenne de 243 dollars par habitant. À eux seuls, les programmes de transferts monétaires ont touché 1,3 milliard de personnes, soit 17 % de la population mondiale. S’il n’est pas toujours possible ou souhaitable de maintenir exactement les mêmes programmes à long terme, cette reconnaissance sans précédent du rôle que jouent les protections sociales dans le fonctionnement de l’économie et le maintien de la société ouvre la voie à la réalisation du droit universel à la protection sociale, pour réduire l’exclusion, prévenir la vulnérabilité et renforcer la résilience. Les preuves sont concluantes : les pays qui avaient investi dans la protection sociale ont mieux résisté à la crise.

En Ukraine, la Mission de surveillance des droits de l’homme a élaboré des recommandations détaillées à l’intention du Gouvernement pour remédier à l’accès insuffisant aux protections sociales – en particulier pour les personnes les plus pauvres et celles exclues de la société – et a assuré la liaison avec l’équipe de pays des Nations Unies pour mieux intégrer la protection sociale dans la lutte contre la COVID-19 et le relèvement après la pandémie. Un document d’orientation à l’échelle de l’équipe de pays a été lancé lors d’un événement de haut niveau en avril. Il vise à contribuer aux réformes actuelles du système de retraite du Gouvernement en garantissant une approche fondée sur les droits de l’homme et liée au genre. Notre personnel met actuellement en œuvre un projet de budgétisation fondé sur les droits de l’homme qui se concentre spécifiquement sur la protection sociale au niveau local dans dix localités. Il a également contribué aux activités de plaidoyer de l’équipe de pays auprès du FMI et de la Banque mondiale concernant les mesures qui pourraient faire peser une charge disproportionnée sur les personnes vulnérables.

À Madagascar, dans le cadre de la révision du Code minier national et du régime fiscal appliqué au secteur minier par le Parlement, notre conseiller pour les droits de l’homme a formulé des recommandations générales pour obtenir des revenus supplémentaires auprès des sociétés minières afin de lutter contre l’extrême pauvreté et de contribuer au développement durable, notamment des communautés locales. Plusieurs autres mesures ont été proposées, visant à faire progresser les droits des communautés affectées, notamment à travers la mise en place d’études obligatoires d’impact sur les droits de l’homme en cas de demande ou de renouvellement d’un permis d’exploitation minière. Les résultats du projet ont contribué à l’élaboration du plan-cadre de coopération pour le développement durable, qui a intégré un pilier dédié à la gestion durable, inclusive et résiliente de l’environnement.

Le mois dernier, lors d’un atelier que nous avons organisé avec l’OIT, le Bureau de la coordination du développement et ONU-Femmes, nous nous sommes penchés sur une approche de travail commune pour aider les pays à élargir leur marge de manœuvre budgétaire afin d’augmenter leurs dépenses sociales. En tant qu’ancienne cheffe de gouvernement, je suis bien consciente du fait que de nombreux pays subissent les effets simultanés de l’effondrement du commerce mondial, de la chute des envois de fonds, de l’instabilité des prix des produits de base et du fardeau de la dette. Cela compromet leur capacité à faire respecter les droits économiques et sociaux. La réaffectation des dépenses publiques, l’utilisation de techniques éprouvées pour lutter contre la corruption et les flux financiers illicites, le déploiement de politiques fiscales progressives et l’amélioration de la transparence budgétaire, de la participation et de la responsabilité peuvent contribuer à améliorer la marge de manœuvre budgétaire. Une fois encore, nos discussions internes ont mis l’accent sur le travail concret entrepris dans les pays et sur les partenariats entre tous les organismes des Nations Unies, afin d’intégrer les évaluations des droits de l’homme et les approches fondées sur les droits de l’homme dans le travail de développement.

Il est essentiel que l’ensemble de l’équipe de pays des Nations Unies travaille avec les institutions financières internationales pour veiller à ce qu’elles respectent des droits de l’homme dans le cadre de leur financement et de leurs modalités. Nous devons soutenir et encourager des partenariats mondiaux solides, dans l’esprit de l’ODD 17. Nous devons nous assurer que le financement du développement est conforme aux normes internationales, qu’il s’attaque à la discrimination et aux autres causes profondes des inégalités et qu’il intègre à la fois la participation et la responsabilité. Je suis heureuse de pouvoir échanger avec la directrice du FMI, Kristalina Georgieva, et le président de la Banque mondiale, David Malpass, et je me réjouis de voir leurs convictions en matière de droits de l’homme se refléter dans les activités de leurs organisations.

Au Liban, le HCDH a travaillé en étroite collaboration avec l’équipe de pays et des partenaires nationaux afin d’attirer l’attention sur l’impact de la crise économique, de la pandémie et de l’explosion du port de Beyrouth sur l’accès de la population à leurs besoins essentiels. La flambée des prix, y compris ceux des denrées alimentaires, atteint des niveaux critiques, menaçant des vies et la stabilité sociale. En coopération avec divers partenaires, notre équipe sur le terrain a préparé un document de position à l’intention du FMI* qui propose plusieurs réformes s’appuyant sur les droits de l’homme, en insistant sur les droits et les besoins des personnes en situation de vulnérabilité.

Madame la Présidente,

Pour nous remettre des reculs successifs des droits de l’homme les plus vastes et les plus graves jamais connus, nous devons avoir une vision qui change le cours de l’existence et une action concertée pour la mettre en œuvre. Nous avons besoin d’une économie des droits de l’homme, d’un développement fondé sur les droits de l’homme et de sociétés qui, dans toute leur diversité, ont des engagements fondamentaux communs pour réduire les inégalités et faire progresser tous les droits de l’homme. Nous devons ancrer nos États dans les fondements solides de la justice – sachant que cet effort permettra de renforcer la résilience et la confiance profonde du public que tous les gouvernements cherchent à inspirer.

L’Appel à l’action est un effort collectif et concret, et il est crucial d’obtenir le soutien de tous les États, ainsi que de la société civile et des autres parties prenantes. Votre opinion et votre soutien en faveur des droits de l’homme, à l’échelle nationale, régionale et mondiale, seront essentiels à la réussite de cet effort.

Au HCDH, comme chez beaucoup de nos partenaires du système des Nations Unies, ce travail est en cours – et avec un meilleur financement, et un plus grand soutien de la part des États Membres, nous aspirons à aller beaucoup plus loin. Je suis convaincue que ce Conseil poursuivra ses efforts afin de concrétiser la vision de l’Appel à l’action en faveur des droits de l’homme dans le monde entier.

Madame la Présidente,

Dans mon rapport sur la situation mondiale que j’ai présenté au Conseil en février dernier, j’ai décrit certains aspects de la situation des droits de l’homme en Algérie ; au Brésil et dans d’autres pays des régions de l’Amazonie et du Pantanal ; au Cambodge ; au Chili ; en Chine ; aux Comores ; en Équateur ; en Égypte ; en Éthiopie ; en Guinée ; en Haïti ; en Inde ; en Indonésie ; en Iran ; en Iraq ; en Jordanie ; au Cachemire, des deux côtés de la ligne de contrôle ; au Kazakhstan ; en République démocratique populaire lao ; en Libye ; au Malawi ; au Mali ; dans la zone de conflit du Haut-Karabakh ; au Pakistan ; au Pérou ; aux Philippines ; en Fédération de Russie ; en Arabie saoudite ; en Somalie ; au Soudan ; en Syrie ; en Tanzanie ; en Thaïlande ; en Turquie ; en Ouganda ; aux États-Unis d’Amérique ; au Viet Nam ; et au Yémen, ainsi que mes préoccupations concernant les mesures prises à l’encontre des organisations qui protègent les droits des migrants dans plusieurs pays européens, notamment la Hongrie et la Croatie.

Dans le cadre du dialogue interactif, je serai heureuse de répondre à toute demande de renseignements faisant suite à ma déclaration de février. En outre, je souhaite informer le Conseil de quelques questions récentes très préoccupantes, en notant également que les situations en Géorgie, en Iran, au Myanmar, au Nicaragua, en Ukraine et au Venezuela seront examinées plus avant au cours de cette session, et que la situation dans le Territoire palestinien occupé a récemment été examinée lors d’une session spéciale.

En Afghanistan, je suis alarmée par la forte augmentation de la violence et des dommages causés aux civils. L’attaque récente d’une école dans un quartier hazara de Kaboul, qui a tué 85 enfants, pour la plupart des filles, a été particulièrement choquante, même après tant de décennies d’attaques horribles contre des familles afghanes. Au cours des six mois qui ont suivi le début des pourparlers entre le Gouvernement et les Talibans, le nombre de victimes civiles a augmenté de 41 % par rapport à la même période un an auparavant. Le retrait des forces internationales, qui devrait être achevé en septembre, suscite des craintes pour l’avenir – en particulier chez les femmes, les communautés minoritaires, les défenseurs des droits de l’homme et les journalistes – et une profonde inquiétude quant aux risques de perte des acquis durement gagnés au cours des vingt dernières années. Je demande instamment à toutes les parties de reprendre les pourparlers de paix et d’appliquer de toute urgence un cessez-le-feu pour protéger les civils. Le rôle indépendant de la courageuse Commission afghane indépendante des droits de l’homme doit être protégé. Compte tenu de la détérioration rapide de cette situation, j’encourage le Conseil à renforcer sa surveillance et à envisager des mécanismes permettant la mise en place de mesures efficaces en matière de prévention.

La situation au Bélarus continue également de se détériorer, avec l’imposition de fortes restrictions sur l’espace civique, affectant notamment les droits relatifs à la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association ; des raids contre la société civile et les médias indépendants ; et la persécution judiciaire de militants des droits de l’homme et de journalistes. Nous continuons de recevoir de nombreuses allégations d’arrestations et de détentions arbitraires, de torture, et de mauvais traitements. Notre examen de la situation au Bélarus, mené en vertu de la résolution 46/20, est en cours. Je regrette que le Gouvernement ait, pour sa part, choisi de mettre fin à la présence du conseiller principal pour les droits de l’homme du Haut-Commissariat à Minsk, un poste qui constituait un point d’engagement important et une plateforme de coopération.

Concernant le Tchad et le Mali, je suis profondément préoccupée par les récents changements non démocratiques et inconstitutionnels de gouvernement, qui représentent inévitablement un obstacle important pour les droits de l’homme et qui ont affaibli la protection institutionnelle des libertés démocratiques. Je note toutefois que les gouvernements de transition des deux pays ont affirmé qu’ils restaient déterminés à respecter les obligations juridiques internationales, notamment en matière de droits de l’homme. Je me joins à l’appel d’autres acteurs internationaux en faveur d’un renforcement de la lutte contre l’impunité, à des processus de transition démocratique pleinement participatifs et inclusifs, y compris la tenue d’élections libres et équitables, et à un retour rapide à l’ordre constitutionnel dans ces deux pays.

En ce qui concerne la Chine, un an s’est écoulé depuis l’adoption de la loi sur la sécurité nationale dans la Région administrative spéciale de Hong Kong, au sujet de laquelle le Haut-Commissariat a exprimé de sérieuses préoccupations. Nous avons suivi de près l’application de cette loi et son impact sur l’espace civique et démocratique, ainsi que sur les médias indépendants. Depuis le 1er juillet 2020, 107 personnes ont été arrêtées en vertu de la loi sur la sécurité nationale et 57 ont été formellement inculpées, la première affaire devant être jugée cette semaine. Il s’agira d’un test d’indépendance important pour le pouvoir judiciaire de Hong Kong concernant sa volonté de faire respecter les obligations de Hong Kong au titre du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en accord avec la Loi fondamentale. Par ailleurs, je continue de discuter avec la Chine des modalités d’une visite dans la région autonome ouïghoure du Xinjiang, y compris d’un accès effectif, et j’espère que cette visite aura lieu cette année, en particulier au vu des informations concernant de graves violations des droits de l’homme qui continuent d’émerger.

En Colombie, des manifestations ont lieu dans tout le pays depuis le 28 avril dans un contexte de crise économique préexistante et de profondes inégalités sociales aggravées par la pandémie de COVID-19. Le Haut-Commissariat a exprimé sa profonde inquiétude face aux allégations de graves violations des droits de l’homme par les forces de sécurité de l’État. Si la plupart des manifestations ont été pacifiques, plusieurs incidents violents ont été recensés. Le HCDH condamne toute forme de violence, demande le plein respect du droit de réunion pacifique et encourage le dialogue pour résoudre la crise. Du 28 avril au 16 juin, nous avons reçu des allégations faisant état de 56 décès, à savoir 54 civils et deux policiers, dans le cadre des manifestations, la plupart dans la ville de Cali, ainsi que de 49 victimes présumées de violences sexuelles. Le HCDH recueille également des informations sur les violations des droits de l’homme par des acteurs non étatiques et sur les effets des barrages routiers constants sur les droits de l’homme. Je me félicite de l’annonce par le Président d’une politique de tolérance zéro à l’égard des violences commises par les forces de sécurité, et j’exhorte les autorités à s’assurer que des enquêtes rapides, efficaces et indépendantes soient menées sur toutes les allégations d’abus et de violation des droits de l’homme commis depuis le 28 avril et que leurs auteurs soient tenus responsables de ces actes. L’application complète de l’Accord de paix, y compris le soutien au processus historique de justice transitionnelle, reste essentielle pour faire face aux troubles actuels. Le respect de ces promesses essentielles faites au peuple colombien contribuera à traiter les causes profondes et à accroître la confiance du public dans les autorités.

Dans la région du Tigré en Éthiopie, je suis profondément troublée par les informations récurrentes faisant état de violations graves du droit international humanitaire et de violations flagrantes des droits de l’homme et d’abus à l’encontre des civils par toutes les parties au conflit, notamment des exécutions extrajudiciaires, des arrestations et détentions arbitraires, des violences sexuelles à l’encontre des enfants comme des adultes et des déplacements forcés. Des informations crédibles indiquent que des soldats érythréens opèrent toujours dans le Tigré et continuent d’y perpétrer des violations des droits de l’homme et du droit humanitaire. La situation humanitaire est désastreuse, des rapports faisant état d’un refus d’autoriser l’accès à l’aide humanitaire dans certaines localités et du pillage de l’aide par les soldats. On estime que 350 000 personnes sont menacées par la famine. L’enquête que nous menons conjointement avec la Commission éthiopienne des droits de l’homme est en cours au Tigré et des équipes sont sur le terrain depuis le 16 mai. Nous pensons que ce travail se terminera en août et que les conclusions et recommandations seront rendues publiques. Dans de nombreuses autres régions d’Éthiopie, les incidents alarmants de violences ethniques et intercommunautaires sanglantes et de déplacements sont liés à une polarisation croissante liée à d’anciens différends. Le déploiement actuel des forces militaires n’est pas une solution durable et j’encourage un dialogue global et multidimensionnel dans tout le pays afin de régler les véritables différends.

En Haïti, l’agitation politique se poursuit, liée en partie à un désaccord concernant l’organisation d’un référendum sur une nouvelle Constitution et l’organisation d’élections en septembre. Les autorités doivent garantir le droit de vote dans des conditions sûres. Dans ce contexte, je suis extrêmement préoccupée par les niveaux élevés d’insécurité et les difficultés apparentes du Gouvernement à lutter contre cette tendance. La police ne serait pas intervenue lors d’un certain nombre d’affrontements récents entre groupes criminels à Port-au-Prince. Ces incidents ont fait au moins 50 morts, entraîné le déplacement de plus de 13 000** personnes et aggravé un accès déjà très limité aux services de base. Je condamne fortement toutes les attaques à l’encontre de la police nationale haïtienne, ayant entraîné la mort de 26** policiers depuis janvier**. j’exhorte les autorités à s’efforcer à tout prix d’assurer la protection de tous les Haïtiens et de s’attaquer aux causes profondes de la violence.

Le Mexique a organisé les plus grandes élections de son histoire un peu plus tôt ce mois-ci, malgré de nombreuses difficultés. J’ai été alarmée par le niveau élevé de violence politique dans le contexte électoral. Au moins 91 politiciens et membres de partis politiques, dont 36 candidats aux élections, ont été tués pendant la période électorale qui a commencé en septembre 2020. Plusieurs autres attaques et menaces mettant en danger la vie des hommes politiques, de leurs partisans et des fonctionnaires engagés dans le travail électoral ont également été recensées. Les partis politiques de tous bords ont été touchés et des femmes ont été victimes de violences fondées sur le genre, notamment des violences sexuelles et des campagnes de dénigrement. Il est essentiel de garantir le principe de responsabilité pour de tels actes et de veiller à ce qu’ils ne se reproduisent plus. À l’avenir, j’encourage également les autorités à s’abstenir d’utiliser un langage qui affaiblit ceux qui expriment des opinions dissidentes, ou qui remet en question de quelque manière que ce soit l’indépendance des organes autonomes, y compris les institutions électorales. Je salue le récent jugement rendu par la Cour suprême du Mexique, qui a accepté les recommandations d’action en urgence du Comité des disparitions forcées comme juridiquement contraignantes pour les autorités.

Concernant le Mozambique, je suis préoccupée par l’aggravation du conflit dans le nord du pays, où des groupes armés commettent de graves violations des droits de l’homme, notamment des meurtres brutaux de civils et des violences sexuelles et fondées sur le genre, et se livrent à la traite et à des enlèvements et exploitations d’enfants. Les femmes et les jeunes filles seraient tout particulièrement visées. Je prends aussi note d’informations faisant état de graves violations des droits de l’homme par les forces de sécurité de l’État, soutenues par des sociétés de sécurité privées. Près de 800 000 personnes, dont 364 000 enfants, ont été contraintes de fuir leur foyer en raison des violences et sont confrontées à une insécurité alimentaire croissante. Je suis préoccupée par l’absence de mécanismes efficaces de contrôle et d’établissement des responsabilités. Il est important que toutes les violations présumées, qu’elles soient le fait d’acteurs privés ou publics, fassent l’objet d’enquêtes et de poursuites, et que des mesures soient adoptées pour mettre un terme à ces actes. Les restrictions aux droits à la liberté d’information, d’expression et de la presse constituent un problème grave, de même que les meurtres et le harcèlement des défenseurs des droits de l’homme, et la discrimination à l’égard des femmes et des filles. Je trouve encourageant le fait que le Président du Mozambique ait récemment salué l’opportunité de renforcer notre collaboration et notre engagement et qu’il se soit engagé à s’attaquer à la situation des droits de l’homme.

En ce qui concerne la Fédération de Russie, je trouve consternantes les récentes mesures qui sapent davantage le droit des personnes à exprimer des opinions critiques, ainsi que leur capacité à prendre part aux élections parlementaires prévues en septembre. Au début du mois, à l’issue d’audiences tenues à huis clos, un tribunal de Moscou a jugé que la fondation anticorruption dirigée par l’opposant emprisonné Aleksei Navalny était une « organisation extrémiste ». Il a également statué que la fondation pour la protection des droits des citoyens qui y est associée, de même que le réseau national des fonctions politiques de M. Navalny étaient « extrémistes », sur la base d’allégations vaguement définies selon lesquelles ces entités tenteraient de modifier les fondements de l’ordre constitutionnel. Plus tôt, une loi a été adoptée interdisant aux personnes impliquées dans des activités provenant d’« organisations extrémistes » illégales de se présenter à toute élection.

Je demande à la Russie de respecter les droits civils et politiques. La législation restreignant les libertés d’expression, de réunion pacifique et d’association doit être rendue conforme aux normes internationales en matière de droits de l’homme. J’appelle également les autorités à mettre fin à la pratique arbitraire consistant à qualifier des personnes ordinaires, des journalistes et des organisations non gouvernementales d’« extrémistes », d’« agents étrangers » ou d’« organisations indésirables ».

S’agissant de Sri Lanka, je suis préoccupée par les nouvelles mesures du Gouvernement qui semblent viser les musulmans et par le harcèlement des Tamouls, y compris dans le contexte des événements de commémoration des morts de la fin de la guerre. J’ai peur que les nominations récentes au Bureau des personnes disparues et au Bureau des réparations, ainsi que les mesures visant à décourager les enquêtes sur les crimes passés, ne sapent encore davantage la confiance des victimes. La nouvelle législation antiterroriste – notamment le recensement et/ou l’interdiction de plus de 300 groupes et individus tamouls et musulmans pour soutien présumé au terrorisme – ne fera pas non plus avancer la réconciliation. La législation autorise désormais la détention administrative arbitraire de personnes jusqu’à deux ans, sans procès, à des fins de déradicalisation. Je prends note également des nombreux décès qui continuent de se produire en garde à vue et dans le cadre de rencontres entre la police et des bandes criminelles présumées. Une enquête approfondie, rapide et indépendante doit être menée. Nous poursuivrons le dialogue avec le Gouvernement sri-lankais et j’informerai le Conseil de l’évolution de la situation lors de la session de septembre, notamment concernant les progrès réalisés dans la mise en œuvre du nouveau mandat en matière de responsabilité.

Par ailleurs, j’ai le plaisir de vous informer que nous sommes sur le point de finaliser le programme conjoint des Nations Unies sur les droits de l’homme avec le Gouvernement des Philippines. Je prends note des mesures prises par le Gouvernement dans le cadre de son examen interne des meurtres présumés commis par la police. Il est important que la réouverture des enquêtes donne des résultats, car la responsabilité des violations des droits de l’homme aux Philippines reste une préoccupation de longue date. J’insiste encore une fois sur l’importance de protéger et de garantir la pleine participation de la société civile et de l’institution nationale indépendante des droits de l’homme. Je ferai le point sur cette situation avec le Conseil en septembre.

Je vous remercie, Madame la Présidente.


** Informations corrigées par rapport à la déclaration orale qui, en raison de difficultés techniques, contenait des chiffres obsolètes.