Skip to main content

Déclarations Haut-Commissariat aux droits de l’homme

Volker Türk s’adresse au Conseil de sécurité de l’ONU lors du débat ouvert sur la situation en République populaire démocratique de Corée

12 juin 2024

Réunion du Conseil de sécurité : le Haut-Commissaire Volker Türk s’adresse au Conseil de sécurité à New York concernant la situation en République populaire démocratique de Corée. © Photo ONU/Loey Felipe

Prononcé par

Volker Türk, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme

Lieu

Genève

Débat ouvert du Conseil de sécurité des Nations Unies sur la situation en République populaire démocratique de Corée

Monsieur le Président,
Chers membres du Conseil,

Merci de m’avoir invité.

Je me félicite de l’attention que le Conseil accorde à la situation précaire des droits humains en République populaire démocratique de Corée et à l’examen des liens entre les droits humains, la paix et la sécurité, et le développement.

Cette situation qui perdure cause une souffrance indicible à la population.

Elle est également un facteur d’instabilité ayant des ramifications régionales plus larges. Il n’est pas possible de dissocier la situation des droits humains en République populaire démocratique de Corée des considérations relatives à la paix et à la sécurité dans la péninsule, y compris la militarisation croissante du pays.

Aujourd’hui, la République populaire démocratique de Corée est un pays totalement coupé du reste du monde. Un environnement étouffant, claustrophobe, où la vie est un combat quotidien dépourvu d’espoir. Je fonde ce constat sur de nombreux facteurs observés récemment.

Premièrement, la répression croissante du droit à la liberté de circulation. Ces derniers mois ont été marqués par une réouverture très partielle des frontières, permettant des mouvements limités : le retour de certains citoyens, l’arrivée d’un nombre limité de diplomates, et le déplacement de quelques délégations gouvernementales et équipes sportives.

Cependant, la réalité brutale pour l’ensemble de la population reste celle d’un renforcement des contrôles aux frontières. Il est désormais presque impossible de quitter le pays sans l’autorisation du Gouvernement. Très peu de personnes l’obtiennent. Quitter son propre pays n’est pas un crime. Au contraire, c’est un droit humain reconnu par le droit international.

L’année dernière, environ 200 personnes ayant fui la République populaire démocratique de Corée sont arrivées en République de Corée, soit moins d’un cinquième des arrivées antérieures à la COVID-19. Parmi ces personnes, seul un petit pourcentage avait en fait quitté la République populaire démocratique de Corée après la fermeture des frontières en raison de la COVID-19 au début de l’année 2020, la majorité d’entre elles ayant séjourné dans des pays tiers.

En résumé, nous sommes face à une situation où les gens ne peuvent plus partir, même lorsqu’ils se trouvent dans les circonstances les plus désespérées ou qu’ils risquent la persécution. Cela a plusieurs conséquences, notamment le fait que les familles divisées le sont encore plus. S’ils ne peuvent pas partir, les gens ayant de la famille à l’étranger ne peuvent pas les rejoindre. Même les rencontres les plus brèves entre membres séparés d’une même famille n’ont plus lieu, les efforts officiels en la matière étant au point mort depuis des années. Il est désormais pratiquement impossible de téléphoner ou d’envoyer de l’argent à sa famille en République populaire démocratique de Corée. Pourtant, c’est précisément ce qui permettrait d’instaurer un sentiment de confiance et d’espoir.

Cette ingérence arbitraire dans la vie familiale provoque une profonde détresse. Je demande instamment à la République populaire démocratique de Corée de rendre à nouveau possibles les contacts familiaux pour qu’à terme ces personnes puissent être réunies.

Deuxièmement, la répression de la liberté d’expression s’est aggravée, notamment en raison de l’application de trois lois. L’une d’entre elles concerne la consultation de médias étrangers considérés comme reflétant une « pensée réactionnaire ». Une autre érige en infraction l’utilisation d’un langage non conforme au dialecte de Pyongyang, tandis qu’une troisième vise à forcer les jeunes à « se conformer à un style de vie socialiste ».

Tous ces textes imposent des sanctions sévères pour l’exercice des droits humains fondamentaux protégés par le droit international, y compris le droit à la liberté d’expression et le droit d’accéder à l’information et de la diffuser, allant même jusqu’à punir les parents pour les actes de leurs enfants.

L’article 7 de la loi sur la dénonciation de la pensée et de la culture réactionnaires est un exemple particulièrement effrayant. Il autorise des sanctions sévères, dont la peine capitale, pour le délit d’introduire, de consulter ou de diffuser une culture dite « réactionnaire ». En d’autres termes, les habitants de la République populaire démocratique de Corée risquent la mort pour avoir simplement regardé ou partagé une série télévisée étrangère. Cette loi viole clairement la liberté d’opinion, la liberté d’expression et le droit de participer à la vie culturelle, ce qui place la République populaire démocratique de Corée en violation flagrante des obligations qui lui incombent en vertu du droit international.

Je demande instamment à la République populaire démocratique de Corée d’abroger ces lois oppressives et d’instaurer un moratoire sur l’application de la peine de mort dans l’ensemble de son système juridique en vue de son abolition, comme c’est le cas dans la plupart des pays du monde.

Troisièmement, les conditions socioéconomiques de la vie en République populaire démocratique de Corée sont devenues insupportables. Je suis particulièrement préoccupé par le manque d’accès à la nourriture. Toutes les personnes interrogées par le HCDH l’ont mentionné d’une manière ou d’une autre. Pour reprendre les mots de l’une d’entre elles : « On devient fragile et on souffre de malnutrition très vite, car il n’y a rien à manger. »

Alors que le Gouvernement semble faire des efforts pour améliorer la sécurité alimentaire, il ferme simultanément la majorité des petits marchés, les jangmadang, et restreint ce que les vendeurs peuvent vendre dans les autres. Cette centralisation croissante de la production et de la distribution des denrées alimentaires compromet l’accès à la nourriture. Les rapports indiquent que près de la moitié de la population est en situation d’insécurité alimentaire depuis quelques années et que l’émaciation chez les enfants est en augmentation dans certaines provinces.

Je demande au Gouvernement de respecter le droit à l’alimentation de tous ses citoyens, sans discrimination, et de profiter des offres de coopération internationale à cette fin.

Quatrièmement, le travail forcé persiste sous de nombreuses formes en République populaire démocratique de Corée. Le Gouvernement exerce également un degré élevé de contrôle sur les travailleurs envoyés à l’étranger, dont beaucoup ont été interrogés par le HCDH. Ces personnes décrivent une vie terriblement éprouvante : un travail souvent physiquement dangereux, une pénurie de nourriture et de soins de santé, des niveaux extrêmes de surveillance, des violences physiques et la confiscation par l’État de jusqu’à 90 % de leur salaire.

En outre, la détention arbitraire, la torture et les mauvais traitements, ainsi que l’absence de procès équitables sont des tactiques de répression permanentes.

J’ai aussi régulièrement soulevé la question tragique des disparitions forcées, tant à l’intérieur de la République populaire démocratique de Corée que parmi les citoyens d’autres pays, notamment la République de Corée et le Japon, perpétrées au cours des 70 dernières années. Malheureusement, toute la vérité sur le sort de ces personnes, que nous estimons à plus de 100 000, reste inconnue à ce jour.

J’appelle à nouveau la République populaire démocratique de Corée à respecter ses obligations internationales en rendant ces personnes à leurs familles, qui souffrent depuis longtemps, ou en révélant leur sort et en rendant leurs dépouilles à leurs proches.

L’établissement des responsabilités face à ces violations graves et généralisées, commises de longue date, doit être une priorité. Il y a dix ans, la Commission d’enquête sur la situation des droits de l’homme en République populaire démocratique de Corée a appelé le Conseil à saisir la Cour pénale internationale, ce que je soutiens. En outre, j’invite instamment les États à explorer les procédures judiciaires d’établissement des responsabilités à leur disposition, y compris en vertu des principes acceptés de compétence extraterritoriale et universelle, conformément au droit international.

Quant aux voies non judiciaires, elles doivent continuer à faire partie de nos efforts collectifs pour faire obtenir réparation aux victimes. L’établissement de la vérité, le travail de mémoire, les réparations et les garanties de non-répétition sont autant d’éléments qui doivent être mis en avant.

Je reconnais également l’énorme contribution de la société civile qui recense systématiquement les violations et soutient les victimes. À la demande du Conseil des droits de l’homme, je fournirai en 2025 un rapport complet sur la situation des droits humains au cours des dix dernières années.

Compte tenu de la situation précaire des droits humains en République populaire démocratique de Corée, il existe des raisons impérieuses de reconnaître les besoins de protection internationale des personnes qui la recherchent à l’extérieur du pays. Il est essentiel que le principe de non-refoulement soit scrupuleusement respecté. Nous avons reçu des rapports troublants faisant état de personnes renvoyées en République populaire démocratique de Corée, en violation flagrante du droit international. Grâce à notre travail de suivi, nous pouvons confirmer que les personnes ainsi renvoyées de force sont soumises à la torture, à la détention arbitraire ou à d’autres violations graves des droits humains.

Monsieur le Président,

Il est important que la communauté internationale continue d’accorder une attention particulière à cette situation des plus troublantes sur le plan des droits humains. Ce Conseil est particulièrement bien placé pour s’attaquer à l’isolement croissant de la République populaire démocratique de Corée, qui est à l’origine de violations des droits humains et de l’instabilité régionale. Il est absolument crucial que la communauté internationale fasse preuve de créativité pour trouver des moyens de relancer le dialogue.

Nous avons vu récemment des signes positifs de la part de la République populaire démocratique de Corée dans son engagement avec le système international des droits humains, ce dont nous nous félicitons. La prochaine session de l’Examen périodique universel en novembre, ainsi que le processus d’examen de 2025 du Comité des droits des personnes handicapées sont autant d’occasions à saisir.

Le climat de souffrance, de répression, de peur, de faim et de désespoir qui règne en République populaire démocratique de Corée est profondément alarmant. Pour sortir de cette situation, le pays doit d’abord changer de cap et sortir de l’isolement qu’il s’est lui-même imposé : ouvrir le territoire, renouer avec la communauté internationale, favoriser les interactions humaines, adopter la coopération internationale, se concentrer sur le bien-être de tous.

J’exhorte le Gouvernement du pays à renverser les doctrines et à surmonter sa vision isolationniste qui ne fait qu’engendrer une méfiance de plus en plus profonde, déclenchant une spirale sans fin de pensée unique au détriment d’un avenir plus prospère et plus sûr pour son peuple. Les droits humains dans toutes leurs dimensions offrent une solution et une voie à suivre.

Merci.

Pour plus d’informations et pour toute demande de la part des médias, veuillez contacter :

À Genève
Ravina Shamdasani : + 41 22 917 9169 / ravina.shamdasani@un.org
Liz Throssell : + 41 22 917 9296 / elizabeth.throssell@un.org
Jeremy Laurence : + 41 22 917 9383 / jeremy.laurence@un.org

Suivez et partagez

Twitter @UNHumanRights
Facebook unitednationshumanrights
Instagram @unitednationshumanrights