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Une militante accuse l’armée de chercher à effacer les Rohingya du Myanmar

30 juin 2022

Depuis des décennies, les musulmans rohingya et d’autres minorités du Myanmar sont victimes de discrimination et de persécution, provoquant un véritable exode de réfugiés vers les pays voisins.

Wai Wai Nu a passé sept ans comme prisonnière politique dans la tristement célèbre prison d’Insein au Myanmar. Son seul crime était d’être la fille d’un enseignant et d’un militant politique de l’État rakhine, dans l’ouest du Myanmar.

Après sa libération en 2012, elle a terminé ses études de droit et a décidé de consacrer sa vie à la promotion de la démocratie et des droits de l’homme, notamment au nom des communautés marginalisées et des membres de son groupe ethnique, les musulmans rohingya.

Lors d’une table ronde sur le Myanmar organisée par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies au début du mois, Wai Wai Nu a laissé parler son cœur.

« Depuis des décennies, les minorités ethniques du Myanmar sont soumises aux pires violences et à des politiques qui constituent des crimes contre l’humanité, des crimes de guerre et des génocides », a déclaré Mme Nu, qui est la fondatrice et la directrice du Women’s Peace Network, un organisme qui se consacre à la consolidation de la paix au Myanmar.

« En ce moment même, les principaux auteurs de ces atrocités, l’armée et les forces de sécurité du Myanmar, multiplient les brutalités, notamment en lançant des frappes aériennes et en commettant des arrestations et des détentions, des actes de torture, des violences sexuelles et des meurtres dans tout le pays », a-t-elle dénoncé.

De graves violations et exactions

Cette table ronde, qui s’est tenue durant la cinquantième session du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, s’est penchée sur les causes profondes des violations et atteintes commises contre les musulmans rohingya et d’autres minorités au Myanmar.

Depuis des décennies, les musulmans rohingya et d’autres minorités du Myanmar sont victimes de discrimination et de persécution. Dans un rapport de 2020, la Haute-Commissaire Michelle Bachelet a fait remarquer que la discrimination et l’exclusion dont sont victimes les groupes ethniques et religieux minoritaires sont présentes dans les lois et les politiques du Myanmar depuis plus d’un demi-siècle.

S’exprimant lors de la table ronde, Mme Bachelet a rappelé au Conseil que plus d’un million de Rohingya ont fui l’État rakhine pour se réfugier au Bangladesh, pays voisin, depuis que l’armée a lancé une campagne militaire il y a cinq ans.

« Dans le même temps, à la suite du coup d’État militaire de février 2021, nous continuons également à assister à une recrudescence des conflits armés et de la répression violente dans de nombreuses autres régions du Myanmar, entrainant encore plus de déplacements et de souffrances pour les minorités ethniques et religieuses », a déclaré Michelle Bachelet.

La Haute-Commissaire a exhorté la communauté internationale à rester unie pour faire pression sur l’armée afin qu’elle mette fin à ses campagnes militaires.

« La communauté internationale doit user de son influence pour que le pays soit de nouveau dirigé par un gouvernement civil légitime et indépendant, sans contrôle militaire des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. »

« Une prison à ciel ouvert »

Wai Wai Nu, qui parcourt le monde pour parler publiquement du sort des femmes et des filles rohingya, a décrit la situation dans l’État rakhine comme le fait de « vivre dans une prison à ciel ouvert ». Elle a rapporté que la junte militaire a déclaré vouloir appliquer la peine de mort à quatre défenseurs de la démocratie.

Plus de 600 000 Rohingya continuent de vivre dans des conditions proches de l’apartheid, a-t-elle déclaré durant la table ronde, dont 140 000 sont isolés de force dans des camps de personnes déplacées, sans pouvoir subvenir à leurs besoins fondamentaux et sans moyens de subsistance.

L’armée exige des Rohingya qu’ils obtiennent une autorisation pour voyager à l’intérieur et à l’extérieur de l’État rakhine, et arrête celles et ceux qui enfreignent cette politique discriminatoire, a-t-elle ajouté. Les Rohingya doivent également présenter une carte de vérification de la nationalité qui ne confère pas la citoyenneté et les identifient comme étant « Bengali » pour mener leurs activités quotidiennes, y compris pour se rendre dans les centres de soins et les établissements scolaires.

Les personnes qui ont fui le pays ne connaissent pas de meilleures conditions, les réfugiés vivant dans des camps de réfugiés et des centres de détention sordides dans les pays voisins et risquant d’être victimes de trafiquants sexuels, a déclaré Wai Wai Nu.

Les femmes, les filles et les LGBTQ+ en particulier, dont beaucoup ont survécu aux violences sexuelles commises par l’armée, restent exposés à un risque accru de viol, de harcèlement et d’exploitation sexuels, et de traite forcée.

WAI WAI NU, WOMEN’S PEACE NETWORK

Pour Thyn Zar Oo, cofondatrice et directrice de programme pour le Public Legal Aid Network, la violence au Myanmar est due au racisme institutionnel, aux attitudes ultranationalistes et à la crainte datant de l’époque coloniale de perdre son identité culturelle et religieuse. Pour pouvoir avancer, le pays doit mettre en œuvre des réformes qui favorisent l’égalité et la liberté, ainsi que l’accès à la justice et à l’information, plutôt que la propagande.

« Le pays doit changer de mentalité », a-t-elle déclaré.

Laetitia van den Assum, experte en diplomatie et membre de la Commission consultative sur l’État rakhine dirigée par feu Kofi Annan, a suggéré que la fin de la ségrégation et la réintroduction d’écoles ethniquement mixtes contribueraient à mettre fin aux violences. L’apatridie n’est pas un problème affectant uniquement l’État rakhine et les Rohingya, a-t-elle fait remarquer.

« Des milliers d’autres personnes sont considérées comme apatrides, notamment des Gurkhas, des Tamouls, des Hindous et des Chinois. Si le Myanmar ne rend pas sa législation conforme aux normes internationales, son problème continuera de s’aggraver », a-t-elle affirmé.

Selon Imtiaz Ahmed, professeur en relations internationales et directeur du Centre d’études sur le génocide à l’Université de Dhaka, la politique du Myanmar à l’égard des Rohingya est ancrée dans un « sentiment racial tacite » de l’élite militaire et civile du pays, qui a conduit à la Constitution nationale du Myanmar, une charte qui ne reconnaît pas les Rohingya.

« Il est évident que si l’on n’exerce pas de pressions, dont des sanctions économiques et politiques, le sort tragique des Rohingyas ne changera pas », a déclaré M. Ahmed.

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