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Déclarations Haut-Commissariat aux droits de l’homme

Volker Türk : les mesures en faveur des droits de l’homme et de la justice sont essentielles pour une paix durable en République populaire démocratique de Corée

Débat ouvert sur les droits de l’homme en République populaire démocratique de Corée

17 août 2023

Volker Türk, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, informe le Conseil de sécurité des Nations Unies sur la situation des droits de l’homme en République populaire démocratique de Corée. © HCDH

Prononcé par

Volker Türk, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme

À

Conseil de sécurité des Nations Unies

Madame la Présidente,

Chers membres du Conseil,

Ce débat ouvert est l’occasion de réfléchir et d’agir sur la situation désastreuse des droits de l’homme en République populaire démocratique de Corée, les droits de l’homme étant le fondement de la paix et de la sécurité, de l’action humanitaire et du développement.

Des souffrances humaines d’une telle ampleur engendrent l’instabilité à l’échelle nationale et ont des implications plus larges. La République populaire démocratique de Corée a rarement été aussi renfermée sur elle-même. La situation actuelle résulte des politiques gouvernementales initialement liées à lutte contre la pandémie de COVID-19, mais qui ont pris de l’ampleur au fur et à mesure que la pandémie s’est estompée.

Les informations recueillies par le HCDH, notamment par le biais d’entretiens et d’informations publiques publiées par le Gouvernement lui-même, indiquent une répression croissante des droits à la liberté d’expression, à la vie privée et à la liberté de circulation ; la persistance de pratiques généralisées de travail forcé ; et une détérioration de la situation des droits économiques et sociaux, en raison de la fermeture des marchés et d’autres formes de création de revenus.

Toute personne qui consulte ce que l’on appelle « l’idéologie et la culture réactionnaires », une formulation utilisée pour désigner les informations provenant de l’étranger, en particulier de la République de Corée, peut désormais être condamnée à une peine d’emprisonnement allant de 5 à 15 ans. Toute personne reconnue coupable d’avoir diffusé de tels contenus est passible d’une peine d’emprisonnement à vie, voire de la peine de mort.

Un système d’autorisation de circuler permet à l’État de contrôler tous les déplacements à l’intérieur du pays. Il prévoit des peines d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à trois mois, sans procès et dans un camp de travail de l’État, en cas de violation des exigences liées aux déplacements. À la suite de la fermeture des frontières du pays en réponse à la pandémie, les gardes-frontières ont reçu l’ordre explicite d’utiliser la force meurtrière contre les personnes s’approchant de la frontière sans autorisation. Depuis la fermeture des frontières, seule une poignée de personnes a réussi à quitter la République populaire démocratique de Corée.

L’imposition généralisée du travail forcé par l’État s’est poursuivie pendant les récentes fermetures de frontières. Selon nos informations, les institutions de l’État ont continué à recourir à la mobilisation forcée d’hommes et de femmes, sans rémunération, pour maintenir le fonctionnement de secteurs déterminants de l’économie, tels que la construction, l’exploitation minière et la production agricole.

Cette pratique de longue date et profondément inquiétante de la mobilisation forcée s’est étendue aux enfants, comme l’a fait remarquer le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies.

Lors d’entretiens, plusieurs hommes envoyés dans d’autres pays pour travailler, dans le but de générer des revenus pour l’État, ont décrit des conditions qui s’apparentent à du travail forcé. Ils ont notamment mentionné une surveillance étroite, un travail physiquement pénible et parfois dangereux, des mesures de santé et de sécurité minimales, de longues heures de travail sans pauses ni congés, et une rémunération inadéquate, la grande majorité de leur salaire étant prélevée par l’État.

Les marchés et d’autres moyens privés de générer des revenus dans le pays ont été en grande partie fermés, et ces activités sont de plus en plus criminalisées. Ces dispositifs limitent fortement la capacité des personnes à subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille. Compte tenu des limites des institutions économiques gérées par l’État, de nombreuses personnes semblent confrontées à une faim extrême, ainsi qu’à de graves pénuries de médicaments.

En mars 2023, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture a indiqué qu’« une grande partie de la population souffre de faibles niveaux de consommation alimentaire et d’une diversité alimentaire médiocre » et que « la situation de la sécurité alimentaire devrait rester précaire, compte tenu de la persistance des contraintes économiques et [des déficits agricoles] ». Des rapports font état de famine dans certaines parties du pays.

Les autorités reconnaissent certains de ces problèmes et ont indiqué qu’elles étaient ouvertes à la coopération internationale pour les résoudre.

Toutefois, à ce jour, les offres d’aide humanitaire ont été largement rejetées ou rendues impossibles en raison de la fermeture des frontières. Les acteurs humanitaires internationaux, dont l’équipe de pays des Nations Unies, ne peuvent toujours pas accéder au pays, tout comme la quasi-totalité des autres ressortissants étrangers.

Madame la Présidente,

Si, par le passé, la population de la République populaire démocratique de Corée a connu des périodes de graves difficultés économiques et d’autres périodes de répression sévère de ses droits, elle semble aujourd’hui souffrir des deux.

Selon nos informations, la population semble de plus en plus désespérée à mesure que les marchés informels et les autres mécanismes de survie sont démantelés, tandis que ses craintes face à la surveillance, aux arrestations, aux interrogatoires et aux détentions menés par l’État se sont accrues.

Cette situation fait suite à des décennies de violations chroniques des droits de l’homme, dont certaines ont été reconnues par le Gouvernement. Elles ont été recensées en détail par la commission d’enquête mandatée par le Conseil des droits de l’homme il y a dix ans, et dont le rapport novateur a contribué à la création de ce point de l’ordre du jour. Les violations exposées dans les derniers rapports du Secrétaire général à l’Assemblée générale, les récents rapports du HCDH au Conseil des droits de l’homme, ainsi que les travaux du Rapporteur spécial s’ajoutent à cette litanie de souffrances.

La surveillance exercée par le Gouvernement sur ses citoyens, à l’intérieur et à l’extérieur du pays, a atteint une intensité rarement égalée dans d’autres pays. Le droit à la vie privée est systématiquement violé. Les domiciles font l’objet de fouilles aléatoires. Les voisins et les membres de la famille sont encouragés à se dénoncer.

Les sanctions pour des infractions même mineures peuvent être sévères, voire constituer des violations flagrantes des droits de l’homme. L’exercice des droits fondamentaux à la liberté d’expression, de pensée, de conscience, de religion, de réunion pacifique et d’association peut être sanctionné par des exécutions extrajudiciaires, des disparitions forcées dans l’une des prisons politiques du pays ou d’autres mesures punitives extrêmement disproportionnées.

Des milliers de disparitions forcées ont été perpétrées par l’État au cours des 70 dernières années, visant notamment des Coréens du nord et du sud de la zone démilitarisée coréenne, ainsi que des étrangers, pour la plupart des ressortissants japonais. Je suis de tout cœur avec les familles des personnes qui ont été enlevées ou qui ont disparu, et qui sont ou seraient aujourd’hui âgées d’environ 80 ou 90 ans. Il est impératif que nous mettions tout en œuvre pour garantir un certain degré de justice, avant qu’il ne soit trop tard.

La même considération s’applique au programme de regroupement familial transfrontalier Nord-Sud qui a redonné de l’espoir à des dizaines de milliers de familles séparées et leur a permis de tisser des liens très précieux. Ce projet est cruellement bloqué depuis 2018 en raison de tensions politiques.

Pour toutes les victimes des nombreuses violations et des crimes commis depuis des décennies en République populaire démocratique de Corée et par cette dernière, il est essentiel d’établir les responsabilités. En l’absence d’actions significatives en ce sens de la part des autorités de l’État, j’encourage les actions menées par d’autres États Membres ou les instances internationales, notamment la Cour pénale internationale.

Des formes non judiciaires de responsabilité doivent également être envisagées, notamment l’établissement de la vérité, la récupération des dépouilles et les programmes de réparation, qui sont particulièrement demandés par les victimes lors des consultations que mon équipe a menées à Séoul.

Parallèlement, la présence du HCDH sur le terrain à Séoul continue de surveiller et de recenser les violations des droits de l’homme en République populaire démocratique de Corée et d’explorer les moyens possibles de faire établir les responsabilités, tout en conservant et centralisant les informations susceptibles d’être utilisées à cette fin.

Madame la Présidente,

On estime que des milliers de Nord-Coréens risquent actuellement d’être rapatriés contre leur gré dans leur pays d’origine, où ils sont susceptibles d’être soumis à la torture, à la détention arbitraire ou à d’autres violations graves des droits de l’homme. En raison de la situation précaire des droits de l’homme que je viens de décrire, ils ont un besoin indéniable et impérieux de protection à l’échelle internationale. J’invite donc instamment tous les États à s’abstenir de rapatrier de force les Nord-Coréens et à leur fournir les protections et l’aide humanitaire nécessaires.

La persistance de violations graves, généralisées et de longue date des droits de l’homme en République populaire démocratique de Corée ne peut être considérée indépendamment des questions de paix et de sécurité dans la péninsule et dans l’ensemble de la région.

Nombre des violations que j’ai évoquées découlent directement de la militarisation croissante de la République populaire démocratique de Corée ou la soutiennent. Par exemple, le recours généralisé au travail forcé, notamment dans les camps de prisonniers politiques, l’utilisation forcée d’élèves pour s’occuper des récoltes, l’obligation pour les familles de travailler et de fournir un quota de marchandises au Gouvernement, et la confiscation des salaires des travailleurs étrangers, visent à soutenir le dispositif militaire de l’État et sa capacité à fabriquer des armes.

La Charte des Nations Unies indique clairement que les violations des droits de l’homme de cet ordre sont une question d’intérêt international.

Une paix durable ne peut être construite qu’en faisant progresser les droits de l’homme et leurs corollaires : la réconciliation, l’inclusion et la justice.

Les traités internationaux relatifs aux droits de l’homme et les organismes des Nations Unies chargés des droits de l’homme fournissent un cadre commun permettant d’identifier les obstacles, de résoudre les désaccords et de mesurer les progrès accomplis, de manière à réduire les tensions au sein des États et entre eux.

Dans le passé, la République populaire démocratique de Corée a participé activement à plusieurs de ces mécanismes, même si elle a critiqué certains aspects de leur travail. Malheureusement, ces dernières années, elle s’est coupée de ces sources de dialogue et d’orientation pourtant nécessaires. Le HCDH continue d’encourager le Gouvernement à répondre positivement à mon offre d’assistance technique.

Le prochain Examen périodique universel du pays en novembre 2024 est l’occasion de coopérer, d’instaurer la confiance et de réaliser des progrès.

J’espère également que le pays s’ouvrira à nouveau au monde et rendra ainsi possible d’autres formes d’interactions avec les Nations Unies.

Le retour de l’équipe de pays des Nations Unies à Pyongyang et la conclusion d’un nouveau cadre de partenariat seraient essentiels pour faire avancer les travaux coordonnés visant à remédier aux souffrances de la population de la République populaire démocratique de Corée.

Dans l’esprit du 75e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, j’exhorte les autorités à engager un dialogue constructif et à rétablir des libertés indispensables, fondement d’une paix durable.

Je vous remercie, Madame la Présidente.