Les survivants du mouvement « Femme, Vie, Liberté » se battent pour mettre fin à l’impunité de l’État en Iran
26 mars 2024
« On nous sépare en deux groupes, comme si c’était eux contre nous, comme si le pays leur appartenait et pas à nous », a déclaré Behnaz Amani. « Dès l’instant où ils m’ont arrêtée, ils n’arrêtaient pas de répéter qu’ils espéraient que je quitte le pays et ne revienne jamais car je ne méritais pas le respect qu’ils me montraient en tant que femme. Mais je n’ai jamais vu ce respect. »
Behnaz Amani est une ancienne universitaire iranienne. Elle fut emprisonnée lors des manifestations « Femme, Vie, Liberté » qui ont secoué le pays à partir du 16 septembre 2022, à la suite de la mort en détention de Jina Mahsa Amini, une femme kurde iranienne de 22 ans qui avait été arrêtée pour avoir prétendument enfreint la loi iranienne sur le port obligatoire du hijab.
Dans sa résolution S-35/1 adoptée le 24 novembre 2022, le Conseil des droits de l’homme a créé une mission internationale indépendante d’établissement des faits sur l’Iran afin d’enquêter sur les violations supposées des droits humains dans le cadre de ces manifestations. Le rapport de la mission a été présenté à la 55e session du Conseil à Genève (Suisse).
Pour son rapport, la mission d’établissement des faits a rassemblé plus de 27 000 éléments de preuve, mené 134 entretiens approfondis avec des victimes et des témoins, et recueilli des informations probantes et des analyses auprès d’experts en criminalistique numérique et en médecine légale, ainsi qu’auprès d’experts en droit national et international. Elle a également examiné des documents officiels du gouvernement et 41 rapports du Haut Conseil des droits de l’homme de l’Iran, et a échangé avec le « Comité spécial chargé d’enquêter sur les troubles de 2022 » de l’Iran.
La mission d’établissement des faits a constaté que la République islamique d’Iran était responsable de graves violations des droits humains au regard du droit international, notamment d’homicides illicites et de meurtres, d’un recours inutile et disproportionné à la force, de privations arbitraires de liberté, d’actes de torture, de viols, de disparitions forcées et de persécutions fondées sur le genre, associées à des discriminations fondées sur l’appartenance ethnique et la religion. Selon la mission, ces violations touchent de manière disproportionnée les femmes, les enfants et les membres des minorités ethniques et religieuses.
Behnaz Amani et d’autres survivantes et survivants de la répression sont venus assister à la présentation de la mission d’établissement des faits à Genève. Elle a déclaré vouloir s’assurer qu’elle pouvait jouer un rôle et raconter les récits rarement racontés de femmes et de filles ordinaires, « de personnes invisibles aux yeux du monde ».
« Je voulais que la mission d’établissement des faits rende la République islamique responsable de ses actes inhumains. Jour après jour en prison, nous pleurions ou tissions notre colère, nos peurs, nos frustrations pour en faire de beaux bracelets avec du fil pour nos parents, nos familles et nos amis », a raconté Behnaz. « J’avais l’habitude de dire aux personnes dans ma cellule que j’espérais voir chaque responsable répondre de chaque goutte de sang versée, de la douleur que nous éprouvions. Nous tous. Et nous étions beaucoup, ils ne peuvent pas nous ignorer. »
Les manifestations « Femme, Vie, Liberté » ont mobilisé des femmes, des hommes et des enfants de diverses origines ethniques, religieuses et socioéconomiques, et ont été principalement menées par des femmes et des jeunes. En réponse, l’État a déployé tout son dispositif de sécurité pour réprimer les manifestants. Selon la mission d’établissement des faits, les familles des victimes, les journalistes, les défenseurs des droits humains, les avocats, les médecins et d’autres personnes continuent à ce jour d’être réprimés pour avoir exprimé leurs opinions, soutenu les manifestants ou cherché à obtenir la vérité et la justice pour les victimes.
Pour montrer son soutien au mouvement, Behnaz a signé une pétition demandant la libération des étudiants de l’université. En conséquence, elle a d’abord été interrogée par le personnel de sécurité de l’université, puis arrêtée devant son domicile et envoyée à la prison pour femmes de Qarchak pendant près de deux mois. Il lui est désormais interdit de travailler ou de publier des ouvrages en Iran et son expérience professionnelle a été totalement effacée.
Pour elle, le monde est en train de vivre sa « Troisième Guerre mondiale » et la cruauté dont sont victimes les femmes dans les conflits du monde entier est pratiquement la même. « Mais la solidarité ne l’est pas », a-t-elle affirmé.
L’établissement des responsabilités face à la répression
La mission d’établissement des faits sur l’Iran a relevé une tendance généralisée au recours à la force meurtrière par les forces de sécurité contre des manifestants dans des situations où il n’y avait pas de menace imminente de mort ou de blessure grave. Selon ses estimations, 551 manifestants ont été tués, dont 49 femmes et 68 enfants, dans 26 des 31 provinces iraniennes. Des femmes et des hommes ont été blessés dans des proportions similaires.
En détention, les autorités de l’État ont torturé des victimes pour leur arracher des aveux ou pour les intimider, les humilier et les punir. La mission a également révélé de nombreuses blessures oculaires graves infligées à des manifestants et à des passants, qui leur ont fait perdre la vue et les ont marqués à vie.
Zhaniyar Tondro a reçu deux balles d’une arme à plombs lors des manifestations, alors qu’il avait 17 ans. La deuxième balle lui a fait perdre son œil droit. Il est resté inconscient à l’hôpital pendant cinq jours au cours desquels il a subi de nombreuses crises d’épilepsie. Il porte aujourd’hui une prothèse oculaire et vit avec une balle toujours logée dans son cerveau. Il a fui l’Iran par crainte d’être emprisonné et n’a pu voir sa mère et ses frères et sœurs qu’une seule fois avant son départ.
« Quitter l’Iran, c’est comme arracher un enfant des bras de sa mère. C’est impossible pour moi d’arrêter d’y penser et de penser aux membres de ma famille qui sont restés », a déploré Zhaniyar. « Mis à part ma mère et mon père qui sont venus avec moi, ma sœur et mon grand-père sont toujours là. Chaque jour, je pense au moment où je pourrai y retourner. »
Comme de nombreux survivants, Zhaniyar, qui s’est également rendu à Genève depuis son pays d’accueil, se sent responsable de faire entendre la voix d’autres survivants et victimes de la répression en Iran. Il estime que le travail de la mission d’établissement des faits est un moyen d’exposer les actes de la République islamique au reste du monde.
« La chose la plus importante à ce stade pour nous aider serait d’inscrire le Corps des gardiens de la révolution islamique sur la liste des organisations terroristes, de traduire l’Iran devant la Cour internationale de Justice et de poursuivre tous ceux qui nous ont tirés dessus », a-t-il ajouté.
La mission d’établissement des faits a constaté que les autorités iraniennes ont empêché et entravé les efforts des victimes et de leurs familles pour obtenir réparation. Les victimes, a-t-elle souligné, sont confrontées à un système judiciaire manquant d’indépendance et de transparence et dépourvu de mécanismes de responsabilité. La mission a appelé les États à « appliquer le principe de la compétence universelle à tous les crimes relevant du droit international, sans limites procédurales », à créer des fonds pour les victimes et à fournir une protection, notamment en accordant l’asile, aux personnes qui fuient les persécutions en Iran dans le contexte des manifestations.
« Des femmes et des hommes, des garçons et des filles ont été sauvagement battus et arrêtés alors qu’ils dansaient, chantaient, écrivaient des slogans ou klaxonnaient dans le cadre d’actes pacifiques de solidarité », a déclaré Sara Hossain au nom de la mission d’établissement des faits sur l’Iran devant le Conseil des droits de l’homme.
« Le courage des victimes, des témoins et des membres des familles qui nous ont confié leur histoire souligne la nécessité pour la communauté internationale de faire preuve de solidarité tout en adoptant des mesures concrètes de soutien aux victimes, notamment en explorant des voies de recours », a-t-elle ajouté. « Si les auteurs des violations commises dans le cadre des manifestations qui ont débuté le 16 septembre 2022 ne répondent pas de leurs actes, le cycle de l’impunité ne pourra pas être brisé. »
Avertissement : Les idées, informations et opinions exprimées dans le présent article sont celles des personnes y figurant ; elles ne reflètent pas nécessairement la politique ou la position officielle du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme.