Brésil : combattre le double fléau du racisme et de la COVID-19
06 juillet 2020
Alors que le nombre de cas de COVID-19 au Brésil continue de s'envoler, la radicalisation politique et sociale et les inquiétudes liées aux droits de l'homme sont elles aussi en augmentation rapide.
Au moment de la rédaction de cet article, le Brésil a enregistré plus d'un million et demi de cas et a dépassé 60 000 décès (source : Organisation mondiale de la Santé). Il s'agit du deuxième pays le plus touché au monde, après les États-Unis.
Dalila Negreiros est une jeune militante brésilienne et une ancienne bénéficiaire du programme de bourses du HCDH pour les personnes d'ascendance africaine. Son organisation, Nosso Coletivo Negro do DF (notre collectif noir de Brasilia), a pour but de promouvoir des actions positives pour les étudiants et travailleurs noirs, et de contribuer aux discussions et aux décisions politiques relatives aux stratégies de lutte contre le racisme.
Pour Dalila, le racisme au Brésil a exacerbé les effets de la pandémie de COVID-19 et la population noire a été particulièrement touchée. Les obstacles liés à la lutte contre le racisme dans des circonstances aussi extrêmes ont été énormes. Elle nous en explique davantage.
Comment percevez-vous les mesures prises au Brésil en réponse à la COVID-19 ?
Lorsque la COVID-19 s'est déclarée au Brésil, nous attendions de voir ce que le Gouvernement allait mettre en place pour les personnes brésiliennes d'ascendance africaine. Pour nous, la COVID-19 vient s'ajouter à d'autres problèmes existants. Nous souffrions déjà de l'inégalité et de problèmes raciaux, donc nous espérions que la réponse du Gouvernement prendrait en compte notre situation.
Sans rentrer dans les détails, cela n'a pas été le cas.
L'un des problèmes majeurs était et reste le flux d'informations, les autorités fédérales et de l'État communiquant de manière très différente. Nous recevons beaucoup de fausses informations et les Ministères de la santé et de l'économie envoient des messages contradictoires. Et le Président déclare ensuite autre chose.
Les gens ont dû prendre leurs propres décisions quant aux directives à suivre. C'est comme si les autorités demandaient aux gens de décider s'ils ont le droit de vivre ou non.
Comment la COVID-19 a-t-elle affecté la population noire au Brésil ?
Elle a affecté la population noire de manière exponentielle. Les Noirs du Brésil sont moins protégés au niveau social et font face à différentes formes de discrimination.
En ce qui concerne les soins de santé, les Brésiliens noirs sont concentrés dans des zones comprenant moins d'hôpitaux, et où la différence entre la qualité des soins prodigués par les établissements publics et ceux privés est énorme. Les hôpitaux publics sont surpeuplés, alors que ceux privés ont encore de la place. Cependant, de nombreuses personnes noires n'ont pas les moyens de se faire soigner dans des établissements privés.
Les données du Gouvernement sur la pandémie ne sont pas précises, donc on ne connait pas toute l'étendue de la catastrophe. Une étude récente de l'Université catholique de Rio de Janeiro a montré que les populations noires et pauvres risquent trois fois plus de mourir de la COVID-19.
Le secteur de l'emploi informel est vaste au Brésil et compte en majorité des travailleurs noirs. Les travailleurs domestiques sont par exemple considérablement affectés. Il arrive donc souvent que ces travailleurs n'aient aucune protection sociale, et il y a eu des licenciements massifs. Il ne leur reste plus rien et ils n'ont nulle part où aller pour se mettre en quarantaine.
La première femme décédée du virus à Rio de Janeiro, Cleonice Gonçalves, était une travailleuse domestique infectée par son employeur.
Certaines personnes travaillent aussi dans des centres d'appel d'urgence bondés et ont trop peur de dire qu'elles sont malades par crainte de perdre leur travail. Il y a aussi les vendeurs de rue, les nettoyeurs de voiture et bien d'autres travailleurs, qui n'ont pas la possibilité de se mettre en quarantaine.
Nous avons également vu des cas de brutalité policière ayant entrainé la mort. En mai, un jeune homme, João Pedro Mattos Pinto, a été tué dans sa maison durant la quarantaine. Et les Noirs affirment avoir encore peur d'être arrêtés voire tués par la police dans la rue s'ils portent un masque.
Des milliers de sans-abri sont encore laissés pour compte. La population des sans-abri au Brésil est composée à 70 % de Noirs. Certains États ont ouvert des abris mais la surpopulation et les conditions d'hygiène sont très problématiques. Le gouvernement fédéral a promis une aide financière à la population dans le besoin, mais des milliers de personnes attendent encore leur premier versement.
Que recommandez-vous au Gouvernement pour que la situation s'améliore ?
Mon organisation et moi-même demandons au Gouvernement de travailler sur un certain nombre de priorités : fournir des informations cohérentes, mettre à disposition des données fiables, améliorer d'urgence l'accès à l'eau et à des installations sanitaires adéquates, fournir des abris sûrs aux sans-abri et assurer une protection sociale adéquate aux travailleurs du secteur informel pour qu'ils aient eux aussi la possibilité de se mettre en quarantaine.
Avez-vous été témoin de gestes de solidarité durant la crise ?
Tant de personnes font un travail exceptionnel. Certaines organisations offrent une aide financière aux femmes vivant dans des favelas des grandes villes, des gens distribuent de la nourriture à ceux dans le besoin, et des organismes redoublent d'efforts pour améliorer les conditions d'hygiène dans les communautés défavorisées.
Pensez-vous que votre combat contre les inégalités raciales a un impact ?
Ces 20 dernières années, notre plus grande réussite dans la lutte contre le racisme a été la prise de conscience au Brésil qu'il était nécessaire d'instaurer des politiques afin de combattre les inégalités raciales. Malheureusement, ce système de « protection », qui n'était déjà pas robuste, a plus ou moins été supprimé.
En tant que population noire au Brésil, nous devons encore faire face à la brutalité policière, à l'inégalité sous différentes formes. Et à présent, nous devons faire face à la faim, à la pauvreté et à la COVID-19.
Rien ne s'arrête.
C'est terrifiant. Je me sens démoralisée, parfois même désespérée. Mais quand c'est le cas, je me rappelle notre l'histoire et je me souviens que les droits de l'homme ne sont pas un acquis. Ils sont nés de nombreuses luttes et même dans les pires moments, nous nous unissons pour réfléchir à des solutions et pour bâtir des utopies.
Et nous continuerons à nous battre.
Avertissement : les idées, informations et opinions exprimées dans le présent article sont celles des personnes y figurant ; elles ne reflètent pas nécessairement la politique ou la position officielle du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme.
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6 juillet 2020