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République démocratique du Congo

Des enquêteurs médico-légaux espèrent aider à rendre justice aux victimes en République démocratique du Congo

26 octobre 2020

Les tâches sur les murs offrent un décor macabre.

« C’est du sang », indique le Lieutenant-Colonel Michel Ngalamulume Kadugu, inspecteur judiciaire en chef de l’Auditorat militaire supérieur de l’ancienne province du Kasaï occidental, en République démocratique du Congo. « Et ici on peut voir des impacts de balles et des fragments d’une arme lourde. »

Le Lieutenant-Colonel participe à une mission sur le terrain à Nganza, dans la région du Kasaï de la République démocratique du Congo, avec l’Équipe d’assistance technique des Nations Unies pour le Kasaï, afin d’enquêter sur la présence présumée d’un charnier. En chemin, ils s’arrêtent dans ce qu’ils pensent être un ancien foyer initiatique traditionnel, aussi appelé « tshiota » dans la langue tshiluba locale.

Un mandat pour enquêter sur de graves abus et violations des droits de l’homme

En mars 2017, le Conseil des droits de l’homme a exprimé son inquiétude face à la crise des droits de l’homme dans la région du Kasaï et au besoin de traduire en justice les auteurs de graves violations des droits de l’homme. Dans le cadre des violations commises dans la région, de nombreux civils ont été massacrés puis enterrés dans au moins 80 charniers, selon les informations recueillies par les Nations Unies. Ces actes sont restés pour la plupart impunis et ont entraîné des déplacements massifs de population.

Au mois de juin de la même année, une Équipe d’assistance technique a été créée par le Conseil et a été envoyée à Kananga, dans la province du Kasaï central, avec pour mandat spécifique de fournir de l’aide et des conseils au procureur militaire des provinces du Kasaï. L’équipe soutient les enquêtes du procureur militaire sur les allégations d’abus et de violences graves commis dans la province.

« Nous avons mené déjà deux missions ici. Les premières équipes médico-légales sont venues ici pour prélever des échantillons de sang. À l’époque, le sang était encore relativement frais », explique Achille Tiem, coordonnateur de l’Équipe d’assistance technique. M. Tiem est également responsable de la protection des victimes et témoins.

L’équipe soupçonnait que les « tshiota » avaient été utilisés comme lieu de détention et d’exécutions sommaires, mais elle n’avait pas poussé ses recherches plus loin. Toutefois, le procureur militaire a souhaité revenir sur les lieux afin de corroborer des allégations faites par certaines personnes rentrées au pays après avoir fui pour l’Angola, un pays voisin, durant les massacres.

« Nous avons passé trois mois dans la brousse avant de revenir. Le maire de la ville a demandé à ceux qui avaient fui de revenir », explique un témoin chargé de guider l’équipe durant sa visite.

Lors de l’une de ses premières visites dans le village, l’équipe d’enquête avait été informée d’un possible charnier relativement près du « tshiota ». Dans un ravin, parmi les bambous, deux crânes humains avaient été retrouvés et durant l’une des dernières visites de l’équipe, un témoin du massacre avait expliqué que des miliciens Kamuina Nsapu s’étaient débarrassés des corps des victimes civiles dans ce ravin.

Des années de conflits contre le Gouvernement au Kasaï

La situation dans la région du Kasaï s’est considérablement détériorée en 2016 à la suite d’un conflit sur la question du pouvoir traditionnel entre le Gouvernement central de Kinshasa et les partisans du système de pouvoir coutumier. En avril 2016, le refus des autorités centrales de reconnaître Jean-Pierre Mpandi, également appelé Kamuina Nsapu, comme chef héréditaire de la chefferie de Bajila Kasanga dans le Kasaï central, et la décision de le remplacer par un chef nommé par le Gouvernement, ont provoqué l’insurrection de Kamuina Nsapu.

Kamuina Nsapu a alors demandé à d’autres chefs coutumiers de se joindre à lui dans la rébellion contre tous les symboles de l’État et a ordonné à chaque village de lui envoyer des groupes de jeunes pour les initier et les entraîner en vue de former une milice ayant pour mission de déstabiliser le Gouvernement.

Le meurtre de Kamuina Nsapu, le 12 août 2016, par des militaires des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) lors d’opérations contre l’insurrection a marqué un tournant décisif dans la crise.

Le Bureau conjoint des Nations Unies pour les droits de l’homme (BCNUDH) a signalé de graves abus par la milice Kamuina Nsapu dans le cadre de la rébellion, ainsi que de graves violations des droits de l’homme commises par des agents de l’État, principalement des militaires des FARDC lors d’opérations contre la milice. Depuis août 2016, le conflit a causé des milliers de victimes, y compris la mort de deux experts des Nations Unies, qui ont été sommairement exécutés dans le Kasaï central alors qu’ils enquêtaient sur des violations en mars 2017.

Être précis est un impératif

« Lors de nos précédentes missions, nous avons découvert des os près [du « tshiota »], mais nous ne pouvons pas tirer de conclusions tant que l’enquête n’a pas déterminé qu’il s’agit de charniers ou de personnes tuées durant la période de violences puisque le village avait été complètement vidé de ses habitants », explique M. Tiem. « Certains disent que des corps auraient été mangés par des animaux. »

« Nous devons prendre en compte le fait que les gens ne se rappellent peut-être pas clairement de l’endroit exact où se trouvent les charniers. À Tshisuku, par exemple, lors de notre dernière intervention, nous avons creusé à plusieurs endroits sans rien trouver, mais nous avons par la suite retrouvé des corps enterrés trois ou quatre mètres plus loin », ajoute Pierre Perich, médecin légiste de l’Équipe d’assistance technique. « Par ailleurs, les témoignages sont souvent contradictoires, et ces incidents se sont produits il y a au moins trois ans de cela. »

L’équipe parvient à trouver le chemin qui les conduit à leur découverte macabre. En observant le terrain, le Lieutenant-Colonel Michel Ngalamulume Kadugu fait remarquer qu’il y a dû y avoir de fortes pluies depuis sa dernière visite. L’un des témoins suggère alors que les corps ont peut-être été déterrés et déplacés vers un autre emplacement. M. Perich souligne une fois de plus l’importance d’être précis.

« Nous souhaitons voir ce qu’il y a là-bas, car nous voulons être exhaustifs. Le problème c’est la végétation et le temps qui s’est écoulé », explique-t-il.

« Nous devons essayer d’explorer le terrain et de vérifier s’il y a d’autres restes humains, car il ne s’agit pas d’un lieu de sépulture, mais bien d’une fosse commune, un endroit où l’on s’est débarrassé des corps », ajoute-t-il. « Ces corps se sont rapidement détériorés, car ils étaient à l’extérieur, bien sûr, et à cause de la pluie, du ravinement, tout a dû tomber au fond [du ravin]. Cela vaudrait toujours la peine de confirmer tout cela. »

Ce jour-là, l’équipe n’a pas pu descendre pour inspecter le fond du ravin. Toutefois, depuis février 2020, elle a exploré au moins sept sites à Nganza et y a identifié 13 charniers présumés. Selon les estimations, 789 personnes ont été enterrées dans ces fosses communes et auraient été tuées par les forces de sécurité durant cinq jours de violence en mars 2017.

De l’espoir pour les victimes du Kasaï

Les recherches médico-légales effectuées par l’Équipe d’assistance technique pour appuyer les enquêtes menées par les autorités judiciaires, en particulier le processus d’exhumation des fosses communes, sont une première en République démocratique du Congo. Ces démarches se sont avérées essentielles, étant donné le manque d’expertise dans ce domaine dans le pays.

Au vu du nombre de cas devant faire l’objet d’une enquête et le nombre de charniers à exhumer, il est désormais évident que l’Équipe d’assistance technique a besoin d’experts, de ressources et de temps supplémentaires pour mener ce travail colossal.

« Nous nous concentrons davantage sur les cas emblématiques, car nous ne pouvons pas documenter toutes les graves violations des droits de l’homme qui ont eu lieu en République démocratique du Congo. Selon le degré de gravité des principaux crimes et violations commis, la justice militaire, en partenariat avec le Bureau conjoint des Nations Unies pour les droits de l’homme, définit les priorités fixées pour ses enquêtes », déclare M. Tiem. « Mais globalement, le travail de l’Équipe d’assistance technique ici pourrait prendre plusieurs années. »

« Nous espérons que le travail médico-légal fournira aux autorités les preuves dont elles ont besoin pour mener leurs enquêtes ici. »

M. Tiem espère que toutes les enquêtes judiciaires auxquelles l’équipe apporte son assistance aboutiront à des procès, notamment par le biais de tribunaux mobiles, car cela aurait un impact éducatif et une valeur informative pour les populations qui ont souffert dans la région, car elles pourraient voir que justice a été faite.

« Des activités de plaidoyer doivent aussi être menées en vue de garantir des réparations pour les victimes », ajoute-t-il.

À la demande du Conseil des droits de l’homme le 7 octobre 2020, l’Équipe d’assistance technique restera en République démocratique du Congo pour effectuer son travail de fond, afin que le Haut-Commissariat puisse continuer à fournir une assistance technique au Gouvernement congolais.

26 octobre 2020


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